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Cultures Intermédiaires à Vocation Energétique : la biomasse au service de l’Environnement et de l’Agriculture

Laureline Bes de Berc*

* Animatrice technique en charge du groupe de travail CIVE au sein de l’AAMF (Association des Agriculteurs Méthaniseurs de France) animationtechniqueaamf@gmail.com

https://doi.org/10.54800/bdb232

Introduction

La Culture Intermédiaire à Vocation Energétique (CIVE) est implantée entre deux cultures à vocation alimentaire et récoltée en vue de produire de l’énergie, essentiellement en méthanisation. Selon la rotation de l'agriculteur et le contexte pédoclimatique, on distingue les CIVE d’été, semées au plus tard au début de l’été et récoltées à l’automne, des CIVE d’hiver, semées à l’automne et récoltées avant l’implantation d’une culture de printemps. La mise en place d'une CIVE permet de cultiver trois cultures en deux ans sans venir remplacer la vocation alimentaire des parcelles.

Selon le décret du 7 juillet 2016 [1], contrairement aux cultures principales implantées en vue d’une valorisation énergétique (cultures dédiées), la biomasse issue d’une culture intermédiaire n’est pas comprise dans ce volume de biomasse dédiée, qui est limitée à 15% du tonnage total d’approvisionnement d’un méthaniseur.

Le rôle de la CIVE est avant tout de produire de l’énergie renouvelable, soit en tant qu’intrant principal d’un méthaniseur, soit en tant que complément permettant de sécuriser le plan d’approvisionnement d’un méthaniseur. La conduite de CIVE nécessite rigueur et technicité en vue de produire suffisamment de biomasse pour être exportée et valorisée. Mais l’optimisation de la culture intermédiaire n’est pas un frein aux autres services environnementaux que celle-ci peut rendre. Par ailleurs, le développement des CIVE n’est pas incompatible avec le développement ou le maintien des autres filières agricoles et notamment l’élevage.

 

1/ Produire de l’énergie avec des CIVE

1-1/ Un itinéraire technique complexe

La culture de CIVE ne s’improvise pas : En termes de conduite, la CIVE est à gérer comme une culture à part entière. Elle n’est pas comparable à une CIPAN (culture intermédiaire piège à nitrate) ou une SIE (surface d’intérêt écologique). Il est généralement considéré qu’en deçà d’un rendement de 4-5 tMS/ha, il n’est pas rentable de récolter une CIVE.

Le choix de l’itinéraire technique de la CIVE dépend du contexte pédoclimatique local : Il n’existe pas un itinéraire technique type applicable sur tous les territoires. Il dépend également de la conduite globale de la parcelle d’implantation : l’introduction d’une CIVE ne doit pas gêner la conduite des cultures alimentaires pour leur permettre d’assurer leur potentiel de production, tout en visant un rendement suffisant pour la CIVE elle-même.

Le choix de l’espèceou du mélange d’espèces est essentiel et doit tenir compte des cycles des cultures précédentes et suivantes afin d’optimiser les dates de semis et de récolte de la CIVE par rapport à la récolte de la culture alimentaire précédente, au semis de la culture alimentaire suivante.

La réalisation du semis est également cruciale : par définition, une CIVE ne bénéficie pas des conditions climatiques optimales. Son implantation doit donc être particulièrement soignée pour un démarrage rapide et une production de biomasse suffisante.

L’apport d’intrants (digestat ou engrais, produits phytosanitaires) n’est pas à négliger mais doit être réfléchi de manière à optimiser l’apport agronomique à la culture, tout en tenant compte des contraintes climatiques. Par exemple : la portance des sols en hiver, les risques de volatilisation de l’azote en été.

D’une manière générale, la conduite de la parcelle doit être raisonnée selon une approche globale de trois ou quatre cultures en deux ans, et pas sous le prisme de la seule CIVE prise indépendamment.

 

1-2/ Etat des lieux des pratiques actuelles : Enquête dans le réseau AAMF

En décembre 2019, une enquête a été réalisée dans le réseau de l’AAMF afin de faire un premier état des lieux des types de CIVE pratiquées par ses adhérents. Au total, 100 personnes ont répondu à l’enquête, en provenance de toutes les régions de France métropolitaine hors PACA et Corse (toutes les régions où l’AAMF est implantée à ce jour).

Les sites en cogénération représentent 66% des répondants à l’enquête. La puissance électrique des sites concernés va de 30 à 2 800 kWé, pour une puissance moyenne de 407 kWé.

Les sites en injection représentent 34% des répondants à l’enquête. Le débit d’injection des sites concernés va de 45 à 300 Nm3/h, pour un débit moyen de 148 Nm3/h.

Les CIVE représentent en moyenne 29% du tonnage entrant et 37% de l’énergie produite par le méthaniseur, et la répartition CIVE d’été / CIVE d’hiver (en tonnage) est la suivante : 55% CIVE d’été / 45 % CIVE d’hiver.

 

1-2-1/ CIVE d’été

79% des répondants produisent des CIVE d’été. La surface moyenne de CIVE d’été produites ou achetées pour alimenter un méthaniseur est de 78 ha.

Dans le questionnaire il a été distingué les espèces utilisées par tous les répondants, sans notion d’importance de leur usage respectif (Figure 1), ni de l’espèce ou mélange majoritairement utilisé par les répondants pour produire leurs CIVE d’été (Figure 2).

Les espèces utilisées sont nombreuses et variées. Au-delà des espèces les plus courantes, on peut citer la moutarde, le pois, le radis, le seigle, le sarrasin, la vesce, l’orge, l’avoine brésilienne…

1-2-2/ CIVE d’hiver

84% des répondants produisent des CIVE d’hiver. La surface moyenne de CIVE d’hiver produites ou achetées pour alimenter un méthaniseur est de 86 ha.

De nombreuses espèces différentes sont utilisées, seules ou en mélange (Figure 3). Le seigle est l’espèce la plus utilisée en CIVE d’hiver, seule ou en mélange, par la plupart des répondants et de manière majoritaire (Figure 4). Seuls 13% des producteurs de CIVE d’hiver déclare ne pas du tout utiliser de seigle.

1-3/ Synthèse des coûts de production en 2019

Les coûts de production de la CIVE ne doivent pas être sous-estimés. L’AAMF a réalisé en décembre 2019 une analyse des coûts de production des CIVE en se basant sur une compilation de chiffres régionalisés. Ces données sont issues de nombreux travaux et essais réalisés et suivis localement par des agriculteurs, des techniciens et des conseillers qui présentent un véritable recul sur la production de CIVE et les coûts engendrés. La cohérence de l’ensemble des valeurs collectées démontre une certaine unité des coûts de production des CIVE en France.

Les éléments communs suivants ont été mis en évidence :

  • Le principal facteur de variation des coûts de production est le volume produit. Plus le rendement est élevé, plus les coûts à l’unité produite sont faibles. A l’inverse, un rendement faible ou une CIVE non récoltée (échec de levée, aléas météorologiques…) génèrent des coûts très important pour l’agriculteur.
  • Le rendement, et donc le coût de la CIVE, est également déterminé par la date de récolte, qui n’est pas choisie uniquement sur un critère de production de biomasse de la CIVE, mais dépend aussi de l’implantation de la culture suivante.
  • Les deux dernières années de sécheresse ont montré que les rendements de CIVE devaient être revus à la baisse, en particulier sur les CIVE d’été. Les rendements moyens présentés ci-dessous peuvent donc être inférieurs à des rendements moyens faisant référence il y a deux ou trois ans.

Le tableau ci-dessous présente des moyennes de données collectées sur 8 régions de France  :

Tableau 1 : moyenne des coûts de production régionalisés

Il peut donc être considéré que produire une CIVE coûte en moyenne 135 à 160 €/tMS, ou 30 à 35 €/tMB.

Ces coûts prennent en compte :

  • Les intrants : semences, engrais / digestat, produits phytosanitaires;
  • Les charges de mécanisation : amortissement, entretien, réparations & assurances, pour l’implantation, la fertilisation / traitements, la récolte, le transport et le tassage ;
  • La main d’œuvre ;
  • Les pertes au silo : 5% ;
  • L’amortissement des ouvrages de stockage : 13,20 €/tMS/an, sur la base d’un coût de construction de 60€/m² amorti sur 10 ans ;
  • L’absence de récolte 1 année sur 5 : Echec de levée de la CIVE / CIVE non récoltée.

Ils ne tiennent pas compte :

  • Du fermage ;
  • Des charges sociales ;
  • De la rémunération des capitaux.

Le coût de la biomasse produite a ensuite été converti en énergie sur la base des hypothèses suivantes :

  • Potentiel méthanogène (Nm3 CH4/tMS) : 280 (CIVE d’hiver) à 285 Nm3 CH4/tMS (CIVE d’été)
  • PCS Gaz H : 12,67 kWh/Nm3 (pouvoir calorifique supérieur)

Ces coûts de revient sont élevés en raison de la nature même de la culture, qui est conduite en tant que culture intermédiaire et non en tant que culture principale : elle est implantée et conduite sur les périodes les plus défavorables.

En résumé, afin de produire la quantité d’énergie renouvelable attendue, la conduite de la CIVE doit être optimisée, raisonnée d’un point de vue agronomique et bien intégrée dans la rotation. Ainsi, la CIVE sera rentabilisée par une production de biomasse suffisante, tout en rendant à son environnement un ensemble de services annexes.

 

2/ Les autres services environnementaux rendus par les CIVE

Implantée entre deux cultures à vocation alimentaire, la CIVE ne crée pas de compétition d’usage et du fait de la couverture des sols, présente les intérêts agronomiques et environnementaux communs à toute culture intermédiaire, dérobée ou non.

2-1/ Captation de l’azote et limitation du lessivage

L’étude OPTICIVE [2] réalisée sur les années 2017-2018 a présenté les résultats suivants :

  • En 2017, La mesure de reliquats azotés en entrée d’hiver et après la récolte de CIVE d’hiver démontre que les CIVE prélèvent une partie de l’azote, là où un sol nu ne présente pas de variation de ses reliquats azotés (et donc un risque de lessivage plus important au printemps) ;
  • En 2018, les reliquats azotés mesurés après récoltes de CIVE d’hiver sont tous nettement inférieurs aux reliquats azotés mesurés en fin d’hiver sur un sol nu.

Ainsi, les CIVE, comme toutes cultures intermédiaires, captent l’azote du sol et évitent leur lessivage, ce quilimite la pollution des cours d’eau et des nappes phréatiques. Cet azote est ainsi valorisé en produisant de la biomasse énergétique.

 

2-2/ Effets sur la structure du sol

La couverture des sols lors des périodes d’interculture permet de limiter le phénomène d’érosion et l’effet de battance que subissent les sols nus.

Par ailleurs, les cultures intermédiaires améliorent la structure des sols par un volume racinaire important. Ce phénomène est d’autant plus important avec l’implantation d’espèces dont le système racinaire est différent de celui des cultures alimentaires de la rotation. Cet impact est particulièrement intéressant en agriculture de conservation, pour limiter le travail du sol.

 

2-3/ Réduction de la pression adventice et parasitaire

Le couvert dense mis en place sur la parcelle lutte contre les adventices par étouffement avant leur période de grenaison : avec le temps et la pratique de cultures intermédiaires, le stock de graines dans le sol diminue. De plus, l’usage d’espèces de familles différentes des cultures alimentaires de la rotation permet de diminuer la pression parasitaire en cassant le cycle des ravageurs.

L’introduction d’une CIVE dans une rotation permet d’observer, à terme, une réduction de l’usage des intrants de 30 à 40 %, et ce même en considérant l’usage d’intrants pour produire la CIVE : La réduction d’intrants n’est donc pas un moyen de produire des CIVE, mais un résultat constaté par la généralisation de l’usage de CIVE.

Cet effet est particulièrement marqué dans des territoires où des rotations courtes sont pratiquées (type Blé-Orge ou Blé-Colza).

 

2-4/ Effets sur le stockage du carbone dans les sols

Différentes simulations ont été effectuées pour comparer les usages potentiels de fourrage sur le carbone du sol à long terme : broyage sur place (engrais verts), restitution après méthanisation, (digestat issu des fourrages), utilisation en alimentation animale (épandage de fumier), restitution du fumier digéré. Quelle que soit la voie choisie, la quantité de carbone stable dans le sol reste proche.

En réalité, chaque système (système digestif des animaux, des méthaniseurs ou des organismes du sol) dégrade la même fraction de la matière organique et laisse intacte la fraction la plus stable. Le passage par le stade méthanisation – soit directement des fourrages, soit des fourrages déjà partiellement digérés par les ruminants – ne change le bilan qu’à la marge [3].

L’étude plus récente OPTICIVE réalisée par Arvalis et présentée en juin 2019 confirme que les rotations de cultures intégrant des cultures intermédiaires augmentent le stock carbone dans le sol [4]. Il y est démontré que si la proportion azote organique / azote minéral du sol évolue avec la méthanisation, la part de carbone du sol n’est pas affectée. De plus, la méthanisation permet le captage du méthane qui se diffuserait dans l’atmosphère sans méthanisation.

 

2-5/ Intérêts pour la biodiversité

L’implantation d’un couvert d’interculture présente de nombreux intérêts pour la biodiversité :

  • Le couvert sert de refuge à la petite faune de plaine (perdrix, faisan, lièvre...) tout en lui apportant de la nourriture ;
  • Selon les espèces ou mélanges implantés, un couvert fleuri augmente la quantité et la diversité des ressources pour les insectes pollinisateurs et permettra leur développement.

 

 

3/ Le rôle des CIVE dans la complémentarité élevage / méthanisation

L’introduction de la méthanisation sur une exploitation agricole ou un territoire induit souvent une modification des pratiques de la ou des exploitations agricoles concernées, qui introduisent des cultures intermédiaires dans leurs rotations ou transforment leurs CIPAN en CIVE. La CIVE est un moyen efficace d’augmenter sa production de biomasse énergétique sans affecter les réserves fourragères dédiées aux animaux.

Par ailleurs, pour les éleveurs, les CIVE peuvent être une variable d’ajustement en cas de pénurie de fourrage en produisant des cultures intermédiaires « double performance » : le choix des espèces est réfléchi pour un usage soit en élevage, soit en méthanisation, selon les besoins. Dans l’enquête AAMF « Etat des lieux CIVE » de décembre 2019, 47% des répondants déclarent produire des CIVE « double performance ».

 

Paroles d’agriculteurs-méthaniseurs Enquête AAMF « Etat des lieux CIVE », décembre 2019

 « Les CIVE sont indispensables à la méthanisation en France. Car nous gagnons en autonomie dans l'approvisionnement de nos unités et nous diminuons la concurrence avec l'alimentation animale. »

 « Mes CIVE sont en priorité destinées à l’élevage […] et viennent dans la méthanisation soit par surplus ou par récolte des résidus »

 

Conclusion

L’introduction de CIVE dans une rotation permet d’assurer la production de biomasse énergétique sans venir remplacer la vocation alimentaire des parcelles, à condition de la considérer comme une culture à part entière, avec son itinéraire technique propre et des coûts de production à ne pas sous-estimer. Mais l’optimisation de la culture intermédiaire ne l’empêche pas de rendre à son environnement un ensemble de services annexes, au-delà de la production d’une énergie renouvelable, maitrisable et non délocalisable : captation de l’azote, structuration du sol et maintien voire augmentation du stock de carbone, réduction du recours aux engrais minéraux, réduction des IFT, intérêts pour la biodiversité…

L’usage de cultures intermédiaires en méthanisation ne s’oppose pas aux autres filières agricoles. Le développement des CIVE est parfaitement compatible avec le développement ou le maintien des autres filières, et notamment l’élevage, en ne faisant pas directement concurrence aux cultures fourragères et en offrant aux éleveurs la possibilité de disposer d’un fourrage d’appoint.

La CIVE n’est pas une culture dédiée. Il est de la responsabilité individuelle de chaque producteur et chaque exploitant d’un site de méthanisation de se montrer transparent sur les intrants déclarés, afin de ne pas discréditer une culture qui présente de nombreux intérêts et qui vient s’insérer dans un modèle global d’économie circulaire.

 

Paroles d’agriculteurs-méthaniseurs Enquête AAMF « Etat des lieux CIVE », décembre 2019

« En agriculture de conservation, le couvert est un incontournable pour son système racinaire. Mais sa biomasse aérienne pose problème pour le semis suivant, la gestion des ravageurs (souris, limaces...) donc son évacuation de la parcelle est indispensable : la méthanisation est un cercle vertueux car le digestat aide à stimuler la croissance aérienne et racinaire des CIVE »

Notes

[1] Décret n° 2016-929 du 7 juillet 2016 pris pour l'application de l'article L. 541-39 du code de l'environnement https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032855125&categorieLien=id

[2] https://www.ademe.fr/opticive

[3] Thomsen I. Carbon dynamics and retention in soil after anaerobic digestion of dairy cattle feed and faeces. Soil Biology and Biochemistry, Nov. 2012.

[4] Lagrange H., Arvalis. Projet OPTICIVE – Impact des CIVE sur le stockage du carbone dans les sols, Présentation Expo Biogaz, Juin 2019

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