Aller au contenu principal

Agriculteurs et conseillers, réunis autour d’une source karstique, actionnent l’agronomie avec pragmatisme.

Anne HERMANT1*, Alice FAIVRE2, Victoire LE MOING2, Clément DIVO3, Véronique LAVILLE4

1Anne Hermant, responsable du pôle environnement ; * Auteur correspondant : anne.hermant@cote-dor.chambagri.fr

2Animatrices / captages ;

3Conseiller en agronomie-grandes cultures ;

4Agricultrice, responsable professionnelle (Chambre d’agriculture de Côte d’Or, 1 rue des Coulots 21110 Bretenière).

La gestion des adventices constitue un enjeu majeur au niveau des Aires d’Alimentation de Captages (AAC), impactées par les produits phytosanitaires et les nitrates. Les Chambres d’agriculture se sont investies fortement auprès des collectifs d’agriculteurs concernés dans la gestion de ces territoires à forts enjeux environnementaux, en étroite relation avec les administrations, les syndicats des eaux, les agences de l’eau ainsi que les opérateurs économiques. L’agronomie se trouve en effet au cœur des différentes étapes : lors des diagnostics agronomiques territoriaux, articulés avec le diagnostic hydrogéologique, lors de la formalisation des plans d’action associant souvent des mesures réglementaires codifiées, des mesures incitatives agroenvironnementales et des initiatives volontaires des agriculteurs. L’implication des Chambres d’Agriculture repose sur un travail en équipe : la synergie entre le responsable professionnel et le chef de service et leur capacité de médiation sont primordiales ; la pertinence de l’expertise agronomique des collaborateurs ainsi que la qualité de l’animation sont essentielles pour mener à bon port ces projets, qui s’inscrivent sur le temps long. Le présent témoignage de la Chambre d’Agriculture de Côte d’Or (CA21) illustre ces différents aspects.

La démarche générale au niveau de l’AAC

Le contexte local et historique de la ressource.

La source de Jeute, située sur la commune de Créancey, est gérée par le syndicat de Thoisy-le-Désert et alimente 17 communes, soit 2.000 abonnés. D’origine karstique, la source est située au pied d’une falaise bajocienne dans la plaine de l’Auxois en bordure orientale du Massif de Morvan. Elle est surplombée par des grands plateaux calcaires du Jurassique inférieur reposant sur les marnes imperméables du Lias. Par la présence d’une couverture drainante, peu épaisse par endroit, la source karstique de Jeute est caractérisée par une vulnérabilité moyenne à très forte de son bassin d’alimentation.

Ce puits de captage a été classé prioritaire au titre du SDAGE, en 2010, historiquement pour une dégradation de la qualité de l’eau vis à vis des nitrates, ainsi que pour son caractère stratégique pour l’alimentation en eau potable. La contamination importante de l’eau par les produits phytosanitaires (1,91 µg/l de chlortoluron en 2012) a fait évoluer les études en cours vers cette problématique. Le dispositif réglementaire relatif à certaines Zones Soumises à Contraintes Environnementales (ZSCE) a donc été mobilisé : une étude AAC a permis de délimiter une zone de protection et la mise en place d’un plan d’action.

 

Le diagnostic hydrogéologique

Lors de la première phase de l’étude, pour déterminer le bassin d’alimentation de captage (BAC) et la vulnérabilité des parcelles, l’hydrogéologue s’est appuyé sur le résultat de traçages et sur l’étude pédologique réalisée par la Chambre d’Agriculture de Côte d’Or (base du référentiel IGCS confirmée par une expertise terrain) : l’articulation entre hydrogéologie et pédologie est déterminante pour délimiter les zones de l’AAC. En l’occurrence, les zones les plus problématiques sont les plus éloignées de la source ; celles en vulnérabilité moyenne sont les plus étendues et correspondent aux secteurs où les sols sont plus épais (figure 1). Avec des sols superficiels et une karstification des calcaires, les premiers traçages effectués sur le secteur ont une vitesse minimum de 100 m/jour (sortie analysée 6 jours après injection) montrant donc une forte vulnérabilité du milieu.

La sensibilité de la source est confirmée à travers les quantifications de molécules phytosanitaires observées de manière saisonnière et fugace, en lien avec des désherbages de grandes cultures (figure 2). La concentration en phytosanitaires dans l’eau la plus élevée a été détectée début 2012 : cette pollution résulte d’une application de chlortoluron sur une surface importante, avant de fortes pluies ponctuant une période de sécheresse ; cette conjonction pourrait expliquer un lessivage intense des molécules stockées dans le sol.

Il est utile de rappeler ici que les aquifères karstiques sont très vulnérables aux pollutions du fait (i) du faible rôle filtrant de la zone d’infiltration, (ii) des temps de séjour courts limitant les processus épuratoires au sein de l’aquifère. Ainsi la structure particulière de ces aquifères concourt à une variabilité temporelle importante de la qualité des eaux aux exutoires des systèmes karstiques. En contrepartie, certaines caractéristiques de ces aquifères sont intéressantes : une élimination rapide des polluants accidentels touchant le réseau de drainage, des effets cumulatifs d’un cycle à l’autre très réduits du fait des temps de séjour courts, et en conséquence, une amélioration rapide de la qualité des eaux après réduction à la source des causes de pollution (Source : Guide Pratique des stratégies de protection des sources karstiques utilisées pour l’eau potable par les Agences de l’eau Adour Garonne et Rhône Méditerranée & Corse , mai 2011 , 73 pages) .

Figure 1 : Carte du Bassin d’Alimentation de Captage, comprenant deux zones d’action : A / sols superficiels inférieurs à 20cm ; B /sols entre 20 et 60 cm d’épaisseur.

Figure 2 : Évolution dans le temps des matières actives et des teneurs en nitrates dans la source de Jeute depuis 1998

Le diagnostic agronomique des pratiques agricoles : des approches différentes entre exploitants

La deuxième phase de l’étude concernait le diagnostic territorial des pressions agricoles, le BAC d’une superficie de 212 ha se trouve en forte majorité en cultures (tableau 1) même si une grande majorité des exploitants sont des éleveurs (15/16) ; par ailleurs aucune habitation ni siège d’exploitation sur l’AAC : la pollution recouvre strictement une pollution diffuse. Le diagnostic a été mené en 2011 par la CA21 de façon exhaustive auprès des 16 agriculteurs concernés de façon très variable (tableau 2) ; il a permis de référencer l’assolement sur le périmètre (figure 3) ainsi que les pratiques agricoles qui présentaient des risques pour la qualité de l’eau. Il en ressort les résultats principaux suivants, relatifs aux sources de pollution diffuse : (i) la fertilisation azotée semblait bien gérée, même si certains exploitants avaient encore quelques efforts à réaliser pour respecter la méthode des bilans ; les cultures implantées sur ces sols superficiels et séchants étant essentiellement des cultures d’hiver, les CIPAN sont peu utilisées ; les teneurs en nitrates de la source sont plutôt modérées malgré les 90% de la SAU en cultures, les apports de matière organique sous forme de compost et/ou de fumier (1/5ème de la superficie du BAC chaque année) et la sensibilité des sols ; (ii) les traitements phytosanitaires étaient réalisés de manière très différente selon les agriculteurs. Certains n’en effectuaient aucun, alors que d’autres avaient des IFT (Indices de Fréquence de Traitement) supérieurs aux moyennes régionales et nationales.

Quant à la contamination par le chlortoluron observée en 2012, déjà évoquée, revenons à la raison de cette pratique. Le traitement avait été réalisé pour un problème de résistance des adventices apparu au terme de la mise en place d’un CTE (Contrat Territorial d’Exploitation) en 2003 sur une exploitation. Pour avoir droit aux aides financières les exploitants ayant des parcelles situées en périmètres de protection de captage devaient contractualiser au moins une mesure agroenvironnementale. L’une d’entre elles concernait l’interdiction de certaines molécules de désherbage : après 5 ans sans désherbant racinaire, l’exploitant n°1, le plus concerné, avait rencontré des difficultés et utilisé du chlortoluron sur toute la surface en céréales pour lutter contre ces adventices. Un constat qui illustre combien la gestion des adventices se contextualise et se réfléchit sur le long terme.

Tableau 1 : Occupation du sol sur le BAC

 

Tableau 2 : Surfaces concernées par exploitation sur les 16 exploitations du BAC

Figure 3 : Assolement 2011-2012 sur l’ensemble de la surface cultivée du BAC de la source de Jeute

Des exploitants conscients de l’enjeu : un programme d’action basé sur le volontariat

L’arrêté préfectoral précisant le programme d’action est, dans un premier temps, basé sur le volontariat des exploitants agricoles. L’animation pour la mise en œuvre des changements de pratiques est assurée par la CA21 depuis 2014.

La pollution de l’eau générée par cette application de chlortoluron a fortement perturbé l’exploitant qui l’a réalisé. Les deux associés du GAEC concerné, ainsi que les autres exploitants présents, ont pris conscience de la vulnérabilité du milieu et de l’impact de l’utilisation de certaines molécules sur la qualité de l’eau distribuée. Le syndicat des eaux et la commune ont également fait comprendre aux exploitants qu’il fallait trouver une solution pour améliorer cette qualité de l’eau et éviter que d’autres dépassements ne se produisent à l’avenir. La Chambre d’Agriculture s’est alors vu confier le plan d’action à élaborer pour répondre à cette attente. En tant que médiateur sur cette problématique, la Chambre d’Agriculture a su mobiliser les exploitants pour co-construire ce plan d’action et envisager son application par la suite.

 

Un plan d’action construit avec les exploitants, adapté au territoire et au contexte économique

La Chambre d’Agriculture a animé plusieurs réunions avec les exploitants et les autres acteurs agricoles du territoire (coopérative) pour réfléchir à des propositions d’actions adaptées au contexte et envisageables par les agriculteurs. Malgré la présence de zones de vulnérabilité différentes dans le bassin d’alimentation de captage, et au vu du découpage des parcelles, les agriculteurs ont souhaité appliquer les mêmes contraintes sur toute l’aire d’alimentation pour plus de cohérence et de simplification dans l’organisation du travail.

L’implantation de différentes cultures pour allonger la rotation comme la luzerne ou le chanvre a été évoquée, la luzerne étant plus facilement cultivable sur ce secteur puisqu’une filière existe contrairement au chanvre où tout était à construire ! La présence d’éleveurs sur le bassin rendait possible l’introduction de prairies temporaires dans le secteur le plus vulnérable, ce qui permettrait d’avoir des zones de dilution pérennes à l’échelle du BAC.

Les agriculteurs présents aux réunions ont donc retenu l’idée de mettre en place une zone tampon sur le BAC. Celle-ci consiste à déterminer une surface annuelle sur laquelle seront présentes des cultures peu ou pas exigeantes en intrants (azote et phytosanitaires), telles que des légumineuses, des prairies temporaires ou de l’agriculture biologique. Cette zone tampon permettrait de « diluer » les substances indésirables appliquées sur le reste du BAC qui pourraient s’infiltrer et rejoindre la source. Cette zone a été déterminée par rapport aux types de sols présents sur le BAC tout en tenant compte de la capacité des exploitants à la mettre en œuvre. En effet, ces mesures ne pouvant être facilement prises en charge financièrement par les dispositifs existants comme les MAEC, il a été convenu que cette zone pourrait représenter 28 % de la surface agricole utile du BAC, soit 53 ha.

Afin d’éviter toute sur-représentation d’une seule culture sur l’AAC, les agriculteurs reconnaissent la nécessité d’une deuxième mesure, essentielle à mettre en place : une gestion de l’assolement à l’échelle du bassin. Il y eut aussi adhésion pour également limiter l’utilisation des produits racinaires et de développer des rotations plus longues que la rotation classique colza-blé-orge. Pour ajuster la fertilisation azotée, certains exploitants doivent diminuer légèrement la quantité apportée et se conformer à la dose calculée par la méthode des bilans. Des outils d’aide à la décision pourraient être également utilisés (reliquats sortie hiver, pesées de colza). Le stockage d’effluents organiques en bout de champs doit être proscrit et l’implantation des cultures intermédiaires rendue obligatoire pour piéger les nitrates en période d’interculture : ce sont là des obligations réglementaires.

  

Après la rédaction du plan d’action : de son application… à une profonde perplexité !

Une fois le plan d’action validé, les exploitants ont joué le jeu pour le mettre en place, notamment sur les assolements, rotations et zones tampons. Mais face à la présence à plusieurs reprises d’autres molécules phytosanitaires (désherbant du colza / moutarde) et à une concentration toujours importante en nitrates dans l’eau (entre 40 et 50 mg/l), les exploitants ont commencé à douter de leur capacité à inverser la tendance de façon pérenne sur la qualité de l’eau. L’application de molécules phytosanitaires, même à faibles doses, présentait un risque pour l’eau et ne permettait pas de gérer les problèmes récurrents d’envahissement par les adventices.

Estimant qu’ils étaient arrivés au bout d’un système agricole basé sur l’agrochimie, les deux exploitants du GAEC ont décidé de s’affranchir radicalement de toute utilisation de produits phytosanitaires. Pour cela, une remise en cause totale des pratiques était nécessaire. Ils ont donc franchi le cap de la conversion à l’agriculture biologique qui leur permettait de tester un nouveau système tout en bénéficiant d’aides économiques indispensables dans ces périodes de transition. Dès lors, le plan d’action comprenait deux versants : sur 42% de la surface de l’AAC cultivés par le GAEC, conversion en A-bio et sur les 62% gérés par les 15 autres exploitants, maintien du plan d’actions initial.

Zoom sur le GAEC

Le système d’exploitation avant la conversionen A-Bio.

Le GAEC avant 2015 est assez représentatif des exploitations des plateaux calcaires de Côte d’Or :

·         un atelier de grandes cultures (300 ha), exclusivement composé de cultures d’hiver (rotation colza-blé-orge). Le potentiel agronomique est faible (50 qx/ha de blé d’hiver en moyenne en conventionnel) du fait de la faible épaisseur de sols (< 30 cm), de la forte charge en éléments grossiers et du climat assez froid, avec gelées tardives au printemps (> 500 m d’altitude).

·         un atelier de bovins allaitants pour valoriser les surfaces de prairies permanentes (100 ha) qui ne peuvent être cultivées (relief trop important, protection Natura 2000, etc.).

 

Dans leur première partie de carrière, les exploitants ont développé l’atelier « grandes cultures » au détriment des bovins (retournements de prairies, destruction de haies), comme beaucoup d’exploitations du secteur. La simplification du système de culture (rotation courte, travail simplifié du sol) a entrainé la prolifération des adventices spécifiques à ces cultures (graminées, géraniums).

L’élevage bovin a toujours été très extensif sur l’exploitation. Les vaches-mères et les broutards sont nourris quasi-exclusivement au foin de prairie permanente et les animaux sont presque toujours vendusen maigre. Il y a peu de liens entre l’élevage et les cultures, si ce n’est l’échange paille-fumier.

 

La conversion à l’agriculture biologique et son accompagnement.

La conversion s’est effectuée en mai 2015, au moment de la déclaration PAC. Cette procédure administrative est très largement employée pour la conversion en AB car c’est celle qui optimise le revenu au cours de cette période de transition. Pour l’atelier de cultures, la première récolte certifiée AB a eu lieu à l’été 2018 ; quant à l’atelier de bovins, l’ensemble du cheptel et de ses productions est devenu certifié AB après deux ans de conversion en mai 2017. Toutefois, dès 2015, le GAEC a souscrit à un engagement environnemental qui l’engage à respecter le cahier des charges de l’AB sur ses parcelles pendant cinq années consécutives.

L’exploitation a adhéré au GERFAB, le groupe de développement spécialisé en AB animé par la CA21. Cela leur a permis de participer aux tours de plaine réalisés au sein des exploitations du groupe et d’échanger avec d’autres exploitants également engagés en AB. Les associés ont également pu bénéficier d’un accompagnement individuel régulier par les conseillers de la Chambre d’agriculture, financé par l’Agence de l’Eau dans le cadre de l’animation du plan d’action agricole du captage.

 

Les changements stratégiques opérés (assolement, systèmes de culture) avec la conversion en A-Bio

Le système de culture a été modifié pour répondre à deux principales problématiques : le maintien d’une fertilité suffisante du sol pour la production de culture de vente et la gestion des adventices annuelles et vivaces.

Le principal levier mobilisé pour répondre à ces problématiques est celui de l’introduction de prairies temporaires riches en légumineuses dans la rotation des cultures (100 ha). Du fait du coût de leur implantation (semences), les exploitants ont initialement souhaité mettre en place leurs prairies temporaires pour trois années d’exploitation. Les fourrages ainsi produits sont alors valorisés par le troupeau allaitant. Celui-ci voit sa taille augmenter (passage de 80 à 100 vaches-mères) pour consommer tous ces fourrages. Les prairies permanentes ne sont alors plus valorisées qu’en pâturage.

Les sols du GAEC sont principalement superficiels, calcaires et riches en argile. De plus, on y trouve de nombreuses résurgences qui rendent ces sols temporairement hydromorphes en hiver et en début de printemps. De ce fait, le choix a été fait de composer ces prairies temporaires d’un mélange de luzerne et de trèfle violet (le trèfle violet étant moins sensible à l’hydromorphie). Malgré la pertinence aussi bien en termes agronomiques que zootechniques, l’introduction de graminées dans le mélange n’a pas été retenu car celui-ci ne serait alors plus éligible à l’aide PAC spécifique aux légumineuses fourragères (environ 250 €/ha).

Le reste de l’assolement est alors emblavé en céréales d’hiver, principalement du blé tendre, avec des essais de grand épeautre, de seigle et de triticale. Enfin, quelques autres cultures pouvant faire office de précédent à céréales sont implantées : pois protéagineux d’hiver, tournesol, lentilles et sarrasin. La surface en céréales doit rester importante pour permettre l’autonomie en paille de l’exploitation (paillage de la stabulation libre pendant 6 mois).

La fertilisation est essentiellement assurée par le fumier de ferme issu de l’élevage de bovins allaitants. Un complément est parfois réalisé avec des engrais du commerce utilisables en AB (fientes de volailles) sur le blé tendre.

La gestion des adventices est facilitée par la maigre disponibilité en azote dans le sol et par la présence des prairies temporaires en rotation. Elle est maîtrisée par l’utilisation d’une herse étrille, aussi bien en culture qu’avant implantation (faux-semis).

 

Les ajustements des pratiques agronomiques au fil des saisons d’observations !

Au fur et à mesure des années, il est apparu que le très faible potentiel agronomique des sols de l’exploitation limite le choix de cultures. Seules les légumineuses fourragères, les céréales (d’hiver ou de printemps) et les lentilles sont réellement cultivables sur les terres du GAEC. Au sein des prairies temporaires, le trèfle violet a semblé être la plante la plus adaptée.

Suite aux échanges avec leurs conseillers, les associés du GAEC ont décidé d’évoluer vers un système plus simple, assez proche des rotations anciennes du secteur. Elle s’ouvre par une prairie temporaire de trèfle violet semée au printemps sous couvert de céréales. Elle reste en place jusqu’à l’automne de l’année suivante (18 mois). Elle est alors détruite pour faire place à un blé tendre d’hiver. Si la parcelle est d’un potentiel suffisant, une lentille est cultivée au printemps de la troisième année et est suivi par une deuxième céréale. Si le potentiel est plus faible, une deuxième céréale est directement emblavée après la première. On est alors en présence d’une rotation triennale (trèfle-blé-céréale secondaire) et d’une rotation quadriennale (trèfle-blé-lentille-céréale secondaire) selon le potentiel des parcelles.

Parmi les céréales testées, le blé tendre de printemps est très bien ressorti. En effet, son cycle plus tardif est bien adapté à ces sols qui sont très longs à se réchauffer au printemps à cause de l’engorgement en eau. Il profite alors plus de la minéralisation de la matière organique issue des résidus des cultures précédentes et du fumier de ferme. Le seigle a également été retenu. Le grand épeautre et le triticale ont déçu et ont été abandonnés.

Globalement, les exploitants du GAEC sont très satisfaits de leur conversion à l’AB. Les aides spécifiques de la PAC ont été essentielles à leur engagement, leurs apportant de la sérénité face aux premières années passées à découvrir l’AB. Les nombreux échanges avec les conseillers de la Chambre d’agriculture de Côte d’Or leur ont permis d’avancer rapidement avec beaucoup de pragmatisme et d’observations, vers un système adapté à leur contexte pédoclimatique particulier.

Qualité de l’eau au niveau AAC : des résultats très encourageants

Le tableau 3 des indicateurs des actions en 2015-2016-2017 montre que les objectifs du plan d’action, les deux versants A-Bio et conventionnel confondus, sont largement atteints : les indicateurs sont 3 à 4 fois plus élevés que les objectifs fixés par le comité de pilotage.

La qualité de l’eau (figure n°2) a été remarquablement restaurée au sujet des produits phytosanitaires. Depuis 2015, les analyses fréquentes, bimestrielles, portant sur 8 matières actives, ne révèlent plus aucune présence à l’exception d’un désherbant retrouvé à l’état de traces (0,03µg/l) en novembre 2017 !

Pour les nitrates, on note une tendance nette à l’amélioration excepté un pic de nitrates à 50,3 mg/l en décembre 2018, très probablement dû au retournement de luzerne sur une grande surface, combiné à des conditions climatiques particulières (conditions de minéralisation favorables au printemps, et un peu de pluie pour lessiver à l’automne mais pas suffisamment pour diluer les quantités de nitrates).

Figure 4 : Assolement 2016-2017 sur l’ensemble de la surface cultivée du BAC de la source de Jeute

 

Tableau 3 : indicateurs de suivi des actions mises en œuvre sur le captage « Source de Jeute »

Le plan d’action se concrétise par une très forte évolution de la biodiversité entre 2012 et 2017, illustrée par la comparaison des assolements (graphiques n°3 et n°4). Comme dans toute action territoriale, la réussite tient à la mobilisation collective des exploitants, compris dans leur diversité. Certes, l’exploitation convertie en A-Bio concerne une grande surface du bassin (42% du BAC) ; un deuxième exploitant est également en cours de conversion (8% du BAC) ; toutefois les 14 autres font des efforts sur l’assolement et l’amélioration des pratiques : sur au moins 25% des surfaces restantes en conventionnel, les IFT sont nettement plus faibles que les références régionales et les doses d’azote inférieures aux préconisations par la méthode du bilan.

 

L’intérêt de ce récit d’expérience est aussi de montrer combien la conversion en Abio d’une surface conséquente de l’AAC induit des résultats spectaculaires au niveau des phytosanitairesmais que la gestion et le pilotage de la fertilisation azotée, notamment organique restent une exigence très forte et permanente pour les exploitants, dans un milieu très sensible comme le karst, pour garantir la qualité de l’eau au niveau des nitrates au fil des saisons.

« Remettre du bon sens agronomique dans la réglementation »

Témoignage de Véronique Laville, élue en charge du service « Environnement »

 « Ma mission en tant qu'élue c'est de remettre du bon sens agronomique dans la réglementation ». Présente au sein de divers comités de pilotage et notamment les comités de chaque captage (Groupe où sont représentés l'ARS, la DDT, la Chambre d'agriculture, les collectivités et les organismes en charge de la gestion de l'eau et éventuellement la DREAL pour les captages prioritaires), je veille au côté des services techniques de la Chambre d’Agriculture pour que soit bien déterminé en premier lieu d'où vient la pollution et si son origine est bien agricole. Ensuite, on peut dresser un périmètre d'action efficace et suffisant en s’appuyant sur les études hydrogéologiques. Mon action s'apparente à de la médiation pure. Beaucoup de discussions, beaucoup d'échanges et de recherche de compromis, pour parvenir à une solution technique et agronomique qui aura l'assentiment de toutes les parties au dossier.

On dispose d'une large palette d'outils dans ces dossiers où l'indicateur fondamental c'est la qualité de l'eau. Le défi posé, entre les services compétents de la Chambre d'agriculture, les agriculteurs et les conseillers agricoles des autres structures, s'instaure alors un vrai travail d'équipe. Notre objectif commun c'est de travailler à l'amélioration de la qualité de l’eau tout en préservant une activité agricole sur ces territoires. Compte tenu de la diversité des situations des captages dans notre département, nous ne disposons pas de « solutions toutes faites » : chaque captage doit faire l’objet d’une approche particulière et adaptée au contexte.

Les articles sont publiés sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 2.0)

Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue AES et de son URL, la date de publication.