Hubert Manichon nous a quitté à la mi-janvier 2020. Son sourire reste présent, ici lors du premier atelier de terrain de l'Afa à Vénerque en 2012. Lors de la cérémonie dans son village de Quirbajou (Aude), plusieurs de ses collègues et amis ont témoigné.

Sous la plume de Jean-Roger Estrade accompagné de François Papy, Jean Boiffin, Jacques Caneill, Guy Trébuil et Alain Capillon, retrouvez le parcours d'Hubert.

Agronome de grand renom, ami proche de nombreux membres de l’AFA dont il était adhérent actif depuis ses débuts, Hubert Manichon nous a quittés le 14 janvier 2020, à l’âge de 77 ans, emporté par un cancer.

Diplômé de l’Institut National Agronomique (INA) où il est admis en 1963,  Hubert Manichon suit la spécialisation dispensée à  l’ENSAA de Dijon, alors établissement de formation des Ingénieurs d’Agronomie, corps dont sont issus les cadres de l’enseignement public agricole. Il est recruté en 1967 comme Assistant à la Chaire d’Agriculture de l’INA,  qui deviendra par la suite Chaire d’Agronomie de l’Institut National Agronomique  Paris-Grignon. Pendant 23 ans, il y accomplira une brillante carrière d’enseignant-chercheur, jusqu’au grade de Professeur de Classe Exceptionnelle. En 1990, il rejoint le CIRAD et restera dans cet organisme jusqu’à sa retraite en 2005, y exerçant diverses fonctions de haute responsabilité.

Au cours de la première de ces deux grandes étapes, Hubert Manichon prend une part essentielle dans le développement de l’agronomie en tant que discipline autonome et reconnue. Elève (on pourrait dire « petit-fils spirituel ») de Stéphane Hénin (qu’il admirait et dont il ne parlait qu’en l’appelant « Monsieur Hénin ») à l’Agro, puis adjoint de Michel Sebillotte à la Chaire d’Agronomie à laquelle sont associés un puis deux laboratoires de recherche de l’INRA, il s’affirme très vite comme un pédagogue hors pair, très apprécié des étudiants pour la clarté et la rigueur de ses cours, mais aussi pour ses talents d’animation dans les travaux dirigés sur le terrain. Nombre d’entre eux gardent un souvenir impérissable des séances de description du profil cultural. Hubert Manichon fait montre d’incomparables qualités didactiques, et n’a pas son pareil pour guider les futurs ingénieurs vers l’autonomie : nombreux sont aujourd’hui les collègues qui, dans des sphères professionnelles très diverses, lui attribuent leur vocation pour l’agronomie. Quant à ses recherches, elles s’inscrivent au départ dans le courant de physique du sol appliquée initié par Demolon puis, surtout, Stéphane Hénin, inventeur du  concept de « Profil Cultural ». En systématisant la description de l’état du profil cultural, en l’appliquant à des situations d’histoires culturales très diversifiées, et en mettant ces observations en regard de séquences d’opérations dûment caractérisées (les itinéraires techniques et leurs conditions de réalisation), Hubert Manichon a donné au Profil Cultural sa véritable dimension de méthode de diagnostic et de recherche. Grâce à ses travaux[1], elle n’est plus l’apanage de quelques experts initiés, mais devient utilisable par tous les agronomes de terrain. Au-delà de cet apport méthodologique, et en lien étroit avec les physiciens du sol de Versailles puis d’Avignon (autre branche de la filiation Hénin), Hubert Manichon et plusieurs agronomes qu’il a formés, vont observer, analyser et accompagner pendant 20 ans l’évolution des techniques de travail du sol, observer les effets du tassement et, plus globalement, ceux des systèmes de culture sur l’état des sols cultivés. Il n’est pas exagéré d’attribuer pour une part à son influence, la façon dont l’évolution des techniques de travail du sol s’est déroulée en France métropolitaine : plus raisonnée, moins dogmatique, pour tout dire plus agronomique, que dans beaucoup d’autres régions du monde. Cette influence ne tient pas seulement à la qualité de son enseignement et de ses recherches, mais aussi au fait qu’à l’instar de ses « maîtres », Stéphane Hénin et Michel Sebillotte, Hubert Manichon va souvent au contact des agriculteurs et s’implique activement auprès des organismes et agents du système de recherche et développement agricole, notamment dans leurs instances de formation : il sera par exemple très investi dans les formations de conseiller agricole issues de la Relance Agronomique. Il acquiert ainsi notoriété et estime dans de larges cercles de praticiens de l’agronomie, agriculteurs et techniciens de toutes obédiences.

Cette maîtrise de l’agronomie moderne, alliée à son intérêt personnel pour les agricultures du monde, le prédisposait naturellement à prendre en charge, en 1990, la Direction Scientifique du CIRAD. Il fallait alors rassembler et animer scientifiquement l’ensemble hétérogène qu’était l’organisme nouvellement créé par regroupement d’instituts techniques de filières, tout en portant une vision nouvelle de la recherche agronomique en milieux tropicaux. C’est cette tâche considérable qu’Hubert Manichon mène à bien de 1990 à 1993 aux côtés d’Henri Carsalade. Par la suite, il reste au cœur des mutations du CIRAD, d’abord comme responsable scientifique du champ disciplinaire AGER, puis comme Directeur du Département des Cultures Annuelles, ensuite en Guadeloupe comme Délégué Régional pour la région Antilles-Guyane et zone Caraïbe et enfin, de retour à Montpellier, comme Directeur de l’Outre-Mer Français. Au regard de la diversité des responsabilités éminentes qu’il a exercées, on peut le considérer comme l’un des fondateurs du CIRAD. Il y a été promoteur d’une nouvelle approche plus scientifique de la recherche agricole tropicale, prenant en considération les différentes manières de cultiver et  la cohérence des choix techniques, face à la diversité des situations agroécologiques. Avec ténacité et là encore une grande pédagogie, il fait adopter ces approches au CIRAD, les étendant par là même aux milieux tropicaux et méditerranéens.

Il y a enfin l’homme, notre Hubert, auquel tant d’entre nous ont été et restent à jamais profondément attachés. Sa gentillesse, sa simplicité, sa profonde humanité ont permis à beaucoup d’admirer sa clarté de vue, son esprit infatigablement constructif, sa ténacité dans les débats, son calme olympien dans les épreuves, ainsi que sa capacité à faire confiance aux personnes travaillant près de lui. Mais aussi son énergie, son audace intellectuelle et physique  - il fut un grand sportif amoureux des fonds marins -, sa générosité enfin. Au moment de son départ en retraite, à la demande de ses habitants, il  accepte de devenir Maire de la commune où il avait élu domicile,Quirbajou, petit village isolé, perché dans les montagnes de l’Aude. Il se donne entièrement à la tâche et entraîne ses concitoyens  pour redonner un avenir à ce « lieu perdu ». De cette expérience, il fait profiter toute une communauté  de recherche sur le développement régional, en s’impliquant dans le suivi des programmes « pour et sur » le développement régional (PSDR) menés par l’INRA en partenariat avec les Régions. Et on ne saurait oublier qu’avant de nous quitter il avait créé avec son épouse, une association d’aide aux migrants dans l’Aude, ce qui fut sans doute le dernier engagement d’une vie placée sous le signe de l’utilité aux « frères humains ». Le 18 janvier dernier, à Quirbajou, dans la plus grande simplicité, il a rejoint la terre qu'il aimait.

 

La disparition d’Hubert Manichon laisse un héritage considérable dont nombre d’entre nous, sommes les bénéficiaires. Du fait de son autorité intellectuelle mais aussi de sa grande humanité, il a été, pour toute une génération d’agronomes, un leader, un passeur, et un ami fraternel. Ceux qui ont eu la chance de travailler avec lui ressentent une immense perte, mais gardent intact en eux-mêmes un trésor : celui d’avoir un moment partagé sa route.


[1]On se bornera à citer ici deux documents emblématiques : sa thèse de docteur ingénieur obtenue en 1982 (Manichon H., 1982. Influence des systèmes de culture sur le profil cultural : élaboration d’une méthode de diagnostic basée sur l’observation morphologique. Thèse INA P-G, Paris.), et le guide méthodique élaboré avec Yvan Gautronneau (Gautronneau Y. & Manichon H., 1987. Guide méthodique du profil cultural. CEREF/GEARA, Lyon/Paris).