Emile Cordier, 1902 ; Thèse agricole : le domaine de Ravenel
Note de lecture
Marc Benoît* et Bénédicte Autret**
*Association française d’agronomie, paysagro@gmail.com
** unité Aster, INRAE
En 1902, la thèse agricole d’Emile Cordier, soutenue à l’Institut Agricole de Beauvais, propose une rupture majeure pour les territoires d’openfield en monoculture céréalière de Lorraine : introduire l’élevage laitier dans les territoires de l’Est de la France, pour y montrer l’intérêt d’un système de polyculture-élevage.
Emile Cordier est un jeune élève de Beauvais, quand il rédige sa thèse en 1902, à la demande du propriétaire du domaine du Joly, à Mirecourt, Louis Buffet. Ce dernier est propriétaire de 254 hectares de terres, et des bâtiments, tout en menant une carrière politique. Cette dernière fut remarquable : Ministre de l’agriculture et du commerce sous la deuxième république en 1848, Ministre des finances en 1870, Elu président du conseil des ministres et président de l’Assemblée Nationale en 1875, il participa au vote de la constitution et à celui du septennat.
Sans repreneur, il insère cette thèse dans un calendrier de cession de ses propriétés : il propose, ce qui sera réalisé après sa mort, de céder son domaine au département des Vosges, qui acquière le domaine du Joly après levée de fonds citoyens. Ainsi, débute l’aventure des recherches publiques agronomiques, d’abord départementales, puis nationales après reprise du domaine du Joly par l’INRA, à la naissance du Service d’Expérimentation et d’Information dirigé par M. Rebischung, en 1961.
Cette thèse était en rupture avec le fonctionnement du système agraire d’openfield lorrain : il proposait en 1902, de transformer cette grande région de culture céréalière, en une région de polyculture-élevage, en introduisant l’usage des fourrages, et des conduites de prairies permanentes. La justification principale des fourrages était dans l’amélioration des successions de culture en diversifiant les cultures, bien au-delà des classiques céréales, et en apportant des fourrages riches en azote, via les légumineuses proposées (luzerne et trèfles). L’introduction des prairies permanentes permettait d’économiser de la force de traction, en diminuant les surfaces labourées, tout en produisant un fourrage sur la longue durée.
Son plan de thèse, de facture classique, contenait :
- Considérations générales sur le département des Vosges,
- Généralités sur l'exploitation de Ravenel,
- Système de culture. Assolement,
- Engrais et amendements,
- Les spéculations. Alimentation du bétail,
- La comptabilité,
- Conclusion
Sa thèse prend comme pivot deux points critiques de l’agriculture de la fin du XIXème siècle :
- La fertilité des sols,
- La raréfaction de la main d’œuvre, en particulier pour les nombreux travaux du sol durant les années de jachère (une année sur les trois de la rotation culturale des openfields lorrains).
Domaine de Ravenel

Sa proposition de construire une synergie entre cultures et élevages a été reprise par le propriétaire M. Louis Buffet, puis poursuivie par le département des Vosges quand la ferme de Louis Buffet fut reprise comme station expérimentale du département des Vosges, avant de devenir la première implantation INRA en Lorraine, via le SEI en 1961. Cette proposition qui consistait à faire le pari de la complexité dans la conduite des systèmes d’exploitation de Lorraine s’avère un enjeu pour l’avenir des systèmes agraires lorrains.
120 ans plus tard, le projet scientifique de l’installation expérimentale INRAE de l’unité ASTER est toujours articulé autour de ce point critique que constitue la complexité des systèmes de culture et d’élevage pour gérer au mieux les ressources du milieu, essentiellement la diversité des sols face aux divers comportements climatiques. Et, la diversité des productions, tant animales que végétales, via leurs synergies, reste au cœur d’un système où la complexité (au sens de multiples relations actionnables) est le mode opératoire mobilisé.
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