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Éditorial

Grégory Vrignaud, Olivier Réchauchère, Adeline Michel, Yves François, Marc Benoît

Cette livraison de la revue de l’AFA s’inscrit dans le prolongement du débat agronomique « Agronomie et Méthanisation » organisé par l’Association Française d’Agronomie (Afa) lors de son assemblée générale thématique du 21 mars 2019. Le débat avait donné une vision de la dynamique de développement de la méthanisation en France, puis traité des implications socio-économiques et agronomiques de la généralisation de cette pratique.

La méthanisation est en effet inscrite dans les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui définit les priorités d'action des pouvoirs publics pour la gestion des formes d'énergie sur le territoire métropolitain. En avril 2020, le décret entérinant son adoption a fixé pour la méthanisation des objectifs de développement ambitieux. La perspective de forte croissance de cette activité nous a amené à considérer différentes dimensions de la question, sans se limiter trop strictement aux seules dimensions agronomiques.

Une première partie donne différents éclairages sur l’état des lieux de la filière et ses perspectives d’évolution

En ouverture de ce numéro, Julien Thual, après avoir retracé la genèse de la méthanisation sur notre territoire dans les années 1970, dresse le panorama des enjeux, recensés par l’Ademe, que ce développement accéléré implique, en pointant notamment la question du financement des nouveaux projets.

Ce panorama est très concrètement illustré par deux témoignages donnant à voir les spécificités de ce développement dans deux régions françaises. Adeline Haumont et ses co-auteurs de l’association AILE (Association d’Initiatives Locales pour l’Energie et l’environnement) font le point pour la région Bretagne, où la méthanisation est très liée à la délicate question du traitement des effluents d’élevage. Juliette Chenel et Sarahlynn Rizard, de la structure METHAN-ACTION, dispositif d’accompagnement de la filière méthanisation en Nouvelle-Aquitaine, montrent pour leur part que les projets à venir s’orientent très majoritairement vers la production de biogaz pour injection dans les réseaux de gaz alors que le parc de méthaniseurs actuels est centré sur la cogénération électricité-chaleur.

Concluant cette première partie et considérant de nouveau un point de vue national, Alexandre Berthe et ses co-auteurs, sur la base d’entretiens menés auprès d’agriculteurs du Grand-Est et de la Nouvelle Aquitaine, analysent d’un point de vue économique les formes d’unités de méthanisation en France et s’interrogent sur les scénarios d’avenir de la filière : face à une dynamique de renforcement de formes industrielles d’unités de méthanisation, un autre modèle de développement de la filière reposant sur le critère de diversité et d’adaptation à chaque territoire n’est-il pas à rechercher ?

La deuxième partie du numéro est consacrée aux effets du développement de la méthanisation sur les exploitations agricoles.

A partir de son expérience de terrain en tant que gérant du bureau d’étude ACE méthanisation, et de données issues du programme Methalae, Grégory Vrignaud passe en revue différents types d’innovations agronomiques dans lesquelles la méthanisation joue un rôle direct ou indirect, depuis l’échelle de la parcelle jusqu’au territoire.

En complément de ce regard agronomique, Etienne Paillard (Cerfrance), sur la base d’une typologie des formes de méthanisation élaborée dans le cadre du programme Méthalaé, et reposant notamment sur la structuration juridique et financière des projets, identifie les impacts socio-économiques de ces projets sur les exploitations qui le portent, et donne des pistes pour orienter les stratégies de ces dernières.

Combinant les dimensions agronomique et économique et s’inspirant de situations ou de réflexions issues du programme Méthalae, Christian Couturier et ses co-auteurs du bureau d’étude et de recherche SOLAGRO tracent les trajectoires de deux exploitations type, une céréalière et une en élevage, en montrant comment la méthanisation peut constituer un outil de leur transition agroécologique.

Sylvain Marsac d’Arvalis et ses co-auteurs examinent les implications agronomiques de l’introduction des CIVE dans les systèmes de culture, à partir d’expérimentations effectuées dans le cadre du programme Opticive et de simulation de scénarios permettant également d’estimer l’intérêt de ces systèmes du point de vue de l’économie des exploitations

Finalement, sous forme d’une interview, Frédéric Thomas, directeur de la revue TCS (Techniques culturales simplifiées devenue Techniques de conservation des sols) soutient l’idée que méthanisation et agriculture de conservation sont assez liées et répondent à des objectifs communs.

La troisième partie se penche sur la question controversée de l’utilisation des digestats comme amendement et fertilisant.

Sophie Sadet-Bourgeteau et ses co-auteurs de l’UMR Agroécologie de l’INRAE font le point des connaissances scientifiques au sujet de l’impact des digestats de méthanisation sur la qualité biologique des sols agricoles. En dépit de la multiplication de prises de position sur le sujet, leur conclusion est que l’on dispose de peu de données scientifiques pour objectiver ces impacts. Il est donc urgent de produire des connaissances sur ce sujet afin de mieux évaluer l’impact de telles pratiques. Ce sera possible dans le cadre du projet Methabiosol, porté notamment par Agrosup Dijon et la Chambre d'Agriculture du Maine et Loire, qui vient de recevoir un financement CASDAR pour les trois prochaines années.

Adoptant un point de vue complémentaire, à partir d’un travail de caractérisation de la diversité des digestats de méthanisation, Sabine Houot examine quelles sont les caractéristiques propres de ces digestats qui doivent interpeller les agronomes, d’une part en termes de valeur fertilisante ou valeur amendante et d’autre part sur les impacts environnementaux et agronomiques liés aux conditions de leur utilisation.

Rapportant les résultats d’un essai de 3 ans mené dans plusieurs pays européens à propos des effets de différentes modalités de fertilisation sur la production de fourrage en prairies, Alexandre Laflotte de l’Université de Lorraine et ses co-auteurs se demandent si les digestats pourraient permettent à la fois de réduire l’usage des intrants de synthèse tout en améliorant le fonctionnement biologique des sols. Les résultats préliminaires de cet essai ne permettent pas de conclure de façon tranchée, ce qui suppose de poursuivre les essais sur une période plus longue.

Concernant la valeur fertilisante des digestats, Gregory Vrignaud apporte un témoignage issu de 8 années d’essais mené en microparcelles dans les conditions de la pratique agricole, avec un groupement d’agriculteurs et des partenaires locaux du Nord Est des Deux-Sèvres. Ces essais ont permis de déterminer la valeur fertilisante du digestat et d’affiner le conseil aux agriculteurs dans le contexte pédo-climatique local.

Ce champ de connaissance est ainsi en plein développement, et des résultats de projets futurs ou en cours pourront venir compléter ce numéro thématique dans les prochains mois ou années

La quatrième partie aborde des questions de politiques publiques et de gouvernance à mettre en place pour accompagner un développement de la méthanisation

Cette section du numéro ne comporte que deux/trois textes originaux. Il est vrai que le contexte institutionnel autour de la méthanisation n’était peut-être pas assez stabilisé au moment du lancement de l’appel à contribution pour que cette thématique puisse susciter de nombreuses contributions.

Nous reprenons ici un texte de Geneviève Pierre, initialement paru dans la revue Cybergeo, qui souligne le rôle d’instances d’action publique de type Pôle d’excellence ou programme Leader pour appuyer des projets co-construits à l’échelle du territoire par une diversité d’acteurs, et notamment des agriculteurs « moteurs ».

Alexandre Berthe et al., dans leur texte précédemment cité, abordent en conclusion cette question des politiques publiques en se demandant comment les concevoir de façon à soutenir la diversité au sein de l'écosystème des entreprises de la méthanisation, plutôt que d’inciter à l’unification des modèles d’unités de méthanisation.

Isabelle Marx, chargée de projet Agriculture-Alimentation au WWF France, présente le point de vue de cette ONG sur le cadre politique à mettre en place afin d’assurer un déploiement de la méthanisation agricole en France dans de bonnes conditions de durabilité.

Enfin Olivier Dauger, président de la Chambre régionale d’agriculture des Hauts de France, nous livre un point de vue d’agriculteur sur les conditions socio-politiques nécessaires au développement de la filière.

Finalement, la cinquième partie regroupe des retours d’expérience de divers acteurs sur des projets de méthanisation.

Pascal Demay, de la Coopérative Dijon Céréales, témoigne d’un projet d’introduction de CIVE dans les successions colza-blé-orge dans les zones du Chatillonnais au Nord de la Côte-d’Or. Cette innovation viseà la fois à sortir ces successions de l’impasse agronomique dans laquelle elles se trouvaient (du fait des difficultés de désherbage) et à développer la méthanisation. L’intégration de CIVE permet ainsi de répondre à plusieurs défis de transition agroécologique et énergétique.

L’association des agriculteurs méthaniseurs de France livre deux retours d’expérience. Laureline Bes de Berc témoigne des pratiques de mise en place de CIVE au sein du réseau des membres de l’AAMF, et, au-delà de la production d’énergie, souligne l’intérêt, du point de vue de ces agriculteurs, des CIVE pour rendre différents services environnementaux. Adeline Haumont rend compte d’une enquête auprès des membres de l’AAMF sur la valorisation des digestats de méthanisation.

Enfin, Denis Lefèvre et François Kockmann, à partir de l’interview du gérant d'une société de méthanisation à Ciel (71), l’agriculteur J.L. Moratin, et d’un conseiller de la chambre d’agriculture de Saône et Loire, rendent compte de l’expérience de la gestion d’une unité de méthanisation et de son impact dans le territoire.

 

Bonne lecture

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