Les cultures intermédiaires à vocation énergétique : de l’évaluation technico-économique et environnementale à la construction des axes de travail régionalisés pour favoriser leur développement
S. Marsac1, M. Heredia1, N. Delaye2, F. Labalette2, V. Lecomte3, M. Bazet4
1 ARVALIS - Institut du végétal : Station Inter-Instituts, 6 ch de la côté vieille 31450 Baziège s.marsac@arvalis.fr
2 Terres Univia : 11 rue de Monceau CS 60003- 75 378 PARIS 08 – France n.delaye@terresunivia.fr
3 Terres Inovia: Station Inter-Instituts, 6 ch de la côté vieille 31450 Baziège v.lecomte@terresinovia.fr
4 Euralis; Avenue Gaston Phoebus 64231 Lescar marie.bazet@euralis.com
https://doi.org/10.54800/ive480
Résumé
La valorisation des cultures intermédiaires pour l’énergie (CIVE) est une opportunité fréquemment mise en avant dans les scénarii de transition énergétique et agroécologique. Les références acquises au cours du programme OPTICIVE ont permis d’évaluer techniquement, économiquement et environnementalement ces nouvelles ressources dans différents scénarios. Malgré une production variable et coûteuse de ces CIVE dans des systèmes de 3 cultures en 2 ans, leur valorisation permet d’ajouter des fonctions économiques et environnementales aux couverts d’interculture, améliorant de nombreux indicateurs des exploitations (efficience énergétiques, GES). L’analyse conjointe de ces résultats avec les acteurs de la filière a permis d’identifier différents axes de travail dans de grands bassins de production pour améliorer les connaissances et l’intérêt de ces ressources.
Abstract
Energy cover crops mobilisation in double cropping systems is included in different energy and agroecology transition scenarios. These resources were assessed from OPTICIVE résults into different scenarios from a technic, economic and environmental point of view. . Despite a variable and expensive production, valorisation of energy cover crops in double cropping systems adds new economic and environmental functions to cover crops, improving global farm assessment (energy efficiency, GHG). A common analysis of these results with stakeholders was carried out to identify and prioritize further works to improve knowledge, management and sustainability of these ressources.
Introduction
La valorisation des couverts d’interculture pourrait compléter leurs services écosystémiques (Justes et Richard 2017 ; Berti, 2015 ; Martin, 2014 ; Goff, 2010) par des fonctions économiques et environnementales. Cette valorisation non alimentaire est envisagée dans différents scénarios de transition énergétique notamment via la méthanisation.
Les enjeux sur ces cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) sont forts pour accompagner le développement de cette filière (ADEME et al., 2018) et pour le développement de l’agroécologie : enjeux sur la qualité de l’eau, sur l’économie circulaire, les émissions de gaz à effet de serre (GES) ou encore la résilience des exploitations agricoles.
Face aux nombreux substrats potentiels de méthanisation, la mobilisation de ces CIVE interroge sur leur compétitivité et la rentabilité qu’elles peuvent apporter aux exploitations agricoles. Mais les questions sont aussi nombreuses sur leur efficience énergétique. En effet, plus de 1000 projets d’injection de biométhane étaient enregistrés fin 2019, mobilisant une part croissante de CIVE.
Insérées entre deux cultures alimentaires, ces CIVE peuvent impacter la conduite et la productivité des cultures précédente et suivante (Cf article 10 de ce numéro). La séquence de ces 3 cultures produites sur 2 ans constitue ainsi la base de l’évaluation de ces systèmes.
L’évaluation multicritère permet de caractériser les systèmes de culture et systèmes d’exploitation mobilisateurs de ressources en biomasse avec des indicateurs techniques (temps de travail, pression phytosanitaire, consommation de carburant…), économiques (produit brut, marges brute, nette, coûts de production…) et environnementaux (émissions GES, efficience énergétique, stockage de carbone…). Elle repose sur différentes hypothèses de conduite de culture, de matériels associés, de production. Elle peut être conduite à différentes étapes d’une chaine de valeur : au champ, rendu site de valorisation et en sortie d’unité de méthanisation.
Les expérimentations conduites au cours de projets de recherche ont permis une première évaluation de ces séquences de 3 cultures en 2 ans (Marsac, 2014 ; Szerencsits, 2014), séquences intégrées dans des successions de culture plus longues, elles même composantes de systèmes de culture. En dépit de leur intérêt en termes d’approvisionnement, le coût de production de ces ressources était élevé, mais leur intérêt environnemental confirmé.
Le projet Opticive a permis d’améliorer les connaissances sur la conduite de ces séquences de culture (Marsac et al., 2019) et d’en préciser l’évaluation dans un contexte politique et réglementaire différent (complément de prix de rachat de l’énergie avec la valorisation de CIVE). Ces références permettent d’améliorer les évaluations technico-économiques et environnementales de ces successions.
Pour cela, des scénarios d’insertion des CIVE dans les systèmes de culture ont été définis. Une évaluation multicritère a été réalisée puis présentée à des groupes d’agriculteurs avec les premières recommandations techniques issues du projet Opticive. Des travaux de groupe ont ensuite permis de définir, avec ces producteurs, les voies d’amélioration de ces systèmes, tant dans la conduite des cultures, que dans leur valorisation. Cet article rappelle les méthodes et scénarios d’évaluation mis en œuvre tant au niveau de la culture, des séquences de culture que du système de production avant d’en présenter les résultats. L’animation des travaux de groupe est ensuite rappelée avant de synthétiser les axes de travail issus de ces concertations régionales.
L’évaluation multicritère des séquences de culture avec CIVE
L’évaluation multicritère peut être réalisée en plusieurs étapes : à l’échelle de la culture, de la séquence de culture, de l’unité de méthanisation et du système d’exploitation agricole (ou système de production) associant une ou plusieurs exploitations agricoles à une unité de méthanisation.
Méthode d’évaluation
A l’échelle de la parcelle et de la séquence de culture, ces évaluations ont été réalisées avec l’outil Systerre® (Jouy et al., 2010), un outil d’évaluation conçu par ARVALIS - Institut du végétal, partagé avec d’autres instituts-techniques. Il est destiné à évaluer les performances techniques, économiques et environnementales des productions végétales. L’évaluation se fait à l’échelle souhaitée par l’utilisateur : parcelle, système de culture ou exploitation. Les indicateurs restitués ne sont pas agrégés (
Tableau 1), permettant à l’utilisateur de gérer l’évaluation de ceux-ci. Néanmoins, le diagnostic réalisé avec cet outil s’arrête à la sortie de la parcelle, il ne prend pas en compte le stockage de la biomasse et sa valorisation. D’autres outils sont alors mobilisés pour ces étapes. C’est par exemple le cas de Méthasim® pour des hypothèses de coût d’investissement et de fonctionnement d’unités de méthanisation. Cet outil Méthasim® aide à déterminer l’intérêt économique de projets de méthanisation agricole. Il a été réalisé en partenariat avec l’IFIP et intègre l’outil DIGES, développé par l’IRSTEA, qui permet d’estimer les économies de GES réalisées grâce à la méthanisation. Les références techniques et économiques pré-renseignées sont toutefois modifiables.
Systerre® intègre de nombreuses bases de données de référence pour le calcul des différents indicateurs (Tableau 1) (poids des matériels, consommation unitaire d’énergie, produits phytosanitaires et doses homologuées, prix de référence pour les intrants et pour la vente des cultures…).
Mais l’évaluation de quelques-uns de ces indicateurs comme le coût de production des CIVE pose toutefois de nombreuses questions méthodologiques. Ce coût de production peut rémunérer une partie (coût de trésorerie) ou la totalité des charges de production (coût complet) d’une culture : charges opérationnelles, charges de mécanisation, de main d’œuvre, charges fixes d’exploitation…. On peut citer notamment l’affectation de l’impact d’une CIVE d’hiver sur la production de la culture suivante (1t de maïs grain en moins d’après les résultats expérimentaux) ou la valeur économique attribuée aux digestats de méthanisation épandus au champ.
Mais l’affectation d’une partie des « charges fixes » annuelles (fermage, frais de gestion…) à chacune des cultures de la succession est un autre enjeu méthodologique. Comment proratiser les charges de fermage et charges diverses ainsi que les cotisations MSA et la rémunération des capitaux propres comptabilisées dans les coûts complets ? Cette répartition peut se faire en fonction du nombre de cultures, du chiffre d’affaires de chacune d’entre elles ou selon l’énergie potentielle. Deux types de coûts seront ainsi présentés plus bas :
- coûts complets rémunérant la totalité des facteurs de production : intrants, mécanisation, main d’oeuvre et les charges fixes proratisées au nombre de cultures ;
- coût hors charges fixes (HCF) : intrants, mécanisation, main d’oeuvre sans charges fixes supportées uniquement par les cultures alimentaires.
Le coût complet correspond à une vision d’exploitation à moyen – long terme, dans un objectif d’analyse nationale voire internationale. Le coût hors-charges fixes est une vision à court terme qui permet d’évaluer le coût de la CIVE sans intégrer un changement plus large du système. C’est un coût qui n’exige pas de mise à jour du calcul sur les productions alimentaires.
Pour calculer ces différents indicateurs, différents cas d’étude ou scénarios doivent être définis : quelles cultures alimentaires, quelles CIVE selon les premières recommandations, quelles séquences de culture, quels types d’unité de méthanisation ?
Les scénarii d’évaluation
Scénarios de systèmes de culture (SdC)
Le projet Opticive a permis de travailler sur l’optimisation de la conduite de ces séquences de culture dans 3 contextes du Sud-Ouest, avec un objectif d’extrapolation : Béarn, Vallée de Garonne et Lauragais. (Tableau 2 ; Figure 1). Les résultats techniques de ces expérimentations permettent de préciser les conduites de culture et séquences adaptées à l’insertion des CIVE pour ces évaluations multicritères. Ces séquences ont été proposées après analyse des déclarations de surface annuelles dans les régions concernées. Ces séquences de cultures ont été adaptées à partir des connaissances acquises dans le projet pour intégrer cultures alimentaires et différents types de CIVE (Tableau 2). Dans chacun des contextes travaillés, des fermes type finement caractérisées (parc matériel, main d’œuvre, interventions, charges…) étaient disponibles, pour conduire ces évaluations, fermes travaillées par le pôle Economie et Système de Production d’ARVALIS.
L’ajout d’une CIVE dans une séquence de culture peut modifier cette séquence, en termes d’espèces cultivables mais également en termes de pratiques culturales. C’est pourquoi les pratiques caractérisées sur les fermes type utilisées (système de référence) ont été adaptées en fonction des recommandations techniques issues d’Opticive (Tableau 2). Par exemple, la simplification du travail du sol est une opportunité fréquemment mise en œuvre afin de réduire les délais entre la récolte d’une culture et l’implantation de la culture suivante. A l’inverse, dans certains cas, l’introduction de la CIVE augmente le nombre de passages mécaniques sur la parcelle afin de résoudre des impasses de désherbage ou des risques de concurrence de repousse de CIVE sur la culture suivante. Les hypothèses de production sont également issues de ces travaux Opticive (Tableau 4).
Scénarios de méthanisation
Concernant les scénarios de méthanisation, un travail de groupe spécifique a été organisé avec différents acteurs de la filière : agriculteurs méthaniseurs, organismes de développement, constructeurs, opérateurs de réseau de gaz. A partir des premiers retours d’expérience et perspectives de développement de la filière, différents cas de méthanisation, de valorisation du biogaz et mix de substrats ont été envisagés. Cinq grand cas types communs ont pu être définis (Tableau 3 ; Figure 1 ) :
- 2 types d’unité en injection de gaz (70 et 135 Nm3.h-1)
- 3 en cogénération de 80 à 300 kWe (KiloWatt électrique).
Les acteurs de la construction ou acheteurs d’énergie ont pu préciser les hypothèses sur les coûts d’investissement et de fonctionnement de ces unités en complément de l’outil Méthasim® (Tableau 3).
Systèmes de production (SdP)
Deux cas peuvent se présenter pour des agriculteurs :
- Être fournisseur d’une unité de méthanisation. Dans ce cas les CIVE sont vendues et des règles d’échange peuvent être construites pour la récolte et le retour de digestats (prestation, vente…).
- Être porteur de projet. Dans ce cas une partie ou la totalité des CIVE pourront être produites par lui-même sur son exploitation agricole.
L’évaluation économique et énergétique de ces systèmes doit alors se faire en comptant la vente des CIVE ou de l’énergie produite mais également les économies de charges (fertilisation…) ou manque à gagner (pertes sur les cultures alimentaires précédentes ou suivantes). Dans le second cas, les charges liées au méthaniseur (amortissement, fonctionnement…) devront également être déduites de la vente d’énergie.
La combinaison de tous ces scenarii d’évaluation (Figure 1) compose plus de 50 cas de systèmes de culture. Des hypothèses de rendement des unités de méthanisation ont également été intégrées soit près de 30 cas.
Les résultats présentés ci-dessus sont une synthèse de ces cas type, notamment par grande catégorie de Cive : hiver ou été, voire contexte pédoclimatique.
L’exemple des deux systèmes d’exploitation du méthaniseur dans le contexte du Béarn sera présenté pour une unité en injection (injection 2). Les autres cas ne seront pas détaillés dans les résultats.
Résultats des Indicateurs technico-économiques et environnementaux des séquences de culture en sortie de parcelle
De la parcelle au système de culture :
Toutes espèces confondues, le coût complet des CIVE varie de 95 à 125€.t MS-1. Les CIVE d’été sont globalement plus coûteuses en raison du coût des semences, hybrides pour les espèces travaillées. Ces coûts de production (complets ou hors charges fixes) sont intimement liés au niveau de production et restent globalement élevés. La prise en compte des charges fixes dans ce coût n’est pas négligeable avec un enjeu de 30 à 50 €.t MS-1 selon les contextes (Tableau 4) soit un coût HCF des CIVE qui varie de 70 à 90 €.t MS-1.
La valeur attribuée aux digestats de méthanisation, épandus au champ, peut constituer une autre source de variabilité du coût de la CIVE selon le profil de l’agriculteur : s’il méthanise lui-même sa production de biomasse, il peut estimer qu’il s’agit d’un co-produit dont la valeur d’achat est nulle. Inversement, il peut considérer que ce co-produit a une valeur puisque de l’énergie a été consommée pour le produire.
Dans le cas où l’agriculteur ne méthanise pas sa production, le digestat possède une valeur considérée comme une charge pour la production des cultures suivantes.
Un seuil de rendement peut également être évalué afin d’équilibrer les charges de la CIVE. Pour un prix de vente de la CIVE de 125 €.t MS-1 (ou 27 €.t MB-1 environ à 20% MS), il est nécessaire de récolter 6 t MS.ha-1 pour équilibrer l’intégralité des charges de la CIVE, dont une partie des charges fixes. Si ces charges fixes restent rémunérées par les cultures alimentaires (équilibre du coût HCF) ce rendement seuil est réduit de 2 tMS.ha-1 pour ce même niveau de prix. Pour des prix de biomasse inférieurs, ces rendements seuils seront forcément plus élevés, près de 8 tMS.ha-1 pour un prix proche de 80 €.t MS-1.
Ces systèmes de culture présentent aussi de nombreux autres enjeux de durabilité, tant sur le temps de travail et le besoin en main d’œuvre que sur les autres enjeux environnementaux comme les émissions de GES. L’adaptation des systèmes de culture peut être une voie d’économie de temps sur la parcelle, notamment via les techniques d’implantation simplifiées, économisant de 2 à 4 h.ha-1 sur l’ensemble de la séquence de culture. L’unité de méthanisation générera quant à elle un besoin en main d’œuvre de l’ordre de de 0.25 à 0.8 UTH selon la taille de l’unité.
L’efficience énergétique, rapport entre l’énergie produite et énergie consommée de ces systèmes de culture est systématiquement améliorée en entrée stockage par rapport à des séquences de référence de 2 cultures alimentaires par an (non montré). Les calculs d’énergie consommée intègrent toutes les énergies directes (consommation de carburant, électricité…) et indirectes (énergie de fabrication des engrais, des matériels…) Quant aux émissions de GES, elles sont également réduites au regard de l’énergie produite en sortie de parcelle, permettant d’économiser en moyenne 100 gCO2.kWh-1. La méthanisation est une voie d’économie d’émissions aussi par substitution d’énergie fossile. Le bilan global est toutefois dépendant des stratégies et des distances d’approvisionnement.
A l’échelle de l’unité de méthanisation
Le méthane a une équivalence énergétique de 10 à 11 kWh.m-3 selon les conditionsde températures et de pression. A partir du potentiel méthanogène (BMP de 250 à 300 Nm3 CH4.tMS-1pour les CIVE – résultats d’analyse Opticive), il est possible de convertir notre coût de production de CIVE (€.t MS-1) en équivalent énergie : de 20 à 50 €.MWh-1. Avec l’ajout des coûts relatifs à l’unité de méthanisation qui incluent les charges fonctionnement (main d’œuvre, maintenance, énergie consommée) ainsi que les charges d’investissement (amortissement, frais financiers), il permet de calculer un coût total de l’énergie en sortie d’unité de méthanisation (cf. figure 2).
Cet indicateur sert à évaluer la compétitivité de ce type de ressource (comparaison à d’autres substrats de méthanisation), ainsi que la rentabilité du système de production (vis-à-vis du prix de rachat de l’énergie fixé dans le cadre de cet exercice à environ 113 €.MWh-1 en injection directe de biométhane). Ce coût de production permet également d’estimer le prix de vente minimum ou prix seuil de l’énergie qui permettrait au projet d’équilibrer les charges (investissement, fonctionnement et ressources en biomasse) afin de réaliser un exercice nul. C’est une valeur seuil qui situe l’intérêt de la biomasse issue de CIVE.
Le coût total de l’énergie produite (somme du coût relatif au procédé de méthanisation et du coût de la ressource) atteint 113 €.MWh-1 hors subvention à l’investissement (Figure 3) pour une unité qui injecte 135 Nm3.h-1 (environ 15 000 t de substrat). Ce coût correspond au niveau du prix de rachat de l’énergie fixé par l’Etat (2019). Selon le coût de la ressource pris en compte (coût complet ou coût hors charges fixes) et sa variabilité (niveau de charge et de rendement), ce coût varie de 90 (avec les coûts hors HCF) à 140 €.MWh-1 en comptabilisant le coût complet de la ressource.
Ce coût est légèrement supérieur pour une unité en injection de 70 Nm3.h-1 (cas injection 1 du Tableau 3, non montré ici).
Dans les cas de cogénération (cogénération 1 et 2 du Tableau 3), ce coût total de l’énergie produite (non montré ici) est supérieur au prix de rachat de l’énergie. Le complément de prix de rachat qui existe pour la valorisation de CIVE en injection de biométhane (pas en cogénération) en 2019 explique en partie ce résultat.
Ce coût est toutefois soumis à de nombreux autres facteurs de variation inhérents aux technologies et cosubstrats utilisés. Ces coûts ont été évalués avec un rendement de 100% du pouvoir méthanogène (BMP) ce qui minimise ces coûts de l’énergie produite. En effet, ces rendements méthanogènes ne sont pas atteints en unité réelle. Selon les technologies, la présence de post-digesteurs, ces rendements peuvent être de 80% seulement. Les rendements d’épuration du gaz ou de cogénération sont également très impactant sur ces coûts et la rentabilité des unités. Tous ces résultats sont ainsi intimement dépendants de ces hypothèses d’unités de méthanisation, avec peu de standardisation et de références au moment de l’étude.
Rentabilité de la succession de culture
La rentabilité à l’échelle d’un système de production peut être évaluée selon 2 profils d’exploitation comme cela était précisé auparavant : le cas d’un agriculteur approvisionneur d’unité de méthanisation tierce ou celui d’un agriculteur investisseur dans une unité.
Pour le premier cas, à l’échelle d’une séquence de culture initiale en monoculture de maïs (avec mulching), les charges opérationnelles et de mécanisation sont augmentées sur 2 ans (poste semences, épandage, semis, récolte). Mais l’emploi d’une variété plus précoce de maïs, pour s’adapter au semis plus tardif dû à la CIVE, permet de récolter un grain plus sec d’économiser sur les frais de séchage. Avec la vente de la CIVE (6 t MS/ha) à hauteur de 125 €/t MS, la marge nette est augmentée de 93 €/ha.
Pour le second cas, sur la base des hypothèses relatives à l’unité de méthanisation précédente (cas en injection de 135 Nm3.h-1), hors aides à l’investissement et avec un rendement optimal de méthanisation (100%), la valorisation des CIVE à hauteur du coût complet de production ne permet pas d’améliorer la marge nette (hors aide) mais la dégrade de 100 €/ha environ pour un rendement de CIVE de 6 t MS/ha. L’enjeu de productivité est essentiel dans ce cas. En effet avec un rendement CIVE de 7.5 t MS/ha cette marge nette de la succession est alors améliorée de 56 €/ha
Ces premiers résultats techniques et économiques attirent l’attention sur l’importance de :
- Le besoin d’adapter le référentiel technico-économique à chaque situation : zone pédoclimatique, système de culture, typologie d’unités de méthanisation (potentiel de rendement, variabilité de la production, impact sur les cultures de la séquence…) ;
- La disponibilité de co substrats méthanogènes et peu cher ;
- la recherche et l’accompagnement technique nécessaire pour la réussite de ces systèmes.
De l’analyse multicritère aux axes de travail
C’est dans cet objectif que 6 ateliers de co-conception ont été réalisés au cours de l’hiver 2018/2019. Conviés par des conseillers locaux (chambres d’agriculture, coopératives et acteurs de la filière (associations locale, AILE, GrDF, ENGIE), ces séances ont regroupé producteurs de grande culture, des éleveurs, agriculteurs méthaniseurs, porteurs de projet. Ces ateliers, de 15 à 35, personnes ont permis d’assurer des échanges et travaux par petit groupe (4 à 7 personnes avec 1 conseiller au maximum) afin de garantir de l’interactivité autour des sujets suivants :
- Identification des séquences de culture adaptées aux contextes régionaux. A partir des expériences de chacun des participants et des problématiques agronomiques locales identifiées, des séquences de culture adaptées a priori aux filières et contraintes de chacune des régions ont été identifiées. Cette étape est parue essentielle à tous les interlocuteurs.
- Conduite a priori de ces séquences de culture. Ces conduites a priori de la CIVE et des cultures précédentes et suivantes ont été déclinées et comparées entre groupes.
- Confrontation aux premières recommandations. Les conduites de cultures construites précédemment, ont alors été analysées et comparées aux premières recommandations issues d’Opticive. Cette séquence a permis de présenter les résultats du programme de recherche et d’autres références régionales des partenaires, de les comparer aux pratiques envisagées et par la même de transférer ces premières recommandations. Les retours d’expérience des participants ont également permis de compléter ces travaux.
- Identification des axes de travail complémentaires et priorisation. Sur chacune des successions identifiées et suite à l’analyse des conduites de culture, les facteurs de risque ont été identifiés, synthétisés entre groupe et discutés. Des propositions d’axes de travail ont alors été discutées puis priorisées lors de l’atelier pour chacune des régions.
Ces propositions spécifiques aux contextes de production ont été analysées, comparées et synthétisées, certaines restant communes à différents bassins Trois grands axes de travail ont été identifiés : la conduite de la séquence de culture, la valorisation des digestats et l’approche du système d’exploitation agricole. Des travaux plus classiques sur les recommandations variétales et l’efficience des digestats ont pour objectif de qualifier les facteurs de risque et d’identifier des critères techniques, économiques et environnementaux d’aide au choix et à la conduite des successions. Des actions plus innovantes comme les semis sous couvert ont également été ciblées toujours dans l’optique de positionner au mieux le cycle de chacune des cultures de la rotation.
La communication de résultats a également été recommandée en particulier sur le statut organique des sols dans ces successions et les connaissances sur le pouvoir méthanogène (Cf. article 10 de ce numéro).
Cette co-construction des axes de travail a aussi permis de structurer et fédérer des partenariats notamment avec les acteurs de l’amont de la méthanisation, autour de problématiques communes et propres à chacune des grandes orientations régionales.
Limites et perspectives
L’impact du changement de séquences de culture sur l’ensemble d’un système ne peut se voir qu’à moyen terme : impact sur la pression adventice, la portance des sols... Le nombre de séquences potentiellement testées est vite restreint sur des programmes de recherche de 3 ans. Les risques météorologiques plus forts ces dernières années sont aussi un facteur d’incertitude majeur (et peut être plus fréquemment observés ces prochaines années) pour ces expérimentations sur 2 ans, afin étudier une séquence complète. L’intérêt de dispositifs pluriannuels comme les dispositifs Syppre® est fort pour ces thématiques avec chaque composante d’une rotation présente chaque année dans ces expérimentations. Ces observations à moyen terme gagneront alors à être valorisées pour de futures recommandations et améliorations des évaluations.
Comme l’ont montré les travaux de groupe, la régionalisation des recommandations est une étape indispensable pour le développement de ces systèmes. Les spécificités locales en termes de successions, de sol, d’offre climatique ou encore d’équipement doivent être intégrées dans ces règles de décision.
Les indicateurs techniques, économiques et environnementaux qui ont pu être calculés, sont intimement dépendants des hypothèses sur les techniques de production. Ces évaluations devront être précisées avec le retour des évolutions de systèmes à plus long terme : effet sur l’autonomie en fertilisant, effet sur le désherbage et la pression bioagresseurs. Mais l’analyse à l’échelle du système d’exploitation agricole complet est fondamentale aujourd’hui. Cette analyse qui inclue les autres ateliers d’une exploitation agricole et d’une unité de méthanisation est également intimement dépendante des hypothèses économiques considérées pour ces unités. Sans pouvoir bénéficier d’un chiffrage précis par des constructeurs pour les unités type co-construites au cours d’Opticive, les deux jeux d’hypothèses que nous avons pu considérer démontrent des différences notables qui impactent significativement les seuils de rentabilité présentés. Ces chiffrages gagneraient alors à être réalisés sur des unités de méthanisation réelles récemment mises en production.
Les coûts de production de l’énergie produite sont en effet élevés et illustrent le soutien encore nécessaire à cette filière. Ces coûts proches de 120 €.MWh-1 sont largement supérieurs à l’objectif fixé de coût de l’énergie produite dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (67 €/MWh en 2023 ; Janvier 2019). Cela illustre les besoins de recherche pour réduire les coûts et les risques inhérents à la variabilité de production dans ces systèmes de double culture. C’est un des enjeux de la bioéconomie de répartir la création de valeur ajoutée sur une filière. La récente étude ENEA Consulting (2019) à la demande des acteurs clé de la filière (GRDF, GRTgaz, le Club Biogaz de l’ATEE et le Syndicat des Énergies Renouvelables avec l’appui de l’ADEME, la DGE et Solagro) a permis de préciser les voies prioritaires de recherche qui se situent à toutes les étapes de la chaine de production d’énergie : du substrat (et en conséquence les systèmes d’exploitation associés), de la valorisation du gaz, de la technologie et de rémunération des externalités positives.
Face à ces enjeux et aux premiers retours des agriculteurs et conseillers, quelques axes de recommandations peuvent être apportés pour ces systèmes innovants mobilisateurs de biomasse :
- Poursuivre l’acquisition de références en vue de régionaliser les recommandations et s’adapter plus précisément aux contextes pédoclimatiques et spécificités des systèmes de culture ;
- Communiquer largement ces premières recommandations, intérêts et risques, puis résultats technico-économiques pour aider à structurer les changements de systèmes, à mieux évaluer la valeur de leurs ressources ;
- Structurer les travaux conduits à l’heure actuelle sur ces systèmes de 3 cultures en 2 ans pour capitaliser les expériences et partager les méthodologies d’évaluation ;
- Etudier les mécanismes et opportunités de rémunération des externalités positives (stockage de carbone, réduction de la pression phytosanitaire, développement de l’autonomie des exploitations) pour cette filière.
Ces axes rappellent l’enjeu d’une recherche partenariale multiacteurs pour le développement de ces systèmes d’exploitation porteurs d’enjeux en termes d’économie rurale et d’économie circulaire.
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