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Synthèse d’essai d’épandage de digestat liquide sur sol argilo-calcaire de 2010 à 2016

Un groupement d’agriculteurs et partenaires locaux du Nord Est des Deux-Sèvres (regroupés au sein de la SAS ABBT [1]) se sont lancés dans la réflexion d’un projet collectif de méthanisation en 2006. Après 5 années d’étude, la construction de ce site de 2 100 MWh en cogénération, avec 75.000 tonnes d’apport de biomasse, toutes sources confondues (effluents, IAA, matières végétales), a démarré, et l’injection d’électricité dans le réseau a commencé en septembre 2013. Pour anticiper la valorisation du digestat liquide et répondre aux premières questions des agriculteurs, le groupement s’est mobilisé en partenariat avec la Chambre d’Agriculture des Deux-Sèvres pour réaliser sur sept campagnes, des essais d’épandage sur blé tendre, prairie et maïs et dernièrement sur orge en agriculture biologique. Dans cet article, seuls les essais sur blé tendre sont repris afin de présenter une comparaison pluriannuelle lissant ainsi les effets climatiques d’une année sur l’autre. Les essais sur prairie ou maïs n’ont été réalisés que sur une ou deux campagnes.

 

1/ Protocole expérimental et objectifs à atteindre

Les essais sur blé tendre sont réalisés avec un dispositif expérimental en micro-parcelles avec trois à quatre répétitions (disposées en blocs, voir photos ci-dessous) selon les années. Dix à quinze modalités de pratiques d’épandages (appelées aussi traitements) sont comparées chaque année et ainsi répétées dans chaque bloc de l’essai. Une micro-parcelle récoltée fait 1.2 m de large (largeur de la moissonneuse) sur sept à 10 m de long selon les années. Les épandages sont faits manuellement à l’aide d’arrosoir pour le digestat liquide. Les modalités mises en place chaque année permettent ainsi de répondre à différentes questions :

  • Efficacité de l’azote des digestats et courbe de réponses construite avec différentes doses
  • Effet de la date d’apport du digestat
  • Intérêt du fractionnement avec le digestat

Illustration 1 :  du dispositif d’essai et de la mise en œuvre de la récolte

2/ Un tronc commun sur les 7 années d’essai sur blé

Afin d’estimer le coefficient d’efficacité azote d’une part et de comparer l’apport de digestat à référence ammonitrate d’autre part dans le contexte de sol argilo-calcaire, chaque année quatre modalités communes ont été reconduites :

  • Témoin sans azote
  • Apport de la dose d’azote X [2] sous forme d’ammonitrate
  • Apport de la même dose X sous forme de digestat liquide, apport calculé sur l’azote total du digestat liquide. Cette modalité, conjointement avec celle « témoin sans azote » permet de déterminer les coefficients apparents d’utilisation de l’azote (CAU) [3] de l’ammonitrate et du digestat
  • Apport de la dose X sous forme de digestat liquide, apport calculé cette fois de façon à obtenir (en théorie) un rendement de la culture identique à la modalité « ammonitrate ». Pour cela, on fait l’hypothèse que le coefficient d’équivalence azote du digestat KeQ [4] par rapport à l’azote minéral, c’est-à-dire le rapport de leur CAU respectifs est de 75%.

En termes de pratiques d’épandage, les modalités ammonitrate ont été fractionnées en deux ou trois apports (tallage, épi 1 cm, 2 nœuds/épiaison de 120 à 160 Un/ha) et pour le digestat liquide, un seul apport a été réalisé de 25 à 35 m3/ha (selon les années et la concentration des digestats) entre le 20 février et le 10 mars soit 8 à 10 jours avant le stade épi 1 cm.

A partir de ces modalités communes sur les sept années, il est possible d’apporter des réponses aux deux questions suivantes :

  • Quel est le coefficient d’équivalence azote (Keq) du digestat liquide, c’est-à-dire son efficacité comparée à l’engrais minéral ?
  • En en faisant l’hypothèse d’une efficacité d’azote du digestat liquide de 60 % (valeur identique à lisier épandu sur blé au printemps) et d’un Keq de 75%, peut-on atteindre le même rendement que la pratique classique en engrais minéral ?

 

3/ Le choix du digestat liquide après presse à vis.

Le digestat liquide après séparation de phase a été privilégié du fait de ses caractéristiques agronomiques permettant à priori une efficacité meilleure que le digestat brutpour un épandage sur culture en place. Ce digestat est en effet « plus liquide » avec moins de fibre permettant ainsi une meilleure pénétration dans le sol tout en souillant moins la culture. Sa proportion d’azote ammoniacale est également plus importante permettant ainsi une assimilation rapide par la plante. Il faut donc veiller à réaliser les épandages en bonnes conditions pour limiter la volatilisation.

Les quatre premières années, l’unité de méthanisation n’étant pas en place, la SAS ABBT a donc récupéré du digestat liquide sur d’autres installations de méthanisation. Le tableau ci-dessous reprend les principales caractéristiques des digestats liquides en fonction du substrat méthanisé dont il est issu.

Effluent = lisier + fumier

CIVE = culture intermédiaire à vocation énergétique

IAA = Déchet et biomasse issus des industries agro-alimentaires

4/ Limites liées aux conditions expérimentales

Comme tous essais « azote » comparant de l’engrais minéral à un produit organique, un biais existe sur l’apport de digestat. Ce produit apporte en effet d’autres éléments que l’azote : phosphore, potasse, oligo-éléments, matière organique… 

Concernant les épandages manuels, le déclenchement de nos interventions a été organisé avec les conditions météo optimales : sol humide, parfois sous la pluie. La pratiques d’épandage en conditions réelles seront un compromis entre conditions idéales d’application et contraintes logistiques.

 

5/ Résultat 1 : un coefficient d’équivalent azote > 70 % pour le digestat liquide

En 2010, peu de références existaient pour estimer le coefficient d’équivalence azote (Keq). Comme bon nombre de groupes de méthanisation, l’ABBT a utilisé les références étrangères sur ces valeurs, notamment celles du Danemark.  Mais il était donc important d’acquérir des références pour conseiller la bonne dose d‘autant plus que des épandages sont réalisées zone de captage.

Pour calculer ce Keq, les modalités témoin, ammonitrate dose X et digestat liquide dose X (apporté en prenant en compte l’azote total) ont été mises en place durant les sept ans. A partir de ces modalités, dans un premier temps les CAU [5] de l’ammonitrate et du digestat liquide sont calculés (à partir du témoin sans azote pour connaitre la fourniture du sol), puis le ratio de ces 2 CAU (CAU digestat/CAU ammonitrate) permet de calculer le Keq. Le graphique ci-dessous présent l’évolution de ce paramètre sur les sept années.

Figure 2 : comparaison des Keq

L’échelle de gauche reprend le Keq indiqué par les diagrammes. L’échelle de droite reprend le CAU de l’ammonitrate et du digestat liquide. Plus le triangle vert est éloigné du carré bordeaux, et plus le Keq du digestat liquide est faible, puisqu’il est le rapport des deux valeurs de CAU. Sur les sept années, la moyenne des CAU est de 45.5 % et 61.43 % respectivement pour le digestat et l’ammonitrate. Ces valeurs ne sont a priori pas impactées par la provenance des digestats. On observe ainsi que même sur une culture de blé tendre, le CAU de l’ammonitrate reste inférieur à 65 % (valeur moyenne de 61 %).

Nous en déduisons ainsi un Keq du digestat liquide moyen de 74 % sur ces sept années ce qui reste une valeur intéressante et proche des références prise dans les bilans de fertilisation (valeur de 70 %) [6]. Dans ces sept essais réalisés par la SAS ABBT, la valorisation de l’azote des digestats est maximisée puisqu’aucun complément d’azote minéral n’est apporté en complément, ce qui explique cette valeur de Keq élevée.

Le premier essai 2010, présente le Keq le plus faible. La valorisation de l’azote du digestat liquide n’a pas été bonne. A noter que ce digestat avait un pourcentage de matière sèche élevé avec beaucoup de matière en suspension limitant ainsi la pénétration du digestat dans le sol et donc une assimilation de l’azote par la plante. A l’inverse les années 2011 et 2015 avec une pluviométrie plus régulière et un digestat avec une fraction ammoniacale plus forte, présentent un Keq supérieur 80 %.

 

6/ Résultat 2 : Le digestat liquide est proche de la référence ammonitrate

Ce deuxième graphique permet de comparer chaque année la modalité témoin sans azote, la référence ammonitrate fractionnée et la modalité digestat liquide en un apport, pour une dose X apportée sur une base d’un Keq de 75% pour le digestat, c’est-à-dire qui en théorie devrait permettre d’obtenir le même rendement que la modalité ammonitrate.

Figure 3 : Comparaison des rendements sur les 7 années d’essais

Sur les sept années d’essais, la modalité ammonitrate en 2 ou 3 apports est en moyenne supérieure à 5 qx à la modalité digestat liquide apporté en 1 apport pour une dose d’azote calculée en considérant un  Keq de 75 %. Les écarts vont de + 12 qx en 2010 à – 1 qx en 2011. A noter que les rendements des témoins sont en moyen de 45 qx soit une fourniture du sol proche de 130 kg d’azote par hectare. Les parcelles choisies étaient en argilo-calcaire plus ou moins profond et avec des apports récurrents de matière organique (digestat et/ou fumier) dans les années précédentes, ce qui explique en partie le niveau élevé des rendements des témoins sans azote.

L’écart entre les deux modalités fertilisées est à nuancer par l’absence de fractionnement du digestat liquide. De même pour viser un blé avec un taux de protéine supérieur à un seuil minimum, un apport en fin de cycle est nécessaire, ce qui n’a pas été fait volontairement pour ces essais.

Finalement, on obtient une différence de rendement entre les deux modalités qui est faible, et probablement peu significative. Cela conforte l’hypothèse que l’on a faite sur l’efficacité de l’azote du digestat, estimée à 60 %.

 

7/ Le digestat liquide testé sur céréale bio en 2020

Cette valorisation intéressante sur céréales conventionnelles, se développe également sur céréale bio où le digestat liquide est autorisé s’il provient de biomasses conformes aux cahiers des charges. De nouveaux essais réalisés par la Chambre d’agriculture des Deux-Sèvres et ACE méthanisation ont été récoltés en 2020 en triticale et orge bio. La parcelle d’orge a été mise en place avec un dispositif à trois répétitions alors que l’essai sur triticale était réalisé en bandes avec une seule pesée.

L’objectif de l’essai est de comparer la fertilisation du digestat liquide avec des produits organiques utilisables en agriculture biologique comme la fiente compostée ou la fiente sous forme de bouchon (fiente séchée puis mise sous forme de bouchons de 4.5 mm de diamètre).

Pour ces deux cultures, l’apport de digestat liquide et de fiente en bouchon (apport réalisé le 24 mars) permettent un gain significatif de rendement : + 10 à 15 qx pour le triticale et 15 à 18 qx pour l’orge.  Comme pour les précédents essais, le calcul du CAU se fait en prenant en compte le témoin non fertilisé.  Les CAU du bouchon de fiente sont de 27 % et 18 % respectivement pour l’essai orge et triticale et pour le digestat liquide de 30 % et 34 %.

Le digestat liquide de par sa texture liquide et sa proportion d’azote ammoniacal (35% dans le digestat utilisé pour l’essai) permet une efficacité rapide qui se distingue de celle du bouchon. Certes l’épandage nécessite un volume de 22 m3 contre 1.2 T pour les bouchons mais le gain de rendement et le plus faible cout du digestat en fait un fertilisant intéressant.

Conclusion : utilisation du digestat liquide, les pratiques se calent

A partir de ces essais mis en place par le groupement d’agriculteurs durant plusieurs années, le conseil a pu être affiné dans le contexte pédo-climatique de la plaine de Thouars (79) notamment en termes de dose, de fractionnement mais également de complémentarité entre le digestat liquide et l’engrais minéral. Si le rendement reste plafonné par les faibles réserves utiles de ces sols, en contrepartie, ils sont très portants et permettent de réaliser des épandages en bonnes conditions sur sol humide mais ressuyés.

Les autres essais réalisés sur prairies ou maïs ont permis également de conforter les Keq utilisés en référence sur ces cultures. Sur l’unité de méthanisation, du digestat solide est également produit. Le liquide et le solide sont donc utilisés de manière complémentaire pour un effet fertilisant ou amendement. A raison d’environ 30 000 T de digestat liquide et 18 000 T de digestat solide produits annuellement, il est primordial de valoriser au maximum les éléments fertilisants contenus dans ces digestats.

Notes

[1] La SAS ABBT est une société qui regroupe l’ensemble des agriculteurs et partenaires (92 membres) du territoire apportant de la biomasse à l’unité de méthanisation et étant également actionnaire de celle-ci.

[2] La dose X correspond à la dose d’azote efficace à apporter pour atteindre le rendement objectif de la parcelle. Cette dose est calculée selon la méthode des bilans.

[3] Le Coefficient Apparent d’Utilisation de l’azote (CAU) est calculé de la manière suivante : (Azote absorbé par les plantes avec fertilisant - Azote absorbé par les plantes sans fertilisation)/azote apporté. C’est donc la fraction de l’azote apporté par un fertilisant qui est absorbée par les plantes.

[4] Le coefficient d’équivalence azote (Keq) d’un fertilisant organique correspond à la quantité d’azote d’un engrais minéral (ammonitrate) qui a le même effet sur l’alimentation azotée des plantes que 1 kg d’azote apporté par le produit organique. Il représente donc l’efficacité de l’azote de l’engrais organique par rapport à un engrais minéral : Keq = CAU digestat/CAU engrais minéral. Pour la définition du coefficient apparent d’utilisation de l’azote (CAU).

[5] Le Coefficient Apparent d’Utilisation de l’azote (CAU) est calculé de la manière suivante : (Azote absorbé par les plantes avec fertilisant - Azote absorbé par les plantes sans fertilisation)/azote apporté. C’est donc la fraction de l’azote apporté par un fertilisant qui est absorbée par les plantes.

[6] Annexe n°545/2016/DRAFF- Référence régionale de mise en œuvre d l’équilibre de la fertilisation de la fertilisation azotée pour la région Pays de Loire

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