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Diversité de fonctionnement des méthaniseurs : quels impacts sur les exploitations ?

Etienne PAILLARD*

*Cerfrance Mayenne - Sarthe

https://doi.org/10.54800/dfm720

Introduction

Le développement des unités de méthanisation agricole se traduit par l’existence d'une diversité de fonctionnement. Les enquêtes, réalisées auprès de 40 exploitations [1] dans le cadre du programme Méthalaé [2] ont permis de mieux cerner les types d’unités de méthanisation et leur niveau d’impact sur les exploitations. Les impacts ou résultats observés (financiers, économiques, techniques, organisationnels) sont différents selon les types, et sont  de nature à mettre en évidence qu'ils peuvent répondre à des stratégies d’exploitations agricoles différentes. Ils seront à consolider avec de nouveaux suivis et de nouvelles mesures de ces impacts.

 

Les types recensés

La participation d’une exploitation agricole dans une unité de méthanisation peut être envisagée sous de nombreuses formes (apports de gisements, de capitaux, de main d’œuvre). Les impacts et le partage de la valeur ajoutée se différencient selon le niveau et le type d’engagement (contrats, statut juridique). Leur analyse ne peut donc se faire sans une différenciation par type d’unités dans lesquelles sont engagées les exploitations agricoles sous peine de ne pas disposer d’éléments de comparaison possibles.

Au-delà de la technologie  (co-génération [3] - biogaz [4] - gaz porté [5]), quatre critères de différenciation sont ainsi répertoriés (cf. tableau n°1) :

  • la structuration juridique
  • le niveau d’investissement et la capitalisation
  • la gestion des matières entrantes et des gisements
  • la gestion du site en termes de conduite et de fonctionnement dont la gestion de la logistique.

La combinaisons des critères (structuration juridique, niveau d’investissement et capitalisation, gestion des matières entrantes et des gisements,  gestion du site en termes de conduite et de fonctionnement dont la gestion de la logistique) fait ressortir 5 types d’unités de méthanisation pour les exploitations enquêtées ;

Seule la typologie T24 est sous représentée dans l’échantillon des exploitations.

Tableau 1 : critères de différenciation des 5 types d’unités de méthanisation (UM) recensés

 

La différenciation entre le T1 et T21 est d’ordre juridique.

La différenciation entre les T21 –T22 –T23 et T24 est liée au niveau d’engagement des agriculteurs (capitalistique – gisement – exploitation) qui peut se traduire par une baisse d’engagement et un lien de plus en plus détaché avec le ou les  dirigeants des exploitations agricoles.

 

De multiples combinaisons de critères sont possibles (cf. tableau 2).

Tableau 2 : caractérisation des 5 types d’unités de méthanisation par leur critère de différenciation.

(T1 et T21 étant regroupés au vu de leur différenciation sur le seul critère juridique)

Les impacts de l’engagement sur les exploitations agricoles

Les impacts socio-économiques sur les exploitations agricoles engagées se différencient par leur nature, quatre ont été recensées et analysées dans le cadre de notre enquête :

  1. la rentabilité et la valeur ajoutée
  2. les engagements contractuels
  3. la transmissibilité des exploitations
  4. la gestion de la main d’œuvre.

 

La rentabilité et la valeur ajoutée pour l’exploitation agricole et les agriculteurs

L’engagement d’une exploitation dans une unité de méthanisation peut répondre à une stratégie de diversification de revenus et / ou de prise en charge de coûts historiquement supportés par l’exploitation.

Cela se traduit par une rentabilité directe et indirecte à travers :

  • la valorisation des effluents et des matières
  • les économies d’intrants
  • la prise en charge des coûts logistiques et de stockage par l’unité de méthanisation
  • la rémunération du travail en cas d’exploitation du site de méthanisation
  • la rémunération des capitaux et la distribution de dividendes.

Ces sources de revenus ou d’économie de charges sont autant d’opportunités pour les exploitations agricoles. Leur niveau d’engagement déterminera le potentiel de valeur ajoutée à percevoir.

Tableau 3 : structuration de la valeur ajoutée créée par l’unité de méthanisation et diversité des formes de retour de cette valeur ajoutée vers les exploitations agricoles

Les engagements contractuels (pour la phase d’exploitation)

L’engagement d’une exploitation dans une unité de méthanisation se traduit par deux types d’engagement :

  • des contrats qui lient l’exploitation ou l’unité à un tiers pour une mission
  • des statuts ou un pacte d’associés qui lient l’exploitation ou l’agriculteur à une société de production ou à une holding pour un engagement financier et la gouvernance.

Les contrats et statuts traduisent les niveaux d’engagements des exploitations et des dirigeants.

Les articles concernant les cas de non-respect contractuels réciproques sont aussi des éléments de mesure.  

Les contrats concernent les entrées de matières (types de matières - quantité - qualité - indemnités – durée), et les sorties en termes de production d’énergie (contrat d’achat d’électricité ou de gaz : engagement de la production). Ils ont pour objectif de sécuriser l’unité mais engagent les signataires. Cela se traduit par des contreparties en cas de non-respect des engagements.

Les statuts et le pacte d’associés ont pour objectif de sécuriser le financement et la gouvernance de l’unité de production. Ils incluent des précisions quant à la gestion des prises de décisions, de valorisation et de transferts de capitaux, la gestion de l’unité et les enjeux de partage de valeur ajoutée.

 

 La transmissibilité de l’exploitation agricole

L’engagement d’une exploitation dans une unité de méthanisation a et aura un impact sur le fonctionnement de l’exploitation agricole (plus ou moins prononcé suivant son niveau d’engagement) et de fait, sur sa transmissibilité.

Le lieu d’implantation du site, la structuration juridique, les relations contractuelles, le niveau d’investissement, la rentabilité directe et indirecte, la nature des actionnaires sont autant de points qui impacteront la transmission de l’outil (reprise et valorisation).

 

La main d’œuvre et l’emploi

Impact quantitatif

L’engagement d’une exploitation dans une unité de méthanisation a et aura un impact sur la main d’œuvre de l’exploitation agricole pour la main d’œuvre associés (dans le cas d'une société agricole) ou la main d’œuvre salariée. L’impact dépendra de l’engagement de la main d’œuvre des exploitations agricoles dans le fonctionnement de l’unité de méthanisation mais aussi de la prise en charge par l’unité des travaux liés à la gestion des effluents (enlèvement - transports - épandage). Le bilan du poste main d'œuvre pourra être  considéré positif ou négatif en fonction du temps passé et/ou gagné par rapport à la situation antérieure (il n’est pas évoqué ici la valorisation économique de ce travail).

Impact qualitatif

Dès lors que l’engagement de l’exploitation est constaté, il est aussi important de prendre en compte une évolution des missions à accomplir. L’exploitation partielle ou totale d’un site par des agriculteurs se traduit par le développement de nouvelles compétences qui nécessitent de l’apprentissage ou de la formation.

 

Le niveau d’impact

L’analyse et l’évaluation des impacts de l’engagement d’une exploitation dans un projet de méthanisation peuvent être envisagées dès lors que ces impacts et les types d’unité sont identifiés.

De même, la comparaison des résultats économiques ou autres impacts ne peut se faire sans cette différenciation. Le nombre d’exploitations engagées par type permettra à l’avenir d’apporter de la fiabilité aux tendances observées.

L’analyse, réalisée auprès de 40 exploitations dans le cadre du programme Méthalaé, nous a permis d’identifier des tendances (voir ci-dessous) qui devront être consolidées avec de nouveaux suivis et de nouvelles exploitations.

Les résultats par type d’unité peuvent être analysés selon leurs impacts (ceux-ci peuvent être positif, neutre, ou nécessiter de la vigilance).

A noter que chaque impact peut ensuite être analysé en fonction de son niveau ou du poids (celui-ci peut être important, significatif ou faible).

Il s’agit d’une double analyse qui met en évidence le type impact puis son poids (cf. tableaux 4 et 5).

Valorisation des effluents (impact positif et significatif)

« La valorisation des effluents » se traduit principalement par des gains de fertilisation et une valorisation des CIVE. La gestion des digestats paraît mieux optimisée que la gestion des effluents d’élevage et les évolutions de pratiques favorisent cette tendance. Quels que soient les types d’unités et donc de contractualisation des agriculteurs, les impacts sont positifs et significatifs.

 

Gestion des coûts de logistique (impact variant de faible et neutre à positif et important)

La gestion des coûts de logistique est un élément de différenciation entre les unités. C’est aussi un sujet de divergence de traitement entre les unités collectives composées d’agriculteurs et celles composées d’autres actionnaires souhaitant donner priorité à la performance économique de l’unité au détriment de la prise en charge des coûts liés aux matières agricoles.

L’impact est d’autant plus positif pour les exploitations agricoles que la stratégie de l’unité est au service des exploitations agricoles. Les écarts de bénéfices pour les exploitations se creusent en fonction de la prise en charge des coûts d'enlèvement, de transports et d’épandage, voire d'indemnisation de stockage pour les digestats (attention, cela se fait bien au détriment des revenus directs issus et proportionnellement aux capitaux engagés).

Pour les exploitations engagées individuellement, l’impact est neutre et faible.

 

Quantité et nature du travail (impact variant de « vigilance » et important à neutre et significatif)

L’impact en termes de quantité de travail est très lié au niveau d’implication des agriculteurs dans la gestion de l’unité et de la logistique.

Pour les agriculteurs engagés individuellement, la méthanisation est une nouvelle activité. Elle génère de 0,5 à 1 UTH selon la taille, avec un niveau d’astreinte qui peut être important suivant le système et un niveau de technicité à acquérir qui ne favorise pas la transmission de ces missions aux salariés en place.

Pour les groupes d’agriculteurs qui s’engagent, l’impact est lié à leur volonté de s’investir à quatre niveaux :

  • la maîtrise de la gestion de l’outil
  • la gestion des matières et gisements
  • la logistique
  • la maintenance du site, et ce en contrepartie de gains de temps sur la logistique pour chacune des exploitations.

Pour les agriculteurs uniquement engagés via le contrat gisements, l’impact est neutre mais dépend de la prise en charge de la logistique.

 

Investissement et gestion du risque (impact variant de « vigilance » et important à neutre et significatif)

Sans tenir compte de la rentabilité, le niveau d’investissement et l’endettement qui s’y rattache sont des facteurs de risques (au même titre que pour les autres activités agricoles). L’historique de l’endettement et le niveau de l’endettement de l’exploitation agricole qui s’engage sont les deux autres éléments à prendre en compte.

La capacité de l’exploitation à faire face aux aléas peut se trouver dégradée par ce nouvel investissement. Le niveau de risque peut être très partagé suivant le nombre d’exploitations engagées à titre collectif et ce, surtout selon les formes sociétaires (SAS -SARL) et les niveaux de garantie pris par les banques.

 

Transmissibilité des exploitations (impact variant de « vigilance » et significatif à neutre et significatif)

L’impact sur la transmissibilité de l’exploitation est très lié à son niveau d’engagement financier, à la taille de l’unité et à la contractualisation (sécurisation matières - durée restante du contrat d’électricité ou gaz qui s’y rattache).

La rentabilité directe et indirecte reste un critère essentiel pour un ou des investisseurs repreneurs.

En ce début d’année 2021, il est possible de disposer de références économiques et des points de repères selon les typologies d’unités.

Pour une exploitation individuelle, le montant de l’investissement pourrait devenir un facteur limitant. Les repreneurs potentiels devront disposer d’une surface financière suffisante pour obtenir le financement nécessaire, ce qui limite les candidats potentiels à cette reprise.

Ce critère de la transmissibilité est à modérer selon le type d’exploitation engagée (sociétaire ou non) et le montant des capitaux à reprendre sur l’exploitation historique.

A contrario, la diversité des activités, l’intégration de l’activité de méthanisation dans le fonctionnement de l’exploitation, la sécurisation de la gestion des effluents, le potentiel de revenus directs et indirects sont autant d’atouts favorisant la transmission quels que soient les types d’unités.

 

Revenu direct de d’unité (impact variant de « vigilance » et faible à positif et important)

Les revenus directs restitués à l’exploitation agricole engagée sont liés :

  • à la performance de l’unité (prix de revient des matières, capacité de production de l’unité au plus proche du contrat électricité ou injection, et à la maîtrise des coûts de production de l’unité)
  • à son niveau d’engagement (quantité de matières apportées, montant de capitaux investis, main d’œuvre mis à disposition)
  • à la contractualisation qui s’y rattache (niveau et conditions d’engagements des exploitations agricoles).

Pour les agriculteurs engagés à titre individuel, le revenu direct correspond au revenu de l’unité qui est lié à la performance de l’unité de méthanisation (maîtrise du prix de revient du GAZ produit et des coûts de fonctionnement).

Pour les agriculteurs engagés à titre collectif, autonomes et impliqués dans la gestion des unités, le niveau de revenu direct correspond aux dividendes versés.

Le niveau de dividende est lié à la performance de l’unité qui peut être impactée par la priorité donnée à l’utilisation de matières agricoles moins méthanogènes, et au niveau de prise en charge des coûts historiquement supportés par les exploitations agricoles (logistiques).

Pour les agriculteurs engagés avec d’autres actionnaires (dont la priorité est d’assurer la rentabilité de l’outil avec un niveau d’exigence sur le coût de revient des matières méthanogènes), le revenu dépendra de la rémunération des matières agricoles apportées et / ou du montant de prise en charge des coûts de transports ou d’épandage.

 

Conclusion : Stratégie d’exploitation agricole et typologie d’unité

Chaque exploitation agricole disposant de gisements ou de matières peut et doit analyser ses propres atouts, contraintes ainsi que son environnement afin de vérifier si la méthanisation peut être une opportunité de développement, de diversification ou un facteur de pérennité.

Les atouts et contraintes de l’exploitation à prendre en compte sont de cinq ordres :

  1. la capacité à apporter des matières et / ou des effluents d’élevage (potentiel méthanogène de l’exploitation)
  2. la capacité à être autonome ou la volonté de se regrouper avec d’autres agriculteurs ou actionnaires complémentaires pour porter un projet
  3. la capacité à faire face à l’investissement
  4. la situation environnementale existante (surface d’épandage de digestats et capacité de stockage)
  5. la stratégie de développement des activités agricoles de l’exploitation.

 

Les éléments à prendre en compte concernant l’environnement de l’entreprise :

  1. la possibilité d’injecter ou de produire de l’électricité
  2. la volonté et la possibilité de se regrouper avec d’autres agriculteurs ou actionnaires dans le cadre d’un projet collectif
  3. la possibilité de construire une unité de méthanisation dans des conditions d’acceptabilité par le voisinage.

Chacun des types d’unités de méthanisation présente ses atouts et peut répondre favorablement aux attentes des exploitations agricoles. Par contre, il est essentiel de les identifier et de le mesurer préalablement les impacts de l’engagement.

Au vu du nombre d’unités en fonctionnement en ce début d’année 2021, il sera possible dans les mois et années à venir de mesurer les impacts (financiers, techniques et humains) de l’engagement des agriculteurs en fonction des typologies d’unités, et ainsi de consolider ou amender les orientations évoquées.

Notes

[1] Les exploitations sont réparties sur l’ensemble du territoire national et étaient engagées dans l’exploitation d’unité de méthanisation avec deux années de fonctionnement.

[2] Le programme Méthalaé est une action portée par un groupe d’experts dans le cadre d’un programme Casdar et dont l’objectif consistait à observer comment la méthanisation a fait évoluer les exploitations et leurs systèmes.

[3] La cogénération est la production simultanée d’électricité et de chaleur à partir du Biogaz produit par le méthaniseur. L’énergie thermique est récupérée sur les gaz d’échappement et les circuits de refroidissement des moteurs. L’énergie mécanique est transformée en électricité grâce à un alternateur.

[4] Le biogaz produit par les unités contient du méthane qui après épuration a des qualités similaires à celles du gaz naturel. Une fois la qualité attestée, il est injecté dans le réseau de gaz naturel après compression à la pression du réseau.

[5] Le biogaz produit est comprimé ou liquéfié pour être transporté vers un site d'injection pouvant être situé à plusieurs dizaines de kilomètres du site de production.

 

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