Des indicateurs de développement durable calculés avec les données comptables pour sensibiliser et accompagner les agriculteurs
Adeline MICHEL*, Caroline LEVOUIN**, Laurence CADON**, Baptiste FOS**
* ARAD²-Cerfrance Normandie Maine
** Atelier des Etudes, Références, Veille et Prospective – Cerfrance Normandie Maine
Le développement durable se définit comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (Rapport Brundtland de la Commission mondiale sur l’environnement de l’ONU, 1987). Ce concept se décline pour le secteur agricole en une agriculture économiquement viable, saine pour l’environnement et socialement équitable. C’est une démarche de progrès qui doit inciter les chefs d’entreprises agricoles à s’interroger sur les impacts de leur activité et les moyens de les réduire et qui nécessite donc des indicateurs pour qu’ils puissent se positionner vis-à-vis des trois piliers. En 2010, les Cerfrance de Normandie et de Mayenne Sarthe ont mis au point une méthodologie d’indicateurs de développement durable à partir de la comptabilité de leurs adhérents. L’objectif était de sensibiliser les agriculteurs à ce concept de développement durable en leur proposant des indicateurs de positionnement directement accessibles sans phase de collecte de données supplémentaire. Ces indicateurs ont été calculés chaque année, stockés et utilisés dans un premier temps pour sensibiliser les conseillers et les agriculteurs via l’édition d’un observatoire et plus récemment pour suivre des évolutions de systèmes dans des collectifs d’agriculteurs.
Des indicateurs de développement durable issus des données comptables des exploitations agricoles de Normandie Maine
Il existe aujourd’hui 43 indicateurs de développement durable calculés chaque année à partir des données comptables des exploitations agricoles. Ils couvrent les trois piliers de la durabilité et sont présentés dans le tableau ci-dessous.

Une méthodologie de calcul a été élaborée par deux chargés d’études de l’Atelier des Etudes, Références, Veille et Prospective de Cerfrance Normandie Maine en s’appuyant sur les travaux menés par différents organismes comme l’ADEME. Pour certains indicateurs, il a été nécessaire d’adapter la formule de calcul aux données accessibles dans la comptabilité et/ou lorsqu’elles n’étaient pas présentes dans les dossiers clients de trouver des données références à utiliser. En effet, il s’agissait de ne pas consacrer de temps supplémentaire à la collecte de données, le modèle économique des Cerfrance étant basé sur la réalisation de prestations, tout temps de présence auprès de l’agriculteur est facturé.
Une réelle difficulté d’appropriation par les conseillers et les agriculteurs
Dans un premier temps, les indicateurs de développement durable ont été calculés et stockés dans les dossiers de gestion. Le lancement de ces indicateurs a été l’occasion de sensibiliser dans un premier temps les conseillers économiques pour qu’ils puissent échanger avec leurs agriculteurs. Pour cela, dans la logique d’analyse de groupe réalisée par les Cerfrance, les indicateurs de l’agriculteur sont comparés aux indicateurs du groupe OTEX (Orientation Technico-Economique des Exploitations) de référence. Ainsi, même si, en valeur absolue, certains indicateurs étaient complexes à appréhender, ils permettaient tout de même un positionnement par comparaison avec son groupe. Ces indicateurs ont ensuite été communiqués à partir de 2011 à l’ensemble des agriculteurs ayant souscrit une offre de conseil Cerfrance.
Un observatoire récurrent a également été réalisé, il permettait d’appréhender comment les exploitations par OTEX (porcs, lait spécialisé, bovin viande, grandes cultures) se positionnaient sur les trois axes de la durabilité. Des cartes à l’échelle cantonale pouvaient compléter l’analyse.
Toutefois, à l’époque, ni les conseillers, ni les agriculteurs n’ont réellement adhéré à la démarche, le concept de durabilité semblant finalement peu « parlant » à ces deux publics, en particulier la volet environnement plutôt perçu comme une contrainte. Par ailleurs, pour les agriculteurs intéressés, l’approche comparative ne les satisfaisait pas car ils souhaitaient connaître leur niveau de durabilité intrinsèquement « je souhaite juste être durable » et pas être positionné par rapport aux autres. Les Cerfrance ont toutefois continué à calculer chaque année ces indicateurs de développement et à les stocker, se consistant ainsi une base de données conséquente et pouvant être ré-exploitée ultérieurement.
Plus récemment, ces indicateurs ont été utilisés pour appréhender la durabilité des systèmes dans le cadre d’études des performances de systèmes de production alternatifs. Ainsi, par exemple, en 2019, a été menée une étude sur les systèmes en agriculture de conservation. L’analyse de la durabilité sur la période 2013-2018 a été menée sur 58 exploitations classées par OTEX. Le graphique ci-dessous montre un exemple de résultats obtenus pour l’OTEX SCOP (exploitations Spécialisées en Céréales et OléoProtéagineux) avec une comparaison systèmes en AC versus la référence Cerfrance pour l’OTEX SCOP.
Pour les systèmes de moins de 10 ans, on n’observe pas de différence de profil de durabilité par rapport à la référence voire il y a une légère dégradation du le critères consommation d’engrais azotés. Pour ce dernier, cela traduit une augmentation de la consommation d’engrais azotés dans les années de transition. Par contre, le profil de durabilité s’améliore avec l’ancienneté sur les critère viabilité économique et consommation d’engrais azotés.
Une analyse par type de travail du sol (techniques culturales simplifiées versus semis direct) montre un net avantage aux systèmes en semis direct avec une amélioration de l’efficacité économique, de la viabilité économique et une moindre consommation d’engrais azotés sans dégradation des autres critères.
Un regain d’intérêt ces dernières années avec l’accompagnement de groupes s’engageant dans des démarches agroécologiques
En 2014, Stéphane Le Foll lance le projet agroécologique qui « vise à donner une perspective ambitieuse à notre agriculture en engageant la transition vers de nouveaux systèmes de production performants dans toutes leurs dimensions : économique, environnementale, et sociale » (source Ministère de l’agriculture). La question de la triple performance et donc du développement durable est ainsi relancée. Mais pour enclencher des transitions, encore faut-il pouvoir positionner son système initial et donc disposer d’indicateurs sur les trois axes de la durabilité qui serviront également d’indicateurs de suivi des évolutions. De nombreux outils et méthodes de diagnostics ont émergé de ce besoin. Une partie des agriculteurs a désormais l’habitude de « manipuler » ce concept de durabilité et les indicateurs qui vont avec. Dans ce contexte, les indicateurs de développement durable calculés par les Cerfrance ont retrouvé une utilité grâce à trois avantages (1) accessibilité rapide sans collecte de données supplémentaires, (2) calcul sur plus de 20 000 exploitations agricoles sur le territoire Normandie Mayenne Sarthe et (3) long historique de références souvent nécessaire dans les diagnostics (3 à 5 ans).
Aujourd’hui, les indicateurs sont utilisés pour réaliser les diagnostics et le suivi des plans d’actions pour les groupes d’agriculteurs engagés dans des démarches agroécologiques, notamment les GIEE (Groupement d’Intérêt Environnemental et Economique) qu’animent les Cerfrance. Le catalogue d’indicateurs est suffisamment important pour que les agriculteurs et les animateurs puissent en choisir quelques-uns dans chaque axe même si pour l’axe social, le choix reste très limité. Ils sont également utilisés pour la réalisation d’études sur la triple performance de systèmes de production émergents comme l’agriculture de conservation. Ils permettent dans ce cas un positionnement du groupe étudié vis-à-vis du groupe OTEX référence. Des points de vigilance restent à prendre en compte dans l’usage que l’on fait de ces indicateurs. Si une remise à plat de la méthodologie de calcul avait été réalisée en 2016, des travaux plus récents sur l’évaluation de la durabilité ayant été menés, une nouvelle remise à plat pourrait être pertinente. Par ailleurs, compte tenu de la méthode d’acquisition choisie en fonction de l’objectif initial de simplification de la collecte de données, ces indicateurs restent des indicateurs de sensibilisation et de pilotage « grossiers » et dans l’état actuel, ils ne sauraient être utilisés comme indicateurs de contrôle de pratiques.
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