L’analyse agri-environnementale aux défis de la comptabilisation : des indicateurs pour le suivi de performances des exploitations
Jean-Marie Séronie1, Jérôme Busnel2, Bertrand Omon3, Christian Bockstaller4
1 SAS Champs d’Avenirs – Agroéconomiste indépendant seronie.jm@gmail.com
2 Association Française d’Agronomie
3 Chambre Agriculture de Normandie
4 Université Lorraine, INRAE, LAE 68000 Colmar
Résumé
Pour donner une nouvelle impulsion à sa politique environnementale, l’Union Européenne veut faire évoluer sa politique agricole commune en passant d’une logique de moyens vers une logique de résultats. Ce contexte politique sous la pression de la société pousse donc au développement de méthodes d’évaluation de comptabilisation allant au-delà de la simple description du changement des pratiques agricoles pour porter sur leurs « résultats » en termes d’impacts notamment. Cet article présente une proposition de trois indicateurs traitant d’enjeux environnementaux fondamentaux, facilement accessibles et calculables simplement à partir des données disponibles dans les documents comptables et les déclarations de la PAC des agriculteurs. Ces indicateurs permettront un suivi dans le temps des performances (comparaison diachronique) ou une comparaison synchronique de performances de plusieurs exploitations à un temps donné. Il s’appuiera sur les discussions d’un atelier de l’AFA sur « Comment utiliser les données déclaratives de l'exploitation ? », qui a eu lieu le 22 janvier 2021.
Abstract
The European Union aims to enhance the common agriculture policy by moving from a means-based policy to a result-based policy, to impulse newly its environmental policy. This policy context under societal pressure pushes the development of assessment methods that go beyond a simple description of changes in farm practices but addresses its “results” in term of environmental impacts. Here a proposal of three indicators dealing with environmental issues is presented, with indicators calculated simply from available data in accounting documents and CAP records of farmers. Those indicators make possible a performance monitoring of a farm for a given period or the comparison of performances between farms. This works is based on discussions from a workshop of the AFA: “How can farm records be used” on January 22nd, 2021.
Introduction
A l’échelle mondiale, l’agriculture fait face aujourd’hui à des défis majeurs dans sa fonction productrice de biens et de services avec la croissance démographique, un contexte climatique et économique de plus en plus incertain et une nécessité absolue de préserver les ressources naturelles. En effet, l’agriculture joue un rôle majeur dans le dépassement des limites planétaires pour la biodiversité et les flux biogéochimiques d’azote. Ces enjeux majeurs imposent de repenser les politiques publiques de soutien à l’agriculture. Une prise en compte accrue des grands enjeux environnementaux est ainsi à l’agenda de l’Union Européenne, sous la pression croissante de la société. Pour donner une nouvelle impulsion à sa politique environnementale, l’Union Européenne veut faire évoluer sa politique agricole commune en passant d’une logique de moyens vers une logique de résultats, même si cette notion demande à être précisée[1]. Ceci a conduit à l’introduction des paiements pour services environnementaux (PSE), (Pointereau et al., 2021)[2] . Là aussi il s’agira de définir précisément les services en termes de résultats attendus et non seulement de techniques mises en œuvre. Par ailleurs, au niveau des entreprises, un élargissement de la comptabilité financière aux dimensions environnementale et sociale est à l’agenda avec ajout aux documents financiers d’états de type RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). Les entreprises seront donc tenues de mettre en œuvre des méthodes encore mal définies de comptabilité environnementale. Ceci concernera, n’en doutons pas, les entreprises agricoles même si ce ne sera sans doute pas le cas au démarrage. La conception en cours de ce type de comptabilité mobilisera certainement des compétences agronomiques.
Ce contexte sociétal et politique pousse donc au développement de méthodes d’évaluation et de comptabilisation allant au-delà de la simple description du changement des pratiques agricoles pour porter sur leurs « résultats » en termes d’impacts notamment. Pour cela, deux approches complémentaires mais différentes peut être mises en œuvre.
La première vise à déterminer des variables, des indicateurs capables de mesurer un résultat ou un impact à dimension agronomique. La seconde vise à mettre en place, sur l’ensemble de l’entreprise prise globalement, à côté de la comptabilité financière, une comptabilité environnementale qui peut impliquer l’agronomie. Celle nécessitera naturellement des garde-fous pour éviter des pratiques d’optimisation administrative.
Cet article s’inscrit dans la première logique que nous venons d‘évoquer, celles des indicateurs pour appréhender les performances agroenvironnementales au niveau de l’exploitation agricole, sans mise en place d’une comptabilité spécifique. Plus précisément ces performances porteront sur la contribution de l’exploitation agricole aux différents impacts qui devront ensuite s’analyser à différentes échelles : parcelle, exploitation agricole, mais le plus souvent à des niveaux d’organisation supérieurs (territoire, bassin versant, planète). En s’appuyant sur les discussions d’un atelier de l’AFA sur « Comment utiliser les données déclaratives de l'exploitation ? » qui a lieu le 22 janvier 2021, nous développerons une proposition de trois indicateurs traitant d’enjeux environnementaux fondamentaux calculables simplement à partir des données disponibles dans les documents comptables et les déclarations de la PAC.
Des indicateurs de résultat pour la PAC
Avant d’aborder la nature des indicateurs, nous avons proposé un certain nombre de principes concernant leurs objectifs :
a- Ces indicateurs doivent permettre d’évaluer l’évolution d’une situation au regard des priorités de l’action publique comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), le stockage du carbone, la préservation de la biodiversité …
b- Les indicateurs calculés doivent avoir du sens pour l’agriculteur et lui être utiles dans sa gestion technique. Si on établit un parallèle avec la compatibilité financière, celle-ci a été initialement conçue pour rassurer les tiers en particulier les fournisseurs ou les partenaires. Elle a ensuite permis de construire des outils et méthodes de gestion de l’entreprise. Elle a enfin servi d’assiette au calcul des taxes, sans que cela ne soit la motivation initiale de l’invention de ce formalisme normatif.
- On doit donc imaginer des mesures, des indicateurs qui apportent une transparence, une garantie à la puissance publique mais aussi à la société et aux consommateurs.
- Ces indicateurs devront en même temps être utiles pour l’amélioration des performances techniques et agronomiques de l’entreprise agricole. Pour servir aux agriculteurs, un indicateur doit d’abord avoir du sens pour lui, cette notion étant évolutive dans le temps. Ainsi un calcul d’émission de GES n’avait aucun sens pour un agriculteur qui n’en voyait ni la signification ni l’intérêt il y a dix ans. L’indicateur doit ensuite avoir une bonne sensibilité aux changements de pratiques. C’est-à-dire qu’il doit varier de manière assez réactive à un changement de pratique. La concentration en nitrates dans une nappe par exemple n’est pas un indicateur sensible pour l’action, tandis que la mesure de l’azote minéral contenu dans le sol en automne est un indicateur de l’azote potentiellement lessivable qui est très sensible aux principales pratiques déterminantes pour la qualité de l’eau.
- Ils pourront enfin éventuellement servir de base à l’attribution de subventions, voire à la perception de taxes
c- Il faudra sans doute considérer plusieurs échelles d’évaluation en particulier la parcelle, l’entreprise, le territoire (celui-ci pouvant lui-même relever de différents niveaux : Région, Etat, Europe). En fonction des indicateurs suivis, certains peuvent directement s’agréger entre les différents niveaux, d’autres plus difficilement. Poursuivant la comparaison avec la comptabilité financière on sait que les chiffres d’affaires ne s’additionnent pas. Ainsi le chiffre d’affaires d’un sous-traitant est une charge pour le donneur d’ordre, l’agrégation des comptes dans un groupe d’entreprises procède d’un calcul complexe : la consolidation des comptes. A contrario la valeur ajoutée (Produit moins Achats de biens et services nécessaires à la réalisation de ce produit) créée par plusieurs entreprises peut s’additionner. La totalisation de toutes les valeurs ajoutées créées par les acteurs économiques d’un territoire constitue le produit intérieur brut (PIB) de ce territoire. Un raisonnement similaire pourra être formalisé s’agissant de variables agronomiques ou environnementales. Par exemple l’utilisation de produits phytosanitaires peuvent s’additionner sous certaines conditions[3]. En revanche la situation est plus complexe pour faire le calcul des émissions nettes de GES, la comptabilisation du carbone. Si j’achète l’aliment de mes porcs ou si je le produis, l’émission de GES de mon entreprise sera différente, il faudrait donc consolider mes émissions avec celles achetées. On est alors dans une chaine de comptabilisation assez proche de celle de la valeur ajoutée. A l’opposé pour changer d’échelle géographique et passer de l’entreprise au territoire puis aux différents niveaux de territoires, il faudra dans certains cas prendre en compte des échanges de flux. Pensons par exemple au transfert d’engrais de ferme d’un éleveur à un cultivateur. Enfin un indicateur de rotation, de diversification doit se calculer aux différentes échelles sans pouvoir s’agréger entre les échelles.
d- Les indicateurs devront dans la mesure du possible être calculés à partir de données existantes et on évitera au maximum d’avoir à enregistrer de nouvelles données, d’où la recherche d’indicateurs pertinents calculés à partir de la comptabilité. L’objectif est d’atteindre l’exhaustivité des exploitations agricoles et donc d’accepter un certain degré de simplification des indicateurs tout en vérifiant leur robustesse. Pour des indicateurs à calculer au niveau d’un territoire, la télédétection peut ouvrir des pistes, cela semble cependant plus difficile au niveau de l’exploitation agricole, c’est pourquoi nous ne le développerons pas ici.[4]
Il y a donc un arbitrage nécessaire entre deux approches. Il est possible de collecter des données avec une qualification et une précision fine sur un échantillon délimité, ce qui est nécessaire pour comprendre un mécanisme. On peut aussi choisir une collecte d’indicateurs plus sommaires mais pouvant être calculés sur la totalité des exploitations d’un territoire. C’est cette approche que nous avons retenue.
Deux logiques de conception sont ensuite intellectuellement imaginables.
Soit on précise ce que l’on veut évaluer, et on établit quelles sont les variables intéressantes à rechercher, puis à défaut de les trouver déjà disponibles, on se donne les moyens de les collecter.
Soit on regarde les données dont on dispose de manière facilement accessible et en grande masse. Puis, au regard de la performance à laquelle on s’intéresse, on construit un indicateur robuste pour essayer d’approcher la réalité que l’on souhaite évaluer. Dans ce cadre on peut rechercher une variable facile à capter, assez fortement corrélée à une variable ou un indicateur très intéressant mais plus difficilement accessible. Un exemple frappant sur lequel nous reviendrons est la forte corrélation existante entre l’IFT assez compliqué à calculer et la charge en produits phytosanitaires directement lisibles dans la comptabilité. C’est cette seconde approche que nous avons privilégiée.
Nous nous inscrivons donc résolument dans la perspective de critères assez facilement disponibles, si possible de manière automatisée, dans toutes les exploitations agricoles, tout en étant assez robustes pour représenter assez fidèlement une réalité agronomique.
Deux sources de données administratives mobilisables
Le groupe de travail a identifié deux sources principales de données existantes à très grande échelle. Les comptabilités réelles concernent environ 80% des exploitations agricoles françaises, et donnent accès à des données à l’échelle de l’entreprise, rarement à une échelle plus fine. En effet, de très nombreuses exploitations ne font pas établir de comptabilité analytique et de calcul de marges, principalement par souci de réduction du prix de la comptabilité : sont donc mobilisables à grande échelle, uniquement les données portant sur l’ensemble de l’entreprise et non spécifiquement tel atelier ou tel ensemble de parcelles.
Les déclarations PAC constituent la seconde source généralisée de données, avec des indications de parcellaire géographiquement localisées et des indications très fines de cultures associées au parcellaire. Cependant elles ne contiennent aucune information sur les pratiques adoptées : le travail du sol, la gestion des intrants ou de l’eau d’irrigation notamment. A moyen terme on pourrait aussi imaginer un système de calcul de variables reflétant l’utilisation d’intrants transmises directement par les fournisseurs à partir de récapitulatifs annuels de factures selon une classification codifiée des matières. Ces récapitulatifs seraient ensuite consolidés au niveau de l’exploitation agricole.
Figure 1 : page d’accueil du site Telepac qui permet de soumettre un dossier pour percevoir des aides de la Politique Agricoles Commune. Un des aspects de la réflexion en cours est bien d'utiliser des données déjà disponibles au niveau de l'exploitation, par exemple le dossier PAC pour les 300 000 bénéficiaires d'aides en 2020.
Trois axes de progrès environnemental à évaluer
Les priorités de la future PAC portent sur la préservation de la biodiversité et la réduction de des impacts agricoles négatifs sur le climat.
Deux indicateurs pertinents permettant d’estimer non pas la biodiversité mais certains facteurs d’impact de l’agriculture sur la biodiversité ont été identifiés. Il s’agit de la diversité des assolements[5] et de l’utilisation des produits phytosanitaires. Concernant l’impact sur le climat, les émissions de gaz à effet de serre semblent être un indicateur pertinent.
Nous proposons donc de nous concentrer sur ces trois indicateurs en construisant un mode de calcul à la fois robuste et simple permettant de les évaluer et de les suivre sur toutes les exploitations agricoles françaises.
Cette première étape de l’analyse pose les bases, cerne les forces et les faiblesses des indicateurs et propose des pistes d’approfondissement pour construire une modélisation.
Mesurer la diversité des assolements
Cet indicateur de pratique peut être calculé à partir de la déclaration PAC graphique. Il semble pertinent de mesurer la surface en prairie, la surface cultivée hors prairie (SAU -STH)
Cela permettra de calculer trois ratios
- STH/SAU
- La part de (SAU-STH) représentée par la culture principale soit CULT1/(SAU-STH)
- Un indice de diversité de culture basé sur l’inverse de l’indice de Simpson (RSI) : RSI =1/ Σ(k=0 n) pi² avec pi : proportion de la culture i, et n : nombre total de cultures différentes
L’inverse de l’indice de Simpson (RSI) a l’avantage d’être plus lisible que l’indice de Shannon très utilisé (Bockstaller, 2013)[6]. Ainsi pour n cultures équiréparties (pi=1/n), l’indice est égal au nombre de cultures et si la distribution est disproportionnée alors RSI va se rapprocher du nombre de cultures dominantes. Si par exemple nous avons un assolement de trois cultures équiréparties (pi=0,33) alors l’indice RSI est égal à 3. Si l’assolement repose sur une distribution du type culture 1 = 0,70 ; culture 2 = ,0,20 et culture 3 = 0,10) alors RSI est égal à 1,85. Cet indicateur pourrait être affiné par des regroupements d’espèces en famille en fonction de leurs caractéristiques agronomiques, la déclaration PAC présentant une codification précise des cultures. L’exemple le plus évident est la famille des légumineuses. Il en va de même pour l’intégration des prairies temporaires dans la surface totale en prairies avec une pondération possible en fonction de la flore semée.
Toutes les variables étant a priori saisies dans la déclaration PAC avec un grand niveau de précision et de codification, ces indicateurs pourraient se calculer directement à partir des données Télépac. Pour ensuite pouvoir apprécier le niveau des performances il faudra faire des simulations sur des situations contrastées permettant d’objectiver une échelle d’évaluation.
Mesurer l’utilisation des produits phytosanitaires
Pour estimer l’utilisation des produits phytosanitaires, nous avons recours à l’indicateur de pratique basé sur le calcul de l’indice de fréquence de traitement (IFT). Des études menées dans le cadre du programme Ecophyto ont montré, en système de grandes cultures, une très bonne corrélation entre la charge financière du poste comptable « traitements » ramené à l’hectare cultivé et l’IFT.[7][8]
Cette donnée du poste total « traitements » facilement mobilisable dans la comptabilité serait divisée par la surface déclarée à la PAC. La droite de régression permet ensuite une transformation en classe d’IFT.
Le système pourrait être affiné par une typologie réalisée à partir des surfaces et des familles de cultures déclarées à la PAC. La droite de régression serait donc calculée par grand système. Par exemple vigne, arboriculture, polyculture élevage. Cette typologie serait ensuite utilisée pour un jugement normatif de la valeur de l’indicateur traitement/ha en indiquant une classe de valeur (1,2,3…) correspondant à une appréciation du niveau de l’IFT estimé par rapport au système de culture : faible, moyen, élevé, très élevé.
Cet indicateur pourrait lui aussi être calculé à partir de Télépac, il suffirait juste de saisir le poste comptable « produits de traitements » en acceptant un décalage d’un an pour certaines dates de clôture, la déclaration PAC se faisant en mai.
Calculer un bilan GES simplifié
L’idée consiste à faire un calcul simplifié des émissions de GES à partir de la comptabilité financière. Là encore il s’agit d’un indicateur approché mais pouvant facilement être calculé à très grande échelle. Les CERFRANCE de Normandie ont engagé avec succès cette démarche il y a une dizaine d’années en calculant automatiquement à partir de chaque comptabilité une batterie d’indicateurs de développement durable dont les émissions de GES. On se situe alors clairement dans une logique d’indicateur de performance environnementale. En matière de climat :
a) Pour la partie culture, le calcul se ferait assez simplement à partir de ratios normés appliqués à différents postes de charges
GESculture = (coeff1*charge en engrais €) + (coeff2*Charge fuel €) + (coeff3*charge EDF €) + …
Chaque coefficient normé est calculé de la manière suivante :
- Etape 1 = charge comptable divisé par montant unitaire de l’unité (par exemple prix du Litre de fuel ; KW h, Unité azote) ce qui donne le nombre d’unités physiques
- Etape 2 = conversion du nombre d’unités physiques en émission de GES = Nb unité*coeff TeqCO2
Par exemple un poste de carburant de 5 000 € à 0,75 €/L = 6667 litres
6667 litres à 3,25KgCO2/L= 21 668 eqKg CO2. Le coefficient de conversion euros/kg CO2 est donc pour le carburant de (1/0,75)*3,25= 4,333
b) Pour la partie élevage, le calcul est plus compliqué. Le nombre d’animaux semble être déterminant pour estimer les émissions de GES. En effet une vache produisant 12 000 Litres de lait ne produit pas 1,5 fois plus de GES qu’une vache produisant 8 000 litres, de telle sorte que le litre de lait produit par la vache la moins productive contribue davantage au réchauffement climatique. Le calcul par les animaux semble donc à la fois plus simple et plus juste que raisonner par la production comme le nombre de litres de lait, d’œufs ou de kilos de viande vendus. On peut donc également simplifier le calcul en appliquant des coefficients aux effectifs animaux avec peut-être des classes de chargement à l’hectare.
GES animaux = (coeff1* UGB bovin) + (coeff2*UGB Ovin) + (coeff3*places d’engraissement porcs) + (coeff4* M2 bâtiment volailles) + …
La difficulté réside dans le fait qu’en fonction du système d’alimentation le coefficient d’émission n’est pas le même. La difficulté pourrait être contournée en utilisant un barème de coefficients en fonction d’une typologie de systèmes alimentaires. Ceci est particulièrement vrai pour les monogastriques.
Toutes ces équations peuvent être calculées en tonnes équivalents CO2 mais également en éléments primaires CO2, N20, CH4 ce qui a davantage de sens pour l’action de l’agriculteur.
Ces équations permettent de connaitre les flux d’émissions de GES de l’entreprise. Elles ne prennent pas en compte les émissions « importées » que ce soit par les achats ou par les immobilisations comme les bâtiments et le matériel. Ce serait envisageable de les intégrer mais on arrive alors dans une véritable approche de comptabilité environnementale traduisant la comptabilité financière en équivalent CO2, ce qui est un autre débat.
La méthode proposée n’envisage pas non plus le devenir des productions ou des consommations intermédiaires en matière d’analyse du cycle de vie. Elle se cantonne bien aux flux émis pendant le cycle de production par l’exploitation agricole au sens strict.
c) A côté de cela, mais de manière distincte, il conviendra de calculer le stockage du carbone dans le sol des champs. Là encore, un calcul simplifié pourra être fait en utilisant des coefficients normés à appliquer à l’assolement en déterminant :
- quelques classes de culture au regard du stockage du carbone
- en utilisant plusieurs ratios pour les prairies en fonction de leur ancienneté, le stockage additionnel étant différent entre les vieilles prairies et celles plus récentes
- en intégrant le linéaire de haies (disponible dans la PAC graphique).
Stockage C = (Coeff1*CultA)+ (Coeff2*CultB)+…+(Coeff*Prairie-age1)+(coeff*Prairie-age2)+…+(coeff*Haie)
La différence entre les émissions et le stockage additionnel constitue le Bilan net des flux GES de l’exploitation agricole sur la période considérée. Ce bilan permet de mieux approcher l’impact sur le changement climatique que le seul calcul des émissions de GES bien qu’il ne prenne pas en compte les apports de matière organique exogènes (fumiers, etc.)
Discussion : construction faisabilité et utilité d’un Agro-éco-score
Des indicateurs de pratiques, simples mais pertinents
Les indicateurs de résultats proposés ici sont à comprendre comme des indicateurs permettant un suivi dans le temps des pratiques mais aussi une comparaison des performances des exploitations entre elles1. Les deux indicateurs de pratiques retenus sont des facteurs importants pour la biodiversité au vu de la bibliographie scientifique5. Cependant, comme indiqué plus haut, ils ne peuvent pas rendre compte directement des performances de ces pratiques en matière de développement de la biodiversité.
Si la déclaration PAC graphique évolue, il serait possible d’accéder à l’avenir à un troisième indicateur sur les infrastructures agroécologiques (IAE). Ceux-ci ne sont actuellement que partiellement enregistrés dans la PAC en raison de la prise en compte dans les surfaces d’intérêt écologique (SIE) de surfaces productives qui permettent de répondre aux exigences de la PAC. Du coup les agriculteurs n’ont pas d’intérêt fort à déclarer les IAE. Le parcellaire étant finement connu avec la taille des parcelles et la culture présente sur chaque parcelle, un quatrième indicateur pourrait être ajouté : la taille moyenne ou médiane des parcelles. Il compléterait ainsi l’évaluation de la dimension « mosaïque des cultures » dont on sait l’importance pour la biodiversité.
D’autres indicateurs pourraient être ajoutés. Ainsi, une combinaison entre cultures d’hiver, de printemps et dérobées (toutes codifiées dans la déclaration PAC) permettrait de calculer un indice de couverture du sol. On pourrait aussi imaginer de le dédoubler avec un indicateur de couverture hivernale important pour lutter contre la lixiviation du nitrate. A cela s’ajouterait un indicateur de couverture printanière important sur la question de l’érosion.
Les indicateurs doivent avoir du sens pour les agriculteurs
Comme indiqué dans nos principes de départ, un indicateur doit avoir du sens pour l’agriculteur c’est-à-dire lui être utile dans la conduite de son entreprise et dans ses rapports avec l’ensemble des parties prenantes.
On peut à ce titre discuter une première dimension qui concerne des indicateurs permettant à l’agriculteur de situer (et éventuellement d’attester) le niveau de conformité de ses pratiques par rapport à des objectifs recherchés. Ces objectifs peuvent provenir de choix stratégiques personnels ou relever d’injonction de la politique publique. En quelque sorte cela lui permet de mesurer si ces pratiques vont ou non dans le « bon sens », que ce sens soit choisi ou imposé. Par exemple l’IFT, que nous approchons à partir de la charge financière en produits phytosanitaires, est un indicateur de pression polluante. Il représente la pratique de l’agriculteur, mais pas le résultat du champ en termes de performance environnementale. Son utilisation avec des agriculteurs depuis 2007 a montré le statut d’indicateur d’évaluation de cet usage-pression polluante qu’il a auprès d’eux. A l’inverse, le manque de repère objectivé des agriculteurs ne l’utilisant pas ou n’en disposant pas est évident. Sans ce thermomètre l’évaluation de leur usage-pression polluante est très imprécise et le plus souvent sous-estimée.
L’usage de cet indicateur de pratique permet aux agriculteurs une prise de conscience sur leur usage, une modification de leurs pratiques de façon systémique pour être plus efficace, au sens IPM de la directive UE 2009 sur les pesticides (réaffirmée en 2014). L’usage d’un autre indicateur intermédiaire entre la pratique et l’impact pourrait être la fuite de nitrates (la mesure du reliquat entrée hiver). Il commence à montrer le même type d’effet : se situer et appréhender l’effet de son activité, puis enclencher une démarche de re-conception de système pour améliorer son résultat vis-à-vis de l’enjeu.
On peut concevoir une seconde dimension concernant des indicateurs de résultats qui ont du sens car ils évaluent la contribution de l’exploitation à l’atteinte d’objectifs publics en matière de réduction des impacts environnementaux. Ils constituent donc une étape importante en mesurant, dans une approche globale et intégrée, les services rendus à la société par exemple pour le climat. Ils permettront d’éclairer l’agriculteur en vue de faire les bons choix stratégiques pour demain. Ils pourront également servir de base, de support, de preuve pour dialoguer avec les acteurs du territoire comme au sein des filières. Sur l’enjeu climat, l’usage d’indicateurs de résultats (émission en kg d’équivalent CO², bilan carbone en élevage) commence à produire ce type d’effet.
La question délicate de l’unité fonctionnelle`
Un autre point sera à trancher : à quelle unité rapporter ces indicateurs. Tous peuvent bien sûr s’exprimer en valeur absolue. Mais pour faire des comparaisons il faut les diviser par un dénominateur commun à l’instar de ce qui se fait avec l’unité fonctionnelle en Analyse de Cycle de Vie. Celui-ci peut être l’hectare ou tout autre dénominateur permettant des comparaisons : quantité vendue, UTH, euros de valeur ajoutée créés. Chacun de ces diviseurs a un sens, mais avec une signification différente à déterminer en fonction de l’objectif poursuivi.
Des calculs automatisés pour toutes les exploitations françaises
Le choix a été résolument fait de rechercher des critères signifiants mais simples, pouvant être calculés de manière quasi-automatique sur l’ensemble des exploitations agricoles françaises, et cela annuellement. Nous sommes évidemment convaincus que cette proposition ne correspond pas à une évaluation suffisante pour accompagner la transition des systèmes agricoles et permettre les apprentissages individuels. Nous pensons cependant que, grâce à sa simplicité de calcul, elle pourrait rapidement être diffusée à très grande échelle. Elle permettrait ainsi d’appuyer, auprès des agriculteurs, une prise de conscience engageante et visant des résultats de pression et d’impact sur les enjeux prioritaires.
Nous avons enfin fait le choix de proposer cette méthode sans la finaliser, ni la tester (nous n’en avions évidemment pas les moyens).
Si cette piste est jugée intéressante, un travail de références, mené avec quelques experts, permettrait de déterminer la valeur de chaque coefficient, la manière de créer des agrégats de culture ainsi que la construction des quelques typologies que nous avons évoquées.
Ces travaux de simulations et d’évaluation pourraient être accompagnés par l’AFA dans un partenariat avec des organismes comptables et de recherche agricole.
Utiles pour les exploitants et pour la politique publique
Cette approche permet facilement de mesurer une évolution dans le temps de chaque indicateur au niveau individuel de chaque exploitation agricole au sens juridique du terme. Elle permet également de comparer les critères d’une entreprise à ceux de groupes de références homogènes, pouvant être géographiquement localisés. En ce sens ce pourrait être un guide précieux pour l’analyse et la prise de décision du chef d’entreprise agricole à la manière des analyses de groupe utilisées classiquement en conseil technique ou de gestion. Il conviendra dans cette perspective de conserver une batterie assez analytique d’indicateurs de pratiques sans les agréger.
Il est aussi possible de calculer des moyennes et des dispersions, et de mesurer leur évolution. Cela permettra aussi de tenter de décrire des types différents et de modéliser des trajectoires d’évolution. Enfin sous certaines précautions cela permettra des agrégations par territoire ou le calcul de nouveaux indicateurs pertinents à cette échelle géographique par des statistiques dérivées des indicateurs individuels des exploitations (par exemple pourcentage d’exploitations supérieures à un seuil). Ce sont autant de données importantes pour l’action publique (suivi des effets de la PAC, suivi analytique des impacts du plan Ecophyto …) nationale autant que locale (évolution des pratiques sur un bassin versant, suivi au niveau d’une intercommunalité …).
Un agro-éco-score synthétique
Il faudrait ensuite se poser la question de l’utilisation des trois indicateurs. Les considère-t-on pris séparément ou construisons-nous en complément un score composite à partir de l’attribution d’une note sur une échelle d’évaluation pour chacun des trois indicateurs. L’approche analytique est indispensable pour permettre au chef d’entreprise de gérer. La consolidation dans un score permet une appréciation globale utile pour la politique publique. Une simulation sur un grand nombre d’exploitations représentant des situations variées permettrait d’éclairer cette question. Dans tous les cas, on pourrait imaginer de construire un score, une note globale sommant des points attribués en comparant chaque indicateur à un barème, ce barème pouvant bien sûr être décliné par grand système et/ou zone géographique. Il conviendra alors de faire un travail d’étalonnage.
Cette note agro-écologique globale constituerait un « agro-éco-score » à l’image du nutriscore. Il pourrait être utile par exemple pour remplacer l’indicateur économique de la voie dite « B » de la certification HVE 3 aujourd’hui très décriée. Il serait également un repère global d’évolution utile dans le pilotage stratégique de l’exploitation agricole en complétant les indicateurs économiques et financiers. Il permettrait également de constituer des groupes homogènes d’analyse et de comparaison. On pourrait aussi imaginer de s’en servir comme outil de sélection dans les éco-programmes ou comme élément d’information du consommateur.
Finalement tout l’enjeu sera d’en faire des instruments perçus positivement par les agriculteurs comme outil de réflexion stratégique sans réduire leur perception à une approche normative de contrôle ou de justification des pratiques. Cela devra passer notamment par une expérimentation sur des fermes pilotes et nécessitera en amont des travaux de recherche sur l’utilisation potentielle, la perception, mais aussi les évolutions positives (économie de charges, valorisation de la production) que cela pourra engendrer.
Remerciements
Les auteurs remercient les membres ayant participé à tout ou partie du groupe de travail :
Adeline Michel, Adeline Bouvard, Philippe Gendron, Nicolas Chartier, Nicolas Munier-Jolain, Paul-Emile Noirot-Cosson, Alain Carpentier, Simon Giuliano, Philippe Viaux, Francky Duchateau, Patrick Quinquet, Philippe Pointereau, Anne Schaub, Hélène Rapey
Notes
[1] Cela dépend de l’objectif suivi : si l’objectif est de suivre un changement de pratique, l’indicateur de pratique est un indicateur de moyen. Si l’objectif est d’évaluer un impact, l’indicateur de pratique devient un indicateur de moyen, cf. Bonvillain T., Foucherot C., Bellassen V., 2020. L’obligation de résultats environnementaux verdira-t-elle la PAC ? Comparaison des coûts et de l’efficacité de six instruments de transition vers une agriculture durable. Institut de l’économie pour le climat (I4CE – Institute for climate economics), 36
[2] Dans ce numéro.
[3] Voir le document : Bockstaller et Gilbert. 2019. Le changement de niveau d’organisation dans l’évaluation de la durabilité des systèmes et territoires agricoles : Contribution à l’élaboration d’un guide méthodologique. Document GIS HP2E 4 pages.
[4] Bockstaller, C., Sirami, C., Sheeren, D., Keichinger, O., Arnaud, L., Favreau, A., Angevin, F., Laurent, D., Marchand, G., De Laroche, E., & Ceschia, E. (2021). Apports de la télédétection au calcul d’indicateurs agri-environnementaux au service de la PAC, des agriculteurs et porteurs d’enjeu. Innovations Agronomiques, 83, 43–59.
[5] Sirami, C., Gross, N., Baillod, A. B., Bertrand, C., Carrié, R., Hass, A., Henckel, L., Miguet, P., Vuillot, C., Alignier, A., Girard, J., Batáry, P., Clough, Y., Violle, C., Giralt, D., Bota, G., Badenhausser, I., Lefebvre, G., Gauffre, B., … Fahrig, L. (2019). Increasing crop heterogeneity enhances multitrophic diversity across agricultural regions. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 201906419. https://doi.org/10.1073/pnas.1906419116
[6] Bockstaller, C. (2013). Evaluation agri-environnementale des systèmes de production végétale à l’aide d’indicateurs. HDR Université de Lorraine.232 pages
[7] Note de N Chartier Cellule ecophyto lors de l’atelier qui confirme et détaille ces corrélations
[8] Buthault JP, Delame Nathalie, Jacquet Florence, Zardet Guillaume. L’utilisation des pesticides en France : état des lieux et perspectives de réduction – CEP Ministère de l’agriculture NESE 35 Octobre 2011 pp7-26