Terres de Sources, un projet de territoire ambitieux en faveur de la préservation de la qualité de l’eau
Daniel Helle*, Jérôme Busnel**
* EBR-Collectivité, coordonnateur projet Terres de Sources dhelle@ebr-collectivite.fr
** Association Française d’Agronomie, animateur
Ce témoignage est organisé en deux parties :
- d’abord, la retranscription d’une présentation de Daniel Helle -coordonnateur du projet Terres de Sources- réalisée en février 2021 et visible sur agronomie.asso.fr/webinaires. Celle-ci s’inscrivait dans le cadre des suites du Débat Agronomique 2020 « Comment promouvoir des pratiques agronomiques vertueuses dans la réforme de la PAC ? », pour illustrer les spécificités de cette question à l’échelle d’un territoire,
- ensuite une discussion qui revient sur les limites de la démarche, et notamment la difficulté à travailler avec des indicateurs d’impact, plutôt qu’avec la mise en avant de « bonnes pratiques ».
Retranscription de la présentation de Daniel Helle
Eau du Bassin Rennais Collectivité est l’autorité organisatrice du service de l’eau potable à l’échelle du bassin rennais, comprenant la métropole rennaise et cinq communautés de communes voisines, soit 580 000 habitants de 72 communes au total. Elle est issue du regroupement de plusieurs syndicats de distribution d’eau potable en 2011.
Depuis 2015, elle porte le projet Terres de Sources, concrétisation de la volonté d’accompagner l’agriculture du territoire vers une meilleure préservation de la qualité globale des eaux, et plus largement de l’environnement.
Un projet de protection de la ressource en eau en lien avec la valorisation des productions agricoles
La ressource en eau provient à 85% de bassins versants extérieurs au territoire de consommation : à l’est de l’Ille-et-Vilaine autour de Fougères avec une concentration très importante en élevages de vaches laitières, et à l’ouest partiellement dans le département des Côtes-d’Armor avec une dominante élevage également, mais plus diversifiée (laitier, porcin, avicole).
L’idée fondatrice dans ce contexte était de développer un partenariat économique entre les territoires de production et de consommation d’eau, le projet Terres de Sources portant sur un enjeu double concernant la ressource eau du territoire :
- sur le plan qualitatif, avec la diminution des pollutions agricoles, en particulier la concentration en nitrates et en produits phytosanitaires ;
- sur l’aspect quantitatif, le changement climatique se concrétisant déjà par une augmentation moyenne des températures et donc de l’évapotranspiration, ce qui implique une réduction des débits des cours d’eau (alors que 85% de l’alimentation en eau potable provient des ressources superficielles - cours d’eau et retenues).
La mise en place d’une politique de protection de la ressource en eau depuis la fin des années 1990, en complément des mesures réglementaires régionales et nationales (directive nitrates en particulier), a déjà donné des résultats notables, la concentration moyenne en nitrates sur des captages passant par exemple de 70 à 45 mg/L sur la période. Cette amélioration est évidemment à consolider et à intensifier, en intégrant également l’enjeu de diminution de la concentration en produits phytosanitaires.
Ces améliorations de la qualité de l’eau passent notamment par une évolution des pratiques agricoles, avec des modifications souvent plus contraignantes au niveau des exploitations (opérations chronophages, diminution de la production, …). Aussi le projet Terres de Sources souhaite donner du sens aux efforts de protection de la qualité de l’eau par les agriculteurs en travaillant à une meilleure valorisation économique des produits.
Le premier pilier de cette valorisation économique est la commande publique, par le biais de la consommation de denrées alimentaires de restaurants collectifs publics du territoire. Émanant directement des collectivités, la commande publique a alors semblé une option à impact relativement rapide pour valoriser les productions d’agriculteurs volontaires. L’interdiction dans les marchés publics d’une préférence locale limitait toutefois fortement cette volonté politique. Cette limite a été dépassée par la rédaction d’un appel d’offre public concernant non pas des denrées alimentaires, mais l’achat par la collectivité d’une prestation de service de protection de la ressource en eau.
Un premier marché public a concerné en 2015 la ville de Rennes et trois producteurs, alors qu’un second a permis de développer l’initiative en 2017 en formalisant un marché entre Rennes et quatorze communes voisines d’une part, et vingt producteurs dont une partie en vente directe et une autre en co-traitance avec un transformateur d’autre part. Un troisième marché public est en cours de rédaction et pourrait concerner une cinquantaine de producteurs.
Le second pilier du projet est la valorisation des produits sur le marché grand public pour entraîner les habitants du territoire dans la dynamique. Cela est en cours de concrétisation à travers l’apposition du label Terres de Sources sur des produits issus d’exploitations engagées dans la démarche, et mis en rayon sur le territoire. En parallèle, un travail de communication et de sensibilisation des consommateurs est en cours.
Les promesses du label sont multiples :
- Amélioration des systèmes de production sur le plan environnemental (évaluations via méthode IDEA4),
- Juste paiement des productions aux agriculteurs, notamment vis-à-vis des services environnementaux supposément apportés par les pratiques plus respectueuses,
- Accessibilité des produits aux consommateurs,
- Gouvernance partenariale du label (producteurs, consommateurs, collectivités),
- Traçabilité des produits locaux.
L’ambition du projet d’ici 2030 est de toucher :
- 25% des exploitations du territoire impliquées
- 25% des habitants connaissant la démarche et achetant les produits labellisés
Des engagements relatifs aux pratiques agricoles
Dans le détail, les exploitations agricoles de la démarche Terres de Sources s’engagent à :
1/ Mettre en place des pratiques ayant un impact supposé favorable sur la ressource en eau (ce sont donc des exploitations au moins partiellement situées dans un des bassins versants de captage du territoire),
2/ Se conformer à certaines exigences d’entrée :
- Absence d’OGM dans l’alimentation animale (moindre densité animale induite)
- Absence de produits phytosanitaires tueurs de pollinisateurs
- Absence de produits phytosanitaires les plus retrouvés dans l’eau (fréquemment retrouvés dans l’eau, même après traitement au charbon actif car ces petites molécules s’adsorbent peu) : métolachlore, diméthénamide, métaldéhyde
- Absence d’antibiotiques en préventif
- Absence d’huile de palme dans l’alimentation animale
3/ Faire progresser la durabilité du système de production (en se basant sur des évaluations IDEA4), avec un niveau plancher de durabilité à respecter dès l’entrée dans le dispositif.
La notion de progrès est basée sur un diagnostic IDEA initial, amenant à la formalisation d’une démarche de progrès dont la mise en œuvre fait l’objet d’un suivi annuel, puis d’un diagnostic final après 4 ans (durée du marché public).
Concernant les systèmes déjà performants au niveau de la préservation de la qualité de l’eau (par exemple des exploitations labellisées AB, ou des systèmes laitiers herbagers), la notion de progrès est facultative à partir du moment où l’évaluation initiale se situe au-delà d’un certain seuil, même si le progrès est toujours encouragé.
L’ambition de progrès d’un agriculteur dans le cadre de cette démarche est potentiellement mise en balance avec l’intérêt économique perçu. Aussi, si la valorisation des produits par le projet Terres de Sources n’était pas forcément suffisante pour inciter à une ambition de progrès environnemental forte, un intérêt économique complémentaire pourrait être fourni par l’accès à certains Paiements pour Services Environnementaux par d’autres politiques publiques.
La labellisation fera l’objet d’une certification par organisme tiers, pour en assurer la confiance par les consommateurs et les acheteurs. Par ailleurs, il est possible que les denrées alimentaires destinées à la restauration collective doivent faire l’objet d’une double certification Terres de Sources et HVE3, afin que les produits puissent rentrer dans les objectifs de la loi Egalim (50% des achats constitués de produits durables à partir du 1er janvier 2022). Par ailleurs, le cahier des charges AB ne suffit pas à obtenir le label Terres de Sources, le type d’exploitation entrant aussi en ligne de compte pour obtenir l’agrément.
Un projet de territoire qui cherche à faire collaborer différents opérateurs du tissu économique
Le projet Terres de Sources a été lauréat du Programme d’Investissements d’Avenir en tant que territoire d’innovation, ce qui ouvre un accompagnement financier sur 10 ans pour permettre notamment :
- Le développement de filières de production économes en intrants sur le territoire : déjà existantes sur le territoire (productions animales essentiellement), ou à (re)développer localement comme le sarrasin (emblématique de la région pour la préparation de galettes mais importé à 70%), le colza, le blé panifiable, les fruits et légumes ou le chanvre.
- L’organisation de la commande publique pour acheter des produits agricoles favorisant une protection de la ressource en eau.
- La sensibilisation et l’éducation à la consommation durable sur le territoire, également en accompagnant l’évolution des régimes alimentaires.
- Le développement de circuits alternatifs de commercialisation.
- L’accompagnement de la transformation des filières d’élevages avec une réduction du chargement global, une plus grande proportion d’élevages économes en intrants (engrais, produits phytosanitaires, aliments concentrés) et une augmentation de l’autonomie alimentaire.
La feuille de route est le scénario Afterres 2050 qui a fait l’objet d’un travail de déclinaison sur le territoire avec le concours des différents partenaires.
Concernant le développement des filières, la démarche vise à placer les agriculteurs au cœur de la stratégie de valorisation locale, en les mettant en lien avec les autres maillons de la filière : organismes stockeurs, meuniers, boulangers et producteurs de galettes pour les filières sarrasin et blé panifiable par exemple. L’objectif est d’aboutir à des contractualisations pluriannuelles pour sécuriser le revenu des agriculteurs et le développement des cultures, et assurer une installation du label dans les rayons sur le moyen terme.
Concrètement, l’appui financier à la structuration des filières peut notamment prendre deux formes :
- Subventions aux organismes de conseil et de développement (CA, CIVAM, CETA, IBB)
- Soutien à l’investissement d’entreprises « Terres de Sources-compatibles » via la prise de participation au capital des sociétés ayant des projets d’investissement allant dans le sens de la transition agroécologique du territoire (transformation fruits et légumes, légumineuses, filière chanvre en tant qu’éco-matériau…).
Les indicateurs utilisés par le projet permettent un suivi à trois niveaux
Le suivi d’un tel projet nécessite de suivre une batterie d’indicateurs à différentes échelles, et dans différents objectifs.
1/ Au niveau opérationnel, des indicateurs de pilotage du projet sont assez classiques, permettant de suivre sa bonne gouvernance, la réalisation des actions décidées, et le suivi des décaissements notamment.
2/ Les impacts territoriaux sont appréhendés en deux catégories qui mobilisent les indicateurs suivants :
- Impact sur les usagers, social et économique
- Nombre d’acteurs impliqués (reflet direct de la satisfaction vis-à-vis du projet sur les plans de gouvernance), intérêt économique, pertinence de la démarche
- Chiffres d’affaires lié au projet
- Régime alimentaire des habitants
- Impact environnemental
- Qualité et quantité d’eau (au moins à l’échelle des bassins versants de captage)
- Enjeux gaz à effet de serre (maîtrise consommation carburant et engrais)
- Biodiversité (échelle du territoire)
3/ Enfin, Terres de Sources s’appuie sur l’évaluation des pratiques agronomiques des exploitations engagées dans le projet, pour réaliser une estimation des impacts territoriaux :
- Diversification des productions
- Consommation d’intrants : utilisation d’engrais, de produits phytosanitaires, et d’aliments concentrés
- Préservation des milieux (notamment via augmentation du linéaire bocager) : zones humides et têtes de bassins versant, milieu aquatique, sols
Pour quantifier ces indicateurs, de nombreuses sources de données sont accessibles à Terres de Sources par conventionnement avec les organismes dépositaires de ces données (l’accès aux données nominatives peut-être compliqué pour des questions de confidentialité). En particulier, sont utilisés :
- Le registre parcellaire graphique de la PAC
- Les données de flux d’azote de la directive nitrates qui pourraient être transmis par les services de l’Etat dans le cadre du programme d’investissements d’avenir
- L’observatoire des ventes de produits phytosanitaires transmis par l’Agence de l’eau
- Les données comptables des exploitations
- Des couches d’informations géographiques mises à disposition par Bretagne Environnement (zones humides potentielles et effectives, bocage, ...)
- Des données chiffrées issues de l’Agence Bio
- Les diagnostics IDEA réalisés dans le cadre du projet par différents prestataires (Chambre d’agriculture, GAB, CIVAM, CETA, Contrôle laitier, …)
L’échelle de suivi et d’analyse des impacts sur la qualité de l’eau est celle des sous-bassins versants, qui peuvent représenter quelques centaines à quelques milliers d’hectares. Ce maillage assez fin permet de cibler sur chaque zone des problématiques spécifiques, et ainsi d’inciter les agriculteurs à des évolutions de pratiques plus efficientes. Les résultats de l’évolution des pratiques sur la qualité de l’eau sont toutefois décalés dans le temps en raison de l’inertie du milieu, et la causalité entre évolution des pratiques et évolution de la qualité de l’eau peut ne pas être si évidente à mettre en lumière.
Il est possible qu’un paradoxe soit rencontré par le projet, avec une amélioration des pratiques au sein des exploitations labellisées d’une part, mais une dégradation de la qualité de l’eau d’autre part. Une première explication pourrait alors être que la part des exploitations engagées dans la démarche au sein de chaque bassin versant reste plutôt faible. En effet, les 50 exploitations concernées par le projet actuellement ne représentent que 2,5% des 2000 exploitations des territoires concernés. Ainsi, les pratiques des exploitations non-labellisées constitueraient une menace par rapport aux impacts environnementaux attendus au niveau du territoire.
Une seconde explication pourrait aussi être que les critères de labellisation ne sont pas suffisants pour garantir un impact fort sur la qualité de l’eau.
Discussion : des indicateurs de moyens pas forcément suffisants pour se traduire en impacts environnementaux
Dans le projet Terres de Sources, l’objectif est d’arriver à une réduction des pollutions d’origine agricole des eaux, notamment nitrates et pesticides.
Une originalité de la démarche est le mode de rémunération des exploitations engagées dans la démarche, par une mise en avant des produits agricoles de ces exploitations au niveau du territoire, via le label Terres de Sources.
Une autre originalité est la volonté d’entraînement par l’accompagnement à la construction de filières, pour impliquer économiquement un plus grand nombre d’exploitations et d’entreprises agro-alimentaires.
Le projet est en phase de montée en puissance en 2021, et il est plausible que l’intégration d’une plus grande proportion d’exploitations du territoire à la démarche renforce l’impact du projet.
Toutefois, la labellisation ne se base pas sur des résultats de la qualité de l’eau « produite » par chaque exploitation, mais plutôt sur une interdiction de certaines pratiques (certains pesticides, pas d’antibiotiques en préventif, …) et une évaluation de la durabilité des exploitations.
Si les interdictions contribuent a priori à la réduction de la concentration des substances concernées dans l’eau, l’évaluation de la durabilité n’a qu’un effet supposé sur la réduction des autres polluants. Il est possible (et souhaitable) qu’une exploitation labellisée Terres de Sources qui améliore son score IDEA ait un impact plus faible sur la pollution de l’eau, mais cela ne le garantit pas.
On peut donc imaginer que le nombre d’exploitations labellisées augmente, que les scores de ces exploitations s’améliorent, sans toutefois que la pollution de l’eau captée ne diminue ! Cela traduit la difficulté à relier des pratiques agricoles avec leurs impacts réels sur les différentes composantes de l’environnement.
Le projet Terres de Sources pourrait proposer une approche plus centrée sur les impacts :
- Si les polluants sont des pesticides, des accompagnements ciblés sur leur utilisation par les exploitations pourraient aider à réduire leur concentration dans les eaux de captage (utilisation de la « Méthode du diagnostic parcellaire du risque de contamination des eaux superficielles par les produits phytosanitaires (DPR) », incitation au désherbage mécanique, …)
- Si les polluants sont des nitrates, il serait possible de réaliser des mesures de l’azote potentiellement lessivable (APL) présent dans les sols, dans les sous-bassins versants concernés pour mieux localiser les parcelles suspectées de pollution. Ces parcelles pourraient faire l’objet de mesures annuelles de l’APL, avec accompagnement ciblé à la demande des exploitants pour réduire le risque de pollution (l’exemple de l’association wallonne Protect’eau qui accompagne les exploitants du territoire dans leurs obligations vis-à-vis de la directive Nitrates est une source d’inspiration intéressante à ce sujet https://protecteau.be/fr/nitrate/agriculteurs/apl/controle-apl).
Dans les deux cas, il est à noter que :
- un projet de territoire comme Terres de Sources peut accompagner les exploitations volontaires, et aider à sensibiliser largement autour de la question de la qualité ;
- mais aussi que le projet n’a pas de pouvoir réglementaire et n’a pas vocation à se substituer à des obligations légales ;
- et enfin que la qualité environnementale du territoire dépend évidemment des impacts d’acteurs extérieurs au projet (particulier, agriculteurs non intéressés, entreprises agro-alimentaires, …).
Le cadre réglementaire et politique a donc évidemment un impact au moins aussi important que celui d’un projet de territoire, bien que celui-ci joue un rôle complémentaire.
En conclusion, on peut noter que le projet Terres de Sources a la volonté de réduire les pollutions d’origine agricole de l’eau au niveau des bassins d’alimentation en eau de la population du bassin rennais. La mobilisation des leviers économiques (marché public aujourd’hui, label demain, paiements pour services environnementaux en complément) témoigne de la volonté d’inscrire la protection de la ressource dans le temps long, en partenariat avec les consommateurs du territoire.
Un choix a été fait d’estimer les impacts territoriaux du projet à travers le suivi des pratiques agronomiques au niveau des exploitations (avec les limites discutées ci-dessus). Pour quantifier ces pratiques, l’accès aux bases de données pertinentes semble parfois compliqué. L’ouverture en cours des données publiques pourrait toutefois en faciliter l’accès pour des projets qui nécessitent de toucher largement la profession agricole (problématique de la part des exploitations agricoles engagées dans la préservation de la ressource) et de pérenniser les actions sur le temps long (question de la dynamique des polluants dans le milieu).
Enfin, la cohérence des actions du projet avec les politiques publiques et réglementations est indispensable pour que la réduction des concentrations en polluants soit réelle.
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