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Éditorial

Antoine Messéan1, Christian Bockstaller, Michel Duru, Yves François, Bertrand Omon, Philippe Pointereau, Christine Rawski, Jean-Marie Séronie

1 Université Paris-Saclay, INRAE, UAR Eco-Innov  antoine.messean@inrae.fr

Cette livraison de la revue de l’AFA s’inscrit dans le prolongement du débat agronomique « Comment promouvoir des pratiques agronomiques vertueuses dans la réforme de la PAC ? »,organisé par l’Association Française d’Agronomie (Afa) en 2020 dans des conditions particulières. En raison de la crise sanitaire, ce débat a été réorganisé en une série de webinaires et d’ateliers qui se sont déroulés entre juin 2020 et janvier 2021. Pendant cette période, l’actualité autour de la réforme de la PAC a été riche, pour arriver à la conclusion d’un accord de principe en juin 2021.

 

Dans ce numéro, nous souhaitons alimenter la réflexion sur les modalités d’accompagnement de la transition vers des systèmes agri-alimentaires plus durables par la politique publique. Nous souhaitons montrer comment l’agronomie, seule ou avec d’autres disciplines, peut proposer des instruments et des outils permettant aux politiques agricoles de répondre au triple défi climatique, nutritionnel et sanitaire auxquels l’agriculture est confrontée.

En effet, dans un contexte de changement global et de fortes attentes sociétales, l'agriculture doit être multi-performante, et doit s'engager vers de profondes mutations. C'est pourquoi il est attendu que les systèmes agricoles soient pensés, pilotés et évalués en fonction de leurs impacts réels (« résultats ») et non uniquement par leur nature (« moyens ») comme cela a été le cas jusqu’à présent. Toutefois, des mesures adaptées au contexte local et un pilotage par les impacts réels restent difficiles à intégrer dans des textes réglementaires et nous pensons qu’il y a un défi pour les agronomes à proposer des pratiques multi-performantes et des instruments simples pour les adapter à chaque contexte et les évaluer.

 

En ouverture de ce numéro, Hervé Guyomard revient sur les trente dernières années caractérisées par une évolution continue de la PAC, analyse les raisons pour lesquelles, selon lui, les efforts pour intégrer des objectifs et des instruments climatiques et environnementaux se sont soldés par un échec, dont il faut tirer les enseignements pour guider la réforme en cours. Si cette réforme inclue une architecture climatique et environnementale, il craint que cet accord ne soit pas à la hauteur des enjeux climatiques et environnementaux, Il regrette par ailleurs l’insuffisante attention portée sur les voies et moyens de remédier à la difficile conciliation des performances économiques et environnementales. Il plaide enfin pour une collaboration étroite entre économie, écologie et agronomie au service de la double performance économique et écologique.

Emmanuel Petel présente l’esprit de la réforme telle qu’initiée par la Commission Européenne, équilibre entre objectifs environnementaux plus ambitieux, lien plus fort avec la recherche et l’innovation, basculement d’une logique de moyens à une logique de résultats, associé à une subsidiarité plus forte quant aux moyens à mettre en œuvre. Il souligne l’impératif de disposer d’indicateurs de suivi transparents et mesurables.

Cette première partie donne également la parole à plusieurs points de vue plus généraux autour des politiques publiques. Alain Mangeol plaide pour une intégration plus forte de l’approche territoriale dans les politiques agricoles. Michel Duru et ses co-auteurs adoptent un point de vue prospectif en analysant les scénarios alimentaires possibles à l’horizon 2050 pour atteindre la neutralité carbone et discutent les trajectoires associées. Ils en soulignent les contraintes respectives, analysent leurs implications en termes d’innovations et pour les politiques publiques actuelles.

 

La seconde partie aborde des témoignages d’agronomes de terrain sur les relations entre agronomie et politiques publiques.

François Kockmann nous présente trois témoignages relatifs aux actions locales.

Dans le premier, Christophe Perraud présente la proposition des réseaux CUMA, TRAME et CIVAM pour que la prochaine PAC soutienne, sous la forme d’un contrat d’engagement collectif vers l’agroécologie, les dynamiques collectives susceptibles d’accélérer cette transition. Ce contrat renforcerait plusieurs mesures actuelles du second pilier et en introduirait de nouvelles, comme la prise en compte du financement de l’animation des collectifs sur les territoires, la reconnaissance du droit et du temps passé à l’expérimentation par les agriculteurs ou le fléchage d’aides à l’investissement collectif à l’échelle des territoires et des systèmes agri-alimentaires. 

Le témoignage de L. Borey, agriculteur et président de la Coopérative « Bourgogne du Sud », illustre le fait que le Développement Agricole, en particulier les Chambres d’agriculture (CA) ont de longue date accompagné un certain nombre d’actions relatives à la biodiversité. Pour créer les conditions de l’adhésion des agriculteurs aux futures mesures, il est essentiel de les associer dans la conception de systèmes de culture et de mesures confortant la biodiversité, en valorisant leur pragmatisme (faisabilité, opérationnalité) et leur vision systémique.

Le troisième témoignage recueilli par François Kockmann est porté par deux conseillers de la Chambre d’Agriculture de Saône et Loire, Hervé Lecatre, conseiller d’entreprise en région Charolaise et Bertrand Dury, écologue et pédologue, qui abordent la question de la synergie potentielle entre compétitivité des élevages de bovins allaitants et biodiversité. Ils partagent également leurs expériences de terrain sur les instruments de politiques publiques et l’évolution de leur métier.

Enfin, Bertrand Omon fait part de son expérience de conseiller qui accompagne des collectifs d’agriculteurs depuis 30 années dans leurs transitions. Il décrit le rôle de l’évaluation multicritère dans cette démarche d’adaptation permanente au contexte en permanente évolution…

 

La troisième partie aborde la question centrale du numéro : quels critères et indicateurs permettent de concevoir de nouveaux systèmes agricoles plus durables ?

Michel Duru et Olivier Thérond proposent un cadre d’analyse qui articule deux grilles d’évaluation des systèmes agricoles : la caractérisation des impacts des systèmes sur les ressources et l'environnement d’une part, les services fournis par la biodiversité à l'agriculture et à la société de l’autre. Après avoir appliqué ce cadre à différents systèmes, agriculture raisonnée, agriculture de conservation, agriculture biologique, ils discutent comment ces évaluations pourraient être mobilisées par les politiques publiques pour relever les grands défis à l'agenda de l’agriculture.

A partir de deux études de cas de transition agroécologique, Pauline Lécole et Marc Moraine soulignent le rôle potentiel des collectifs agricole pour faciliter la transition agroécologique, en organisant à une échelle locale des systèmes diversifiés, interconnectés, à même de favoriser leur autonomie, leur adaptabilité et leur résilience en cas de choc. Ils observent que la PAC actuelle ne soutient que marginalement ces dispositifs et proposent des indicateurs permettant d’en évaluer l’impact.

Philippe Pointereau et ses collègues présentent le dispositif des Paiements pour Services Environnementaux, mesure qui s’inscrit dans l’orientation « Faire de l’agriculture une alliée de la biodiversité et accélérer la transition agroécologique », du Plan Biodiversité adopté par le 4 juillet 2018 visant à reconnaître et rémunérer les services environnementaux produits par les agriculteurs. Ils présentent les caractéristiques de l’expérimentation conduite par l’Agence de l’eau Adour-Garonne depuis 2019 et en tirent les premiers enseignements en termes d’intérêt potentiel pour les agriculteurs, le territoire et les opérateurs publics.

En s’appuyant sur l’atelier participatif de l’AFA sur « Comment utiliser les données déclaratives de l'exploitation ? », Jean-Marie Séronie et ses co-auteurs proposent des indicateurs traitant d’enjeux environnementaux (diversité culturale, pression phytosanitaire, émission de gaz à effet de serre) et calculables simplement à partir des données déjà disponibles dans les documents comptables et les déclarations de la PAC des agriculteurs.

Dans le même esprit, Adeline Michel et ses co-auteurs présentent la méthodologie d’indicateurs de développement durable que les Cerfrance de Normandie et de Mayenne-Sarthe ont mis au point en 2010. A partir de la comptabilité de leurs adhérents, ils proposent des indicateurs qui permettent de positionner les exploitations par rapport aux enjeux de la durabilité, directement accessibles sans phase de collecte de données supplémentaires. L’objectif est de sensibiliser à ce concept de développement durable mais aussi de suivre les évolutions de systèmes dans des collectifs d’agriculteurs.  

Daniel Helle et Jérôme Busnel partagent l’expérience du projet Terres de Sources, mis en œuvre par la collectivité de Rennes, afin d’accompagner l’agriculture du territoire vers une meilleure préservation de la qualité des eaux, et plus largement de l’environnement. Ils en décrivent l’ambition et l’organisation et présentent les différents indicateurs de moyens et d’impacts, utilisés à l’échelle du projet, des pratiques agricoles et du territoire.  Ils insistent sur l’implication nécessaire de l’ensemble des acteurs du territoire et des filières et soulignent l’insuffisance des indicateurs de moyens pour estimer les impacts réels.

Gégica Wendtwoin et ses collègues présentent un résumé de l’étude réalisée par INRAE pour le compte de l’ADEME sur les “Démonstrateurs territoriaux du stockage de carbone dans les sols” qui pourraient accompagner la mise en place de la stratégie bas carbone en agriculture. L’étude (i) propose un protocole de mise en place d’une méthode MRV (Impact climat des investissements) à bas coût, simple dans sa mise en œuvre, reproductible dans différents contextes et sur de grands territoires, en dessine les limites et (ii) analyse les différents modèles d’affaires et de chaîne de valeur d’un démonstrateur carbone et les conditions de sa mise en œuvre.

Partant du constat que toute diversification n’est pas bonne en soi car ses performances dépendent des cultures introduites et de la manière de les assembler, Olivier Keichinger et ses co-auteurs présentent un indicateur de diversité globale des cultures qui prend en compte les diversités taxonomique, fonctionelle et spatiale. L’indicateur permet d’estimer a priori l’effet de la diversification des rotations à la fourniture de douze services écosystémiques

 

Dans la dernière partie, nous esquissons une ouverture hors de nos frontières.

Tomas Garcia-Azcarate nous décrit comment s’est élaboré le plan stratégique national espagnol et présente certains des éco-régimes qu’il intègre. Il souligne que la réforme de la PAC doit s’accompagner d’un retour en force de l’agronomie (« Chassez l’agronomie, elle revient au galop »). Il plaide à nouveau pour une politique qui soit non plus seulement agricole, mais également alimentaire et territoriale et, à ce propos, regrette les rendez-vous manqués des réformes précédentes.

Daniel Lucantoni est ses coauteurs nous présentent l’outil TAPE, développé sous l’égide de la FAO, afin de fournir un cadre analytique global pour évaluer les performances agroécologiques des systèmes agricoles. S'appuyant sur divers cadres d'évaluation existants, développé par une approche participative et conçu pour rester simple et facile d’utilisation, TAPE peut aider les agriculteurs, mais aussi les gouvernements, les services de vulgarisation agricole et les scientifiques à identifier les forces et les faiblesses des systèmes de production et des systèmes alimentaires.

 

Inutile de rappeler que ce dossier est loin d’être clos, les débats autour de la réforme de la PAC se poursuivent, les Plans Stratégiques Nationaux sont en cours de soumission et les instruments de gouvernance et d’évaluation des impacts restent à mettre en œuvre. Notre revue restera à l’écoute des réactions et des contributions nouvelles.

 

Bonne lecture !