Quelles approches pour estimer et certifier la variation du stock de carbone organique du sol ?
Gécica Yogo1, Mathieu Noguès2, Eric Ceschia3, Suzanne Reynders4, Thomas Eglin5
1 INRAE, Programmes Prioritaires Internationaux (PPI) sol & climat, Ingénieure carbone du sol, wendtwoin.yogo@inrae.fr
2 INRAE, Programmes Prioritaires Internationaux (PPI) sol & climat, Ingénieur projet carbone, mathieu.nogues@inrae.fr
3 Centre d'Etudes Spatiales de la BIOsphère (CESBIO), Directeur de Recherches INRAE, eric.ceschia@cesbio.cnes.fr
4 INRAE, Responsable Partenariat Environnement, Direction Scientifique Environnement, suzanne.reynders@inrae.fr
5 ADEME, Service Forêts, Alimentation, Bio-économie, Direction Productions et Energies Durables thomas.eglin@ademe.fr
Résumé
L'augmentation des stocks de carbone dans les sols agricoles présente un potentiel important dans les stratégies de lutte contre le changement climatique impliquant le secteur agricole. Il est mis en avant dans les politiques publiques, au niveau national (ex: Stratégie Nationale Bas Carbone) comme européen (ex: Carbon Farming Initiative), et des initiatives visant à valoriser économiquement le stockage de carbone se développent. Deux freins majeurs ont néanmoins été identifiés : la difficulté à évaluer l'impact sur le climat des projets de stockage de carbone et le développement de chaînes de valeur soutenables économiquement, en particulier pour les agriculteurs. A l'issue d’une étude co-financée par l’ADEME[1], des recommandations sont faites pour évaluer la quantité de carbone stocké dans les sols en grandes cultures. Pour évaluer un projet de stockage de carbone dans les sols en grandes cultures, il est recommandé (i) de s’appuyer sur des outils de modélisation validés scientifiquement (ex : AMG, SAFYE-CO2), (ii) de comptabiliser le différentiel de stockage de la dynamique du carbone entre le scénario du projet et un scénario de référence, et non le stockage brut, (iii) d’évaluer l’ensemble des émissions de GES liées à l’évolution des pratiques et (iv) de s’appuyer sur des données satellitaires (ex : Sentinel 2) pour estimer les entrées de carbone par les cultures/couverts végétaux dans le sol.
Il est également recommandé de s’assurer (i) que les agriculteurs bénéficient d’une rémunération carbone juste, cohérente avec les risques pris et les coûts matériels (pratiques agricoles, investissements) et immatériels (apprentissage, tâches administratives) relatifs aux changement de pratiques, (ii) que les structures de conseil réalisent un accompagnement soutenu des agriculteurs afin de lever les différents freins pouvant être rencontrés, (iii) que les agriculteurs soient regroupés localement afin de faciliter le partage d’expérience et l’acquisition de nouvelles connaissances, (iv) de permettre un cofinancement privé et publique des projets.
Summary
Carbon storage in agricultural soils has great potential in strategies to combat climate change involving the agricultural sector. It is promoted in public policies, both at the national level (e.g., the National Low Carbon Strategy) and the European level (e.g., the Carbon Farming Initiative), and initiatives to economically value carbon storage are being developed. However, two major obstacles have been identified: the difficulty of assessing the climatic impact of carbon storage projects and the development of sustainable economic value chains, particularly for farmers.
Recommendations for assessing the amount of carbon sequestered in croplands soils are made following a study cofunded by ADEME. To assess a carbon storage project in croplands, it is recommended (i) to rely on scientifically validated modeling tools (e.g. AMG, SAFYE-CO2), (ii) to account for the differential in carbon dynamics storage between the project scenario and a reference scenario, and not the gross storage, (iii) to assess the full GHG emissions related to changes in practices, and (iv) to rely on satellite data (e.g., Sentinel 2) to estimate the carbon inputs by cover crops into the soil.
It is also recommended to ensure (i) that farmers benefit from a fair carbon remuneration, consistent with the risks taken and the material costs (agricultural practices, investments) and immaterial costs (learning, administrative tasks) related to the change of practices, (ii) that advisory structures provide sustained support to farmers in order to remove the various obstacles that may be encountered, (iii) that local farmer groups are fostered to facilitate the sharing of experiences and the acquisition of new knowledge , (iv) and encourage private and public cofunding of projects.
Introduction
Établie par la Loi de Transition Énergétique pour la croissance verte, la stratégie Nationale Bas-Carbone définit une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre jusqu’à 2050. Elle a notamment pour ambition d’atteindre la neutralité carbone en 2050. La France fait face à un défi majeur pour le secteur agricole : elle doit viser 37 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2030 par rapport à l’année de référence de 2005 pour l’ensemble des secteurs non ETS[2], dont l’agriculture. A cet enjeu de réduction s’ajoute un enjeu de séquestration du carbone qui peut apporter une réponse satisfaisante à la volonté nationale de contribuer à l’effort global d’adaptation et d’atténuation des impacts du changement climatique. Le potentiel de stockage de carbone dans les sols agricoles français est élevé : 1008 Mt C pour la couche arable, 1360 Mt C pour le sol profond (Chen et al., 2018). La restitution de l’étude nationale « Stocker du carbone dans les sols français » en Juin 2019 (Pellerin et al., 2019) a mis en lumière le potentiel technique de séquestration de carbone dans les sols agricoles français, ainsi qu’une évaluation économique (coût technique) de la séquestration de carbone dans le sol.La valorisation économique du carbone séquestré est nécessaire dans la mesure ou seule une faible partie du potentiel peut être réalisée sans incitation. Une valorisation de la séquestration à 55 €/t éqCO2 (le niveau initialement prévu de la contribution climat-énergie pour 2019) permettrait de soutenir les agriculteurs dans les dépenses engagées pour changer leurs pratiques (achat de nouveaux équipements, semences de couverts intermédiaires, formations, etc.). Le développement des projets de réduction des émissions de GES/stockage C dans le cadre du Label Bas-Carbone (LBC) pourrait favoriser le stockage et la conservation des stocks de carbone. Cela représente une opportunité économique pour les agriculteurs, à condition d’avoir un retour sur investissement suite à la mise en place de leviers de réduction d’émissions et après prise en compte des coûts d’évaluation des stocks de carbone et des émissions avant/après projet et l’obtention de crédits carbone. Toutefois, les méthodes permettant de suivre et de vérifier le stockage de carbone dans les sols agricoles sont encore peu développées et les modèles économiques associés à ce processus de vérification ne sont pas encore bien définis.
Éléments de vocabulaire
Le marché volontaire s’adresse à des acteurs (entreprise, collectivité, association, particulier, …) qui ne sont pas soumis à une obligation de compensation ou à ceux qui souhaitent aller au-delà de leurs obligations en achetant des crédits carbones.
Le Label Bas Carbone (LBC) : Créé par le ministère de la Transition écologique et solidaire, le Label Bas Carbone a pour objectif de contribuer à l’atteinte des objectifs climatiques de la France en offrant des perspectives de financement à des projets locaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et/ou de stockage de carbone dans les sols.
Un démonstrateur carbone repose sur une chaine de valeur pouvant impliquer des agriculteurs, des agrégateurs, des acheteurs, des organismes techniques et scientifiques et un certificateur. Ce démonstrateur permet la rémunération des acteurs grâce à une méthodologie et à la vérification du carbone stocké.
Deux types de freins ont été identifiés lors d’entretiens préalables réalisés par Jean-François Soussana et Suzanne Reynders auprès d’experts dans le développement de démonstrateurs carbone lors du projet VOluntary CArbon Land Certification (VOCAL) en 2015 :
- La difficulté à évaluer le stockage de carbone dans les sols ainsi que la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES)
- Manque de diversité d’outils d’évaluation du bilan GES intégrant la composante C du sol validés scientifiquement, opérationnels et pouvant être déployés à grande échelle avec un coût acceptable.
Il existe peu d’outils calculant le bilan GES complet prenant en compte systématiquement le carbone du sol et lorsque c’est le cas, les estimations reposent parfois sur des facteurs d’émissions non spécifiques au territoire et donc moins précis.
- La réversibilité du carbone stocké et les impacts sur le bilan de GES. Le carbone stocké dans le sol ne l’est jamais de façon définitive. Il dépend principalement de la pérennité des pratiques agricoles sur le long terme, garantes du maintien de stocks de carbone élevés.
- L’additionnalité des pratiquespour limiter les effets d’aubaine. Il s’agit de vérifier l’additionnalité des pratiques, c’est-à-dire du carbone effectivement stocké en plus, par rapport à un scénario de référence (baseline) pouvant inclure lui aussi des pratiques déjà stockantes.
- La détectabilité du stockage du carbone dans le sol. Dès lors qu’une pratique vertueuse vis-à-vis du stockage de carbone dans le sol est mise en place, le stockage se met en place progressivement et peut prendre plusieurs années avant de pouvoir être mesurable (et donc potentiellement valorisable économiquement).
- Des dynamiques de stockage contrastées. Les dynamiques de stockage de carbone dans le sol sont dépendantes de beaucoup de facteurs, dont les conditions pédo-climatiques. Ainsi, pour une même pratique, la dynamique de stockage pourra être variable selon les conditions dans lesquelles elle est mise en place. Aussi, le stockage additionnel aura tendance à être plus faible pour un stock initial de carbone élevé que pour un stock initial faible.
- Les risques d’accroissement d’émissions de GES associés aux pratiques stockantes. Outre l’utilisation des engins agricoles qui peut être accrue pour mettre en œuvre des pratiques stockantes, mais qui représente des émissions très faibles au regard de l’effet stockage C, certaines études montrent que sans adaptation des pratiques de fertilisation azotée, les pratiques permettant de stocker du C dans les sols peuvent d’engendrer des émissions de GES accrues (ex. N20).
- Le développement d’une chaîne de valeur soutenable économiquement
- Chaîne de valeur et rémunération des agriculteurs. Les agriculteurs doivent bénéficier d’une rémunération accrue pour mettre en place et maintenir des changements de pratiques agricoles en s’engageant dans ces changements sur plusieurs années ou décennies. Cette rémunération des agriculteurs dépend elle-même des quantités produites (rendements, rotations), des prix consentis par les acheteurs (coopératives, industries), et de la valorisation des crédits carbone générés ou des produits alimentaires.
- L’aversion aux risques. En s’orientant vers des pratiques agricoles plus vertueuses pour le stockage de carbone dans le sol, l’agriculteur prend des risques, notamment économiques (perte de rendement au début, besoin d’investissements, …) mais aussi sociaux (besoin de formation, regards des pairs…), particulièrement en période de transition. Accompagner les agriculteurs durant ces transitions est donc nécessaire afin de limiter leur aversion au risque.
INRAE, très impliqué dans ce processus, a pris en charge l’étude ADEME “Démonstrateurs territoriaux du stockage de carbone dans les sols” en 2019 afin de lever les freins identifiés. Les deux objectifs de cette étude ont donc été :
- de déterminer un protocole de mise en place d’une méthode MRV à bas coût, simple dans sa mise en œuvre, reproductible dans différents contextes et sur de grands territoires, et d’en dessiner les limites.
- d’analyser les différents modèles d’affaires et de chaîne de valeur d’un démonstrateur carbone, les motivations des acteurs, les barrières et les besoins d’accompagnement et de connaissances, le cadre légal et contractuel, le cadre économique et la prise en compte des risques auxquels sont sensibles les différents acteurs.
Ces deux éléments, traités dans l’étude “Démonstrateurs territoriaux du stockage de carbone dans les sols” sont à retrouver dans leur version complète aux adresses suivantes :
- Méthodologies d’évaluation et de suivi du bilan carbone des sols et recommandations pour l’écriture d’une méthode Label Bas Carbone https://hal.inrae.fr/hal-03212854
- Cadrage de modèles d’affaires possibles pour la mise en œuvre d’un démonstrateur carbone : https://hal.inrae.fr/hal-03230793
Les principaux enseignements de cette étude sont décrits ci-après.
Présentation des résultats de l’étude « Démonstrateurs territoriaux du stockage de carbone dans les sols »
Etude sur l’évaluation du carbone stocké dans les sols
Nous avons étudié les méthodologies d’évaluation et de suivi du bilan carbone des sols. Trois méthodes d’évaluation et de suivi du bilan C possibles sont identifiées, avec différentes méthodologies, outils et données mobilisables ainsi que des recommandations pour le cas particulier des grandes cultures en France.
Option 1 : Outil de modélisation de l’évolution de la matière organique des sols, par ex. STICS (Brisson et al., 2003 ; Coucheney et al., 2015), Aqyield[1], la partie AMG (Clivot et al., 2019) de Simeos-AMG avec une extension ABC’Terre (Delesalle et al., 2019) pour le bilan Gaz à Effet de Serre (GES) complet à des échelles plus larges que l’exploitation agricole.
Dans le cas français, l’outil Simeos-AMG présente l’avantage d’être opérationnel et de simuler la plupart des cultures/rotations et prend en compte un grand nombre de pratiques. Le principal inconvénient de cet outil est qu’il requiert beaucoup de données d’entrées dont l’acquisition engendre des coûts. De plus, à ces données d’entrées sont associées des incertitudes qui sont élevées dans le cas des biomasses restituées au sol (ex. utilisation de références régionales pour estimer les biomasses de couverts enfouis) et qui pèsent sur la précision des calculs de variation du stock de Carbone.
Option 2 : Bilan carbone à la parcelle ou en infra-parcellaire sur de larges territoires avec le modèle agrométéorologique piloté par des images de télédétection comme SAFY-CO2 (Pique et al., 2020).
C’est une approche spatialisable à grande échelle nécessitant très peu de données concernant les pratiques. Il y a une prise en compte très réaliste du développement de la végétation et des restitutions de biomasse au sol et sa mise en œuvre est peu couteuse.
Les principaux inconvénients sont qu’il y a uniquement 4 cultures paramétrées (peu de rotations peuvent être simulées), qu’il y a une dépendance aux données satellites (risque en période nuageuse que l’approche soit inopérante) et une représentation très simpliste du sol.
Option 3 : Couplage des options 1 et 2 avec prise en compte de la variabilité des propriétés de sol en surface (ex. par télédétection) pour l’optimisation de l'échantillonnage des sols (servant de données d’entrée au modèle sol ou de données de validation).
Les 2 approches couplées SAFY-CO2-AMG pour le calcul des bilan Carbone offrent plus de précisions sur les restitutions de biomasse au sol via le satellite et des simulations des processus de sol, sur les variations de stocks de C dans le sol à condition de disposer d’analyses sol récentes à la parcelle pour initialiser AMG.
Par ailleurs, il faut noter que les différents modèles sont sensibles aux données d’entrées. Ainsi concernant la version 2 du modèle AMG (Clivot et al., 2019) qui permet d’évaluer la composante stockage/déstockage de C dans le sol pour Simeos-AMG, nous avons pu mettre en évidence une sensibilité très élevée de la variation du stock final de carbone du sol à la valeur initiale de stock utilisée pour l’initialisation du modèle. Ce modèle présentait aussi une sensibilité élevée aux données sol de pH, de C/N et de fraction de carbone stable. Les autres variables, auquel le modèle est moins sensible, sont celles modulant le taux de minéralisation de la Matière Organique du Sol (MOS) active (facteurs pédoclimatiques). L’influence de ces variables d’entrées pédoclimatiques (température, précipitations, argiles, CaCO3, pH et C/N) est environ 10 fois moindre sur l’analyse en différentiel (i.e. stock de carbone avec pratique stockante, par rapport au stock de carbone sans pratique stockante) que lorsque l’analyse de sensibilité est faite sur les stocks de C en absolu. D’autre part, en comparant les performances du modèle AMG pour simuler les stocks de C en absolu ou en différentiel avec des couples de traitements référence vs pratiques stockantes, l’erreur du modèle (RMSE) est réduite de 30% pour une estimation d’un différentiel de stocks entre 2 pratiques plutôt que des stocks de C.
Le tableau ci-contre résume les recommandations pour l’acquisition des données d’entrée du modèle AMGv2. A) pour minimiser l’incertitude sur le stockage de carbone résultant de pratiques stockantes (différence de stock entre scénarios de pratiques). B) pour minimiser l’incertitude sur la valeur absolue du stock de carbone après 5 ans dans chaque scénario de pratiques.
Pour un modèle comme SAFY-CO2 piloté par les données de télédétection comme celles issues du satellite Sentinel 2 de l’ESA[4] (10 m de résolution), un des principaux freins est la disponibilité en images satellites. En effet, en zones fortement nuageuses ou lors d’épisodes nuageux prolongés, l’absence d’observations fréquentes des cultures/couverts végétaux peut rendre le modèle inopérant.
Etude sur les modèles économiques
D’après une étude portée par l’OCDE en 2017 (Wreford, Ignaciuk et Gruère, 2017) faisant la synthèse de l’importance des barrières à l’adoption de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, il existe de nombreuses barrières à l’adoption de pratiques agricoles respectueuses du climat et au développement de ces modèles économiques. L’importance de ces barrières peut dépendre de circonstances spécifiques telles que les caractéristiques socio-économiques, les systèmes de culture, les infrastructures existantes, les conditions environnementales, les régulations et les institutions. Ces barrières existent à différent niveaux : celui de la ferme, celui du secteur ou celui des politiques nationales ou internationales.
De nombreux modèles économiques apparaissent ou sont déjà fortement implantés. Dans le cadre de cette étude, nous avons analysé 8 cas de démonstrateurs carbone :
- Nataïs
- France Carbone Agri Association (FCAA)
- Le fond de réduction des émissions en Australie
- Le marché du carbone en Alberta
- Ecotree
Certains projets financent eux même l’adoption de pratiques stockantes afin de contribuer à la lutte contre le changement climatique et d’améliorer la qualité des sols agricoles. D’autres se regroupent auprès d’agrégateurs (associations, entreprises, coopératives) qui permettent non seulement de bénéficier d’économies d’échelles (frais administratif, monitoring, vérification) mais également de faciliter l’accès au système de crédit carbone aux agriculteurs. Certaines plateformes servent de place de marché des crédits carbone permettant de faciliter la vente et l’achat de crédits.
Quel que soit le modèle économique adopté, il est primordial que les agriculteurs touchent une rétribution à la hauteur des risques et des investissements effectués (matériel et immatériels). Aujourd’hui, il est difficile d’obtenir l’information sur les coûts et bénéfices pour l’agriculteur. Un enjeu est de renforcer la transparence des dispositifs sur la répartition de la valeur. L’évaluation de la quantité de carbone stockée est un élément important du coût de ces projets. Il faut trouver le juste milieu entre le coût et la précision.
Si le nombre de modèles économiques et de projets a proliféré ces dernières années, il semble que les porteurs de projets aient éprouvé des difficultés à trouver des acheteurs car 1) le marché du C en agriculture n’était pas suffisamment mature/structuré jusqu’à ce jour et 2) les outils de monitoring labellisés ou certifiés faisaient défaut. La question se posait donc de l’avantage apporté par la génération de ce genre de crédits Carbone. En effet, si leur achat dépendait de la volonté des financeurs et que les réductions d’émissions n’étaient ni échangeables ni remboursables alors les principaux intérêts se trouvaient au niveau de la communication pouvant être effectué par les entreprises acheteuses et dans la préservation de leur chaîne de valeur face au changement climatique.
Quelles leçons pour le développement de démonstrateurs
Il ressort des entretiens effectués dans le cadre de cette étude le besoin d’un cadre méthodologique qui permettrait de combiner des modèles de dynamique de sol (ex. AMG), la télédétection couplée à un modèle agrométéotrologique pour des estimations plus précises de la biomasse des cultures et couverts végétaux restituée au sol, l’accès à des données agriculteurs décrivant les pratiques ayant un impact sur les bilans C ainsi qu’une stratégie d’échantillonnage du sol adaptée à l’initialisation/la validation des simulations de bilans C. De cette manière, les acteurs privés ou publics pourraient utiliser ou adapter les outils existants dans un contexte qui leur est propre.
Les autres enseignements qui peuvent être tirés de cette étude sont qu’il est nécessaire :
- d’être transparent quant à la méthode utilisée. Cela permettrait d’évaluer le niveau de précision des outils utilisés pour mesure la quantité de carbone stockée / ou les émissions évitées ;
- de pouvoir se référer à un document de référence sur les méthodes, qui servirait de référence pour les porteurs de projet et permettrait aux financeurs désirant financer des actions de stockage carbone d’avoir une grille d’analyse des méthodes utilisées par les différents projets. Ce type de document est prévu par le référentiel du label bas carbone et se décline par secteur. Pour les grandes cultures, la méthode est en cours de validation par le Ministère de la Transition Ecologique et est attendue au cours de cette année 2021 ;
- de développer un système qui découragerait la non permanence des pratiques et donc le déstockage de carbone. En effet, à l’heure actuelle ce sont principalement les pratiques de stockage carbone qui bénéficient de financements. Cela décourage les agriculteurs à maintenir leurs pratiques dans la durée et ne rétribue pas les pionniers qui ont déjà stocké du carbone.
Remerciements
Les auteurs souhaitent remercier les développeurs des méthodologies et outils, les experts scientifiques et techniques des équipes INRAE, ainsi que les experts externes des différents modèles économiques étudiés pour leurs précieuses contributions.
Notes
[1] Les travaux présentés ici ont été exécutés dans le cadre d’un projet cofinancé par l’ADEME pour « l’étude de préfiguration de démonstrateurs territoriaux du stockage de carbone dans le sols ». Décision de financement N° 18-03-C0034 du 07/03/2019
[2] Emission Trading System (ETS) en anglais ou Système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE) en français
[3]http://maelia-platform.inra.fr/modeles/processus-agricoles/dynamique-sol-culture-2/dynamique-sol-culture/
[4] Agence Spatiale Européenne http://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/L_ESA_faits_et_chiffres
Références bibliographiques
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Sites consultés
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