Les agriculteurs, acteurs de la biodiversité, à l’aune des politiques publiques
Entretiens avec L. Borey 1, E. Chaumont2, A. Villard2 - recueillis par F. Kockmann3
1 agriculteur à Crissey, Président de la coopérative « Bourgogne du Sud » à Verdun-sur-le-Doubs
2 conseillers en agronomie au service Territoire à la Chambre d’Agriculture de Saône et Loire, 59 rue du 19 mars 1962 BP522 71010 Macon
3ex-Chambre d’agriculture de Saône et Loire. 284 route du stade 01600 –Reyrieux France. francois.kockmann@wanadoo.fr
Introduction
La réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) en cours comprend un enjeu majeur : la prise en considération de la biodiversité. Or, ce fût déjà un sujet central lors des réflexions relatives à la Stratégie Régionale de la Biodiversité (SRB) en Bourgogne, en 2012. Le Développement Agricole, en particulier les Chambres d’agriculture (CA) ont de longue date accompagné et/ou engagé un certain nombre d’actions relatives à la biodiversité : la négociation de la PAC s’inscrit donc dans une histoire, qu’il convient de reconnaître pour créer les conditions de l’adhésion des agriculteurs aux futures mesures. Il est également pertinent de les associer dans la conception de systèmes de culture et de mesures confortant la biodiversité, en valorisant leur pragmatisme (faisabilité, opérationnalité) et leur vision systémique. C’est pourquoi le présent article est centré sur le témoignage de L.Borey, agriculteur, président de la Coopérative « Bourgogne du Sud », dont la diversité des expériences vécues et des responsabilités exercées (Encadré n°1) rend particulièrement intéressant le recueil de son point de vue. Le témoignage, rapporté sous la forme d’un entretien entre l’auteur (FK) et l’agriculteur (LB) comprend quatre sections : un retour sur le temps fort de la SRB en 2012 ; l’analyse critique des mesures de la PAC récente pour favoriser la biodiversité ; la prise en compte de la biodiversité, au cœur de la transition agroécologique mais aussi enjeu majeur du renouveau dans le champ du conseil ; un focus sur certaines orientations de la PAC à venir. Le témoignage est enrichi et conforté par l’expertise de deux conseillers en agronomie et environnement de la chambre d’agriculture de Saône et Loire, E. Chaumont et A. Villard (Encadré n°3). En conclusion, l’analyse transversale des différents entretiens conduit l’auteur à identifier quelques recommandations pour rendre la future PAC plus attractive.
Encadré 1
Lionel Borey, est agriculteur avec un associé, Christophe Berger, sur une exploitation orientée en grandes cultures, dans le Chalonnais, en bordure du Val de Saône. Ingénieur ISARA, il s’est investi dès son installation en 1997 dans les structures, locales et professionnelles, sur les problématiques agronomiques (Déclinaison de la directive nitrate, microbiologie des sols et impacts des pratiques agricoles). En 2012, animant le collectif « Biodiversité » à la Chambre Régionale d’Agriculture de Bourgogne, il contribue fortement au positionnement de la Profession agricole lors de la consultation relative à la Stratégie Régionale de la Biodiversité (SRB). Outre son implication à la CA de Saône et Loire sur les enjeux agro-environnementaux, L. Borey est partie prenante dans le pilotage de la Coopérative Agricole et Viticole Bourgogne du Sud, dont il assume depuis janvier 2021 la Présidence, succédant à D. Laurency ; il exerce différents mandats nationaux (administrateur à la Fédération des producteurs Oléo Protéagineux - FOP) et régionaux (présidence de la Fédération Régionale des Coopératives -FRCOOP).
La consultation relative à la SRB, en 2012 : un temps fort de positionnement de la Chambre Régionale d'Agriculture de Bourgogne (CRAB)
La biodiversité est à la croisée de différentes politiques publiques (PP). La Région et l’Etat copilotent l’élaboration de la SRB en lien avec le Schéma Régional de Cohérence Ecologique (SRCE) en prenant appui sur le Comité Régional Biodiversité et le Comité Scientifique Régional du Patrimoine Naturel. Le SRCE est un document cadre conçu par la Région et l’Etat avec un Comité Régional Trame Verte et Bleue : il vise la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques. La Stratégie de Création des Aires Protégées (SCAP) initiée en 2009, gérée par l’Etat, vise une protection forte de 2% du territoire métropolitain pour préserver des espèces et habitats menacés. Le Plan Local d’Urbanisme (PLU) est le principal outil de planification de l’urbanisme au service d’un projet global d’aménagement du territoire de la commune ; il est régi par le Code de l’Urbanisme ; depuis le Grenelle II, le PLU intègre la prise en compte de la Trame Verte et Bleue, le programme local de l’Habitat, le plan de déplacement urbain.
FK : Lors de la consultation sur la SRB , en 2012, qui a pour objet d’associer tous les acteurs, la CRAB représentant la profession agricole mentionne dans sa contribution que l’érosion de la biodiversité constitue une responsabilité collective, résultant des activités humaines, avec une artificialisation croissante des terres et souhaite être davantage associée aux démarches de prospective territoriale telles que les PLU et le SRCE plutôt que d’être simplement convoquée pour valider les conclusions de travaux tels que ce fût le cas pour la Trame Verte et Bleue.
LB : En premier lieu, je soulignerai que les enjeux autour de la perte des terres agricoles ont été perçus par les élus : c’est un point très positif des PP depuis 10 ans. Les objectifs très contraignants sur les documents d’urbanisme font que l’utilisation de foncier, hier démesurée, est devenue beaucoup plus économe et responsable. Je l’ai vécu sur ma commune à Crissey située en périurbain, autour de Chalon sur Saône, avec les impacts liés aux bâtiments industriels, aux infrastructures et à l’urbanisme en pleine expansion au point que je m’interrogeais lors de mon installation il y a 23 ans sur la pérennité de mon exploitation (EA). Aujourd’hui nous avons la lisibilité sur le devenir des terres et l’assurance de les préserver, nous pouvons nous projeter. Certes on ne va pas corriger les erreurs de mitage du passé comme en Bresse ou dans le Chalonnais, que nous, agriculteurs, subissons durablement : contraintes logistiques, organisationnelles et réglementaires ! L’aménagement du territoire impacte fortement agriculture, paysage et biodiversité. Aujourd’hui les élus alignent les PP sur les enjeux de la biodiversité qu’ils ont perçus mais au risque d’oublier les autres enjeux tels que ceux liés à la gestion de l’eau (inondabilité, ressources) ! Cette absence de vision transversale, systémique, me gêne !
FK : Dans sa contribution à la SRB, la CRAB intègre la biodiversité dans un modèle de développement agricole résolument orienté sur la recherche d’une agriculture compétitive, diversifiée, économe en intrants, intégrant les enjeux environnementaux et énergétiques. Dans cette perspective, la biodiversité « ordinaire ou fonctionnelle », sous réserve d’un investissement conséquent et soutenu de la recherche, offre un potentiel d’innovations agronomiques et écologiques bienvenues pour relever les multiples défis auxquels est confrontée l’agriculture. La contribution met en exergue une conception dynamique de la biodiversité, avec une recherche de synergies avec l’agriculture, en opposition à la conception figée de défense de la nature correspondant aux zonages visant à préserver la biodiversité « remarquable ».
LB : Par rapport à la biodiversité je ne fais pas de distinction entre remarquable et ordinaire, j’ai une vision globale du territoire, où des équilibres en dynamique se font ; toutes les activités humaines façonnent le paysage ! L’idée de sectoriser 12% en biodiversité remarquable en Saône et Loire ne m’intéresse guère, je préfère me concentrer sur les 88% restants. Au demeurant j’estime qu’à l’échelle de notre département comme de la région Bourgogne Franche-Comté (BFC), nous avons réussi à préserver une biodiversité des territoires, un damier au niveau paysager et une agriculture compétitive et diversifiée : c’est un point fort qui résulte de notre histoire.
FK : Dans sa contribution, la CRAB revendique une gestion adaptative et pragmatique de ces espaces remarquables et s’inquiète de la multiplication des dispositifs réglementaires : SRCE, SCAP…
LB : Par le passé j’ai eu l’occasion d’illustrer concrètement lors d’une journée d’étude à l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture (APCA) sur le thème des Zones Humides, la réalité du « mille-feuilles territorial » pour les agriculteurs du Val de Saône, déjà confrontés aux réglementations relatives à Natura 2000, à la protection des ressources en eau et aux zones inondables. Pour la biodiversité remarquable, je pense que nous avons quitté l’époque où il fallait atteindre des objectifs chiffrés de surfaces plus ou moins sanctuarisées avec diverses procédures de zonage et de contractualisation, objets de mesures d’accompagnement telles que les Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (MAEC).
FK : Dès 2010, alors responsable professionnel à la CA, et convaincu de l’intérêt de valoriser l’extraordinaire réservoir de biodiversité microbienne des sols, vous avez contribué à la coopération avec l’équipe de P. Lemenceau (INRAe Agroécologie /Dijon) pour créer un référentiel représentatif de la diversité des sols (texture, pH) en cultures et en prairies, en Saône et Loire (SL) ; une initiative vivement soutenue par J.Rebillard , alors vice-président du Conseil Régional de Bourgogne, en charge de l’Agriculture. Quels résultats ?
LB : Dans la perspective de mieux connaître l’impact des pratiques agricoles sur la biodiversité des sols, nous avons compris la nécessité d’investir en R&D ; c’est ainsi qu’avec l’encadrement scientifique de L. Ranjard (INRAe), les bases d’un référentiel local ont été progressivement posées par J. Halska (2017). Nous avons ainsi acquis progressivement la capacité d’interpréter les résultats des analyses de caractérisation de la biodiversité microbienne pour une situation donnée. Aujourd’hui, sur notre exploitation, les résultats des analyses biologiques de nos sols de « limons battants » recommandent des apports de matière organique libre et fraîche. Nous avons pour cela deux ressources, l’enfouissement des pailles et la gestion des intercultures, qui sont plus accessibles que le transport de fumier frais ! Hormis pour les terres d’alluvion argileuses, riches en humus, nous n’exportons pas de paille. Par contre, l’optimisation des intercultures pour activer la biomasse, source de biodiversité, constitue désormais un objectif dans le pilotage de notre système de culture. Une réelle prise de conscience que l’Association pour la Promotion de l’Agriculture Durable a faite depuis 10 ans !
Les analyses biologiques des sols devraient connaître un déploiement allant bien au-delà des seuls agriculteurs pionniers, tels que ceux du Réseau d’Expérimentation et de Veille à l’innovation agricole (REVA), surtout dans une période où le stockage du carbone devient un enjeu. Je suggère vivement que, dans l’éco-régime envisagé pour la future PAC visant à soutenir des pratiques agro-environnementales exemplaires sur la base de 70 euros/ha, figure dans la liste d'indicateurs la pratique des analyses biologiques des sols, sur un réseau de parcelles représentatives de l’EA afin d’optimiser la gestion de la biodiversité des sols dans le pilotage des systèmes de culture. Les agriculteurs par cette pratique de contrôles périodiques pourraient disposer d’indicateurs plus pertinents que le traditionnel « taux d’humus » pour évaluer et gérer la fertilité biologique des sols sur leurs EA. Dès lors que nous entrons dans la logique de réduction des intrants, il y a des marges en s’appuyant sur la biologie du sol : nous n’avons jamais dépassé 165 unités d’azote en colza, alors que les préconisations étaient de l’ordre de 210-220, en ayant eu plus de 40 quintaux/ha en moyenne.
La PAC a une opportunité à saisir pour jouer un rôle de levier indispensable par la promotion de cette innovation auprès des agriculteurs - le coût des analyses pouvant constituer un frein (Encadré n°2) ; la PAC aurait ainsi un autre impact : les laboratoires avec un afflux des échantillons pourraient réduire les tarifs d’analyses, les rendant plus accessibles.
Encadré 2 : les analyses biologiques du sol
Sous l’impulsion de l’INRAe (Cannavacciulo et al., 2017), le REVA a retenu une série d’indicateurs constituant un tableau de bord pour diagnostiquer la qualité biologique d’un sol en choisissant une parcelle représentative du système de culture dominant de l’exploitation. Les indicateurs analysés (et leurs coûts exprimés en euros « hors taxes) concernent notamment la vitesse de dégradation de la matière organique (120€ HT), l’abondance et la diversité des champignons (600€ HT) et des nématodes (240€ HT), la détermination des vers de terre (280€ HT), l’analyse de sol (70€ HT).
Une autre démarche, pratiquée par la CRA BFC vise à caractériser l’analyse biologique d’un sol en évaluant la biomasse microbienne, le fractionnement en matières organiques libres et liées et l’activité microbienne révélée par la minéralisation du carbone et de l’azote (environ 300€ HT), base pour des recommandations agronomiques.
FK : En viticulture, la régulation naturelle des ravageurs pour limiter notamment les fongicides, fait l’objet de travaux de R&D conséquents par le Vini Pôle Sud Bourgogne. Toutefois, pour que la biodiversité représente une solution opérationnelle, il est nécessaire d’approfondir les connaissances biologiques des auxiliaires et des ravageurs et la complexité des interactions, ce qui nécessite des protocoles conséquents. De ce fait dans l’immédiat il apparaît difficile pour les acteurs de la filière de limiter le recours aux fongicides lors d’infestations (mildiou, oïdium) dans le contexte pédoclimatique local.
LB : Effectivement, je ne suis pas sûr qu’en grandes cultures, comme évoqué en viticulture, nous ayons encore bien mesuré les effets que nous pourrions tirer des infrastructures écologiques, notamment les haies, par rapport à la régulation des bio-agresseurs.
Le soutien de la PAC à la biodiversité : évaluation des mesures (2015-20) et expression des attentes pour l’avenir
Dans son architecture actuelle, la PAC comprend deux piliers (Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 2020). Le premier attribue des aides directes versées aux agriculteurs ; certaines concernent la biodiversité : le paiement vert lié à la diversité des assolements, au maintien des prairies permanentes et aux Surfaces d’Intérêt Ecologique (SIE) ; le soutien, dégressif avec plafonnement, à certaines productions végétales : semences de graminées, protéines (légumineuses fourragères, soja, protéagineux). Le second pilier est confié aux régions, en charge du Plan de Développement Rural Régional (PDRR), comprenant là aussi des dispositions qui influencent la biodiversité : les Mesures Agro Environnementales et Climatiques (MAEC) Systèmes, les aides à l’Agriculture Biologique (AB) ainsi que le Plan de Compétitivité et d’Adaptation des Exploitations agricoles (PCAE).
FK : les SIE représentent à minima 5% des terres arables dans les exploitations (sauf pour les systèmes herbagers). Outre les éléments topographiques (haies, bordures de fossés, bandes tampon, talus, mares), les SIE incluent les jachères (fleuries, mellifères) mais aussi les surfaces portant des plantes fixatrices de l’azote ainsi que et les cultures dérobées sous réserve d’être cultivées sans phytosanitaires. Dans quelle mesure ces dispositions ont rencontré un écho sur le terrain ?
LB : Dans la très forte majorité des entreprises agricoles (EA) en Bresse-Chalonnais-Val de Saône, les éléments topographiques suffisent pour atteindre le seuil des 5 %. Quant aux plantes fixatrices d’azote, nous avons historiquement initié puis développé la culture du soja non OGM dans notre région (Photo n°1). Malheureusement, il est aujourd’hui compliqué de le cultiver sans recourir à un minimum de protection phytosanitaire : en conséquence nous n’avons pu bénéficier de cette disposition. Idem pour les cultures de portes graines type trèfle semence, que nous avons introduites à l’échelle de 1500 ha toujours dans notre région, avec comme pour le soja, un Indice de Fréquence de Traitement (IFT)[1] des plus faibles (aucun fongicide, peu d’insecticide et désherbage mécanique associable à la lutte chimique, le trèfle étant en outre implanté pour deux ans). « Les mesures « en tout ou rien », sans modulations, sont très pénalisantes ! Quant aux cultures dérobées la réglementation a imposé des règles de semis si rigides en faisant abstraction du contexte climatique de l’été qu’elles n’ont été mises en pratique que marginalement, sur certaines exploitations laitières : une illustration d’un modèle sclérosant et inadapté ! »
FK : la diversité des assolements, modulée selon la taille de la sole en terre arable et de la présence de certaines cultures sur l’EA se concrétise le plus généralement par un assolement comprenant à minima trois cultures, la culture la plus importante et les deux cultures les plus importantes inférieures respectivement à 75% et à 95% de la surface arable. Quel impact ? Parallèlement des aides ont été prévues pour soutenir les cultures riches en protéines. Quelle est votre analyse ?
LB : Il est clair qu’en grandes cultures, le levier le plus important pour réduire les intrants, c’est introduire les légumineuses et les protéagineux pour allonger les rotations et diversifier les assolements tout en gérant les inter-cultures. Toutefois, les exigences relatives à la diversité des assolements sont restées sans impact pour la très grande majorité des EA, qui ont des assolements plutôt diversifiés ; seules de rares EA avec un assolement très simplifié ont été concernées. Sinon, le soja a bénéficié d’une aide très incitative au démarrage mais qui a régressé au fil du temps, 23 euros/ha sur notre EA, car l’enveloppe négociée était fermée, fixée pour la durée de la PAC alors que le soja s’est beaucoup développé ! Certes pour l’administrateur gestionnaire des fonds publics, la mesure a été pertinente, jouant sur son effet de levier, mais pour l’agriculteur, c’est différent ! L'aide doit se poursuivre en attendant que le marché prenne le relais, ce qui n'est pas encore le cas.
Sur notre EA, nous cultivons le trèfle porte-graine, soutenu à hauteur de 140 euros/ha. Cette aide est déterminante car l’intérêt du trèfle semence se raisonne à l’échelle de la succession de cultures par ses effets bénéfiques comme précédent cultural, sinon en lui-même, son intérêt est trop limité. Au cours de la période récente, nous avons accentué la diversification de l’assolement, en limitant la sole en blé à 90 ha sur les 265 ha de SAU et en rééquilibrant les cultures d’automne (colza, blé) et de printemps (soja, maïs). Nous avons avec le trèfle, cultivé deux années consécutives, un précédent remarquable (structure du sol, fourniture en azote) pour le blé. Avec le soja, nous désherbons le blé en post-levée précoce et c’est suffisant ! Donc nous avons une succession culturale intéressante, qui nous permet aujourd’hui de maîtriser le Ray Gras Italien qui constitue la difficulté majeure en désherbage. Récemment, l’altise perturbe fortement dans le colza. Nous recherchons une solution via les plantes compagnes. Fort de notre expérience sur l’EA, je crois surtout à la diversification des cultures et à la gestion des intercultures pour maîtriser l’IFT des cultures.
FK : La Coopérative Bourgogne du Sud a toujours été entreprenante pour rechercher une diversification des cultures : par rapport au plan Protéines, enjeu majeur, la PAC (2015-2020, elle a consacré environ 2% de l’enveloppe totale des aides directes au soutien des plantes riches en protéines. Quelle analyse ? Quelles attentes ?
LB : Dans le passé, les pouvoirs publics ont bien accompagné la création de filières et d’outils de transformation, par exemple lors du lancement du soja en 1988 et sa transformation avec l’équipement EXTRUSEL pour produire du tourteau valorisé localement. C’est fondamental que les pouvoirs publics soutiennent la prise de risque liée à l’innovation : la construction et la structuration de filières avec les débouchés commerciaux conditionnent la réussite du plan protéines.
Dans le cadre de la structure régionale « Alliance », liant trois coopératives, « Bourgogne du Sud », « Dijon Céréales » et « Terres Comtoises », nous travaillons en transversalité à l’échelle BFC sur le projet « Profilait » retenu dans un appel à projet de France Agrimer, et accompagné par le Conseil Régional, avec les appuis de la CRAB, de l'INRAe et de la Fédération Régionale du Syndicat des Exploitants Agricoles. Ce projet vise à répondre à la volonté des producteurs de lait (en conventionnel et en Appellation d’Origine Protégée) d’inscrire dans leurs cahiers des charges le fait de « se sourcer en protéines les plus locales possibles à commencer par celles produites sur les exploitations puis en grande région ». C’est là une disposition majeure pour sécuriser les éleveurs, qui font face à une flambée des matières premières, et les céréaliers ! C’est toute la stratégie de relocalisation des filières qui peut trouver ainsi son sens.
La PAC a bien sûr un rôle à jouer dans l’accompagnement du plan Protéines. En 2014, j’étais alors à la FOP, nous n’étions pas prêts mais les mesures retenues n’ont pas non plus été à la hauteur pour avoir un déploiement des protéines végétales en France. Voilà trois ans, en qualité de Président de FRCOOP en BFC, j’ai participé à un séminaire à Bruxelles abordant entre autres l’autonomie protéique de l’Europe à l’horizon 2030 durant lequel j’ai été surpris par la persistance du « schéma historique » : notre compétitivité reconnue pour le blé avec une logique d’exportation et, inversement, notre incapacité à être compétitif en protéines, objet d’importations ! Depuis, au niveau régional, via la filière « soja » où nous sommes leaders, nous avons cherché à convaincre de l’intérêt de soutenir l’adoption des cultures protéiniques, pour diversifier les assolements : « c’est l’urgence majeure ! Le plan Protéines est enfin sorti au niveau national en 2020 »
Par rapport à la PAC à venir, le soutien et l’accompagnement explicite du plan protéines avec des mesures fortes sont déterminants : les suggestions de la FOP ont été en partie intégrées en particulier dans l’éco-régime.
FK : Vous êtes à proximité du Lycée Agricole de Fontaines : le modèle herbager, vertueux pour la biodiversité, de la ferme laitière en Agriculture Biologique (AB) du lycée fait-t-il école ?
LB : Par rapport à l’orientation en AB, nous la situons dans nos projections à 5 ans aux environs de 5 à 10% maximum pour « Bourgogne du Sud » et « Terres Comtoises » alors que « Dijon Céréales » entrevoit un potentiel de 20% des surfaces ; nos situations sont différentes. De mon point de vue, l’AB peut se situer à terme à 20% au niveau national, mais guère au-delà.
Au sujet de l’orientation vers un système laitier herbager, tel qu’encouragé dans les MAEC Systèmes herbagers avec régression du maïs, je serai plus prudent, en référence à notre expérience récente des épisodes de sécheresse estivale. En effet, le maïs reste une ressource fondamentale pour reconstituer un stock et donc être moins dépendant des aléas. Cela renvoie aux progrès génétiques, -un puissant levier pour la biodiversité. En maïs, les variétés « Stressless » ont une faculté de résistance au stress hydrique que nous avons vérifiée sur notre EA entre 2003 et 2020, années sèches en récoltant 15 qx et 45/50 qx respectivement ! En Franche-Comté les éleveurs se posent beaucoup de questions avec les adaptations au changement climatique. En AOP montagne, pourtant très exigeante, le droit d’affourager dans une certaine proportion en maïs vert est acté ; là encore cet exemple invite à préserver de la souplesse dans les systèmes !
FK : La mise en pratique de systèmes de culture valorisant la synergie entre agriculture et biodiversité nécessite l’acquisition d’agroéquipements nouveaux et spécifiques ; la PAC a prévu des aides dans le cadre du PCAE : votre point de vue ?
LB : Il est clair que l’acquisition de matériels performants conditionne l’expérimentation puis la généralisation de nouvelles pratiques. Pour valoriser les aides publiques à bon escient, il faut les orienter vers les Coopératives d’Utilisation de Matériels en Commun (CUMA) pour l’acquisition (i) des équipements d’appoints tels qu’un éco-rouleau qui sert à détruire les couverts par écrasement mécanique, avec un débit de chantier important ou (ii) des matériels innovants tels que les semoirs équipés pour réaliser des mélanges pour cultures associées ou cultures avec plantes compagnes (photo n°2) ; nous pouvons ainsi les tester et les évaluer dans notre contexte local. Par expérience, un soutien généralisé et individuel à l’acquisition de matériels contribue à l’évolution de leurs prix à la hausse incontrôlée que nous subissons depuis 10 ans.
La transition agroécologique, la biodiversité et le renouveau dans le champ du conseil
FK : En 2014, la Loi d’Avenir (site Ministère de l’Agriculture et Alimentation ) a donné à l’agroécologie une priorité transversale à l’agriculture ; fondée sur la valorisation de la biodiversité, la transition agroécologique requiert un accompagnement en matière de conseil, ainsi qu’une reconnaissance des savoir-faire pratiques et locaux des agriculteurs, en créant notamment des dynamiques de partage d’expériences ; c’est l’un des intérêts des Groupements d’Intérêt Economique et Ecologique (GIEE), soutenus par le PCAE.
LB : En qualité d’agriculteur, je n’ai pas adhéré à cause de la surcharge administrative ; je suis agacé par la lourdeur alors que nous pourrions faire de façon tout aussi efficace avec moins de contraintes. En fait je préfère m’investir dans les groupes sur la biologie des sols et le club Agro-Eco animé par la COOP : ce sont des réseaux d’échanges entre agriculteurs avec tours de plaine sur les parcelles, observations, évaluations, en sachant qu’aujourd’hui, pour relayer et diffuser les informations, nous avons les Webinaires ! Les expérimentations type plates-formes restent indispensables mais alors que nous avions du mal ces dernières années à les faire visiter par les agriculteurs, nous avons pu transférer les conclusions par 27 petits films en 2020 ! En plus c’est très adapté à un public de jeunes agriculteurs ! Et c’est très complémentaire des réseaux d’échanges sur le terrain.
FK : La Loi EGAlim (site Ministère de l’Agriculture et Alimentation), entrée en application depuis le 1/01/2021, impose la séparation entre la vente et le conseil de produits phytosanitaires ; elle prévoit un conseil spécifique relatif aux recommandations d’utilisation des produits et un conseil stratégique individuel de gestion des bio-agresseurs, fondé sur un diagnostic de l’exploitation, posé et renouvelé deux fois en cinq ans ; la finalité du conseil stratégique est de réduire l’usage des phytosanitaires, et don , de valoriser la biodiversité.
LB : Pour les coopératives, c’est une nouvelle donne : nous allons mobiliser des profils de conseillers plus orientés vers l’approche système d'exploitation, en lien avec l'agronomie, avec une vision globale du fonctionnement de l’EA et de sa trajectoire d’évolution. C’est un champ de renouveau fort intéressant qui mobilisera des expertises plus larges ; le conseil stratégique peut faire l’objet d’une coopération avec les CA. En amont de sa pratique, un réel enjeu concerne la mobilisation des données enregistrées par nos soins, nous, agriculteurs, afin que, lors de l’audit, le temps consacré à la collecte de données soit le plus faible possible. Cela présuppose que les systèmes d’enregistrement des trois développeurs principaux que sont ISAGRI, SMAG, MESPARCELLES soient compatibles pour un transfert de données entre éditeurs, sachant que l’agriculteur doit en garder la maîtrise. La gestion des données relatives à la traçabilité des pratiques, développée depuis des années, constitue une source d’informations conséquente qui pourrait être valorisée pour des outils de pilotage au niveau du volet agronomique.
FK : La certification Haute Valeur Environnementale (HVE) intègre des critères relatifs à la biodiversité. Quelles perspectives ? Quels partenariats ?
LB : Nous devons aussi en matière de conseil comme de R&D, rechercher la complémentarité entre les réseaux. Les COOP et CA ont un intérêt réciproque à jouer la synergie et le partenariat. Nous avons un champ de coopération potentiel notamment avec la démarche HVE, qui s’inscrit historiquement dans le sillage de la certification initiée avec l’Agriculture Raisonnée (AR) pour laquelle la CA sous l’impulsion de P. Moretty, alors responsable du pôle Environnement a été motrice. L’HVE revêt trois niveaux ; en perspectives, le niveau 2, qui se rapproche de l’ex- AR, paraît accessible à environ 80% des EA, alors que le niveau 3, le plus exigeant au niveau environnemental, est envisageable pour environ 20 à 30 % des EA. Ce sera sûrement un axe de la future PAC ; toutefois il existe à ce jour une grande disparité dans le système de certification entre EA !
Pour HVE 2, il est possible de rechercher des certifications de filières : le blé CRC (en Culture Raisonnée Contrôlée), initié en Bourgogne, en est un exemple. Nous pourrions être proactifs pour étendre cette démarche à d'autres filières comme la moutarde, le maïs de Bresse, le soja et autres. Alors il serait intéressant de considérer qu’un agriculteur adhérent à la COOP, contractualisant un % de ses surfaces avec des cultures certifiées dès lors qu’un seuil prédéfini est atteint, soit valorisé en HVE 2 et puisse activer l'éco-régime : c’est une suggestion.
La PAC à venir : prise en compte des impacts des pratiques, changement climatique, nouveau paradigme
FK : Un enjeu majeur est de favoriser l’adoption de pratiques agronomiques adaptées au contexte local et pilotées par leurs impacts réels (résultats) et non uniquement par leur nature (moyens) : une double exigence difficile à intégrer dans des textes réglementaires. Pour promouvoir les pratiques agronomiques adaptées au contexte local, intégrant la biodiversité, vous avez souligné l’intérêt de soutenir la pratique des analyses biologiques des sols ainsi que plus largement le rôle déterminant de l’accompagnement du plan protéines. Par rapport à la valorisation de la biodiversité, avez-vous d’autres réflexions à partager ?
LB : Un risque serait d’imposer au travers de l’éco-régime une rotation à l’échelle de la parcelle et non plus un assolement à l’échelle de l’EA. Ce serait une très grave erreur car c’est méconnaître totalement la réalité avec les aléas climatiques qui nécessitent fréquemment de s’adapter et de modifier une rotation initialement prévue ! « Ce serait s’enfermer dans une logique d’hyper réglementation ! Nous retrouvons là encore le schéma récurrent de la PAC qui met en place des dispositifs générateurs de risques bien supérieurs aux gains, ce qui explique l’attitude de résignation des agriculteurs. Il est de loin préférable d’être plus exigeant sur la diversité des assolements avec des indicateurs simples et significatifs sur le poids des légumineuses par exemple »
FK : Restons sur la question du changement climatique (CC), devenu prégnant dans le métier d’agriculteur. Comment « Bourgogne du Sud » anticipe pour aider ses adhérents à s’adapter à la transition agroécologique dans ce contexte ?
LB : Globalement nous avons deux axes. Le premier vise à répondre à l’accompagnement des EA en agronomie, notamment au niveau de l’évolution des systèmes de culture et des systèmes fourragers ; c’est l’enjeu du conseil stratégique déjà évoqué. Le second axe c’est en R&D, l’innovation finalisée sur la diversification : sous l’impulsion de M. Duvernois, ex-directeur, la culture de la vigne en Bresse, sur deux sites de 30 ha, est testée pour la production de raisins plutôt que de les importer d’Espagne ! L’enjeu est de repérer les cultures qui ont un potentiel de développement dans notre milieu, sachant que la question de la ressource en eau va devenir majeure : les vignes expérimentées sont en système d’irrigation au goutte à goutte. L’objectif est de saisir les opportunités de diversification pour limiter l’exposition des EA aux aléas et favoriser les installations. Nous sommes acteurs du territoire et avons une responsabilité sur le maintien d'une densité d'EA.
FK : En 2017, l’Association Française d’Agronomie a amorcé l’exploration des synergies entre nutrition et agronomie (AE&S n°7-1), esquissant un changement de paradigme avec une vision systémique entre « agriculture-environnement-alimentation-santé » ; on parle volontiers aussi de relocalisation des systèmes alimentaires. Quelle prise en compte ?
LB : Suite au retrait de Val D’Aucy, usine de conserverie de légumes de plein champ, nous avons créé à Ciel une structure en mode start-up, pour travailler les protéines végétales texturées en vue de l’alimentation humaine. Nous avons opéré un transfert d’expertise de notre centre EXTRUSEL, en sachant que nous avions constaté au terme d’une analyse de marché que nous avions une carte à jouer en appliquant ce process au soja de France non OGM puis à d’autres graines produites en AB notamment et en réalisant des tests à la demande de différentes structures ; le projet est donc lancé avec un partenariat avec SOFIPROTEOL au niveau national.
Plus largement en BFC, notre stratégie est d’amplifier la complémentarité entre les filières mais aussi de contribuer à les faire reconnaitre. Dans le contexte actuel, l’enjeu des filières est de rechercher de la valeur ajoutée en répondant à la diversité des exigences des consommateurs.
Encadré 3 : le témoignage des conseillers en agronomie
FK : Pouvez-vous partager votre expertise sur la diversité des cultures en Bresse-Chalonnais-Mâconnais-Val de Saône, Petites Régions Agricoles (PRA) en polycultures-élevages classées en Zones intermédiaires pour la PAC ?
EC-AV : En référence au graphique n°1, l’assolement en 2015 à l’échelle des PRA mentionnées illustre la diversité régionale des cultures, caractérisée par une alternance entre cultures d’automne (colza, orge d’hiver, blé), avec échelonnement des dates de semis et cultures de printemps (tournesol, mais, soja). Depuis 2015 les principales évolutions concernent la très forte régression du colza liée à la gestion des altises et aux conditions sèches et le retour du soja à son niveau d’extension des années 90, environ 10 000 ha en Saône et Loire. Les cultures de blé et de maïs grain restent dominantes, avec des fluctuations interannuelles selon le climat de l’automne permettant des emblavements en bonnes conditions plus ou moins conséquents.
La diversité des cultures constitue un atout pour la gestion des adventices principales. Toutefois, pour la gestion d’adventices difficiles comme l’ambroisie, les leviers agronomiques sont peu efficaces et le mauvais nettoyage des machines à la récolte peut contribuer aux infestations. De même le ray-grass reste préoccupant avec beaucoup de phénomènes de résistance. En EA localisées en zones vulnérables délimitées par la directive Nitrate, la réglementation impose la pratique des cultures intermédiaires, accentuant par-là la diversité des successions culturales même si en Val de Saône inondable, la monoculture de maïs, entrecoupée parfois par un soja, continue à prédominer.
Quant à la PAC récente, les aides aux cultures riches en protéines n’ont pas constitué un élément décisif. Le rebond du soja est lié au contexte international et à la stratégie persévérante de la COOP pour défendre le soja certifié non OGM. Pour les autres cultures, légumineuses fourragères, pois d’hiver, féverole, voire lentilles, les aides de la PAC n’ont pas impulsé leur développement, très marginal ; sans filières locales, c’est difficile.
Les MAEC Systèmes en Grandes Cultures et en Polycultures-Elevage, telles que retenues en zones intermédiaires, étaient difficiles à conseiller aux agriculteurs, car inductrices de risques et de pénalités très conséquents ! Les 5 exploitations engagées en MAEC système ont dû faire des efforts importants notamment pour atteindre le niveau d’IFT requis ou pour tenir certains rapports entre cultures/prairies au sein de l’assolement ! Si nous intégrons le coût des démarches administratives en amont pour les rendre éligibles sur des territoires circonscrits, ces mesures ont franchement été un échec ! Enfin, les GIEE ont retenu des objectifs pluriels, rarement finalisés sur la préservation-valorisation de la biodiversité et là encore ce sont des dossiers lourds au niveau de la procédure administrative, limitant de ce fait les ambitions !
FK : L’un des intérêts de la diversité des cultures dans la rotation est de limiter le recours aux phytosanitaires en particulier les herbicides, environ 75% des usages. La PAC recherche des indicateurs de résultats (Bonnaud et Bossuat, 2016) : que pensez-vous de l’IFT calculé au niveau de l’EA ?
EC-AV : Depuis 2010, dans la majorité des EA, l’IFT global est plutôt stable ; en herbicides, le retrait de beaucoup de produits efficaces engendre un effet mécanique d’augmentation de l’IFT par utilisation de produits moins performants ; quant au recours aux produits non herbicides, la tendance est plutôt en légère diminution. A noter que le groupe « Ecophyto 30 000 » situé à l’Est du département, a atteint des IFT bien inférieurs aux IFT du référentiel local ; les EA confrontées au RGI ou à l’ambroisie ont rencontré plus de difficultés. Même en misant sur une extension du soja à environ 15 000 ha, sachant que les autres cultures telles que légumineuses fourragères, protéagineux (pois, féverole) et maïs semence seront marginales, le seul levier de la diversité des cultures dans les rotations nous paraît insuffisant pour réduire significativement l’IFT.
Un second levier concerne le travail du sol : (i) l’alternance dans la profondeur de travail pour réduire le stock semencier des adventices, la réduction de la fréquence du labour ou son remplacement par la pratique des couverts végétaux permanents ; (ii) la pratique de faux semis sur cultures d’automne avec retard de la date de semis : c’est toutefois une pratique inopérante en conditions sèches car alors rien ne lève ! ; (iii) le désherbage mécanique, en cultures sarclées connaît un faible développement car la stratégie est efficace (au moins sur l’inter-rang) mais exige beaucoup de temps et le matériel reste coûteux ; nous suivons avec intérêt un GAEC pionnier, équipé d’une bineuse avec guidage automatisé.
Le réchauffement climatique crée une nouvelle donne qui oblige à repenser les systèmes de culture en gardant l’objectif de réduction des phytosanitaires. Quoiqu’il en soit au-delà d’un certain niveau de réduction, on ne sait plus faire en système conventionnel : il faut soit passer à l’AB, rémunératrice ou à des systèmes intermédiaires qui valorisent économiquement les contraintes (HVE3 ou Paiements pour Services Environnementaux (PSE)). Toutefois au niveau macroéconomique, le modèle a ses limites : 10 à 15% en AB ? Peut-être viser 30 à 40 % en agriculture HVE3 ou PSE ? et rester aux environs de 50% en agriculture conventionnelle ?
En guise de conclusion, quelles recommandations pour rendre la nouvelle PAC attractive ?
Les différents entretiens ont été jalonnés de digressions argumentées, retranscrites seulement en partie par souci de concision, relatives à la complexification de la PAC et à la rigidité et au manque de pertinence de certaines mesures.
La complexification administrative de certains dispositifs, avec des obligations croissantes, est effrayante et décourageante tant pour les agriculteurs que pour leurs conseillers : la logique de contrôle, souvent tatillonne, prédomine ! Or, ce n’est pas en choisissant la voie de l’hyper-réglementation que les acteurs du terrain contribueront à relever les défis aigus posés aux agricultures.
La rigidité des mesures, codifiées alors que leur mise en pratique, inféodée à la diversité des milieux et aux aléas climatiques, exige des adaptations pour ne pas s’exposer à des risques économiques inconsidérés, explique leur insuccès auprès des praticiens. Or avec le CC, il est indispensable de prendre conscience qu’être agriculteur aujourd’hui et plus encore demain, c’est être capable de surfer en permanence avec les imprévus climatiques ! Sans occulter les autres aléas liés notamment à la fluctuation des marchés voire la crise sanitaire actuelle.
Le manque de pertinence de certaines mesures révèle l’insuffisante articulation entre les décideurs publics, le développement et la recherche : la PAC impose parfois des contraintes sur des pratiques alors que la R&D n’est pas en capacité de proposer des solutions alternatives concrètes dans l’immédiat et inversement, parfois la PAC ne prend pas les dispositions pour « booster » auprès du plus grand nombre des innovations opérationnelles et accessibles validées par la R&D.
Ces traits marquants sont lourds de conséquences : les agriculteurs pionniers, qui explorent des alternatives et testent des innovations sur leurs exploitations ne sont pas reconnus ni accompagnés dans leur prise de risques ; or ils ont un rôle déterminant auprès de leurs pairs, pour faire évoluer les pratiques agronomiques dans leur contexte local. L’enjeu paraît majeur dans la mesure où il ressort des différents entretiens qu’une majorité d’agriculteurs sont aujourd’hui plutôt désabusés par l’exercice de leur métier dans un tel contexte de réglementations multiples et de fortes incertitudes.
Par ailleurs, l’expertise collective « Agriculture et biodiversité. Valoriser les synergies » (Le Roux et al., 2008) soulignait le contraste entre les territoires au Nord et au Sud de la France. Un enjeu de la PAC à venir est aussi de mieux prendre en considération la diversité des territoires en laissant aux acteurs locaux une réelle latitude pour hiérarchiser les priorités, coopérer et innover ensemble (Filippi, 2012). Dans cette perspective, la gestion du second pilier, confiée aux régions, est génératrice de mesures et dispositions plus ajustées à la diversité territoriale ainsi qu’à la création et au soutien de filières locales indispensables.
Notes
[1] L’IFT est un indicateur qui rend compte du nombre de doses de produits phytosanitaires (herbicides, insecticides, fongicides) appliqués par ha pendant une campagne culturale ; il peut être calculé à l’échelle d’une parcelle, de la sole d’une entreprise agricole ou d’un territoire.
Références bibliographiques
Association française d’agronomie (2017). Nutrition et agronomie, Agronomie-Environnement&Sociétés -juin 2017, Volume n°7-1, 125 pages.
Bonnaud T. et Bossuat H. (2016). Guide Méthodologique des « Indicateurs » des PDAR - Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Forêt. DGPE/SCPE/SDPE/BDA. Document édité en juin 2016, 44 pages
Cannavacciulo M., Cassagne N., Riou V., Mulliez P., Chemidlin N., Dequiedt S., Villenave C., Cérémonie H., Cluzeau D., Cylly D., Vian J.-F., Peigné J., Gontier L., Fourrié L. 8, Maron P.-A., D’oiron Verame E., Ranjard L. (2017). Validation d’un tableau de bord d’indicateurs sur un réseau national de fermes en grande culture et en viticulture pour diagnostiquer la qualité biologique des sols agricoles. InnovationsAgronomiques 55 (2017), 41-54.
Chambre d’Agriculture de Bourgogne (2012). Les agriculteurs, acteurs de la Biodiversité sur les territoires de Bourgogne. Document édité en septembre 2012 - 6 pages, consultable sur site bourgognefranchecomte.chambres-agriculture.fr/Saône-et-Loire/environnement.
Filippi Maryline (2012). Affirmer le modèle coopératif agricole français : entre ancrage territorial et développement international - INRA-SAD Façsade n°37-2012-, 4 pages.
Halska J et Al, (2017). Un référentiel départemental pour la biomasse moléculaire microbienne par Chambre d’agriculture Saône et Loire, INRA UMR Agroécologie, Agrosup-Dijon. Journée Comifer 2017.
Le Roux, X., Barbault, R., Baudry, J., Burel, F., Doussan, I., Garnier, E., Herzog, F., Lavorel, S., Lifran, R., Roger-Estrade, J., Sarthou, J.P., Trommetter M., 2008. Agriculture et biodiversité. Valoriser les synergies. Expertise scientifique collective, rapport, INRA (France).
Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (2020). La PAC en un coup d’œil
- Document édité en avril 2020, 20 pages + annexes. agriculture.gouv.fr/la-loi-agriculture-et-alimentation.
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