Agroéquipements, un puissant levier pour limiter l’usage des produits phytosanitaires ? Témoignages de Bretagne
Laurent Guernion1, Jérôme Lenouvel2, Aurélie Garcia Velasco3
Propos recueillis et mis en forme par Hervé Bossuat4
1 Président FR Cuma Ouest
2 Chargé de mission agroéquipement-agroenvironnement-énergie FR Cuma Ouest
3 Chargée de mission environnement-mécanisation FR Cuma Ouest
4 Chef du pôle Développement-Projets à FNCUMA 43, rue Sedaine CS 91115 75538 PARIS CEDEX 11 herve.bossuat@cuma.fr
Introduction
En Bretagne, le Plan de Compétitivité et d’Adaptation des Exploitations Agricoles (PCAEA) a financé 474 porteurs de projets (Cuma et/ou EA) pour investir dans l’acquisition de matériels agro-environnementaux pour un total de 5,4 millions d’euros en 2015 : la Région s’inscrit ainsi dans le sillage de la recommandation nationale forte du plan Ecophyto II, à savoir actionner le levier des agroéquipements (Agreste Bretagne 2016). La FR Cuma Ouest a pris acte de cet enjeu comme le souligne Laurent Guernion :
« De moins en moins de produits homologués, mise en place des ZNT, conversions à l’Agriculture Biologique, développement de filières sans résidus de pesticides : la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires est une réalité pour les agriculteurs. Pour réduire l’utilisation des herbicides, le désherbage mécanique est un levier essentiel. Depuis de nombreuses années, des Cuma investissent dans des bineuses. Aujourd’hui le réseau Cuma renforce ses actions et décide de s’impliquer plus fortement sur ce sujet : DESHERB’INNOV, un évènement « au champ » pour mettre en valeur les matériels de désherbage mécanique et les experts de ces techniques (…) ; DESHERB’MECA, une action en partenariat, vise à déployer largement le désherbage mécanique dans les exploitations agricoles bretonnes afin de réduire voire supprimer le recours aux herbicides. ( …) . La formation sera principalement déployée pendant la durée du projet auprès des conseillers, des enseignants et des chauffeurs afin de toucher les agriculteurs par un maximum d’acteurs sensibilisés et formés. (….) . Quand il est mis en œuvre, le désherbage mécanique montre encore des marges de progrès. Ces deux actions nous permettront d’avancer autant sur la partie machine que sur les techniques d’utilisation ».
Le présent témoignage prend appui sur un entretien avec le chargé de mission agroéquipement-agroenvironnement Jérôme Lenouvel, FRCuma Ouest (encadré n°1), entretien finalisé sur DESHERB’INNOV et DESHERB’MECA, opérations phares précitées et sur un transfert d’expérience relatif au renouvèlement des méthodes d’animation des structures locales, issu du Mémoire de Fin d’études réalisé dans le cadre du projet CAPACITTA par Aurélie Garcia Velasco, aujourd’hui salariée de la FR Cuma Ouest. Afin de bien contextualiser ce témoignage à double versant, nous posons un diagnostic agronomique pour mieux situer la problématique des produits phytosanitaires en Bretagne.
Encadré n°1 Les chiffres clés de la FRCUMA OUEST (données 2020, issues du site web de la FRCUMA http://www.ouest.cuma.fr/)
La FRCUMA OUEST couvre les territoires correspondant à la Bretagne, la Normandie et les Pays de la Loire ; elle s'appuie sur un réseau de 2405 cuma auxquelles adhérent 55 215 agriculteurs. La Bretagne comprend 4 fédérations de proximité : Ille-et-Vilaine et Côtes d'Armor ; Finistère ; Morbihan ; Mayenne. La FRcuma de l'Ouest apporte son expertise dans de nombreux domaines tels que l'agro-équipement, l'environnement, l'énergie, la gestion de l'espace rural, l'emploi...
Au préalable, un diagnostic agronomique régional finalisé sur les enjeux agro-environnementaux
En agriculture, la Bretagne est indissociablement liée à l’élevage : environ 84% des exploitations agricoles (EA) sont orientées notamment en lait mais aussi en viande porcine et en production d’œufs. En interactions, les productions végétales dominantes - blé, maïs, prairies temporaires - visent à nourrir les différents élevages, qui contribuent en retour, par leurs effluents organiques (27 millions de tonnes en 2015) à la nutrition des cultures. Les apports en azote organique représentent 66% de l’azote épandu, donnant un bilan global moyen de 37kg d’azote par ha de SAU ; en phosphore, les ressources organiques fournissent 88% du phosphore total épandu, le bilan moyen se situe à 12 kg par ha de SAU. Les excès en azote et phosphore sont à l’origine de pollutions des eaux superficielles, qui constituent 80% de l’alimentation en eau potable ; plusieurs dispositifs tels que la mise aux normes des bâtiments, les opérations locales Bretagne Eau Pure ont visé à enrayer la dégradation des ressources.
Un autre aspect de la pollution des ressources en eau concerne le lessivage des produits phytosanitaires épandus sur les surfaces agricoles et non agricoles. En 2015, 158 molécules ont été quantifiées dans les eaux brutes du réseau Corpep3, sachant que l’Ampa, métabolite de dégradation du glyphosate utilisé pour le désherbage total est la molécule la plus quantifiée (92%), la molécule mère restant très présente dans 76% des prélèvements. Des pics de concentration avec des valeurs très supérieures aux seuils ont été observés pour d’autres molécules : propyzamide et isoproturon (herbicides) et surtout thiabendazole (fongicide des légumes) (Agreste Bretagne 2016).

Le blé, l’orge et le colza cultivés sur 27% de la SAU régionale comme le maïs (grain et fourrage) cultivé sur 28% de la SAU possèdent des Indices de Fréquence de Traitement légèrement inférieurs aux moyennes nationales en 2017 (tableau n°1) : les herbicides sont les substances actives les plus utilisées. Les prairies, avec en majorité des prairies temporaires d’une durée de vie de 5 ans, représentent 38 % de la SAU régionale : les traitements herbicides appliqués en préventif lors de l’implantation pour limiter le développement des dicotylédones, ou pour l’entretien des bordures, ou encore lors de leur destruction pour implanter des cultures restent modérés : la pression phytosanitaire sur prairies est faible. Les cultures légumières, sur 50 000 ha, constituent une grande filière agricole (choux-fleurs, artichauts, échalotes, épinards, tomates) ; ces cultures nécessitent une protection phytosanitaire principalement pour la gestion des ravageurs et maladies (insecticides et fongicides).
Dans le réseau national des fermes Dephy / Ecophyto, la baisse des usages de produits phytosanitaires, hors herbicides est de 30 %, donc sensible ; la réduction d’usage des herbicides est plus difficile, notamment dans les successions de grandes cultures, la moyenne masquant des variations tant à la hausse qu’à la baisse. Les hausses sont dues à des dynamiques parfois explosives de salissement des parcelles en grandes cultures, en particulier dans des systèmes à rotations courtes et avec peu ou pas de travail du sol. Lorsque les terres se sont salies, le remplacement d’une culture par une autre, même quand il s’agit de cultures de cycles décalés, ne débouche pas toujours sur une baisse d’usage des herbicides. Cette dernière a deux moteurs principaux : l’introduction de prairies temporaires dans les rotations, le recours au désherbage mécanique ou mixte : cette technique reste cependant très inégalement valorisée (DRAAF, 2019).
Entretien avec Jérôme Lenouvel : investir en agroéquipements performants mais aussi dans la formation agronomique des différents acteurs
Qu’est-ce qui vous a motivé à organiser ces événements Desherb’innov et Désherb’méca ?
Il y a consensus aujourd’hui pour reconnaître que les agroéquipements sont un levier incontournable pour agir sur la réduction des herbicides. Les pouvoirs publics subventionnent significativement l’acquisition de tels équipements (essentiellement via le PCAE : plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles) et les Cuma investissent depuis plusieurs années maintenant dans des bineuses, houes rotatives, et autres matériels de désherbage mécanique.
Mais à l'occasion d'événements de terrain que nous organisons avec nos fédérations de proximité ou d’accompagnement de Cuma, nous avons souvent constaté des défauts dans la maîtrise des chantiers ou de l'itinéraire (semis et écartements irréguliers…). Ces défauts étaient généralement la conséquence de réglages mal réalisés ou de pièces défaillantes sur le matériel du fait d’un mauvais entretien. Par ailleurs, les différents retours d’expérience montrent qu’il ne suffit pas de disposer du matériel dernier cri (photo n°1) pour prétendre contribuer à la transition agroécologique, mais que celui-ci doit être utilisé par du personnel formé d’une part à son usage, d’autre part aux conditions agronomiques de bonne mise en œuvre.
Vous voulez dire qu’il ne s’agit pas uniquement d’un problème de réglage de matériel ?
Le réglage fin du matériel de désherbage mécanique ainsi que son bon entretien sont des éléments clés, toutefois le travail du sol pour préparer le lit de semence ainsi que la qualité du semis sont déterminants. C’est parce que le sol aura été travaillé correctement, à la bonne profondeur, et que les graines auront été semées au bon emplacement, avec le bon espacement, que la germination-levée pourra se faire de manière optimale, permettant une couverture rapide des sols pour concurrencer les adventices et que le désherbage mécanique pourra être efficace (Photo n°2). Pour cela, il faut que les salariés de Cuma qui utilisent le matériel soient bien formés à son usage et à son entretien certes, mais il faut qu’ils disposent également d’un minimum de connaissances agronomiques afin que les interventions soient réalisées dans les meilleures conditions (température, hygrométrie, caractéristiques pédologiques …), connaissances qui leur permettront également de bien appréhender les enjeux (pourquoi on fait les choses de telle ou telle manière).
En quoi Desherb’innov et Désherb’méca sont-ils des leviers pour améliorer les pratiques ?
Desherb’innov est une plateforme de démonstration et un lieu d’expertise sur le désherbage mécanique visant à répondre à une demande croissante de nos adhérents (photo n°3). Le point fort de cet événement est de pouvoir réunir un très large panel de constructeurs au même endroit. Il a consisté en la présentation de cinq ateliers techniques et des principaux outils de désherbage mécanique présents sur le marché (avec un ciblage sur maïs) par des techniciens experts (Agrobio 35, FR cuma ...) : ils ont exposé leurs avantages et inconvénients en fonction des stades de développement des adventices et de la culture, de la facilité / difficulté de réglage des matériels ... Les experts qui sont intervenus pour décrire le fonctionnement de ces matériels ont bien mis en évidence que leur bonne utilisation nécessite de bien connaître le sol, l’histoire de la parcelle pour réaliser un semis régulier de qualité et d’être en capacité d’identifier les adventices, de savoir à quel stade de développement il est pertinent d’intervenir pour garantir un bon niveau d’efficacité …
A partir de ces expertises, nous avons conçu Desherb'méca (Lauréat de l’appel à projets Casdar Arpida , 2020) qui a une approche différente mais complémentaire de la précédente : alors que Desherb’innov relève de l’événement ponctuel, il s’agit ici d’une action de fond, menée en partenariat avec la chambre régionale d’agriculture de Bretagne, la fédération régionale des agrobiologistes de Bretagne, la fédération des Centres Etudes Techniques Agricoles (CETA) 35 et la Fédération des Cuma Bretagne Ille Armor. Elle vise à déployer le désherbage mécanique et ses innovations dans les exploitations bretonnes afin de diminuer, voire supprimer le recours aux herbicides. Le projet développe plusieurs actions pour toucher de manière directe et dynamique un maximum d’agriculteurs, notamment : mise en place d’un réseau de personnes ressources afin de favoriser l'échange et l’apprentissage entre “pairs” ; création de modules de formation, mise à disposition d’outils pédagogiques et réalisation de formations sur le désherbage mécanique. La formation sera déployée auprès des conseillers, des enseignants et des chauffeurs notamment car l’expérience nous a montré que la réussite d’un chantier repose aussi sur la qualité des interactions et des échanges avec les chauffeurs de machines agricoles.
Compte-tenu de votre expérience ainsi partagée en Bretagne, dans quelle mesure diriez-vous que le réseau CUMA est un acteur clé pour contribuer à la baisse d’usage des produits phytopharmaceutiques ?
Le matériel agricole est toujours central dans la création d’une Cuma : un petit groupe d’agriculteurs partageant un objectif d’équipement et imprégné de valeurs collectives, va s’entendre pour investir en commun dans du matériel de qualité, matériel qu’ils seront en mesure de renouveler régulièrement sans « crouler » sous les charges. Et comme je le disais au début de cet entretien, il y a aujourd’hui consensus pour reconnaître l’effet levier des agroéquipements dans la transition agroécologique. L’agroécologie est un terme qui est relativement bien adopté dans le réseau et qui génère de moins en moins d’oppositions. Le maillage territorial du réseau (pour mémoire : 10 000 Cuma à l’échelle nationale, regroupant un agriculteur sur deux) fait que les démonstrations et expérimentations sur les outils « agroécologiquement compatibles » touchent un public important. Et les animateurs de Cuma ont un rôle essentiel pour accompagner les collectifs dans l’émergence de leurs projets et leurs changements de pratiques.
Aurélie Garcia Velasco : transfert d’expérience sur le renouvellement des méthodes d'animation des structures locales
Ayant réalisé son stage de fin d’études finalisé sur l’ingénierie d’outils pédagogiques et d’accompagnement en soutien aux innovations agroécologiques de collectifs d’agriculteurs à la FN Cuma, A.Garcia Velasco reprend quelques résultats majeurs de son travail (Garcia-Velasco A., 2017). Au demeurant, soulignons ici qu’il s’inscrit dans une dynamique d’exploration scientifique antérieure avec en particulier la thèse de V.Lucas dont le résumé fait l’objet de l’encadré n° 2.
Encadré n°2 - L'agriculture en commun : Gagner en autonomie grâce à la coopération de proximité : Expériences d'agriculteurs français en CUMA à l'ère de l'agroécologie (Lucas V.,2018)
En France depuis 2013, des initiatives collectives d'agriculteurs sont soutenues par des politiques publiques visant à développer l'agroécologie, dont la définition inclut l'enjeu d'autonomisation des exploitations. Alors que l'agriculture est traversée par des processus d'individualisation et de déterritorialisation, le législateur a fait le pari que l'organisation collective des agriculteurs au niveau local pouvait favoriser leur autonomisation et leur engagement dans la transition agroécologique. La thèse éclaire ce paradoxe par l'analyse d'expériences d'agriculteurs organisés en Coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA). Ceux-ci développent des pratiques que l'on peut qualifier d'agroécologiques afin de gagner en autonomie, en particulier vis-à-vis des marchés marqués par plus de volatilité des cours. Pour cela, ils reconfigurent leurs modes de coopération de proximité, dont l'organisation de leur CUMA. Les résultats montrent qu'ils arrivent à mettre à distance des ressources et opérateurs marchands externes, grâce à une interdépendance accrue entre pairs, qu'ils acceptent parce qu'elle leur fournit des appuis pour mieux maîtriser leur contexte d'activité. Mais ils manquent de ressources adéquates de la part des autres opérateurs du secteur agricole et alimentaire pour limiter des dépendances restantes. De même, tous les agriculteurs ne bénéficient pas également de ces coopérations approfondies, qui nécessitent des conditions appropriées. Cette thèse précise ces conditions nécessaires pour que la recherche d'autonomie et la coopération de proximité favorisent des processus de transition agroécologique de la part d'une plus large diversité d'agriculteurs.
Du changement de matériel au changement de pratique
De multiples initiatives se développent au sein du réseau Cuma autour de la réduction du recours aux intrants, du développement de l’agriculture de conservation, de l'introduction de légumineuses fourragères dans les assolements, du développement de filières de valorisation de la biomasse locale. Ainsi des groupes d'agriculteurs en Cuma s'engagent dans l'acquisition d'équipements dédiés, dans des échanges autour de leur organisation collective et dans l'expérimentation de nouvelles pratiques. L’entrée du changement de pratiques est ainsi spécifique aux groupes Cuma : c’est à partir d’un investissement commun et de l’organisation collective autour de l’utilisation de l’investissement que le groupe engage de premiers échanges et réflexions autour d’un changement de pratique. Les enseignements des travaux d’étude sociologique (Lamine C., Barbier M., 2017 ; Lucas V. et al., 2018 ; Lucas V., Gasselin P., 2018) ont été confirmés au cours de ces entretiens : les agriculteurs membres de ces groupes mettent en général en place ces pratiques pour gagner en autonomie décisionnelle, financière ou productive. Le lien entre ces besoins et les pratiques agroécologiques n’est pas toujours fait, ni par les agriculteurs, ni par les animateurs. Autour de ces investissements, les groupes s’organisent pour mettre en place d’autres coopérations de proximité, échanges d’expériences et expérimentations. Leurs premières réflexions amènent souvent à de nouvelles innovations, et à diversifier ainsi leurs coopérations et leurs thématiques de réflexion. Ces groupes sont marqués par une grande hétérogénéité des systèmes de productions, objectifs, rapports à l’innovation des membres et l’avancée de leur dynamique collective est souvent portée par un noyau d’agriculteurs moteurs.
Des besoins en accompagnement bien au-delà du conseil classique en agroéquipement
Les besoins d’accompagnement de ces groupes sont de trois ordres : (i) il s’agit d’accompagner l'émergence de ces dynamiques collectives quand des opportunités se présentent (de financement notamment), (ii) d’aider la mise en place de nouvelles pratiques agricoles, par exemple lorsque le groupe est confronté à une impasse agronomique et souhaite s’engager dans l’agriculture de conservation, (iii) ou encore de consolider et élargir la dynamique de transition agroécologique initiée, lorsqu’un groupe souhaite aller plus loin. Les spécificités de ces dynamiques collectives de transition vers l’agroécologie impliquent une mutation de l'accompagnement proposé par le réseau. L’animateur n'accompagne plus la structure Cuma et les échanges ne portent plus uniquement sur l'équipement ou sur l'emploi mutualisés. L’animateur accompagne des groupes d'agriculteurs à géométrie variable, qui coopèrent et échangent autour des évolutions de leurs pratiques agricoles et de leurs systèmes, eux-mêmes très divers, dans des dynamiques de changement inscrites dans un temps très long. Pour cela, les animateurs du réseau Cuma mobilisent une palette d'outils très diversifiés dans une posture d'"accoucheurs d'idées" : ils s’appuient sur l'accompagnement "cœur de métier" du réseau (à partir de démonstrations d'agroéquipement par exemple) qu’ils vont décliner dans une grande diversité de modalités : des séquences de formation, des outils d'accompagnement tels que le conseil stratégique aux Cuma, et les dispositifs publics permettant d'accompagner des logiques de projet ciblées sur la transition agroécologique (GIEE, groupes 30 000, groupes DEPHY, groupes opérationnels PEI, …). Les cibles, contenus, durées et densités des accompagnements permis par ces différents dispositifs publics sont conditionnés par leurs cadres de financement : cotisations, fonds VIVEA (pour la formation), prestations ou bien financements publics liés à des politiques publiques de soutien à l’innovation collective pour la transition (MCAE, GIEE, AEP, projets CasDar « Partenariat & Innovation » intégrant l’accompagnement de « groupes pilotes »…). Ces derniers sont un levier intéressant car ils permettent de dépasser un accompagnement ponctuel pour engager une animation et un suivi plus rapproché des groupes et de diversifier les types d’interventions proposés (Pignal A.C.et al., 2019 ; Cardona et al., 2021).
Une dynamique de changement dans l’animation des groupes, accompagnée par la FNCUMA
Un travail est engagé dans le réseau FNCUMA afin de structurer et de renforcer l’accompagnement auprès de ces groupes : (i) montée en compétences des animateurs dans leur capacité à animer des dynamiques collectives impliquant un dialogue autour des trajectoires individuelles des agriculteurs, (ii) mise en réseau de ces groupes et de leurs animateurs et de l'ouverture au-delà du réseau, en construisant des ponts avec d'autres réseaux de développement, et (iii) capitalisation des dispositifs et outils qu'ils mobilisent. Au niveau de la FNCUMA un dispositif d’échange de pratiques entre animateurs du réseau Cuma accompagnant ce type d’innovations collectives a été expérimenté. Il a confirmé la pertinence de cette modalité pour animer la construction, la capitalisation et la diffusion d’outils au sein du réseau Cuma.
En conclusion : saisir le levier des agroéquipements pour essaimer les expériences locales
Les travaux conduits par la fédération régionale des Cuma de l’ouest et présentés dans le cadre de ce témoignage sont à la fois illustratifs de l’importance des agroéquipements pour la transition agro-écologique, et emblématiques de ce qui se passe aujourd’hui dans l’ensemble du réseau Cuma. Chaque mois, la lecture de la revue Entraid’ – le média des Cuma et du matériel agricole – permet de prendre connaissance de la multitude d’initiatives qui se développent dans chaque région autour de la transition agro-écologique et plus particulièrement sur la réduction du recours aux produits phytopharmaceutiques : chaque fédération de proximité est en mesure de présenter une expérimentation ou de faire témoigner une Cuma venant d’investir dans un équipement de désherbage mécanique.
Comme l’indique Jérôme Lenouvel, l’agroécologie éveille l’intérêt dans le réseau et il y a une vraie dynamique pour investir les transitions. Les équipements de désherbage mécanique offrent certainement une porte d’entrée relativement aisée en venant se substituer aux outils chimiques, sans nécessiter de reconception fondamentale du système de culture à court terme. Cependant, les retours issus des fédérations de proximité tendent à montrer que le premier pas franchi grâce au désherbage mécanique est suivi à plus ou moins court terme d’une réflexion plus profonde sur les évolutions de pratiques et de systèmes. Ce constat s’explique probablement par le fait que remplacer simplement un désherbage chimique par un désherbage mécanique sans rien changer par ailleurs n’est guère durable : il faut, soit aller plus loin dans le changement, soit opérer un retour à la chimie ? A ce titre, le témoignage d’Aurélie Garcia Velasco met bien en évidence l’importance du collectif au niveau local pour enclencher ces réflexions et réduire les incertitudes. Il pointe également le rôle central des animateurs pour structurer les réflexions et faire émerger les projets de groupes.
A l’issue de cet article, à la question posée par le titre « les agroéquipements, un puissant levier pour limiter l’usage des produits phytosanitaires ? » on est tenté de répondre « oui … mais » : les trois points forts du réseau que sont l’expertise machine, la synergie collective, l’accompagnement stratégique facilitent le passage à l’acte mais n’éliminent pas les obstacles. Ces démarches restent encore modestes à l’échelle du territoire national et tout l’enjeu du réseau est de faire vivre cette dynamique et créer un effet d’entrainement pour réussir le changement d’échelle.
Notes des rédacteurs
Nous tenons à remercier François Kockmann pour ses précieuses contributions et son indéfectible soutien à la finalisation de ce témoignage.
Références bibliographiques
Agreste Bretagne (2016). Tableaux de l’agriculture bretonne-Edition 2016 -164 pages -DRAAF Bretagne.
Cardona A, Brives H, Lamine C, Godet J, Gouttenoire L, Rénier L. (2021). Les appuis de l’action collective mobilisés dans les transitions agroécologiques. Enseignements de l’analyse de cinq collectifs d’agriculteurs en Rhône-Alpes. Cah. Agric. 30 : 21.
DRAAF Bretagne (2019) - Evaluation du plan Ecophyto : note de suivi (2015-2018) du plan Ecophyto Bretagne.
Garcia-Velasco A., (2017). Accompagnement des collectifs d’agriculteurs en Cuma vers la transition agroécologique et l’atténuation du changement climatique. Mémoire d’ingénieur, INP-ENSAT, Toulouse
Lamine C., Barbier M. (2017). Analyse des dynamiques en cours et des réseaux d’échanges des collectifs (lauréat de l’AAP MCAE du Min-Agri). Rapport intermédiaire du projet de recherche Obs-TAE, Paris, INRA
Lucas V, (2018) : L'agriculture en commun : Gagner en autonomie grâce à la coopération de proximité : Expériences d'agriculteurs français en CUMA à l'ère de l'agroécologie - thèse de doctorat en sociologie, Ecole doctorale Sociétés, temps, territoires (Angers).
Lucas V., Pignal A-C., Rousselière D., Thomas F. (2018). La coopération de proximité entre agriculteurs à l'épreuve de l'agroécologie. Communication pour les 12è Journées de Recherche en Sciences Sociales INRA-SFER-CIRAD, 13-14-déc, Oniris Nantes, 23 p.
Lucas V., Gasselin P. (2018). Une agroécologie silencieuse : ombres et lumières dans le champ professionnel agricole français. Communication pour les 12è Journées de Recherche en Sciences Sociales INRA-SFER-CIRAD, 13-14-déc, Oniris Nantes, 20 p.
Observatoire de l’Environnement en Bretagne (2020) – Les pesticides en Bretagne – Dossier 25 pages, co-édité par OEB et Préfecture de Région – Novembre 2020 – bretagne-environnement.fr/produits-phytosanitaires-agriculture-bretagne-article
Pignal A.C., Lucas V., Boulet A., Blondel L., Gasselin P., Cittadini R. (2019). - Comprendre, vivre et accompagner la transition agroécologique en collectif. CAP VERT Innovations agronomiques 71 -2019, 165-180
Potier D., (2014) : Pesticides et agroécologie, les champs du possible -Synthèse ,15p, Ecophyto, (novembre 2014).
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