ABC’Terre, une démarche clinique à l’échelle du territoire
Christine Leclercq1, Olivier Scheurer2, Justine Lamerre3*, Elisa Marraccini1,4, Anne Schaub5, Paul Van Dijk5, Marion Delesalle3
1 UniLaSalle Beauvais - Unité de recherche InTerACT UP 2018.C102, 19 Rue Pierre Waguet, 60000 Beauvais, christine.leclercq@unilasalle.fr,
2 UniLaSalle Beauvais, 19 Rue Pierre Waguet, 60000 Beauvais, o.scheurer@orange.fr
3 Agro-Transfert Ressources et Territoires 2 Chaussée Brunehaut 80200 Estrées-Mons, j.lamerre@agro-transfert-rt.org, m.delesalle@agro-transfert-rt.org
4 Dipartimento di Scienze AgroAlimentari, Ambientali e Animali - Università di Udine Via delle Scienze 206, 31000 Udine (Italie), elisa.marraccini@uniud.it
5 Chambre d’Agriculture Régionale du Grand-Est, 2 rue de Rome CS 30022 Schiltigheim 67013 STRASBOURG anne.schaub@grandest.chambagri.frpaul.vandijk@grandest.chambagri.fr
Email contact auteurs : j.lamerre@agro-transfert-rt.org
Résumé
La démarche participative ABC’Terre (Atténuation du Bilan de gaz à effet de serre intégrant le stockage de Carbone des sols à l’échelle des Territoires) vise à établir un plan d’action pour la réduction de l’empreinte carbone des systèmes de culture d’un territoire. Elle a été appliquée sur quatre territoires pilotes dans le cadre du projet de R&D ABC’Terre-2A achevé en 2020. Les résultats obtenus sur chaque territoire ont été caractérisés, notamment en termes de suites, de scénarios proposés et de mobilisation des acteurs. En vue d’identifier facteurs de succès et points de vigilance pour de futures applications de la démarche, les déterminants de ces résultats ont été mis en évidence à travers une analyse systématique du contexte, des caractéristiques des acteurs et des modalités de mise en œuvre. Une diversification des usages se dessine, préfigurée par la diversité des cas observés.
Mots-clés : Démarche participative ; diagnostic ; territoire ; stockage de carbone ; émissions de gaz à effet de serre
Abstract ABC’Terre, a clinical approach at the territory scale
The participative approach ABC’Terre (attenuation of greenhouse gas emissions balance integrating soil carbon storage at the territory scale) tends to establish a plan of action in order to reduce the carbon footprint of the cropping systems of a territory. It has been already applied on 4 pilot territories in the frame of ABC’Terre 2A R&D project, finished in 2020. The results have been analyzed in each territory in terms of impacts, proposed scenarii and of stakeholder’s mobilization. In order to define strengths and weaknesses for future uses of the ABC’Terre approach, the drivers of the results have been highlighted thanks to a systematic analysis of the territorial context, of the stakeholders and the application of the method in each pilot territory. The diversity of each pilot territory helps to support a preliminary diversification of the uses of the approach.
Keywords: Participative approach ; diagnosis ; territory ; soil carbon sequestration ; greenhouse gas emissions
Introduction
La démarche participative ABC’Terre (Atténuation du Bilan de gaz à effet de serre intégrant le stockage de Carbone des sols à l’échelle des Territoires) se veut une « démarche clinique en agronomie » dans le sens où elle s’appuie sur le constat partagé d’un diagnostic initial et qu’elle propose de mobiliser les compétences à la fois agronomiques et empiriques des conseillers et des agriculteurs pour la recherche de solutions d’actions (Kockmann et al., 2019). Elle a été déployée à titre expérimental, dans le cadre du projet ABC’Terre-2A (Application participative et Appropriation de la démarche ABC’Terre par les acteurs des territoires) (Delesalle (coordination) et al., 2020) sur quatre territoires pilotes (TP) aux caractéristiques climatiques, pédologiques et agricoles diverses, auprès de collectivités territoriales réparties dans trois régions - Hauts de France, Grand-Est et Nouvelle Aquitaine (Abiven, 2020 ; Di Bartoloméo, 2020 ; Dutertre, 2020 ; van Dijk et al., 2020).
Les méthodes et démarches participatives connaissent un développement rapide dans le monde depuis la fin des années 1970 (Chambers, 1994 ; Pretty, 1995 ; Voinov & Bousquet , 2010) et sont entrées dans la pratique non seulement du développement agricole et territorial mais aussi de la recherche scientifique dans des domaines très variés, notamment la gestion des ressources naturelles (Luyet et al., 2012). Bien que des nombreuses méthodes existent aujourd’hui, leurs utilisateurs expriment un besoin de repères en termes de techniques mobilisables ou de points de vigilance (Gouttenoire et al., 2014).
Lors du projet ABC’Terre-2A, les retours d’expérience des animateurs de la démarche sur les TP (que nous appellerons « utilisateurs ») et des autres participants, enrichis par le recul de la coordinatrice du projet qui a accompagné la mise en œuvre de la démarche ABC’Terre sur les quatre TP, ont permis d’établir un certain nombre de clés de réussite et conseils pour l’appropriation de cette démarche par l’ensemble des acteurs locaux mobilisés (Figure 1).
On se propose ici de mener, de façon complémentaire, un diagnostic de ces expériences, c’est-à-dire de mettre en évidence les déterminants (Capillon & Manichon, 1991 ; Landais et al., 1988) des résultats obtenus dans les différents TP afin d’en tirer les enseignements pour de futures mises en œuvre dans d’autres territoires.
Méthode et Démarche ABC’Terre
La méthode ABC’Terre
La méthode ABC’Terre[1] a été élaborée dans le cadre de deux projets R&D successifs[2] coordonnés par Agro-Transfert Ressources et Territoires (AGT-RT), afin de quantifier et spatialiser la variation des stocks de carbone organique (Corg) des sols cultivés, et de les intégrer dans un bilan des émissions de gaz à effet de serre (GES) des systèmes de culture (SdC) à l’échelle d’un territoire agricole (Bousselin & Scheurer, 2020b, 2020a ; Delesalle et al., 2020 ; Scheurer et al., 2020). Elle se décline en 5 étapes (figure 2).
Les 3 premières étapes ont pour objectif de caractériser les agrosystèmes élémentaires du territoire, soit les combinaisons de successions de culture x types de sols x teneurs en Corg x pratiques culturales, à l’aide des bases de données du Registre Parcellaire Graphique (RPG) et du Référentiel Régional Pédologique (RRP) dans l’outil RPG-explorer[3], de la Base de Données des Analyses de terres (BDAT[4]) et de l’expertise locale pour la caractérisation des pratiques culturales pour chaque couple précédent-suivant par type de sol (Delesalle, 2019). Les variations des stocks de Corg et les émissions de GES sont ensuite calculées pour chacun des agrosystèmes, dans les deux dernières étapes, grâce au couplage de l’outil SIMEOS-AMG[5] (Clivot et al., 2019 ; Saffih-Hdadi & Mary, 2008) et de l’outil de calcul du bilan GES propre à ABC’Terre. Les résultats obtenus pour chacun des agrosystèmes sont finalement agrégés à l’échelle du territoire.
La démarche ABC’Terre
Une démarche participative ABC’Terre en 5 phases a été construite autour de cette méthode (figure 3). Elle permet de mobiliser les acteurs agricoles[6] dans l’élaboration d’un plan d’actions localisées, pour améliorer l’empreinte carbone des SdC de leur territoire. Après une phase de lancement, cette démarche se poursuit par la réalisation du diagnostic initial du territoire mené selon la méthode précédemment décrite. Ensuite, les acteurs agricoles sont mobilisés dans le cadre d’ateliers[7] de concertation[8] pour partager ces premiers résultats, se former sur ces thématiques et co-concevoir des pratiques alternatives, ayant pour but d’améliorer à la fois le stockage de carbone et le bilan GES des SdC de l’ensemble du territoire. L’impact des pratiques alternatives retenues est simulé en appliquant de nouveau les deux dernières étapes de la méthode ABC’Terre. Les résultats obtenus sont partagés lors de nouveaux ateliers de concertation, afin d’établir un plan d’action territorial.
Objectifs du projet ABC’Terre 2A et des futures mises en œuvre
L’appropriation de la démarche par les acteurs constituait la finalité du projet ABC’Terre-2A. Elle peut s’apprécier à travers différents indicateurs : la diversité des contributeurs aux scénarios, l’investissement de la collectivité, la mobilisation initiale des agriculteurs, la persévérance des représentants des agriculteurs et l’évolution de leurs effectifs.
Au-delà de ce projet de R&D, les objectifs de la démarche ABC’Terre sont la réalisation du diagnostic partagé du stockage de carbone et des émissions de GES ainsi que la production d’un plan d’action. Un plan d'action ambitieux peut nécessiter des scénarios variés et en rupture. Enfin, d’autres objectifs ou effets secondaires peuvent être recherchés en termes de communication ou de dynamique de groupe. Ces différents objectifs fournissent les critères d’évaluation des résultats figurant dans le modèle d’analyse (figure 4).
Hypothèses sur les déterminants des résultats
Les résultats de la démarche dépendent, d’une part, des modalités de mise en œuvre de ses différentes étapes (précisées dans le tableau 2) qui relèvent principalement des choix de l’utilisateur. Ils dépendent, d’autre part, du comportement des acteurs impliqués tout au long de sa mise en œuvre : utilisateur, groupe d’agriculteurs, collectivité, collectifs agricoles. Celui-ci varie notamment en fonction des finalités et des caractéristiques propres à chaque acteur. Enfin, le contexte et les conditions dans lesquelles les 5 étapes de la démarche se déroulent sont également déterminants : le territoire, son contexte agricole et ses enjeux et les ressources et moyens mobilisés.
Matériel et méthodes
Les 4 TP se distinguent par les contextes agricoles, les enjeux, les comportements des utilisateurs, agriculteurs et autres acteurs mobilisés (tableau 1). Ils diffèrent également par les modalités de mise en œuvre de la démarche et les résultats obtenus.
Compte tenu de l’effectif restreint de cas (4) et du nombre de déterminants potentiels et de leurs modalités respectives, il n’est pas envisageable de mener une approche statistique pour tester et préciser les relations entre comportement des acteurs, mise en œuvre de la démarche et résultats. Une analyse qualitative est donc menée sur chacun des cas pour mettre en évidence les déterminants principaux et dégager les facteurs clés de succès et les points d’attention.
Principes méthodologiques
En vue d'une exhaustivité, d'une précision et d'une objectivité maximales, les principes suivants, ont été appliqués :
Postulat de rationalité (« Les acteurs ont des raisons de faire ce qu'ils font ») ;
Analyse systématique : pour chaque critère d’évaluation des résultats, dans chaque TP, les déterminants potentiels ont été examinés et les plus probables retenus parmi toutes les caractéristiques i) de la mise en œuvre de la démarche, ii) de la situation. De même pour chaque caractéristique de la mise en œuvre de la démarche, dans chaque TP, tous les déterminants possibles sont testés. Ce travail s’est effectué sur la base d’une grille d'analyse construite sous la forme d'un tableau croisant variables à expliquer et variables explicatives potentielles ;
Analyse critique itérative et traçabilité du raisonnement : les hypothèses explicatives sur les déterminants des résultats sont formulées dans un premier temps par 3 acteurs du projet ABC’Terre-2A impliqués dans la mise en œuvre de la démarche avec les acteurs de terrain (la coordinatrice du projet et 2 utilisateurs) ; elles sont ensuite soumises au regard croisé et critique de 3 membres du projet ABC’Terre-2A n’ayant pas participé à la mise en œuvre de la démarche qui en interrogent la cohérence dans le cas du TP étudié, mais aussi par comparaison avec les autres TP. Par de multiples allers-retours elles sont reformulées, complétées, corrigées, précisées progressivement jusqu'au consensus.
Ainsi, l’approche méthodologique adoptée partage l’essentiel des traits d’une approche clinique telle que définie, par exemple, par Kockmann et al. (2019) : la nature de la relation entre deux (types) d’acteurs, une posture qui « permet à un professionnel de construire des connaissances à partir des situations particulières dans lesquels il est impliqué », « le souci de l’action, de la compréhension et de la transformation des conditions de travail », « l’accent mis sur les fonctionnement en situation », la prise de recul vis à vis de pratiques, la mise en commun des points de vue, une ouverture à la remise en cause, « la valorisation de l’expérience des praticiens par l’écriture ». Il s’agit donc d’une approche clinique d’une démarche clinique.
Sources et méthode de construction et de renseignement de la grille d’analyse
La grille d’analyse a été renseignée par les acteurs du projet (coordinatrice et 2 utilisateurs) à l’aide des retours d'expérience des autres utilisateurs et de l’expertise d’un partenaire. Les résultats ont été jugés par la coordinatrice du projet de façon relative et qualifiés de satisfaisants/ moyennement satisfaisant ou insatisfaisant.
Les agriculteurs ont été qualifiés selon l’analyse présentées par Godard et al. (2020), qui distinguent plusieurs types de profils d’agriculteurs suivant leurs finalités et leurs motivations. Les «agriculteurs-leaders » vont chercher principalement le développement du territoire permis par un projet, ainsi que la communication sur le rôle de l’agriculture dans ce dernier. Les « agriculteurs-moteurs » sont motivés par les approches agronomiques, économiques et le travail collectif. Enfin, les « agriculteurs-entrepreneurs » viendront chercher dans les ateliers l’approche agronomique, mais plutôt dans une recherche de réussite sur leur propre exploitation.
Résultats
Les modalités de mise en œuvre de la démarche et les résultats obtenus dans les 4 TP sont présentés dans le tableau 2.
Les résultats par TP sont comparés et les déterminants de chaque résultat sont qualifiés dans le tableau 3.
Tableau 3 : Les déterminants de chaque résultat de chaque TP
En premier lieu, on peut souligner que, dans le cadre du projet ABC’Terre-2A, les 4 premières expériences ont été riches d’enseignements, et l'objectif de test de la démarche a été atteint dans tous les TP.
Une évaluation quantifiée et un diagnostic des émissions de GES et du stockage de carbone ont pu être établis dans les 4 TP, grâce à la formation des utilisateurs au début et au cours du projet, à la disponibilité des données et à l’implication des conseillers pour fournir l’information nécessaire sur les pratiques agricoles.
Les suites données au projet et la mise en œuvre de la démarche sont très diverses ; elles se traduisent par l’élaboration d’un plan d’action ou par d’autres initiatives.
Dans le TP 2,le plan d’action construit constitue une suite tout à fait conforme aux objectifs de la démarche. En outre, l’atelier de construction du plan d’action à partir des résultats d’ABC'Terre a eu pour objectif non seulement de clôturer le déploiement de la démarche sur le territoire mais aussi d’établir les actions d’un GIEE[10] qui a émergé suite à ABC’Terre. Ce GIEE se propose, notamment, de mettre en œuvre les leviers retenus comme les plus prometteurs et motivants à l’issue de la démarche et d’approfondir leur analyse en particulier économique. Enfin, ces résultats encourageants ont amené au redéploiement d’ABC’Terre sur un territoire élargi, incluant ainsi la communauté de communes voisine. Ce plan d’action a pu être élaboré grâce à la forte motivation des agriculteurs et de l’animatrice du GIEE pour structurer les travaux du GIEE qu'elle allait animer. Sans conteste, trois facteurs sont intervenus pour beaucoup dans l’émergence de ce groupe : la posture des agriculteurs (« moteurs » à « leaders »), leur préoccupation de maintien de la fertilité des sols dans un contexte de développement de cultures industrielles et d’arrêts d'élevages, la forte implication du conseiller production végétale du GEDA[11], présent à chaque atelier et très constructif. Enfin, c’est de la forte motivation des 3 acteurs - agriculteurs, collectivité (pour son PCAET[12]) et utilisateur (pour la prestation associée) - que procède le choix de redéployer la démarche au niveau du PETR[13].
Dans le TP 4, les résultats d’ABC’Terre alimentent une tentative de projet de recherche participative, avec l’appui de la collectivité, portant sur des cultures économes en engrais azotés en vue de faire émerger des solutions locales opérationnelles collectivement entre la production et l’aval (projet AVEC). Par ailleurs, ces résultats sont déjà utilisés par la Chambre d'Agriculture dans des formations auprès des agriculteurs pour traiter de l’atténuation du changement climatique en complément du volet « adaptation ». Enfin, certains résultats ont été mobilisés dans l'animation des premiers ateliers d'élaboration du PCAET. Toutefois, malgré l’intérêt de la collectivité et des utilisateurs pour la mise en œuvre d’actions concrètes, un plan d’action n’a pu être initié. Les leviers pour diminuer les émissions de GES de façon significative remettent en effet en question de façon profonde les SdC et les filières actuels, avec des conséquences structurelles et économiques radicales pour la profession agricole.
Dans le TP 1, en raison de la faible disponibilité de l’utilisateur et du retard pris par la démarche qui l’a exposée aux contraintes sanitaires du printemps 2020, un plan d’action n’était pas initié à la fin du projet. Néanmoins, les résultats de la démarche font l’objet de communications tant de la part de la collectivité que de la CRA[14] (notamment un webinaire à destination des autres conseillers), ce qui manifeste l'appropriation de la démarche et des résultats par les acteurs impliqués.
Aucune suite n’est envisagée à ce jour dans le TP 3, par manque de disponibilité de l’utilisateur et probablement parce que les connaissances acquises via le déploiement de la démarche suffisaient à répondre aux attentes des agriculteurs et des collectivités impliquées, attentes qui relevaient surtout de l’expérimentation de la démarche. En outre, la collectivité a mandaté un bureau d’étude pour réaliser un PCAET sur la base d’un diagnostic simplifié, la mise en œuvre de la démarche ABC’Terre ne constituant qu’une action exploratoire du PCAET.
Notons que dans les TP 3 et 4, les utilisateurs n’étant pas mandatés pour l’animation du groupe au-delà du projet, les groupes ad hoc n’ont pas survécu.
Les scénarios
Si la nature, l’origine et la diversité des scénarios ne constituent pas en eux-mêmes des objectifs de la démarche, ils peuvent contribuer de façon importante à la fois à la satisfaction des objectifs du PCAET en termes de bilan des GES et à l’adhésion des acteurs au plan d’action.
Les TP 1 et 4présentent des résultats très positifs en termes de scénarios : diversité, degré de rupture élevé et contribution des agriculteurs aux scénarios (même si les agriculteurs du TP 1 n’ont proposé qu’un scénario).
Dans les TP 2 et 3, les scénarios restent variés quoique plus conventionnels et majoritairement issus des propositions de l’utilisateur et de la collectivité (TP 2).
Dans le TP 4, à l’issue du diagnostic territorial qui a permis de sélectionner des systèmes de production contrastés et à forts enjeux, la suite de la démarche n’a été menée qu’à l’échelon des SdC. Les scénarios produits apparaissent très variés et à fort niveau de rupture. Les utilisateurs expliquent ces résultats par la diversité des systèmes de production représentés et surtout par le type d’animation. En effet, après une phase préalable de partage et formalisation des connaissances (intervention d’un “expert externe” et partage des connaissances d'un agriculteur très pointu sur les GES), 3 ateliers de co-conception à l'échelle du SdC (plusieurs réunions par atelier) ont été organisés pour favoriser la conception hors contraintes. Une telle animation a été rendue possible par les fonctions, les objectifs et profils complémentaires au sein d’un binôme d’utilisateurs (expert méthode ABC’Terre et expert conception de SdC innovants) et facilitée par le travail de stagiaires et l’utilisation d’un outil tel que la mallette Mission Ecophyt'eau[15] adaptée à l'atténuation du changement climatique.
Dans le TP 1, la diversité et le degré de rupture des scénarios semblent résulter du fait qu’en complément du niveau territorial, la démarche a été aussi menée, quoique de façon simplifiée, à l’échelon des SdC de chaque agriculteur et surtout par l’animateur même du groupe. Cependant, les scénarios ont été produits par l’utilisateur -très investi- et la collectivité plutôt que par les agriculteurs focalisés sur le semis direct.
La moindre diversité des scénarios observée dans le TP 2 tiendrait à un diagnostic moins détaillé au niveau des SdC que sur les autres territoires, bien que répondant aux objectifs d’ABC’Terre. La posture de l’utilisateur, « expert énergie-climat », professionnellement enclin à fournir spontanément des solutions expliquerait aussi cette moindre diversité. Un scénario dédié à la méthanisation a toutefois été testé grâce à l’utilisation d’ABC’Terre au niveau du SdC.
Dans le TP 3, cette moindre diversité reste plus difficile à expliquer : type d'animation peu adapté au profil des agriculteurs ? démarche trop innovante ? insuffisamment guidée ? moindre niveau d’expertise technique de l’utilisateur au début du projet ? Le niveau de rupture moyen est attribué au profil plutôt « entrepreneurs » des agriculteurs et au type d’animation malgré des ateliers de concertation nombreux et diversifiés (travaux pratiques, cartographie participative, ateliers post-it, tours de table, discussions ouvertes). Enfin, ces facteurs expliquent sans doute largement des scénarios issus très majoritairement des conseillers agronomie de la Chambre d'Agriculture, de la SATEGE[16] et de l’utilisateur, dans un contexte de faible présence de collectifs agricoles sur le territoire et de l’absence des CETA[17].
L’appropriation de la démarche par tous les acteurs, finalité majeure du projet ABC’Terre-2A, peut être évaluée à travers différents indicateurs : l’investissement de la collectivité, la mobilisation initiale, l’évolution des effectifs et la stabilité de la composition du groupe d’agriculteurs et, enfin, la diversité des contributeurs aux scénarios.
L’investissement de la collectivité dans le projet
Dans tous les TP, en cohérence avec le choix de participer au projet, les collectivités se sont investies selon des modalités spécifiques (nature des réunions et fonction des représentants), avec cependantune participation irrégulière dans le TP2 due à un turn-over important(palliée par la motivation du dernier interlocuteur). Un tel investissement s’explique à la fois par des enjeux environnementaux et socio-économiques voire politiques et par le souhait de fédérer les acteurs et de travailler avec les agriculteurs.
La mobilisation initiale des agriculteurs
Dans les TP 1 et 2, la mobilisation des agriculteurs s’est avérée facile. La préexistence d’un groupe dont les objectifs convergent avec ceux de la démarche et l’investissement de l’animateur du groupe dans la démarche constituent des facteurs de mobilisation incontestables des agriculteurs. De plus, dans le TP1, le diagnostic individuel a également contribué à cette participation.
A contrario, dans le TP 4, la mobilisation des agriculteurs s'est avérée difficile car le groupe n'existait pas avant le projet : il a été formé avec des agriculteurs ne se connaissant pas, pour le temps du projet, avec un objectif affiché de réflexion sans mise en œuvre concrète attendue à l'issue de projet. De plus, le secteur n'a jamais eu d'habitude de travail en commun entre agriculteurs, peu ou pas de CUMA[18], pas de GEDA etc. Par ailleurs, malgré un calendrier des ateliers peu propice, les groupes se sont révélés assez stables, au moins par type de production agricole.Dans le TP 3, le positionnement des agriculteurs, plutôt “entrepreneurs” et les relations délicates entre acteurs du développement agricole sur le territoire ont joué en défaveur de la mobilisation initiale des agriculteurs et de leur participation sur la durée du projet. L’absence de relations initiales entre l’utilisateur et les agriculteurs et la multiplicité des engagements des agriculteurs pourraient aussi contribuer à expliquer les difficultés de mobilisation au début du projet.
L'évolution des effectifs et la stabilité de la composition du groupe d’agriculteurs
Sauf dans le TP 1 où le nombre limité d’ateliers ne permet pas d’en juger, la grande majorité des représentants des agriculteurs se sont avérés assidus soit aux ateliers par type de SdC (TP 4) soit à l’ensemble des réunions (TP 2 et 3) parfois même avec de nouveaux participants s’intégrant en cours de projet (TP 2). Les déterminants de cette assiduité varient selon les TP : la finalité et la posture des agriculteurs (TP 2), les enjeux environnementaux du territoire et les projets des agriculteurs (TP 3), la spécialisation des ateliers par type de système de production et le nombre réduit de réunions par atelier (TP4).
En outre, il convient de souligner deux facteurs qui ont contribué à maintenir les effectifs : la participation des représentants agricoles du TP 2 durant le projet avec la forte implication du GEDA et de son conseiller en production végétale ainsi que celle du GIEE et de son animatrice combinée à des dates d'ateliers judicieusement choisies avec l'aide du conseiller. A contrario, l’absence de relation antérieure entre groupe et conseiller, le calendrier des ateliers peu compatible avec les disponibilités des agriculteurs, une certaine discontinuité dans l’animation et le profil plutôt « entrepreneur » des agriculteurs peuvent justifier quelques abandons au fil des réunions dans le TP 3.
La diversité des contributeurs aux scénarios
Dans tous les cas, les scénarios procèdent de plusieurs acteurs : agriculteurs et, dans une moindre mesure, conseillers (TP4), agriculteurs et utilisateur (TP2), utilisateur, collectivité et, dans une moindre mesure, agriculteurs (TP1), conseillers agronomiques, SATEGE, utilisateur et agriculteurs pour les grandes orientations (TP3).
Dans le TP4, l’implication des agriculteurs dans l’élaboration des scénarios constituait un objectif des utilisateurs, convaincus que ceux-ci sont les mieux placés pour concevoir des scénarios adaptés au contexte biophysique, cohérents d'un point de vue agronomique et qui répondent non seulement aux enjeux territoriaux de réduction des GES mais aussi à leurs attentes (notamment sur la fertilité du sol). D’où la règle de fonctionnement initiale selon laquelle « les scénarios resteraient sur le papier » et la promesse d'évaluation économique ultérieure qui ont permis aux agriculteurs de se projeter « sans contrainte ni de filière, ni économique, ni de matériel », avant une seconde étape dite « faisable demain ».
Dans le TP 2, l’utilisateur, habitué à ClimAgri® dont il est un expert, a fourni spontanément des scénarios. Néanmoins, l’animation des ateliers a permis aux agriculteurs d’inclure des scénarios correspondant notamment à leurs projets individuels.
La collectivité du TP 1, dont le PCAET était déjà en cours de rédaction, a contribué à l’élaboration de scénarios ambitieux ; l’utilisateur, désireux de monter en compétence, s’est montré curieux de tester de nombreux scénarios et les agriculteurs leaders en agriculture de conservation des sols ont complété la gamme par des scénarios en semis direct.
Dans le TP 3, l’utilisateur, issu de la Chambre d’Agriculture, a pu mobiliser le réseau de conseillers de cette structure pour la conception de scénarios. L'absence des CETA, la quasi absence de collectifs agricoles sur le territoire et le profil des agriculteurs mobilisés expliquent une plus faible contribution des agriculteurs aux scénarios de ce TP.
De façon globale, sur les 4 TP, agriculteurs et utilisateurs apparaissent comme les acteurs les plus déterminants des résultats et, en amont, de la mise en œuvre de la démarche. Des agriculteurs dépendent systématiquement l’origine des scénarios et, le plus souvent, leur degré de rupture et le plan d’action. De son côté, l’utilisateur détermine en général la méthode de mobilisation des agriculteurs, le temps passé pour le diagnostic, le type d'animation et, par-là, l’origine et le degré de rupture des scénarios proposés. Enfin, il faut noter le poids de la collectivité dans l’émergence d’un plan d’action. Par ailleurs, les modalités de mise en œuvre de l’étape 3 (ateliers de concertation suite au diagnostic initial) se sont avérées le plus souvent déterminantes dans l’origine des scénarios. Les ressources et moyens mobilisés ont conditionné la mise en œuvre de cette étape 3 et, fréquemment, le niveau de recours à l’expertise locale ainsi que l’autonomie vis-à-vis d’AGT-RT pour la simulation des modifications de pratiques et la mise en forme des résultats.
Facteurs de succès et points de vigilance
De ces diagnostics de l’application de la démarche ABC’Terre sur chaque TP, nous pouvons tenter de dégager des facteurs de succès qui complètent ou précisent les clés de réussite recensées à l’issue du projet ABC’Terre-2A.
Un des objectifs de la démarche ABC’Terre est de permettre de fédérer collectivités et agriculteurs pour un travail commun qui suppose la mobilisation des acteurs agricoles du territoire.
De forts enjeux territoriaux favorisent la mobilisation de la collectivité et, par suite, son appropriation des actions proposées à l’issue de la démarche puis, enfin, leur mise en œuvre.
Un groupe d’agriculteurs préexistant dont les préoccupations coïncident avec les objectifs de la démarche ABC’Terre constitue un puissant facteur de mobilisation des agriculteurs pendant et après le projet, a fortiori lorsque le pilotage de la démarche est assuré par l’animateur du groupe.
La diversité des scénarios produits et de leurs contributeurs devrait favoriser l’appropriation du plan d’action par les autres agriculteurs du territoire et leur mise en œuvre dans leurs exploitations. Or, il est apparu que le déploiement d’ABC’Terre à l’échelon des SdC (recommandé dans les « clés de réussite ») -soit chez chaque agriculteur du groupe soit dans de véritables ateliers de co-conception- permet de produire des scénarios variés, en rupture et élaborés par les agriculteurs. La réussite de cette approche a été favorisée par d’autres facteurs : une communauté de préoccupations entre participants dans le TP1, une réflexion libérée en mobilisant des dispositifs ludiques, en prévenant les craintes et en garantissant une évaluation économique des propositions dans le TP 4. Pour de tels ateliers, les compétences des utilisateurs apparaissent essentielles et le renfort de stagiaires un « plus ». On notera enfin que la diversité des systèmes de production représentés au sein du groupe des agriculteurs peut concourir également à la diversité des scénariosobtenus (TP 4).
Enfin, la conjonction (probablement non aléatoire) de préoccupations agronomiques fortes, de profils d’agriculteurs dynamiques, de l’implication du conseiller d’un groupe préexistantet de la collectivité constitue une situation très favorable à la poursuite des travaux du groupe et à l’établissement d’un plan d’action.
En revanche, l’analyse des 4 situations met en évidence des points d’attention.
Le canal de « recrutement » choisi et plus largement le contexte des relations au sein du milieu professionnel local, le profil des agriculteurs et parfois la multiplicité de leurs engagements et/ou le calendrier des ateliers sont apparus comme susceptibles de desservir notablement la mobilisation des agriculteurs.
Un des objectifs principaux de la démarche ABC’Terre est d’aboutir à un plan d’action permettant à la fois de réduire les émissions de GES et d’augmenter le stockage de carbone. Les moyens mis en œuvre pour l’atteindre restent au libre choix de l’utilisateur. Toutefois, s’il souhaite des scénarios divers et disruptifs issus des agriculteurs, ou si des scénarios en rupture apparaissent nécessaires pour un progrès significatif en termes d’émissions nettes, plusieurs facteurs semblent défavorables : l’absence de collectifs agricoles ou leur refus de participer, des profils d’agriculteurs plutôt « entrepreneurs », une animation orientée vers la concertation plus que vers la co-conception de la part d’un utilisateur moins rompu aux démarches participatives ou jugeant ces démarches mal adaptées au contexte du territoire et/ou au temps et aux moyens disponibles . Par ailleurs, agriculteurs et collectifs agricoles risquent d’adhérer plus difficilement à des scénarios disruptifs et la suite peut s’en trouver pénalisée.
La disponibilité de l’utilisateur ainsi qu’un mandat explicite conditionnent largement les suites données à la démarche. Celles-ci peuvent également être entravées par un manque de motivation de la collectivité ou des acteurs agricoles voire des réticences de la part de ceux-ci inquiets de l’utilisation possible des résultats de la démarche dans un contexte de tension entre monde agricole et société.
Afin de faciliter la communication à l’issue du projet, il apparaît que le montage du partenariat doit inclure tous les acteurs légitimes dès le départ et qu’une attention particulière doit être portée à la structuration professionnelle et aux jeux d’acteurs locaux en cas de conflit potentiel afin d’adapter la procédure ou de raisonner l’intervention d’un tiers perçu comme neutre.
Discussion et perspectives
Comparaison des résultats produits par diverses démarches participatives
Parmi les démarches participatives actuelles, on peut distinguer celles qui relèvent de la prospective participative (Bousquet & Le Page, 2004 ; Houet & Gourmelon, 2014 ; Lardon et al., 2016) et celles qui ressortissent à l’évaluation intégrée participative (Salter et al., 2010). ABC’Terre est bien une démarche participative et, en tant que démarche de prospective territoriale, elle inclut un diagnostic et donc une évaluation initiale mais les porteurs d’enjeux ne participent pas, à strictement parler, à l’évaluation initiale et à l’évaluation ex ante des scénarios, qui mobilisent une méthode complexe (figure 2).
L’évaluation du projet ABC’Terre-2A montre que les 4 TP sont parvenus à identifier un ensemble de scénarios alternatifs. La démarche ABC’Terre se distingue par le fait qu’elle permet de mobiliser les agriculteurs et de proposer des scénarios de modifications très fines des pratiques et, notamment par la prise en compte du type de sol, des actions plus techniques, précises, pertinentes et localisées, que d’autres démarches participatives. Parmi celles-ci, la démarche Coc’Click’eau (Chantre et al., 2015) ou la démarche ClimAgri® (Doublet, 2016), qui ont des objectifs bien différents, permettent de mobiliser des acteurs plus institutionnels et de proposer des scénarios très génériques. Ainsi, Co’click’eau est conçue pour explorer des scénarios d’évolution de pratiques culturales types, décrites à l’échelle du territoire, ce qui n’autorise pas les comparaisons de SdC ou d’exploitations agricoles (Chantre et al., 2016) et ne favorise pas l’adhésion des acteurs agricoles sensibles à la proximité entre le niveau spatio-temporel du scénario et leur propre niveau d’expertise, d’action ou de connaissance (McBride et al., 2017).
Cette comparaison de différentes démarches semble donc conforter les résultats du diagnostic présenté ici qui montrent le poids important de « la technique d’intégration des connaissances scientifiques et locales » -point fort de la méthode ABC’Terre- dans la précision, la diversité des propositions et l’adhésion des acteurs (au processus, au diagnostic et aux propositions).
Nos résultats ont aussi indiqué que le contexte était un facteur de réussite déterminant. Les futurs déploiements devront donc prendre en compte ce point de vigilance. D’autres travaux ont montré que le contexte territorial jouait un rôle important, notamment sur les territoires à enjeu « qualité de l’eau ». La démarche de gestion dynamique des Aires d’Alimentation de Captage (Ferrané et al., 2020) est structurée sur ces territoires. Comme le mentionnent Barataud et al. (2016), elle permet de créer une « tension féconde » entre le monde de l’eau et le monde agricole, qui pousse les agriculteurs à être pro-actifs et proposer des solutions, permettant ainsi la conception de solutions innovantes sur les territoires.
Autres exemples de comparaisons de cas d’usage d’une même démarche
Les travaux publiés sur les méthodes et démarches participatives concernent l’analyse des types de participation (Voinov & Bousquet, 2010), les techniques d’intégration des connaissances scientifiques et locales (Raymond et al., 2010) ou la formalisation des modalités d’intervention des acteurs (Gouttenoire et al., 2014). Néanmoins, du fait de la diversité des situations d’usage de ces méthodes et démarches, de leurs adaptations à des situations locales ou de la diversité d’implication des acteurs, il existe peu d’analyses comparées des cas d’usage de ces méthodes. Parmi elles, Lardon et al. (2017) ont dressé un bilan de plusieurs ateliers participatifs menés avec la méthode du jeu de territoire (Lardon, 2013), au sein d’ un même territoire mais en faisant varier les acteurs participants. Barataud et al. (2015) ont utilisé la même démarche au sein de six territoires voisins afin de comprendre la perception de la qualité de l’eau par les acteurs et d’évaluer l'opérationnalité de leur outil et son potentiel. Le travail d’analyse clinique de l’application de la démarche ABC’Terre dans les territoires pilotes a permis également l’évaluation de la démarche et, au-delà, d’identifier les facteurs et conditions de succès de sa mise en œuvre.
Limites de l’analyse
Mené collectivement entre partenaires du projet ABC’Terre-2A diversement impliqués, et complété au fur et à mesure de l’analyse, l’inventaire des déterminants potentiels de la mise en œuvre de la démarche et des résultats s’avère riche mais son exhaustivité ne peut être garantie. Les hypothèses émises n’ont pu, dans le cadre de ce travail, être soumises aux acteurs -notamment aux utilisateurs- (sauf TP 4) et certaines n’ont pu être testées faute d’information fiable. Malgré le regard critique exercé par les partenaires non impliqués sur le terrain, du fait de sources d’information peu nombreuses et plus ou moins variées selon les cas, des lacunes et l’hétérogénéité de l’information engendrent des biais difficiles à évaluer.
Le nombre réduit de cas analysés limite la fiabilité, la précision et le domaine de validité des conclusions qui devront être testées sur les futures mises en œuvre de la démarche. Etant donné qu’elles se dérouleront dans un cadre non expérimental, les conditions de ces futures mises en œuvre diffèreront de celles d’un projet de R&D comme ABC’Terre-2A et de ce qui constituait, pour les utilisateurs, une première expérience. Elles devraient donc s’avérer plus diverses encore et le modèle d’analyse s’en trouvera sans doute enrichi.
Perspectives
Au-delà des enseignements tirés pour les futures mises en œuvre de la démarche ABC’Terre, le travail présenté ici montre la possibilité et l’intérêt de mener un diagnostic (voire une démarche clinique) sur une démarche participative, et pourrait contribuer à inspirer le diagnostic d’autres démarches participatives et, in fine, leur amélioration.
L’analyse de la mise en œuvre de la démarche ABC’Terre a permis de dégager les premiers facteurs de succès pour créer les meilleures conditions de réussite dans ces futurs déploiements. On peut en effet imaginer qu’elle va évoluer vers une diversité d’applications, qui mobiliseront diversement les différentes catégories d’acteurs pour des objectifs et des usages plus variés tels que : le conseil individuel, la production de références régionales (où le plan d’action n’est plus une finalité) ou encore l’animation d’un groupe d’agriculteurs (sans implication d’une collectivité) ; usages dont on pourrait considérer les cas étudiés comme des préfigurations (respectivement TP1, TP4, TP2). Ainsi, en fonction de l’usage prévu, les futurs déploiements pourront s’inspirer des enseignements tirés dans le TP qui préfigure cet usage.
Une application très fortement pressentie dès la fin du projet ABC’Terre-2A est son utilisation dans le cadre du Label Bas Carbone[19], plus précisément de la méthode dédiée aux Grandes Cultures, dont l’approche est très voisine des deux dernières étapes la méthode ABC’Terre. Il s’agit d’un cadre de certification des émissions carbone dans les exploitations agricoles ayant un atelier grandes cultures (Grimault & Foucherot, 2020). La démarche ABC’Terre ne pourra pas en tant que telle permettre de réaliser un diagnostic individuel, mais la mise en œuvre de la démarche sur un territoire pourrait favoriser l’émergence de projets « bas carbone » en créant une dynamique et en faisant réfléchir les agriculteurs à des changements de pratiques (grâce à la formation et aux échanges lors des ateliers). Notamment lorsqu’elle est aussi mise en œuvre chez les agriculteurs et favorise ainsi la conception de scénarios en rupture. Cela implique néanmoins un rapprochement méthodologique de la méthode ABC’Terre avec la méthode Grandes Cultures du Label Bas Carbone. Ces évolutions méthodologiques et le rapprochement entre la dynamique territoriale et individuelle restent à construire à l’heure où nous rédigeons ces lignes.
Notes
[1] http://www.agro-transfert-rt.org/abcterre/
[2] ABC’Terre (2013-2016, APR REACCTIF ADEME 2012) et ABC’Terre-2A (2017-2020, AAP GRAINE ADEME)
[3] https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/courses/RPGEXPLORER/
[4] https://www.gissol.fr/le-gis/programmes/base-de-donnees-danalyses-des-terres-bdat-62
[5] http://www.simeos-amg.org/
[6] Dans les territoires pilotes du projet ABC’Terre-2A, le choix s’est porté sur les agriculteurs et les conseillers mais la démarche peut impliquer d’autres acteurs, notamment ceux des filières.
[7] Ces ateliers sont susceptibles de mobiliser des méthodes et outils d’animation variés (tableau 2)
[8] Au sens de Luyet et al. (2012) qui définit la concertation par la présentation du projet aux parties prenantes, la collecte de leurs suggestions et la décision prenant en compte leurs apports.
[9] Activité collaborative, au cours de laquelle les participants sont amenés à définir un objectif et identifier les forces et les faiblesses de l’organisation pour l’atteindre. Pour aller plus loin : https://klaxoon.com/communaute/speed-boat-une-methode-agile-a-decouvrir
[10] Groupement d’Intérêt Economique et Environnemental
[11] Groupe d’Etude et Développement Agricole
[12] Plan Climat Air Energie Territorial
[13] Pôle d’Equilibre Territorial et Rural
[14] Chambre Régionale d’Agriculture
[15] https://www.civam.org/accompagner-le-changement/mission-ecophyteau/
[16] Service d’Assistance Technique à la Gestion des Epandages en partenariat entre la Chambre d’agriculture et l’Agence de l’Eau Artois Picardie.
[17] Centre d’Etudes Techniques Agricoles
[18] Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole
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