La maîtrise des adventices sans herbicide : intérêt du semis direct de soja et maïs sous couvert roulé
Joséphine Peigné *, Laura Vincent-Caboud **, Florian Celette, Thomas Lhuillery* et Jean-François Vian*
* ISARA, 23 rue jean Baldassini 69007 Lyon
** Bio en Normandie, 2 Bis Longue vue des astronomes 14111 Louvigny
Email contact auteurs : jpeigne@isara.fr
https://doi.org/10.54800/jio263
Introduction
L'Agriculture de Conservation (AC) est basée sur l'évitement du travail du sol, notamment du labour, la couverture maximale du sol et des rotations de cultures diversifiées (Hobbs et al., 2008). Ces pratiques combinées favorisent l'activité biologique du sol en augmentant la teneur en matière organique du sol, les populations et les activités des organismes du sol (Kassam et al., 2009). Toutefois, un de ses points faibles est la dépendance vis-à-vis de l’utilisation d’herbicide, pour gérer le développement du couvert végétal, et ensuite le développement des adventices dans les cultures (Soane et al., 2012). L'agriculture biologique, qui repose sur le labour et le désherbage mécanique pour cultiver le sol, permet de se passer d’herbicides pour gérer les adventices, mais pourrait avoir un impact sur la fertilité biologique du sol, alors qu'elle a été créée à l'origine pour la préserver (Peigné et al., 2007). De nombreuses études ont été menées pour concilier l'agriculture biologique et l'agriculture de conservation, en combinant leurs effets positifs en développant des systèmes de production sans herbicide, sans labour et avec une grande diversité végétale (couverts, rotations diversifiées) (Mäder et Berner, 2012 ; Krauss et al., 2020 ; Peigné et al., 2015). Toutefois, ces études concluent souvent à des problèmes de contrôle des adventices : une augmentation de la biomasse des adventices et du nombre de passages pour éliminer mécaniquement les adventices (Hofmeijer et al., 2019 ; Krauss et al., 2018 ; Peigné et al., 2007). Afin de surmonter ce problème, une technique très innovante est testée, basée sur le semis direct d'une culture de rente dans un couvert végétal mort, sous forme de paillage, appelée Mulch No Tillage en anglais (MNT) ou Semis Direct Sous Couvert en Français (SDSC) (Vincent-Caboud et al., 2017 ; Vincent-Caboud et al., 2019a).
Le SDSC consiste à semer un couvert végétal en fin d’été, puis à le détruire mécaniquement, le plus souvent par roulage, afin de semer la culture de rente directement dans le mulch (Figure 1). Il est possible de travailler le sol avant de semer le couvert, mais ensuite il n'y a plus de travail du sol et, avec le mulch, pas de désherbage chimique ou mécanique (hersage ou binage) jusqu'à la récolte. Cette technique présente de multiples avantages : préservation du sol (pas de travail du sol, couverture du sol pendant un an), contrôle des adventices par la concurrence du couvert végétal lors de l'interculture et par le mulch après le roulage du couvert, ainsi qu'une réduction significative du nombre de passages mécaniques en agriculture biologique (Vincent-Caboud et al., 2019). Des travaux prometteurs ont été réalisés sur le soja principalement aux États-Unis d'où vient la technique (Vincent-Caboud et al., 2019a), mais très peu en France voire en Europe (Vincent-Caboud et al., 2017). Une revue de la littérature (Vincent-Caboud et al., 2019a) a permis de mettre en évidence les étapes clés pour la réussite de cette technique (Figure 1) : (1) le choix du couple couvert/culture de rente ; (2) le semis du couvert, (3) sa destruction par roulage, (4) le semis de la culture de vente et (5) la récolte de la culture de vente.
Les enjeux agronomiques sont de contrôler les adventices (avant et après roulage, jusqu’à la récolte de la culture), de détruire le couvert par roulage et de réussir à semer la culture de vente dans le mulch (Figure 1). Pour répondre à ces enjeux, des éléments de réussite ont déjà été identifiés dans la revue de littérature, sur lesquels nous avons basé les itinéraires techniques de nos essais. Ainsi, pour choisir le couple couvert/culture de rente, il faut tenir compte de la précocité de la culture principale, pour rouler le couvert le plus tard possible (il doit atteindre la floraison). Il faut aussi tenir compte de la précocité des couverts (à floraison le plus tôt possible). Le choix du couvert doit aussi se faire sur sa capacité à contrôler les adventices avant (le plus dense possible) et après destruction (bonne épaisseur et faible dégradation du mulch). Ainsi, le C/N du couvert est important : suffisamment élevé pour faire un mulch épais, mais pas trop pour bien implanter la culture (et limiter les carences en azote). Ensuite le couvert doit être semé le plus tôt possible en fin d'été pour atteindre le stade de floraison au moment du roulage, suffisamment dense pour obtenir au moins 8t de matière sèche à l’ha. Le semis du couvert doit être perpendiculairement au semis de la culture, pour une meilleure couverture du sol par le mulch une fois roulé. La destruction du couvert doit se faire avec un rouleau lourd de type rouleau cranteur, au stade floraison (ou au moins 50% de floraison) pour le blesser et le tuer. Le semis de la culture de rente peut se faire après le roulage ou en même temps, mais avec une densité de semis élevée pour contrer les problèmes d'implantation (difficulté de semis dans le mulch). La stratégie de fertilisation de la culture de rente doit être adaptée pour tenir compte du couvert (processus de compétition ou de facilitation).
Depuis 2016, nous avons mené des travaux pour étudier cette technique sur deux cultures de printemps, le soja et le maïs, dans des conditions pédoclimatiques de Rhône Alpes. En effet ces deux cultures sont très présentes dans les rotations culturales de la région et plus particulièrement en AB, du fait du climat et d’une grande facilité d’accès à l’irrigation. Toutefois, elles nécessitent de nombreux désherbages mécaniques, en raison d’une part d’une fréquence de retour élevée dans les rotations et, d’autre part, de la nécessité d’avoir une très bonne levée, sans concurrence, pour installer le peuplement. Notre objectif était de tester des couples couvert/cultures et des itinéraires techniques associés permettant de répondre à deux enjeux (Figure 1) : d’une part bien contrôler les adventices avant (sous le couvert) et après le semis de la culture sans aucun herbicide ni travail mécanique du sol, d’autre part assurer une croissance et un développement satisfaisant des cultures (bonne implantation, bonne levée, etc.). Ainsi, l’objectif de cet article est de présenter les résultats obtenus de 2016 à 2020, les principales clés de réussite mais aussi limites de cette technique.
Matériel et Méthodes
Suivi d’essais annuels
Des essais annuels ont été menés entre 2016 et 2020 sur des cultures de printemps (Tableau 1). Ces essais, conduits en partie dans des exploitations agricoles de la vallée du Rhône ont principalement été réalisés sur la culture de soja (13 essais jusqu’en 2019) et dans une moindre mesure sur celle de maïs (3 essais de 2018 à 2020). Les sites sont caractérisés par un climat océanique dégradé avec des influences méditerranéennes (sud de Lyon) et montagnardes (nord et est de Lyon). Les essais ont été menés en majorité au sein de systèmes de production gérés en agriculture biologique, avec irrigation pour le maïs et pour la majorité des essais soja (Tableau 1). Les sols sont de type sablo-limoneux ou limoneux.
Pour le soja, l’itinéraire technique (ITK) expérimenté repose sur l’implantation d’un couvert végétal de poacées fin d’été/début automne, le roulage du couvert au printemps suivant puis le semis du soja sous ce couvert. Différents dispositifs ont été testés en lien avec les 4 premières étapes clés de la figure 1. Pour répondre aux enjeux, nous avons étudiés l’effet de différents couverts sur (1) le contrôle des adventices pendant la phase de couverture et après roulage, (2) l’implantation du soja dans le mulch, et (3) les composantes du rendement. Afin de répondre à ces questions, plusieurs facteurs ont été étudiés (Tableau 1) : les espèces du couvert, la variété du seigle en tant que couvert, la stratégie de semis du couvert (date x densité), le nombre de roulage du couvert.
Pour le choix des facteurs, nous sommes partis de la littérature qui recommandait d’utiliser le seigle (Vincent-Caboud et al., 2019a). Nous avons co-conçu les essais avec des agriculteurs-expérimentateurs (Vincent Caboud et al., 2020), qui ont amené des facteurs supplémentaires à tester autour de leurs propres connaissances ou contraintes techniques et économiques. Ainsi, nous avons introduit des essais sur les variétés intéressantes en seigle, la comparaison du seigle à du triticale et un mélange seigle X triticale, pour pallier un frein économique (peu de semences de seigles certifiées en AB en fin d’été, généralement plus chères), d’où le choix de comparer le seigle au triticale (moins onéreux car le triticale est produit sur la ferme).
Pour le maïs, seuls 3 essais ont été implantés sur un même site (en 2019, 2020 et 2021) dans le même esprit que pour le soja (Tableau 1). L’utilisation de cette technique en maïs était encore moins connue que pour du soja (Vincent-Caboud et al., 2019a ; Wallace et al., 2017), nous nous sommes ainsi concentrés sur le choix du couvert, et dans une moindre mesure sur le mode de gestion du couvert. D’après la littérature, il est nécessaire que le couvert soit composé d’une légumineuse pour prévenir les faims d’azote du maïs quand le couvert est détruit. Toutefois, un couvert de légumineuse pure se dégrade trop rapidement, ce qui peut conduire à une mauvaise gestion des adventices une fois la culture semée. Ainsi nous avons testé comme facteur des couverts de légumineuses pures (pois 1/3 et féverole 2/3), comparé à des couverts en mélange avec des céréales (pois X seigle ; féverole X seigle et féverole X seigle X vesce). Le couvert de pois n’ayant pas poussé comme souhaité, l’essai avec pois (2019) n’a pas été détaillé par la suite dans l’article.
Les essais présentaient tous le même dispositif expérimental, soit des parcelles élémentaires de 12 m de large X 24 m de long, placées aléatoirement dans 4 blocs. Suivant les essais (Cf. tableau 1), un essai était constitué de 12 parcelles élémentaires (3 modalités X 4 répétitions) ou 8 parcelles élémentaires (2 modalités X 4 répétitions)
Les variables mesurées
Pour chaque essai, l’abondance (nombre.m-2), la biomasse (g.m-2) et la diversité des adventices (espèces) ont été suivies à différentes dates, dont a minima : (1) une en sortie d’hiver sur le couvert avant destruction, (2) une à la levée, (3) une à floraison, et (4) une à la récolte de la culture de printemps.
Les mesures et prélèvements ont été réalisés via la méthode des quadrats (0,375 m2), avec des quadrats fixes pour faire le lien avec les composantes de la culture (abondance et diversité), et des quadrats mobiles pour les prélèvements de biomasse des adventices, des couverts et des cultures (essentiellement à la destruction du couvert, puis à la floraison et à la récolte de la culture).
Le couvert a été suivi via des prélèvements de biomasse sur le couvert avant sa destruction (g.m-2), associés à des mesures de sa hauteur (en cm) puis, du mulch (g.m-2) une fois le couvert détruit. Les composantes du rendement et le rendement final du maïs et du soja ont été mesurés (sur 2 mètres linéaires) à différents stades (Tableau 2). L’ensemble des prélèvements et mesures ont été répétés (3 à 4 fois) par parcelle élémentaires.
Analyses statistiques
Pour le soja, des modèles linéaires mixtes ont permis d’évaluer l’effet des facteurs testés sur la performance du couvert (biomasse et hauteur avant roulage, biomasse du mulch avant la récolte), sur la maîtrise des adventices à différentes dates et sur la culture (levée et rendement). Un modèle linéaire mixte a été construit pour chaque facteur. Au sein de ces modèles, les facteurs “Espèces couvert”, “Variétés couvert”, “Roulages couvert” sont à effets fixes. Les différents sites comparés pour chacun des facteurs, ainsi que les parcelles répétées au sein des sites ont été considérés comme des facteurs à effet aléatoire. Le facteur « site » correspond à une localisation et à une année donnée « localisation x année ». Le modèle d’analyse suivant a été utilisé pour chacun des facteurs fixes :
Yijk=Xi+Aj+Bk+Cjk+XEijk (1)
où X est le facteur fixe (espèce ou variété ou gestion ou inter-rang), A le premier effet aléatoire (site), B le second effet aléatoire (parcelle), C l’interaction entre les facteurs à effet aléatoires, XE l’erreur résiduelle, i une espèce, une variété, un mode de roulage ou un inter-rang spécifique, j un site particulier (localisation x année) et k correspond à une parcelle donnée.
Pour chacun des facteurs fixes, des ANOVA ont été aussi réalisées par site afin d’analyser les variabilités inter-sites. Le facteur ‘Date de semis du couvert’, qui ne contient qu’un seul site, a été analysé uniquement à partir d’un simple modèle linéaire. Les conditions de réalisation de l’analyse des variances (ANOVA) (normalité, indépendance et uniformité de la variance des données) étaient vérifiées pour la hauteur des couverts et le rendement. Les données relatives à la biomasse du couvert et des adventices ainsi qu’à la levée ont été transformées (racine carrée) pour valider les conditions de réalisation de l’analyse des variances.
Pour le maïs, en raison du faible nombre d’essais réalisés sur un même site mais sur 3 années, des analyses de variance à un facteur (espèce du couvert) ont été réalisées pour toutes les mesures, après vérification de la normalité des données ou transformation des variables.
Les tests statistiques ont été effectués avec le logiciel R (version 1.1.463 © RStudio, Inc), et plus précisément, le package lme4 pour réaliser les modèles linéaires mixtes (Bates et al., 2014). La significativité des résultats a été évaluée avec une p-value < 0.05 et les moyennes des modalités ont été comparées en utilisant le test de comparaison Tuckey’s pairwise.
Principaux résultats
Le soja
L’ensemble des résultats obtenus pour le soja est présenté dans le tableau 3.
Croissance des couverts
Effet de la date de semis du couvert : Les couverts végétaux semés à la fin d’été /début automne ont permis une implantation plus rapide à l’automne que ceux semés mi-octobre (Figure 2). Toutefois, lorsque le semis du couvert est tardif (mi-octobre), augmenter la densité de semis de 25 % par rapport à un semis plus tôt (mi-septembre) compense la production de matière sèche (MS) du couvert au printemps, avec en moyenne 6.109 kgMS.ha-1 pour les deux stratégies de semis testées (Tableau 3).
Effet du type de couvert : En moyenne,les biomasses des couverts de seigle et du mélange seigle x triticale sont supérieures au couvert de triticale pur (Tableau 3 et Figure 3). Toutefois, ces moyennes cachent des résultats très contrastés entre sites. En fonction des années et du type de sol, le développement et la biomasse du couvert végétal sont très variables (de 3 T à plus de 12 T de MS/ha). Le contexte pédoclimatique, associé aux choix de la stratégie de semis (date, densité, conditions de semis, etc.) constituent des facteurs primordiaux à considérer pour optimiser la production de biomasse (Vincent-Caboud et al., 2019b). Au cours des essais, les conditions climatiques correspondaient principalement à des automnes très secs (affectant l’implantation du couvert) et des hivers très humides (affectant le tallage des graminées du couvert). Ces phénomènes ont eu des répercussions importantes dans le développement des couverts au printemps (épiaison précoce, gelées du couvert, faibles hauteurs) et expliquent la faible biomasse des couverts avant le roulage, avec en moyenne 5.512 kg/ha.
Effet de la variété du seigle : Les essais comparant plusieurs variétés de seigle en couvert végétal montrent une implantation plus rapide du seigle fourrager à l’automne permettant d’optimiser le recouvrement du sol dès le début de la mise en place de la technique. Ainsi, le seigle fourrager a permis d’obtenir les biomasses les plus élevées avant roulage, comparé au seigle grain (Tableau 3).
Effet de la biomasse du couvert : En raison de la forte variabilité entre sites, il n’y a pas de relation statistique entre les biomasses du couvert et biomasses des adventices à destruction du couvert (Figure 4). Vincent-Caboud et al. (2019b) montrent en suivant la dynamique de biomasse adventices par site, que ceux où les couverts font plus de 8 t de MS/ha à destruction, la biomasse adventice augmente de 200 kg/ha entre la floraison et la récolte du soja. Alors que dans les sites n'obtenant pas ce niveau de biomasse du couvert, la pression des adventices augmente de plus de 1.000 kg de MS/ha entre ces deux dates. La figure 3 illustre les niveaux de biomasse des adventices pouvant être observées à la récolte du soja suivant la biomasse du couvert au moment du roulage.
Effet du type de couvert : La présence du seigle dans le couvert végétal, seul ou en mélange, a permis d’améliorer significativement la maîtrise des adventices au cours de l’ensemble de l’itinéraire technique (Tableau 3). Avant le roulage du couvert, la biomasse d’adventices était de 250-300 kg de MS /ha pour le mélange seigle x triticale et le seigle pur contre 425 kg de MS/ha pour le triticale pur. Ces différences entre type de couvert se retrouvent à la récolte du soja (Tableau 3). Pour des niveaux de biomasse similaires d’un couvert de triticale pur et d’un couvert de seigle, pur ou en mélange, la maîtrise des adventices est plus efficace en présence de seigle. Ce phénomène peut illustrer l’effet allélopathique du seigle. Toutefois, quel que soit le couvert, les biomasses des adventices sont quand même importantes en fin de cycle (plus d’une tonne/ha – tableau 3).
Rendements du soja
Effet du type de couvert : Les couverts de seigle et du mélange seigle x triticale ont conduit aux rendements de soja les plus élevés comparés au couvert de triticale, grâce à une meilleure gestion des adventices. En moyenne les couverts composés de seigle ont permis d’obtenir 20 qx/ha de soja contre 17.4 qx/ha pour le couvert de triticale pur (Tableau 3 et Figure 5). Globalement les pertes à la levée sont importantes, quel que soit le couvert testé, avec de l’ordre de 40 à 50% de pertes (tableau 3). Les différences de rendement s’expliquent ainsi beaucoup par la pression adventice tout au long du cycle et la réussite de la levée de la culture.
Effet du roulage : Rouler deux fois augmente de 20 % les pertes de levées du soja, comparé à un roulage, ainsi les rendements du soja sont également réduits de 20 % (Tableau 3).
Le maïs
Deux essais sont présentés dans cette section, les résultats sont donc beaucoup moins robustes que pour le soja. Ils ont été réalisés sur un même site, mais à deux années d’intervalle. Entre les deux essais, la densité de semis du maïs a été augmentée (de 100.000 pieds/ha à 120.000 pieds/ha) pour compenser les pertes à la levée observées la première année ; la variété de maïs a été aussi adaptée, avec un maïs précoce dans l’essai de 2020, permettant de mieux caler la destruction du couvert (à floraison, vers mi-mai dans nos conditions) avec la période de semis du maïs.
Croissance du couvert et gestion des adventices par le couvert
Globalement nous obtenons plus de 6 t de MS / ha au roulage quel que soit le couvert ou l’année (Figure 6), sans différence significative de biomasses entre les types de couvert. En 2019, le couvert composé d’un mélange de légumineuses et de seigle contrôle mieux la croissance des adventices en interculture (Figure 7), en raison probablement d’un effet allélopathique du seigle. Toutefois, on ne retrouve pas cet effet en 2020, avec moins de seigle dans le mélange (Figure 7).
Les différences apparaissent ensuite sur les mulchs. La dégradation du couvert de féverole est très rapide en 2019 : de 6,9 t de MS / ha en mai à 2,8 t de MS / ha de mulch en juillet 2019. Cette dégradation peut s’expliquer par un début d’été très chaud (+2.5°c par rapport à la normale en juin). Ainsi, des zones sans mulch apparaissent et laissent les adventices se développer, avec ainsi 1,3 t de MS/ha d’adventices en juillet (floraison du maïs) contre 0.56 tMS/ha pour le couvert de mélange (Figure 7). Cet effet n’est pas observé en 2020, où l’écart à la normale est de seulement +0.7°C en juin 2020. Malgré moins de biomasse de couverts (quel que soit le type) à destruction, la dégradation est plus lente et ainsi les mulchs freinent mieux le développement des adventices : moins de 500 kg MS/ha pour les deux types de couvert en juillet à floraison du maïs (Figure 7). On observe une corrélation entre la biomasse du mulch et la biomasse des adventives à floraison du maïs, toutefois la variabilité est forte (figure 8).
Ces résultats confirment l’hypothèse qu’un couvert de légumineuses pures avec un faible C/N peut se dégrader vite, et ainsi le mulch n’est plus assez épais pour freiner le développement des adventices. Toutefois, l’effet climatique joue un rôle, en accélérant ou pas la dégradation du mulch (Figure 9).
Composantes et rendements du maïs
En 2019, le faible taux de levée du maïs a conduit à obtenir des densités de maïs très faibles, avec moins de 70 000 pieds/ha en féverole pure et moins de 60 0000 pieds/ha en couvert mélange. Le nombre de pieds/ha combiné à une mauvaise gestion des adventices pour la féverole et en fin de cycle pour le mélange conduisent à des rendements très faibles, respectivement de l’ordre de 7t MS/ha et 4t/ha (Tableau 4). Ces valeurs sont proches de celles données dans la littérature (Wallace et al., 2017), et sont nettement insuffisantes pour un système en maïs irrigué AB dans notre contexte pédoclimatique.
En 2020, les taux de levée sont légèrement plus importants et malgré la différence de levée entre les deux types de couvert, ces taux associés à une augmentation de la densité de semis (+ 20 000 graines/ha) comparé à 2019 ont permis d’obtenir 90 000 pieds/ha sous couvert de féverole et 81 000 pieds/ha sous le couvert du mélange d’espèces, ce qui est proche voire supérieur au peuplement obtenu régulièrement par les agriculteurs bio de la région. Ainsi, ce peuplement associé à une meilleure gestion des adventices, une variété de maïs à cycle plus court plus adaptée à un semis tardif du maïs, ont conduit à des rendements similaires de l’ordre de 12-13 tMS/ha (Tableau 4). Bien que présentant moins de pieds au démarrage, le maïs sous couvert de mélange a rattrapé ce retard sur le nombre de grains par épis (Tableau 4).
Les enseignements de ces 5 années d’essai
Pour la culture de soja
Les résultats trouvés dans nos essais confirment ceux montrés par nos collègues nord –Américains (Vincent-Caboud et al., 2019a), et valident que la combinaison technique la plus intéressante repose sur le semis précoce (de début à mi-septembre) d’un couvert de type graminée fourragère et semée avec des densités de semis élevées (au moins 200 kg.ha-1). En effet, le semis précoce et dense du couvert améliore la maîtrise des adventices en accélérant le recouvrement du sol à l’automne. La productivité en MS du couvert végétal est essentielle à la gestion des adventices mais le choix de l’espèce apparaît aussi déterminant vis-à-vis de deux caractéristiques importantes : le ratio C/N (qui conditionne la dynamique de décomposition du mulch) et l’effet allélopathique. Le couvert doit être composé au moins d’une espèce caractérisée par un potentiel élevé d’effet allélopathique, reconnu chez le seigle et un ratio C/N élevé pour conserver un épais mulch sur le sol au cours de la saison et ainsi réduire la pression des adventices.
Nous montrons plus spécifiquement dans nos travaux que l’espèce de poacée (seigle ou triticale) n’est pas déterminante sur la productivité du couvert en raison de la variabilité des conditions pédoclimatiques, mais elle est essentielle vis-à-vis de la dynamique de décomposition du couvert puisque le mulch de seigle a permis de recouvrir le sol plus longtemps que le triticale.
Les itinéraires techniques en SDCV sans herbicide conduisent en moyenne à 5-8 % de pertes de rendement de soja (en fonction du type du dispositif) comparés aux pratiques des agriculteurs expérimentateurs (parcelles adjacentes suivies classiquement). En AB le temps de travail et la consommation de carburant sont réduits de plus de la moitié. Ces résultats s’expliquent par un faible nombre d’interventions sur les parcelles en SDCV comparées aux pratiques de désherbages classiques en AB (faux semis, binages, etc.). Ces économies permettent d’améliorer les marges brutes. Toutefois, en fonction des sites, des interventions de rattrapage ont été testées en situation d’infestation élevée d’adventices ou de repousses du couvert (par exemple l’écimage). Cette stratégie n’a pas amélioré le rendement et a conduit à une marge négative. Des solutions de rattrapage plus appropriées sont à étudier.
Enfin, les charges liées aux couverts sont élevées et constituent souvent le facteur affectant la viabilité de la technique, de même que l’augmentation de densité de semis des cultures. Le coût des semences en AB, en particulier du seigle semé à 200 kg/ha, augmentent les charges. Les estimations réalisées sous l’hypothèse d’achat des semences, indiquent une marge brute inférieure aux pratiques des agriculteurs, alors qu’elle est positive lorsque l’hypothèse repose sur des semences de ferme pour les couverts. Des stratégies sont à développer pour sécuriser la performance du couvert dans sa capacité à gérer les adventices tout en limitant l’investissement réalisé. Ainsi le mélange seigle X triticale apparait comme le meilleur couvert dans nos essais : des rendements équivalent au couvert de seigle, mais avec des coûts de semences bien inférieurs et donc une meilleure marge brute.
Pour la culture de maïs
En termes de composition de couvert, la féverole se dégrade plus rapidement que le seigle et produit donc un mulch moins épais. Si dans certains cas cela augmente la pression des adventices, cela permet aussi au maïs de mieux réussir son implantation. L’implantation et la croissance du maïs étant la clé de voute d’un semis direct sous couvert réussi, la féverole pure a tendance à améliorer le rendement du maïs car elle est moins compétitive vis à-vis du maïs.
Le seigle, quant à lui, possède des propriétés allélopathiques qui lui permettent de réduire la pression des adventices. Cependant, se dégradant moins vite, il peut davantage faire office de barrière physique à l’implantation et la croissance du maïs. La littérature révèle que la limite d’un couvert composé d’un mélange de légumineuses et de seigle est, d’une part, une possible faim d’azote, et d’autre part, un mulch trop épais au semis du maïs, défavorisant l’implantation du maïs (mauvais positionnement des graines) et derrière la levée (barrière physique) (Wallace et al., 2018). Nous observons effectivement les deux années un taux de levée plus faible avec le couvert de mélange d’espèces qu’avec le couvert de légumineuse pur, environ -10% en 2019 et -7% en 2020.
Nos résultats montrent qu’il est possible de remédier aux contraintes du couvert « mélange de légumineuses et de seigle », en augmentant la densité de semis du maïs, et aussi la qualité du semis (choix d’un matériel adapté à une implantation dans un mulch). Cela confirme l’intérêt des mélanges comme couvert associé à une culture de maïs (Vincent-Caboud et al., 2019a ; Wallace et al., 2017) dans des conditions pédoclimatiques de milieu tempéré.
Nos résultats sont fondés sur deux années d’essai, il est nécessaire de répéter ces essais dans d’autres contextes pédoclimatiques pour mieux appréhender le risque d’une telle technique. On voit bien que les modifications du climat d’une année sur l’autre vont impacter grandement la réussite de la technique, ils constituent néanmoins les seules références agronomiques en Europe à ce jour.
Pour les deux cultures
La majorité de nos travaux a été entreprise dans des systèmes irrigués, où l’eau n’est pas le facteur le plus limitant. Ainsi, nous n’avons pas vu d’effet de forte biomasse de couvert sur le stock en eau au début de l’été. Nous avons plutôt observé le phénomène inverse, avec des sites expérimentaux non irrigués présentant de meilleurs résultats (par rapport à la conduite classique de l’agriculteur), comparé aux sites irrigués. Le mulch, comme frein à l’évaporation, a pu jouer un rôle intéressant en plein été dans ces systèmes.
Une autre limite de ces travaux concerne l’intégration de cette technique à l’échelle d’une rotation dans un système de culture. En effet, actuellement les rotations de la région présentent souvent une succession de type soja-blé-maïs, et ainsi ne permettent pas d’implanter un couvert très tôt après soja pour faire un semis direct de maïs. De même le mulch après le soja peut constituer un problème pour le semis direct de blé qui suivrait, et nécessite alors un matériel de semis adapté (avec disques ouvreurs par exemple). Il est donc nécessaire soit de voir cette technique comme une possibilité sur quelques cultures de la rotation de réduire les passages mécaniques, soit de revoir la rotation des cultures. Au vu des risques que représente cette technique, les agriculteurs expérimentateurs avec qui nous avons travaillés sont plus dans la première optique.
D’autres techniques de gestion de couvert vivant et d’implantation en direct se développent actuellement, comme le fauchage d’un couvert permanent dans l’inter rang de cultures semées directement dans ce couvert (semis à grand écartement). Cette technique en cours de test (CASDAR GRAAL) pourrait solutionner d’une part les problèmes de contrôle des adventices si le couvert n’est pas assez développé (adventices fauchées), et d’autre part l’intégration à l’échelle d’un système car elle nécessite forcément de revoir la rotation et l’écartement des cultures pour la tester.
Conclusion
Le Semis Direct sous couvert roulé est une technique intéressante pour implanter des cultures de printemps, elle permet de contrôler le développement des adventices sans avoir recours aux herbicides ou à un désherbage mécanique intensif en AB. L’étape clé de cette technique est le choix du couvert végétal à associer à la culture de vente. Les couverts avec du seigle fourrager pour le soja et les couverts avec de la féverole pour le maïs, sont les plus prometteurs dans les essais menés dans la vallée du Rhône autour de Lyon. Toutefois, la réussite est conditionnée par le bon développement du couvert végétal, avec la nécessité de rouler à floraison et sur une biomasse importante. Or, suivant les conditions pédoclimatiques il n’est pas toujours possible d’obtenir ce développement même quand toutes les pratiques favorables à leur développement ont été mises en œuvre (semis fin d’été à forte densité, un roulage à floraison du couvert, etc…). La technique intéresse de plus en plus les agriculteurs de la région, et plus particulièrement ceux en agriculture biologique, mais nécessite encore des travaux pour sécuriser un peu plus la pratique suivant les conditions pédoclimatiques, et surtout pour l’intégrer dans leurs systèmes de culture (rotation, fertilisation, gestion de l’eau…).
Remerciements et financement des travaux
Nous tenons à remercier tous les agriculteurs-expérimentateurs avec qui nous avons travaillé conjointement sur ces essais, ainsi que Julie Delclaux qui a participé à l’analyse des données sur les essais maïs. Ces travaux ont été financés par la fondation TERRA ISARA, le programme PEPITES (région AURA) et l’Agence de l’eau RMC dans le cadre du projet ACR’eau.
Références bibliographiques
Bates, D., Mächler, M., Bolker, B., Walker, S. 2014. Fitting Linear Mixed-E_ects Models using lme4. arXiv 2014, arXiv:1406.5823.
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