Les couverts végétaux : un levier agronomique parmi d’autres pour contrôler la population d’adventices dans une exploitation mayennaise, en grande culture, convertie à l’agriculture biologique
Thierry Papillon1, Thomas Queuniet2 et Guillaume Laine3
1 LEGTA de Laval, 321, Route de Saint Nazaire, 53000 Laval – thierry.papillon@educagri.fr
2 CIVAM Bio 53, ZA FOntenir, Impasse des tailleurs, 53810 Changé – agronomie@civambio53.fr
3 Agriculteur à Villiers-Charlemagne
Introduction
Guillaume LAINE est agriculteur à Villiers-Charlemagne, en Mayenne. Sa ferme, spécialisée en production de céréales et oléo-protéagineux, répond depuis 2017 au cahier des charges de l’agriculture biologique. Il participe activement au groupe ECOPHYTO DEPHY FERME du Civam bio 53 et ce, notamment pour accompagner et sécuriser la conversion. Nous cherchons à travers ce témoignage à mettre en lien la pratique des couverts végétaux dans un système de culture répondant aux exigences de l’agriculture biologique avec la maîtrise ou le contrôle des adventices. La mise en place de couverts végétaux diminue-t-elle la pression des adventices ? La présence de couvert dans l’assolement de cette ferme a-t-elle pour premier objectif le contrôle de la flore adventive ? Les couverts d’interculture remplissent-ils cette mission sous certaines conditions de conduite ? Autrement dit quels sont les itinéraires techniques qui rendent les couverts performants au regard du contrôle de la flore adventice ?
De l’installation en 1995 à 2017
Guillaume Lainé s’est installé à Villers–Charlemagne en 1995. Il travaille seul et a peu recours à la CUMA sur une S.A.U de 140 ha spécialisée en grande cultures diversifiées (blé, orge, maïs) et oléo-protéagineux (colza, pois) avec, pour valeur, la préservation des fertilités physique et organique des sols. Ces derniers sont limoneux-sableux ou limono-argileux. On se trouve sur la fin des schistes et micaschistes du Massif armoricain. Les argiles sont souvent davantage granulométriques que minéralogiques entrainant des CEC et des capacités de rétention en eau assez faibles, même si certaines parcelles, par la profondeur du limon et la topographie, disposent d’une bonne réserve hydrique. Il existe des parcelles humides l’hiver et séchantes l’été.
A noter la présence de la betterave rouge dans l’assolement, culture contractualisée pour produire du colorant alimentaire.
Concernant les itinéraires techniques, les techniques culturales simplifiées sont privilégiées avec l’absence de labour, des déchaumages systématiques et la mise en place progressive de semis direct. Par ailleurs, le sol est en permanence couvert. Ces cultures intermédiaires sont composées surtout de moutarde et d’avoine (Avena strigosa), elles ont pour objectifs de maintenir la structure du sol et d’assurer des retours en matières organiques. Les adventices sont contrôlées en utilisant des herbicides. Ainsi la maîtrise du salissement n’est pas une fonction dévolue, de prime abord, aux couverts. Concomitamment à l’utilisation d’herbicides, des phénomènes de résistance notamment des bromes et des ray-grass, apparaissent, provoquant, de fait, des situations d’impasse…
Conversion bio en 2017, évolutions du système de culture
La conversion en bio a pour conséquence l’allongement de la rotation, avec la mise en place d’une culture pluriannuelle fauchée au début de la succession. L’introduction de la luzerne sur des séquences de 2 à 3 ans a eu pour objectif de retrouver l’effet désherbant d’une prairie dans une rotation d’un système polyculture - élevage. Un quart de la S.A.U. a été, à ce titre, implanté en luzerne.L’effet précédent azote, a été bien-sûr apprécié notamment pour les blés qui succèdent à cette culture (Figure 1).
À l’échelle du territoire, la luzerne peut être valorisée, en l’absence d’élevage dans le système, déshydratée par DESHY OUEST, qui propose cette prestation en utilisant, comme combustible, le méthane issu de la fermentation des déchets ménagers organiques de l’agglomération lavalloise.
La couverture sans travail du sol de la luzerne pendant trois ans et les fauches favorisent la baisse du stock semencier des adventices et la lutte contre les vivaces. Néanmoins la dormance hivernale de la luzerne laisse la place aux développements d’adventices hivernales, notamment des ray-grass qui, a priori, ne posent pas de problèmes car les fauches systématiques et répétitives empêchent l’adventice d’accomplir son cycle jusqu’à la grenaison. La qualité des récoltes peut néanmoins être diminuée par la présence de ces plantes adventices (pureté de la récolte, toxicités éventuelles, baisse de la MAT). La luzerne est alors détruite plus tôt. En revanche, à l’implantation et avant la1ère fauche, il est possible d’avoir une pression d’adventices importante. La luzerne est donc associée à deux trèfles (violet et nain blanc rampant et stolonisant) pour limiter les « trous » notamment dans les parcelles plus humides. Enfin les luzernières limitent le temps de travail puisqu’elles sont implantées pour trois à quatre ans, selon la qualité de leur peuplement, et parce que les récoltes sont externalisées.
Autre conséquence de la conversion à l’agriculture biologique, la diversification de l’assolement. Ainsi, l’alternance des périodes de semis, entre l’automne et le printemps, est devenue quasi systématique. Cette diversification des dates d’implantation implique des couverts d’interculture très fréquents. Leurs compositions ont évolué : féverole, phacélie, avoine et parfois du tournesol. Cette diversification spécifique assure une meilleure couverture du sol tout au long de la présence de cette culture intermédiaire. Les dates d’implantation, les doses de semis et les compositions sont encore très variables. D’autant plus avec les sécheresses estivales, il n’y a pas de routine à ce jour sur la ferme à l’instar des fermes de grandes cultures biologiques. Les couverts sont devenus incontournables, puisque de leur réussite dépend l’équilibre du système de culture : fertilité minérale et organique, structuration du sol et contrôle des adventices, notamment pour les couverts d’été dont la réussite peut être mise à mal en raison des facteurs climatiques de cette saison. A ce sujet, Guillaume LAINE constate que le SD (semis direct) pénalise le couvert au détriment des adventices déjà en place car celles-ci sont peu ou pas déstabilisées par le SD, de plus la structure du sol reste compacte et limite le développement du couvert.
Les phénomènes d’impasse découlant de la résistance aux herbicides des bromes et des ray-grass ont disparu. Nous assistons là à un changement de regard vis-à-vis la gestion de la flore adventice grâce aux couverts. Ces derniers favorisent le contrôle de cette flore car leurs conduites peuvent-être adaptées à la phénologie des adventices présentes. Ainsi, les destructions des couverts sont rarement effectuées par le broyage ou la fauche mais plutôt par un travail du sol superficiel, dans l'idéal avec le passage du Howard (rotavator scalpant à 5 ou 8 cm), couteux et énergivore. Sinon un ou deux passages de disques ou alternance disques-dents sont réalisés. Cette destruction n’a pas seulement lieu en fonction de l’implantation de la culture suivante mais aussi en fonction du stade de développement des adventices présentes dans le peuplement du couvert pour éviter la production de graines (action sur le stock semencier). La destruction des couverts de trèfles se fait par labour pour les semis précoces sortie hiver type lupin ou orge de printemps et par scalpage en sortie hiver pour les autres semis, plus tardifs de printemps.
Il est à noter cependant, que les couverts conservent pour Guillaume LAINE en priorité un rôle de fertilité, dans le sens d’apports et de rétention des nutriments, et le contrôle des adventices est plutôt un « avantage collatéral » qui reste à développer.
Enfin, on note le retour des labours environ une année sur trois dans le but de maitriser les adventices notamment des graminées qui reviennent en « TCS Bio », alors qu’ils étaient abandonnés depuis plusieurs années avant la conversion. Ceci pose la question de l’impact des labours sur les flores à faible TAD, (taux annuel de décroissance). Il est utilisé pour les cultures de printemps (février–mars), orge ou lupin, ou pour des cultures d’hiver en implantation tardive. Il y a cependant de bonnes réussites de cultures sans labour, comme le triticale-féverole récolté en 2021 par exemple.
Perspectives en vue de sécuriser les couverts d’été
La capacité de régulation des adventices par des couverts est étroitement corrélée à la qualité de leurs implantations. C’est pourquoi de nombreuses réflexions et expérimentations ont été et sont encore menées par Guillaume LAINE afin de stabiliser des itinéraires techniques pour assurer la réussite des couverts, notamment en été, dans un contexte climatique plus aléatoire.
Les mélanges d’espèces sécurisent la production de biomasse du couvert : « il y a toujours une plante qui pousse ». La complémentarité des différents feuillages et la forte densité de semis couvrent le sol sur toute la surface à tous les stades phénologiques, augmentant ainsi la concurrence vis-à-vis des adventices pour l’accès à la lumière. Enfin, pour accroître la qualité des implantations, un semoir semis direct Sly© est utilisé en combiné avec un vibroculteur. Ainsi la profondeur du semis est parfaitement maîtrisée, favorisant une levée rapide et homogène. C’est particulièrement important pour les semis de couverts estivaux qui doivent s’implanter rapidement avant que les adventices ne lèvent après la moisson et sans trop travailler le sol pour ne pas provoquer un dessèchement excessif du profil.
C’est pour cela que Guillaume Lainé envisage de plus en plus de pratiquer des semis de trèfles sous couvert de blé ou de colza pour assurer la levée des trèfles en été. Ceux-ci sont semés à la herse étrille à l'automne ou au printemps, suivant les conditions. Un effet nettoyant est recherché, favorisé par l’avance prise du trèfle sur la levée des plantes adventices estivales depuis la récolte. L’effet précédent azote est également visé. Des essais sont réalisés pour un semis simultané à la culture (colza et blé) ou décalé (trèfle semé en mars dans le blé). Les résultats, notamment sur colza sont d’ores et déjà très encourageants. Après la récolte de la céréale ou du colza, il y a trois possibilités. Soit le trèfle est « poussant » et développé, rien n’est réalisé jusqu'à la culture suivante (blé d’automne ou culture de printemps). Dans le cas d’un faible peuplement de ce couvert, un sursemis est effectué au semoir Sly (semis direct à disque) avec de la fèverole, de l’avoine, de la phacélie, du tournesol et du sarrasin. Pour finir, si le couvert est très peu présent, il y a alors un déchaumage avec des disques et semis de couverts avec les mêmes espèces.
On peut d’ailleurs noter que Guillaume LAINE et d’autres producteurs en agriculture biologique testent de plus en plus les colzas associés, méthodes expérimentées dans les réseaux TCS et documentée par Terre Innovia entre autres. Concrètement, le semis a lieu autour du 20-25/08 avec une dose de trèfle d’Alexandrie et/ou avec d’autres plantes gélives : sarrasin, tournesol, etc. Il peut également y avoir présence de trèfles non gélifs (blanc par exemple). L’objectif est donc à nouveau double, accroître la concurrence vis-à-vis des adventices lors des premiers stades du colza mais également une captation d’azote (atmosphérique et issue de la minéralisation) par les espèces gélives qui le resituerait en sortie hiver. Cette technique apporte de bons résultats dans le contexte de cette ferme en agriculture biologique.
Pour finir, Guillaume LAINE projette d’expérimenter la techniques « double couverts », à savoir, deux couverts végétaux avant la mise en place de la culture de printemps suivante. La destruction mécanique du premier couvert à un stade phénologique peu avancé jeune interdit la production de graines par les plantes adventives présentes qui auraient pu s’implanter depuis la moisson. A nouveau, ces doubles couverts ont également un objectif « d’auto » fertilité.
Conclusion
« Même si la gestion des couverts est pour moi incontournable pour améliorer la fertilité des sols, force est de constater qu'un couvert homogène et bien dense laisse peu de place, à la sortie de l’hiver, aux adventices. Nous avons donc une parcelle plutôt propre avant l’implantation de la culture suivante ».
Ces propos tenus par Guillaume LAINE nous montrent que les couverts végétaux et plus largement la couverture du sol est une ligne conductrice forte dans la conduite de son système de culture. A la suite de nos discussions, il ressort que, sur le plan opérationnel, les couverts sont multifonctionnels : i) ils participent à la fertilité des sols, à l’échelle de la rotation grâce aux retours organiques qu’ils rendent possibles, ii) Ils fournissent des éléments minéraux, en cas de destruction précoce, aux cultures suivantes, iii) enfin ils peuvent dans le cadre d’itinéraires techniques précis participer au contrôle de la flore adventive. Cette dernière fonctionnalité n’est donc pas la seule motivation à la mise en place des couverts végétaux d’interculture mais semble de plus en plus présentes dans les choix de Guillaume LAINE.
Si l’on considère donc le soin apporté à leur réussite et efficacité, (implantation, conduite, destruction), les couverts sont devenus les maillons incontournables pour maintenir la performance agronomique du système de culture de Guillaume LAINE : conservation de l’azote, structuration du sol et ils concourent aussi et aussi contrôle des adventices. Les couverts sont devenus des cultures à part entière, dont la réussite impacte fortement les performances de ses systèmes de culture.
Les articles sont publiés sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 2.0)
Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue AES et de son URL, la date de publication.