Conséquences de l’utilisation de variétés de tournesol tolérantes aux herbicides sur la flore des agrosystèmes
Guillaume Fried*, Valérie Le Corre** Tiana Rakotoson***, Julie Buchmann****, Emeline Felten**, Bruno Chauvel**
* ANSES, Laboratoire de la Santé des Végétaux, Unité Entomologie et Plantes invasives, Montferrier-sur-Lez cedex, France
** Agroécologie, INRAE, Institut Agro, Univ. Bourgogne, Univ. Bourgogne Franche-Comté, F-21000 Dijon, France
*** UMR Agronomie, Université Paris-Saclay, AgroParisTech, INRAE, 78850 Thiverval-Grignon, France
****Agroscope, Route de Duillier 50, Case Postale 1012, 1260 Nyon 1, Suisse
Email contact auteurs : Guillaume Fried Guillaume.Fried@Anses.Fr
doi.org/10.54800/lmp693
Résumé
Les pratiques agricoles liées à l'utilisation de variétés tolérantes aux herbicides (VrTH) suscitent des inquiétudes qui ont amené les autorités publiques à recommander un suivi de leurs effets non-intentionnels. Dans ce contexte, la flore de 239 champs de tournesol a été étudiée entre 2017 et 2019. Nos données indiquent que les parcelles conduites avec des VrTH sont associées à une plus faible diversité de plantes adventices en plein champ qui peut être attribuée à une utilisation plus importante d’herbicides. Les fortes densités d’ambroisiesobservées dans les parcelles VrTH sont manifestement la cause de l’utilisation des VrTH plutôt que la conséquence de ces pratiques. L’utilisation des VrTH ne semble pas systématiquement assurer un contrôle des densités élevées, ce qui augmente le risque de sélection de résistances d’A. artemisiifolia à l’imazamox et au tribénuron. Des ambroisies résistantes ont bien été détectées sur une parcelle VrTH.
Mots-clés :Ambrosia artemisiifolia, effet non cible, mutagénèse, résistance aux herbicides, bordure de champs
Summary
The farming practices associated with the use of sunflower herbicide-tolerant varieties (HTVs) have raised concerns among public authorities, who have recommended monitoring the potential effects of HTVs on biodiversity. In this context, at the scale of three French departments, the vegetation of 239 sunflower fields and their margins was studied between 2017 and 2019. This lower weed diversity can be attributed to shorter crop rotations and higher herbicide use. Admittedly, the higher densities of A. artemisiifolia observed in plots with HTVs are the cause of the use of these varieties rather than the consequence of these practices. However, these practices do not seem to solve the problem of high ragweed infestations and thus, they increase the risk of selection of resistance of ragweed to imazamox and tribenuron. Resistant ragweeds were indeed detected on a VrTH plot.
Keywords:Ambrosia artemisiifolia, non-target effect, mutagenesis, herbicide resistance, field border
Introduction
La diversification des rotations est un enjeu majeur pour la durabilité des systèmes agroécologiques. Toutefois l’insertion de culture de printemps ou d’été dans les rotations de cultures d’hiver reste difficile du fait des aléas climatiques et des contraintes liées à différents types de ravageurs. Parmi les cultures de printemps, le tournesol présente un profil intéressant : c’est une culture qui nécessite moins d’engrais azotés que le maïs et qui est également moins sensible à un stress hydrique (besoins en eau estimés à 480/500 mm sur un cycle). La culture est également économe en produits phytosanitaires avec un nombre de traitement total de 2,9 en moyenne en 2017 (niveau le plus bas parmi les principales grandes cultures ; Agreste, 2020). Cette demande plus limitée en intrants rend cette culture également compatible avec le mode de production biologique d’autant que l’écartement des rangs est particulièrement adapté au désherbage mécanique.
Le développement de certaines plantes envahissantes, notamment l’ambroisie à feuilles d’armoise (Ambrosia artemisiifolia) est la principale ombre au tableau de cette culture (Photographie 1).
En agriculture conventionnelle, la gestion des adventices représente d’ailleurs deux tiers des traitements (2,1 traitements herbicides sur 2,9 traitements au total, avec un IFT herbicide moyen de 1,3 ; Agreste, 2020). Jusqu’à son retrait en 2008, cette gestion a reposé sur l’utilisation d’une molécule de prélevée, la trifluraline, qui bien qu’efficace sur de nombreuses espèces a aussi participé à favoriser la présence d’espèces adventices tolérantes à cet herbicide : ambroisie, ammi élevé, bident, lampourde (Fried et al., 2006).
Pour répondre au développement de nouvelles adventices envahissantes, des variétés tolérantes aux herbicides (VrTH) obtenues par mutagenèse (Duroueix et al., 2010), ont rapidement été adoptées par les agriculteurs dans plusieurs pays européens. Deux VrTH de tournesol ont été approuvées en France depuis 2010, l'une avec une tolérance à l'imazamox (imidazolinones, groupe HRAC 2), l'autre avec une tolérance au tribénuron-méthyle (sulfonylurées, groupe HRAC 2) ; ces deux substances actives ont le même mode d'action (inhibition de l'acétolactate synthase). Actuellement, environ 25% de la surface cultivée en tournesol en France est réalisée avec une VrTH (ANSES, 2020), avec cependant de fortes variations géographiques suivant les problématiques adventices rencontrées : ambroisie à feuilles d’armoise (A. artemisiiifolia – appelée ambroisie dans la suite de document), cirse des champs (Cirsium arvense), datura stramoine (Datura stramonium) ou tournesol adventice (Helianthus annuus var. annuus). Controversées suite à une décision du Conseil d’état en 2020, ces variétés issues de la mutagénèse ont fait récemment l’objet d’une consultation publique par le ministère de l’Agriculture (https://agriculture.gouv.fr/consultation-publique-projet-dordonnance-relative-aux-varietes-rendues-tolerantes-aux-herbicides) qui n’a pas modifié pour le moment leur utilisation.
Dans le cadre du programme Ecophyto II, il a été décidé de réaliser une étude afin d’analyser les communautés adventices associées aux VrTH de tournesol par rapport aux variétés traditionnelles dans les systèmes de culture conventionnels et biologiques. En complément, il a été mesuré les effets non cibles potentiels de l’utilisation de ces variétés sur la végétation en bordure extérieure de champ (Fried et al., 2018). Trois questions principales ont été abordées : i) quels sont les effets de la région, du paysage et des pratiques de gestion sur la diversité des communautés adventices au sein des parcelles cultivées de tournesol ? ii) quels sont les effets de ces mêmes facteurs sur les communautés végétales en bordure des champs ? iii) quels sont les facteurs qui influencent l'abondance de l’ambroisiedans les parcelles cultivées et les milieux proches ? Parmi les pratiques de gestion, une attention particulière a été portée sur l'effet des pratiques spécifiquement associées à l'utilisation des VrTH. Des prélèvements ont également été réalisés pour détecter d’éventuels individus d’ambroisie résistants à l’imazamox et/ou au tribénuron (résistance par mutation de cible).
Sites d'étude
Trois départements (Cher, Côte d’Or et Isère) ont été sélectionnés en fonction d'un gradient du niveau d'abondance actuel d’ambroisies. L'Isère est la région la plus anciennement colonisée au cours du 19e siècle avec des fortes densités alors que l’espèce ne s'est implantée en Côte-d'Or qu'au cours des années 1990.
Le Cher occupe une position intermédiaire avec une implantation d’ambroisiedans la seconde moitié du 20e siècle et une forte augmentation dans les milieux agricoles ces dernières années. La place agronomique du tournesol dans ces régions est différente : dans le nord (Cher, Côte d'Or), le tournesol est une des cultures estivales insérées dans la succession des cultures d'hiver alors qu’en Isère, le tournesol est une des cultures principales sur lesquelles repose l'assolement. Trois organisations professionnelles agricoles (Chambre agriculture de l'Isère, Chambre agriculture de Côte d'Or et FDGEDA du Cher) ont sélectionné des parcelles de tournesol (tableau 1) dans leur réseau d'agriculteurs. Sur l'ensemble des 239 parcelles sélectionnées, trois systèmes agricoles ont été échantillonnés : i) avec des VrTH (VrTH ; 131 champs) ii) avec des variétés de tournesol traditionnelles désherbées chimiquement (CVT ; 95 champs) ou iii) avec des variétés de tournesol traditionnelles en agriculture biologique (BIO ; 13 champs). La grande difficulté à trouver des parcelles de tournesol en agriculture biologique dans les départements du Cher et en Côte d’Or n’a pas permis d’équilibrer l’échantillonnage.
Variables environnementales et de gestion des parcelles
En référence au tableau 2, 21 variables explicatives ont été choisies et regroupées en six catégories. Deux variables spatiales rendent compte des variations géographiques et longitudinales. Le paysage est décrit par deux variables, l’indicateur de terres agricoles à haute valeur naturelle (HVN, Fried et al, 2022) et l’occupation du sol autour des bordures. Pour caractériser la gestion de la flore en bordure des champs, largeur et gestion de la bordure sont pris en compte.
Les agriculteurs du réseau ont été interrogés afin de recueillir les informations sur leurs pratiques de gestion. Les pratiques culturales ont été décrites par cinq variables basées sur la rotation (fréquence de retour du tournesol, importance des cultures estivales) et sur l’itinéraire technique (travail du sol, date de semis, fertilisation azotée ; Tableau 2). Les pratiques de gestion des adventices tiennent compte du désherbage mécanique et chimique en distinguant les désherbages de prélevées et de post-levées.
Trois variables ‘temporelles’ ont été retenues : i) date de chaque relevé de la végétation adventice (en jour julien à partir du 1er janvier de chaque année), ii) à la date du relevé, la hauteur moyenne des tournesols et iii) l'année du relevé.
Pour 59 parcelles, seules les informations sur le système agricole (BIO, CVT, VrTH) ont pu être utilisées sans informations détaillées sur l’itinéraire technique (tableau 1). Pour valoriser l’ensemble des données de végétation récoltées sur 239 parcelles, un modèle simplifié a donc été développé avec seulement trois variables explicatives : la région ; le paysage (HVN) et le système agricole (BIO, CVT, VrTH). Des modèles plus précis incluant des variables décrivant de façon plus détaillée l’itinéraire technique ont par ailleurs été développés sur les 180 parcelles avec les données complètes.
Enquêtes sur les adventices des cultures arables et la végétation en bordure des champs
En référence à la figure 2, les relevés ont été réalisés en 2017, 2018 et 2019, chaque année entre le 4 juin et le 2 août sur une surface de 2000 m² (50m * 40m) en « plein champ », à au moins 20 m des bordures. La densité des espèces a été enregistrée selon l'échelle modifiée de Barralis (1976) + : vu une seule fois, 1 : <1 ind/m², 2 : 1-2 ind/m², 3- : 3-10 ind/m², 3+ : 11-20 ind/m², 4 : 21-50 ind/m², 5 : > 50 ind/m².
Dans les bordures, il a été utilisé la méthode d'échantillonnage du réseau 500 ENI (Fried et al., 2019) : 10 quadrats de 1 m² (2 x 0,5 m) ont été disposés le long de la marge du champ avec deux ensembles de cinq quadrats contigus séparés de 30 m. Dans chaque quadrat, la présence-absence d'espèces a été notée, donnant à chaque marge de champ un score de 1 à 10 pour les espèces présentes.
En ce qui concerne l’ambroisie, une mesure plus précise de la densité a été réalisée en plein champ par un comptage sur dix quadrats de 0,25 m² le long de la diagonale de la zone d'étude de la flore adventice (Figure 2). La densité d’ambroisie est aussi mesurée dans l’interface (bordure intérieure du champ, photographie 2). Lorsque la densité de l’ambroisie est égale ou supérieure à 3 (c’est-à-dire >20 individus/m²), des prélèvements de feuilles ont été effectués pour la détection éventuelle de populations résistantes.
Pour chaque espèce observée, la fréquence régionale et son abondance locale ont été calculées dans les zones cultivées et en bordure des champs. Il a également été quantifié la fidélité (Phi) des espèces à la zone en plein champ (Chytrý et al., 2002) :
Phi = [ N.np-n.Np ] / [ n.Np.(N-n).(N-Np) ]1/2 (équation 1)
où N est le nombre total de relevés utilisés (469 relevés), Np, le nombre de relevés dans les parcelles cultivées (n=239 parcelles), n, le nombre d'occurrences de l'espèce dans l'ensemble des relevés (dans les parcelles et en bordure de champ), et np, le nombre d'occurrences de l'espèce dans la parcelle cultivée. Phi varie de -1 (espèces caractéristiques des marges de de champ) à +1 (espèces caractéristiques de la zone cultivée).
Cet indice est ensuite calculé à l’échelle de la communauté (CWMPhi) en faisant la moyenne de la valeur Phi des espèces présentes, pondérée par leur abondance. La qualité de la bordure peut alors être évaluée par son CWMPhi, une valeur élevée indiquant une bordure dominée par des adventices, tandis qu’une valeur faible indique une bordure dominée par des espèces prairiales (Metcalfe et al., 2019). La diversité des communautés végétales a été évaluée avec la richesse spécifique (nombre d’espèces) et l’indice de diversité de Shannon.
La réponse des communautés aux pratiques agricoles et aux conditions du milieu a été analysée avec des modèles de régression linéaire avec une procédure de sélection du modèle le plus parcimonieux sur la base de l’AIC (Akaike information criterion). L’abondance de l’ambroisie a été analysée avec des modèles de régression suivant une loi binomiale négative pour prendre en compte la surdispersion des observations, liée au grand nombre de parcelles avec une abondance égale à zéro. Lorsqu’une variable explicative de nature qualitative a un effet significatif, nous avons réalisé un test post-hoc pour identifier les modalités significativement différentes des autres.
Résultats
Vue d’ensemble de la flore des parcelles et des bordures
Au total, 439 espèces végétales ont été observées, dont 243 espèces dans la zone ‘plein champ’ et 398 espèces dans les bordures. Les zones cultivées et les bordures des champs partageaient 202 espèces (46%), 41 ont été trouvées uniquement dans les zones cultivées (9,3%) et 196 espèces ont été trouvées uniquement dans les bordures des champs (44,7%). Ce résultat montre l’importance écologique des bordures qui contribuent à elles seules à près de la moitié de la diversité végétale des paysages agricoles avec des surfaces échantillonnées 200 fois inférieures.
Dans les 2000 m² du plein champ, la richesse en espèces varie de 2 à 40 espèces avec une moyenne de 13,3 espèces. Les cinq espèces les plus fréquentes sont Fallopia convolvulus (68 %), Senecio vulgaris (54 %), Convolvulus arvensis (54 %), A. artemisiifolia (54 %) et Chenopodium album (44 %) (Photographie 3). Les cinq espèces les plus fidèles à la zone cultivée, toutes des espèces annuelles, sont F. convolvulus (0,42), S. vulgaris (0,37), Persicaria maculosa (0,29), Solanum nigrum (0,25) et Echinochloa crus-galli (0,25).
Dans la bordure, la richesse en espèces était plus élevée (de 8 à 50 espèces) que dans le plein champ avec en moyenne 23,2 espèces sur seulement 10 m². Les cinq espèces les plus fréquentes sont C. arvensis (83 %), Dactylis glomerata (69 %), Elytrigia repens (69 %), Lolium perenne (67 %) et Arrhenatherum elatius (61 %). Comme attendu pour ce milieu, les espèces graminoïdes pérennes sont très dominantes. Les espèces ayant la plus grande fidélité aux bords des champs étaient D. glomerata (-0,71), A. elatius (-0,67), Anisantha sterilis (-0,58), E.repens (-0,56) et Galium album (-0,55). Il y avait une légère corrélation positive entre la richesse des espèces dans les zones cultivées et dans la marge du champ (r de Pearson=0,181, P=0,007). Cette corrélation suggère une certaine relation entre ces deux compartiments. D’une part, le milieu environnant et le paysage peuvent déterminer un pool d’espèces plus ou moins riche qui affecte de manière similaire le potentiel de diversité locale en plein champ et en bordure. D’autre part, les pratiques qui modulent la richesse dans les parcelles pourraient avoir le même effet jusque dans les bordures.
Effet de la région et du système agricole sur la diversité de la flore des parcelles et des bordures
La richesse spécifique dans les parcelles était identique dans les trois départements (Figure 5A) tandis que dans les bordures, la végétation est plus riche en Isère qu’en Côte-d’Or avec un niveau intermédiaire dans le Cher (Figure 5B).
En plein champ, la richesse des espèces est plus élevée en BIO qu’en CVT ou en VrTH (Figure 6A). Bien que la gamme de richesse en espèces soit similaire entre les champs CVT et les champs VrTH, les diagrammes en violon (Figure 6A montrent que de nombreux champs VrTH présentaient une faible richesse avec environ 10 espèces (= largeur maximale du violon).
La diversité (indice de Shannon) est plus élevée dans les parcelles BIO et CVT que dans les champs VrTH, mais il n'y avait pas de différence entre les parcelles BIO et CVT (Fig. 6B).
Comparaison des pratiques culturales dans les trois systèmes agricoles
Les résultats d’enquêtes montrent que les pratiques en culture de tournesol (semis, travail du sol, fertilisation) ne changent ni d’une année à l’autre, ni entre départements. Les données d’enquêtes ont donc été analysées globalement. Dans les 180 champs étudiés, il est montré que les pratiques de gestion des trois systèmes agricoles différent sensiblement sur de nombreux points (tableau 3). Dans les systèmes BIO, le nombre de passages mécaniques est plus élevé avec des dates de semis plus tardives, mais la proportion de tournesol ou de cultures d'été ne différait pas des deux autres systèmes agricoles. Les parcelles en système VrTH ont un IFT herbicide plus élevé que les systèmes CVT, une plus grande proportion de tournesol et de cultures d'été dans la succession des cultures, mais un niveau de fertilisation minérale plus faible (voir Encadré 1 pour plus de détails). Le mode du travail du sol (profond vs superficiel) ne diffère pas entre les trois systèmes agricoles. Logiquement, les parcelles en agriculture biologique avaient un nombre de binage plus élevé que les deux autres systèmes.
On constate que les agriculteurs utilisant des VrTH, privilégient en moyenne i) des rotations culturales moins diversifiées que les agriculteurs qui utilisent des variétés classiques et ii) une fréquence plus importante du tournesol dans la succession des cultures. Les pratiques de désherbage et la valeur de l’IFT sont très variables entre agriculteurs, indépendamment de l’utilisation ou non de VrTH. Les agriculteurs qui utilisent des VrTH n’appliquent pas systématiquement l’herbicide associé mais raisonnent son usage selon l’état de la parcelle. Le traitement herbicide de post-levée n’a ainsi pas été appliqué pour 59 % des parcelles de tournesol VrTH en Côte d’Or où l’ambroisie est encore peu présente, 40% en Isère et 16,7 %, dans le Cher. Ce résultat est cohérent avec le rapport de l’ANSES (2020), qui note que 35% des parcelles VRTH ne sont pas traitées avec un herbicide de post-levée anti-dicotylédones, i.e. imazamox ou tribénuron-méthyle (d’après 192 parcelles VrTH enquêtées par le Service de la statistique et de la prospective).
Effet des pratiques de gestion
Comme attendu, la richesse en espèces est négativement corrélée avec l’usage d’herbicides mesuré par l’Indice de Fréquence de Traitement IFT (Figure 7).
L’IFT herbicide et les modes de gestion (BIO, CVT, VrTH) n’ont pas d’influence sur la diversité de la flore de la bordure contrairement à ce qui a été mis en évidence avec le même protocole à une plus grande échelle (France) et sur une plus grande diversité de cultures (Fried et al., 2019). Dans le réseau de parcelle ENI-VrTH, la végétation de la bordure est bien plus influencée par la qualité de l’habitat à l’échelle du paysage (indice HVN, Figure 8A) et surtout par l’environnement immédiat de la bordure (Figure 8B) avec une richesse qui augmente avec le nombre d’éléments semi-naturels (haie, fossé, prairie) voisins (Blaix & Moonen, 2020).
Facteurs influençant l'abondance de l’ambroisie
L’ambroisie est présente dans 128 des 239 parcelles du réseau (54%) mais dans 5% des cas, l’espèce n'était présente qu’aux bords des parcelles (interface et bordure). Des densités maximales de 404 individus/m² en plein champ (parcelle VrTH imazamox en Isère) et de 335 individus/m² aux bords (parcelle conventionnelle en Isère) ont été observées, les densités étant généralement plus fortes au bord des parcelles.
L'abondance de l’ambroisie diffère entre les trois systèmes aussi bien dans les zones cultivées qu’aux bords des parcelles (tableau 4, Figure 9). Les densités sont les plus faibles dans les parcelles du système CVT par rapport aux parcelles des systèmes BIO et VrTH. On peut considérer que la densité d’ambroisie en bord (intérieur) de champ reflète la pression locale d’ambroisie. Tandis que la densité d’ambroisie dans la parcelle représente les ambroisies restantes après désherbage. Même si la bordure intérieure (+ interface) n’est pas un véritable témoin, en calculant la différence de densité d’ambroisies entre la bordure intérieure (+ interface) et la parcelle on peut néanmoins s’approcher d’une estimation du niveau de contrôle de l’ambroisie (densité bordure – densité parcelle)/(densité bordure + densité parcelle) variant de -1 (faible contrôle) à 1 (contrôle total) (NB : pour ce calcul, les parcelles où il n’y avait que de l’ambroisie dans la parcelle et pas dans la bordure intérieure n’ont pas été prises en compte pour ne pas pénaliser des parcelles avec un bon contrôle en plein champ (peu d’ambroisies) qui auraient un score de -1 du seul fait de l’absence totale d’ambroisie en bordure). On constate que le meilleur niveau de contrôle est obtenu dans les parcelles CVT tandis que les parcelles VrTH ne fournissent pas un meilleur contrôle que des parcelles BIO qui n’utilisent pas d’herbicide (figure 9). Pour les VrTH comme pour les BIO, on voit que les situations sont très variables, le contrôle peut être très bon ou au contraire très mauvais avec toute la gamme entre les deux. En CVT, le contrôle est généralement bon à quelques exceptions près.
Sur 15 parcelles sur lesquelles des prélèvements de feuilles d’ambroisie ont été réalisés et analysés à ce jour, une parcelle présente des plantes résistantes. Il s’agit d’une parcelle conduite avec des VrTH dans le Cher avec la mutation Thr205 en faible fréquence (4%).
Concernant la relation entre les autres pratiques et la présence de l’ambroisie, les résultats montrent que l’abondance de l’ambroisie dans les parcelles est clairement associée à une forte fréquence de la culture du tournesol dans la succession des cultures (figure 10). Les effets à long terme liés à la rotation culturale représentent donc un levier important à actionner pour gérer l’ambroisie, devant les pratiques curatives à court terme.
Enfin, notons que dans les bordures herbacées extérieures, l’ambroisie a été trouvée dans 82 bordures sur 225 échantillonnées (36,4%). C’est moins que dans le plein champ et que dans la bordure interne car ce milieu herbacé est moins favorable à cette espèce annuelle et ce d’autant plus qu’il est moins perturbé et qu’une végétation naturelle et compétitive de type prairiale peut s’y développer. C’est ce que montre la Figure 11 qui illustre la corrélation entre l’abondance de l’ambroisie (note de 1 à 10) et la composition des bordures herbacées (test de Pearson, r=0,31, P<0,001) mesurées selon la fidélité des espèces présentes à la parcelle cultivée (CWM Phi, sans prendre en compte l’ambroisie dans le calcul). Plus la valeur de CWM Phi est élevée, plus la bordure est composée d’espèces adventices, ce qui reflète une bordure perturbée dans laquelle l’ambroisie sera aussi plus abondante car elle peut trouver des trouées pour s’établir. A l’inverse, l’ambroisie est moins abondante quand la végétation est dominée par des graminées prairiales typiques des bordures (notamment Arrhenatherum elatius ou E. repens).
Discussion
Comme prévu par l'analyse de risque de l'ANSES (ANSES, 2020), le système utilisant les VrTH sont associées à un IFT herbicide plus élevé et à une proportion plus importante de cultures de tournesol dans l'assolement. L’IFT herbicide élevé se traduit par une réduction de la diversité spécifique des adventices en plein champ. Le nombre de traitements de post-levée peut expliquer la plus faible diversité des espèces adventices observées dans les champs VrTH. Dans l'ensemble, ces résultats suggèrent que l'utilisation des VrTH pourrait avoir des effets indirects, principalement sur les communautés de mauvaises herbes en plein champ, par le biais des pratiques de gestion associées, par exemple l'utilisation accrue d'herbicides, les traitements de post-levées et la réduction de la diversité des cultures dans la succession culturale.
Les résultats de ce travail préliminaire indiquent que l'intensité de l'utilisation de substances actives herbicides représente une très grande partie de la variation expliquée (86 %) de la richesse en espèces en plein champ alors qu'elle n'a expliqué que très peu (8 %) de la variation de la composition de ces mêmes communautés. La nature des espèces présentes est bien plus déterminée par la rotation (avec ou sans cultures d’hiver) et les caractéristiques de chaque région (sol, climat). Les champs de tournesol qui se trouvaient dans une succession de cultures avec une forte proportion d'autres cultures semées en été (plutôt en Isère) présentaient une plus faible richesse en espèces et présentaient un pool d'espèces d'adventices à germination estivale (A. retroflexus, E. crus-galli). Au contraire, les parcelles de tournesol avec une proportion significative de cultures semées en hiver (plutôt en Côte d’Or) abritaient des espèces supplémentaires habituellement présentes dans le blé ou le colza (par exemple, A. myosuroides, C. segetum, Geranium dissectum).
Une des limites de cette étude est le faible nombre de parcelles menées en BIO et leur concentration dans la région de l'Isère. Cela reflète en grande partie la réalité du terrain car il y a peu de cultures de tournesol biologique dans le nord de la France. Les conclusions associées aux trois systèmes agricoles doivent donc être prises avec prudence et un échantillonnage plus important de ces systèmes serait nécessaire pour de futures études. Cependant, cette limite n'affecte pas l'un des principaux résultats, qui a montré que les parcelles du système VrTH étaient associées à une plus faible diversité des communautés adventices que les parcelles des systèmes BIO et CVT. En revanche, aucun effet significatif du système VrTH n'a pu être identifié sur la diversité des communautés végétales en bordure des champs, qui semble plus influencée par des facteurs abiotiques et paysagers. Le plan expérimental de l’étude n’a pas permis de comparer l'efficacité de la lutte contre l’ambroisie. Cependant, en comparant la différence de densité entre bordures et plein champ, les résultats ont montré que les parcelles CVT présentaient de meilleurs niveaux de « contrôle » et des abondances d'ambroisie plus faibles comparées aux parcelles en systèmes BIO ou VrTH. Dans le cas des VrTH, il ne faut pas y voir une conséquence des pratiques culturales mais essentiellement le fait que les agriculteurs utilisent l’outil VrTH pour essayer de contrôler de fortes densités d’ambroisie. Les relevés floristiques ayant été réalisés après les traitements, les fortes abondances d’ambroisies dans les parcelles VrTH suggèrent néanmoins que l’utilisation de cette technologie ne conduise pas systématiquement à résoudre la problématique de contrôle de l’ambroisie et risque par là même d’augmenter le risque de sélection de résistances de l’ambroisie à l’imazamox et au tribénuron.
Le plan d’échantillonnage de cette étude reste perfectible mais nous avons été contraints par l’absence de concours de toutes les parties concernées par l’étude des VrTH. Aussi, la constitution d’un plan d’échantillonnage reste une difficulté majeure pour la qualité des enquêtes agronomiques de terrain (voir aussi Encadré 1). De la même façon que le recommandait l’ANSES (2010), le Conseil d’Etat a demandé au gouvernement en 2020 de mettre en œuvre une meilleure traçabilité des VrTH et un meilleur suivi des pratiques culturales associées à leur utilisation.
Il convient aussi de souligner que la présente étude a été réalisée moins de 10 ans après l'approbation de l'utilisation de ces premières VrTH. Certains effets non intentionnels qui n'ont pas encore été détectés pourraient se produire à l'avenir du fait d’une intensification du désherbage à base de substances actives déjà très utilisées par ailleurs. L'utilisation de composés du groupe HRAC 2 présente également le risque important de sélectionner des espèces résistantes, ce qui est déjà le cas pour l’ambroisie en France (Meyer et al., 2020). Une seule situation de résistance a été détectée dans le réseau d’étude décrit ici (une parcelle du Cher), mais dans une étude indépendante (Loubet et al., 2020) des ambroisies résistantes ont été identifiées dans des parcelles du Cher, de l’Isère et de huit autres départements. Les repousses de tournesol tolérant aux herbicides dans d'autres cultures de la rotation peuvent également constituer un problème agronomique. Leur gestion dans les cultures de soja où les mêmes herbicides du groupe HRAC 2 sont utilisés, doit faire l'objet d'une attention particulière, notamment dans les systèmes de travail réduit du sol où les repousses sont plus fréquentes. Une deuxième étude de suivi dans 5 à 10 ans peut être utile, car il a été démontré que les changements dans les communautés de mauvaises herbes se produisent à l'échelle de deux à trois décennies.
Encadré 1
Actuellement, les variétés de tournesol tolérantes aux herbicides (VrTH) cultivées en France ont été obtenues soit par transfert de gènes issus de tournesols sauvages, soit par mutagénèse aléatoire in vitro (les agents mutagènes sont employés sur la plante entière ou des parties de plantes). Comme toutes les semences cultivables en France, les VrTH ne sont pas soumises à une évaluation des risques avant leur mise sur le marché et il n’existe à ce jour aucun suivi obligatoire de ces semences.
Les variétés VrTH de tournesol possèdent des gènes qui leur permettent de tolérer des substances actives herbicide de post-levée destinées à lutter plus particulièrement en France contre des espèces adventices de la famille des Astéracées dont Ambrosia artemisiiifolia et Cirsium arvense. Pour les partisans de ces technologies, l’efficacité des molécules pouvait laisser penser qu’une réduction du désherbage chimique était possible par l’utilisation de ces variétés.
Nos données montrent néanmoins un résultat inverse : le nombre de traitements de pré-émergence dans les champs VrTH est effectivement plus faible que dans les champs conventionnels, au profit d'un nombre plus élevé de traitements de post-levée, avec au final, un IFT herbicides total plus élevé en VrTH. Parmi les parcelles en système VrTH, 38 ont utilisé de l'imazamox, 32 du tribénuron-méthyle et 28 des VrTH sans aucune des deux substances actives spécifiées
L’arrêt n°388649 rendu le 7 février 2020 par le Conseil d’Etat a demandé au gouvernement de mettre en œuvre une meilleure traçabilité des VrTH et un meilleur suivi des pratiques culturales associées à leur utilisation, suivant en cela les recommandations de l’ANSES (2010).
Remerciements
Cette étude a été soutenue par l'Office Français pour la Biodiversité (OFB) à travers le programme Ecophyto ENI-VTH. Nous remercions les 112 agriculteurs d’avoir permis d'enquêter sur les communautés de mauvaises herbes de leurs champs et d’avoir fourni des informations sur leurs pratiques culturales. Sont aussi remerciés pour leur aide dans la mise en place du réseau Laetitia Masson (Chambre d'agriculture de l'Isère), Christophe Benas (Chambre d'agriculture de Côte d'Or), Amandine Guimard et Benjamin Pointereau (association d'agriculteurs FDGEDA du Cher) et les organisations professionnelles impliquées (Chambre agriculture de l'Isère, Chambre agriculture de Côte d'Or et FDGEDA du Cher). Sont aussi remerciés Erice Vieren, Luc Biju-Duval (INRAE) ainsi que Thomas Germain, Rémi Gounon et Hélène Royer pour leur aide dans la réalisation des relevés de flore.
Cette communication est extraite d’un article paru dans la revue Weed Research :
Fried, G., Le Corre, V., Rakotoson T., Buchmann, J., Germain, T., Gounon, R., et al., 2022. Impact of new management practices on arable and field margin plant communities in sunflower, with an emphasis on the abundance of Ambrosia artemisiifolia (Asteraceae). Weed Research, 62, 134–148.
Références bibliographiques
Agreste, 2020. Pratiques culturales en grandes cultures 2017. IFT et nombre de traitements. Édition complétée par des données sur les évolutions 2011-2017. Edition janvier 2020, Agreste Chiffres et Données, n° 2019-3, Juin 2019.
Anses, 2020. Utilisation des variétés rendues tolérantes aux herbicides cultivées en France. Avis de l’Anses. Rapport révisé d’expertise collective, Edition scientifique, Maisons-Alfort.
Barralis G., 1976. Méthode d'étude des groupements adventices des cultures annuelles : application à la Côte d'Or. Ve Colloque International sur l’Ecologie, la Biologie des mauvaises herbes, Dijon (France), 1, 59-68.
Blaix, C., Moonen, A. C., 2020. Structural field margin characteristics affect the functional traits of herbaceous vegetation. PloS one, 15, (9), e0238916.
Chytrý, M., Tichý, L., Holt, J. & Botta-Dukát, Z., 2002. Determination of diagnostic species with statistical fidelity measures. Journal of Vegetation Science, 13, 79–90.
Duroueix F., Lecomte V., Leflon M., Lieven J. 2010 - Tournesol et colza, rendre durables les nouvelles solutions de désherbage. Phytoma, 639, 32-37.
Fried, G., Chauvel, B., Reboud, X, Chollet, D., Bombarde, M., Delos, M., 2006. Evolution de la flore adventice en 30 ans : quelles caractéristiques semblent favoriser la capacité d’infestation en tournesol ? Phytoma, 596, 37-43.
Fried, G., Villers, A., Porcher, E., 2018. Assessing non-intended effects of farming practices on field margin vegetation with a functional approach. Agriculture, Ecosystems & Environment
, 261, 33–44. doi.org/10.1016/j.agee.2018.03.021
Fried, G., Villers, A., Porcher, E., Andrade, C., Jullien, J., Lenne, N., Monestiez, P. 2019. Effets des pratiques agricoles sur la flore des bords des champs. Phytoma, 725, 43-47.
Loubet, I., Pernin, F., Fontaine, S., Caddoux, L., Barrès, B., Le Corre, V., Délye, C., 2020. Résistances aux phytos : le diagnostic passe au haut débit. Phytoma, 735, 34-38.
Metcalfe, H., Hassall, K.L., Boinot, S., Storkey, J., 2019. The contribution of spatial mass effects to plant diversity in arable fields. Journal of Applied Ecology, 56, 1560–1574.
Meyer, L., Loubet, I., Michel, S., Rodriguez, A., Délye, C., 2020 - Résistance de l'ambroisie : état des lieux et préconisations. Phytoma, 735, 29-33.
Les articles sont publiés sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 2.0)
Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue AES et de son URL, la date de publication.