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Éditorial

Antoine Messéan1, Christine Rawski2, Stéphane Cordeau3, Jérôme Labreuche4, Marianne Le Bail5, Delphine Moreau6, Bertrand Omon7, Thierry Papillon8

1 Université Paris-Saclay, INRAE, antoine.messean@inrae.fr

2 Cirad

3 INRAE, Dijon

4 Arvalis

5 AgroParisTech

6 INRAE, Dijon

7 Chambre d’Agriculture de l’Eure

8 Lycée agricole Laval

 

Cette nouvelle livraison de la revue Agronomie, environnement & sociétés s’inscrit dans le prolongement du débat agronomique « Pour gérer les adventices, quelles opportunités et quels effets des couverts végétaux ? », organisé par l’Association Française d’Agronomie (Afa) en mars 2021.

La gestion des adventices a toujours constitué un enjeu technique majeur pour les systèmes de culture mais la réduction de l’éventail des solutions phytosanitaires lié à la réglementation européenne, l’évolution des systèmes de culture vers une plus grande diversification et le changement climatique rendent encore plus difficile cette gestion de la flore adventice. Par ailleurs, la pression pour réduire l’usage des herbicides est au cœur des politiques publiques depuis plusieurs années et s’est encore accrue avec le débat sur l’abandon du glyphosate, qui remet en cause de nombreux systèmes de culture actuels. Dans ce contexte, la maîtrise de la flore adventice qui mobilise des leviers agronomiques à différentes échelles de temps de d’espace à coordonner est devenu un sujet majeur pour les agronomes.

Quant aux couverts d’interculture, s’ils se sont d’abord développés dans le cadre de la réglementation sur les nitrates, leur rôle et leur place ont peu à peu évolué pour devenir une composante majeure des systèmes de culture, apporter des services multiples et constituer le pivot de l’agriculture de conservation. Plus largement, la diversification des systèmes de culture (rotations plus longues, associations d’espèces, semis sous couvert, agroforesterie, etc.) s’intensifie peu à peu dans le cadre de la transition agroécologique et se traduit par la présence d’une couverture végétale qui prend de multiples formes et où cultures de rente et couverts d’interculture sont imbriqués.

De la question initiale de comment désherber des couverts, nous sommes peu à peu passés à la question de quel rôle les couverts peuvent jouer dans la maîtrise des adventices.

Dans ce numéro, nous souhaitons alimenter la réflexion sur la diversité des couverts et de leurs usages, partager les connaissances sur les mécanismes de régulation biologique des adventices au sein des couverts concernés, faire état des nombreux résultats sur le pilotage des couverts et associations à visée de gestion des adventices et aborder les freins et leviers éventuels à l’échelle des exploitations agricoles, des filières, ou des politiques publiques

 

En ouverture de ce numéro, Rémy Ballot et ses co-auteurs présentent l’évolution des pratiques de couverture des sols en période d’interculture, notamment en lien avec la réglementation. Sur la base des enquêtes parcellaires conduites régulièrement par le ministère de l’agriculture, ils proposent une typologie des pratiques actuelles qui met en évidence des spécificités régionales liées aux systèmes de production.

 

Dans une série de trois articles, Delphine Moreau, Guillaume Adeux et Stéphane Cordeau ainsi que leurs co-auteurs dressent un état des lieux des connaissances scientifiques sur le sujet, indispensables pour concevoir des stratégies de mise en œuvre opérationnelle des couverts.

Le premier article décrit les mécanismes qui contribuent à la régulation biologique des adventices par les couverts végétaux cultivés. Si la compétition pour les ressources est le mécanisme prépondérant dans la régulation des adventices, l’allélopathie pourrait également jouer un rôle mais ses effets au champ sont difficiles à démontrer car difficiles à dissocier des effets d’autres mécanismes. Les couverts végétaux peuvent également affecter les adventices en modifiant le microclimat à la surface du sol. Les auxiliaires, tels que des insectes responsables de prédation (carabes) ou des microorganismes pathogènes responsables de parasitisme, dont l’occurrence pourrait être favorisée par les couverts, ont probablement un rôle mais leur impact réel sur la banque de graines et la flore adventice reste incertain.

Le second article synthétise les connaissances sur l'effet des couverts végétaux d’interculture et des pratiques culturales associées au système de culture dans lesquels ils sont insérés. Si les effets des couverts sur la flore sont très étudiés durant la période d’interculture, leurs effets sur la capacité des adventices à grainer dans le couvert, à réalimenter et modifier le stock semencier, ou sur la flore adventice dans les cultures suivantes, sont moins connus.  Cet article compare également les effets dans des systèmes qui diffèrent selon l’intensité du travail du sol ou du désherbage.

Enfin, le troisième article de cette série aborde la question des couverts végétaux sous l’angle plus large des nombreux services écosystémiques qu’ils rendent, dont la régulation biologique des adventices. En effet, bien que des agriculteurs expérimentent des couverts pour la régulation biologique des adventices, rares sont ceux qui utilisent les couverts végétaux d’interculture dans un objectif premier de régulation biologique des adventices. Le point de vue développé par Stéphane Cordeau et ses collègues est que, pour optimiser la régulation biologique des adventices par les couverts végétaux, ces derniers doivent être raisonnés comme des cultures en tant que telles, non pas comme un levier de substitution au désherbage mais comme une composante du système de culture susceptible de rendre plus de services à l’échelle de la succession.

 

Une deuxième partie fait état des nombreux travaux expérimentaux conduits, directement ou indirectement, autour des couverts et de la gestion des adventices, dans différents contextes pédoclimatiques et pour différents systèmes de culture, en particulier sur la recherche d’alternatives à l’utilisation du glyphosate.

Une synthèse de 31 essais conduits par Arvalis et de nombreux partenaires de terrain a été coordonnée par Pierre Villefourceix-Gimenez afin de quantifier l’impact des couverts sur les adventices et d’identifier les éléments de conduite disponibles pour que les agriculteurs tirent au mieux profit de la régulation biologique des adventices par un couvert d’interculture. Malgré une très grande variabilité, il ressort que la biomasse du couvert n’affecte pas la densité d’adventices à sa destruction mais réduit la biomasse d’adventices ce qui peut limiter leur potentiel de renouvellement.  En revanche, il n’y a pas d’effet à court terme à attendre sur la culture suivante, le stock semencier constituant un réservoir à gérer dans la durée.

Cette tendance semble confirmée par les résultats d’essais du projet VANCOUVER destinés à évaluer l’aptitude de couverts d’interculture ou de couverts associés maintenus durant dans l’interculture et la culture suivante à limiter le salissement des parcelles. Dans différents contextes pédoclimatiques, soit en interculture longue (blé-tournesol ou blé-maïs), soit en interculture courte (colza-blé), Fanny Vuillemin et ses partenaires mettent en évidence que plus le couvert est étouffant (forte biomasse) moins les adventices présentes à la même période, en interculture ou dans la culture associée, sont denses et développées. En revanche, cet effet n’est pas observé dans la culture suivante.

Même si cela nécessite d’être exploré plus avant, ces résultats laissent penser que les couverts n’ont pas d’effet durable.

Dans une étude destinée à concevoir des solutions de gestion des adventices en agriculture de conservation sans recours au glyphosate, des travaux expérimentaux ont montré qu’une couverture permanente de trèfle pouvait permettre de maîtriser les adventices à un niveau proche de celui obtenu avec l’utilisation du glyphosate mais que ce couvert avait un effet dépressif sur le blé. Corisande Douay et ses co-auteurs rapportent des résultats d’expérimentation qui explorent l’effet de deux leviers possibles pour atténuer cet effet de compétition avec le blé : l’augmentation de la densité de semis du blé et une régulation chimique raisonnée du couvert au printemps. Si les agriculteurs expérimentateurs ont jugé les résultats encourageants, ils sont insuffisants pour envisager une généralisation de cette pratique sur l’ensemble de leurs parcelles.

Dans le projet Solutions ACS, d’autres leviers agronomiques (rotations, couverts), mécaniques (fauche, roulage, broyage) et chimique (fertilisation, désherbage) sont combinés pour tenter de réduire cette dépendance au glyphosate. Les résultats de deux campagnes présentés par Alicia Régis montrent que la combinaison des leviers alternatifs ne permet pas d’atteindre un niveau d’efficacité contre les adventices similaire à celle que peut atteindre la référence glyphosate. Il existe toutefois des cas où la succession sans glyphosate a été une réussite lorsque le couvert d’interculture est très concurrentiel aux adventices et lorsqu’il existe une palette d’herbicides très large pour la culture suivante.

L’article de Joséphine Peigné rapporte des recherches menées conjointement avec des praticiens afin d’expérimenter le Semis Direct Sous Couvert sans herbicide sur du Soja et du Maïs. Combinant plusieurs facteurs, incluant le type de couvert, sa date de semis et son mode de roulage, des itinéraires techniques adaptés permettant une bonne maîtrise des adventices avant et après roulage ont été identifiés. Toutefois, les fortes variabilités observées illustrent l’une des principales limites évoquée par ailleurs : si le couvert n’obtient pas une biomasse suffisante, il est mal contrôlé par roulage, et ainsi la pression adventice est trop forte et le peuplement végétal est impacté.

Dans un article portant sur la viticulture, Aurélie Métay et ses co-auteurs  proposent une synthèse plus large sur la gestion des adventices en i) caractérisant l’importance spatiale et temporelle des adventices en parcelles viticoles et les enjeux notamment environnementaux liés à leur gestion, ii) montrant comment le pédoclimat et les pratiques viticoles conditionnent la flore adventice avant d’aborder comment les couverts végétaux peuvent réguler les adventices et les fonctions associées à leur présence.

Enfin, à partir d’avis d’experts et d’enquêtes auprès d’agriculteurs utilisant des couverts d’interculture, Julie Guguin et Muriel Morison abordent la gestion des vivaces dans différentes situations. Cette analyse confirme que les couverts d’interculture sont un des leviers permettant de lutter contre les vivaces, du fait de la compétition qu’ils exercent mais qu’en raison de leur faible biomasse et des risques d’échec, ils ne sauraient constituer une alternative simple à l’usage du glyphosate.

 

Dans une troisième partie, nous rapportons des témoignages et expériences d’acteurs utilisant des couverts afin d’illustrer la diversité des logiques d’action et la nécessité de développer des stratégies adaptatives.

Le témoignage de Guillaume Lainé, agriculteur biologique en Mayenne, montre que les couverts végétaux et plus largement la couverture du sol est une ligne conductrice forte dans la conduite de son système de culture. Si la motivation première à la mise en place des couverts végétaux d’interculture reste la fertilité des sols, la contribution à la maîtrise des adventices en est un atout majeur qui prend de plus en plus de place dans son système.

Les témoignages recueillis dans un réseau CUMA par Inès Tayeb et Hervé Bossuat illustrent à nouveau la diversité des logiques d’action par rapport aux couverts végétaux dans la lutte contre les adventices : soit un levier complémentaire à une maîtrise des adventices par la chimie, soit un levier central, très intégré et déterminant. De façon générale, d’une contrainte réglementaire initiale, les agriculteurs cherchent à en faire une opportunité agronomique contribuant à l’évolution de leurs systèmes de culture. Sur le plan plus spécifique des CUMA, ces témoignages illustrent qu’au-delà du partage d’équipements à moindres coûts, l’analyse agronomique de la diversité des situations et le partage des expériences sont essentiels pour faciliter l’émergence d’alternatives.

La démarche de traque aux pratiques innovantes mobilisée par Alexandre Tricheur et ses co-auteurs a permis de décrire une diversité de logiques d’action et de pratiques parmi les agriculteurs cherchant à maîtriser les adventices en agriculture biologique. L’étude observe que, plus son niveau de tolérance aux adventices est élevé, plus l’agriculteur mobilise des leviers d’action autre que l’usage d’outils mécaniques pour maîtriser la flore spontanée, et en particulier l’implantation des couverts végétaux. Par ailleurs, plus ces mécanismes préventifs sont utilisés, plus les agriculteurs sont économes en carburant et réduisent ainsi leur contribution au changement climatique.

L’ensemble des travaux et expériences rapportés dans ce dossier illustrent le potentiel des couverts végétaux à contribuer à la gestion des adventices mais avec une efficacité souvent insuffisante, une grande variabilité des performances et des risques d’échec. Ils montrent également que ces couverts doivent se raisonner non pas comme une substitution à d’autres techniques mais de manière intégrée dans le système de culture, en focalisant sur une véritable gestion du stock semencier, en prenant en compte les différents services qu’ils rendent et en s’adaptant aux contextes locaux. Il s’agit donc d’un changement de paradigme dans la façon de conduire son système de culture. Par ailleurs, les approches classiques d’expérimentations factorielles, telles qu’utilisées dans plusieurs des études, se trouvent également interrogées quant à leur capacité à concevoir des solutions systémiques adaptées à chaque situation locale. Dans ce contexte, la traque aux innovations, la conception participative et le partage d’expériences dans des réseaux s’avèrent extrêmement utiles et ouvrent de nouvelles perspectives. 

Nul doute que la dynamique actuelle autour des couverts et de la couverture végétale à l’échelle des systèmes de culture va se poursuivre. Puisse ce dossier contribuer à éclairer les praticiens et les agronomes et les encourager à partager leurs propres expériences.

 

Bonne lecture !

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