Evolution des surfaces de couverts végétaux en France : état des lieux statistique
Rémi Ballot1, Stéphane Cordeau2 et Marianne Le Bail3
1 UMR Agronomie INRAE-Université Paris Saclay-AgroParisTech, F-78850 Thiverval-Grignon
2 UMR Agroécologie, AgroSup Dijon, INRAE, Univ. de Bourgogne, Univ. Bourgogne Franche-Comté, Dijon, France
3 UMR SAD-APT, INRAE-AgroParisTech, Université Paris Saclay, 75005 Paris France
Résumé
Les pratiques de couverture des sols en période d’interculture ont évolué en France au cours des vingt dernières années, en lien notamment avec les évolutions de la réglementation. Cet article s’appuie sur des enquêtes parcellaires conduites par le Ministère en charge de l’agriculture pour documenter l’évolution des surfaces couvertes et des pratiques de gestion des cultures intermédiaires entre 2001 et 2017. Une typologie des pratiques actuelles de couverture des sols est proposée et la répartition des types de couverts est présentée par région administrative.
Mots clés : interculture, cultures intermédiaires, typologie, enquêtes parcellaires
Abstract
Soil cover practices during fallow period have evolved in France over the last twenty years, in particular in connection with changes in regulations. This article is based on plot surveys conducted by the French Ministry of Agriculture to document changes in the area covered and in cover crops management practices between 2001 and 2017. A typology of current soil cover practices is proposed and the distribution of cover types is presented by administrative region.
Introduction
L’évolution de la réglementation, en lien notamment avec la directive « nitrate », a conduit à une évolution des pratiques de gestion de l’interculture en France au cours des vingt dernières années. Le propos ici est de montrer l’état des couvertures de sol dans les intercultures en France et leur évolution depuis le début des années 2000, en s’appuyant sur le traitement statistique des bases de données du Ministère de l’agriculture (Sources : Enquêtes Pratiques culturales grandes cultures et prairies 2001 à 2017 et Enquêtes pratiques phytosanitaires grandes cultures 2014 – MAA – SSP).
Définition statistique et réglementaire des couverts végétaux
Les enquêtes « Pratiques culturales » sont menées par le Ministère en charge de l’agriculture pour suivre la mise en œuvre des politiques agricoles et environnementales. Instaurées en 1986 sur grandes cultures, elles ont depuis été étendues à la viticulture, l’arboriculture et les légumes. Ces enquêtes parcellaires sont conduites avec une périodicité quinquennale. Les informations collectées couvrent l’ensemble de l’itinéraire technique. Plus récemment, des enquêtes intermédiaires limitées aux pratiques de gestion des bioagresseurs ont été introduites (les enquêtes « Pratiques phytosanitaires »). Le plan d’échantillonnage vise une représentativité aux échelles nationales et régionales. L’échantillon de parcelles enquêtées est de l’ordre de 20 000 parcelles, pour les grandes cultures (Tableau 1).
Tableau 1 : Effectif de parcelles enquêtées et surfaces correspondantes aux cultures considérées (Sources : Enquêtes Pratiques culturales grandes cultures et prairies 2001 à 2017 et Enquêtes pratiques phytosanitaires grandes cultures 2014 – MAA – SSP)
La statistique agricole décrit la gestion de l’interculture (période entre la récolte du précédent et le semis de la culture enquêtée) pour laquelle elle distingue quatre états : le sol nu, les repousses du précédent, la culture dérobée (récoltée), la culture intermédiaire (non récoltée). Ce dernier est souvent appelé couvert végétal par les agriculteurs/conseillers.
Au cours du temps, certaines définitions évoluent et les pratiques appliquées à l’interculture sont plus détaillées dans l’enquête (espèces de couvert, biomasse de celle-ci …). Ainsi les données statistiques de l’enquête « pratiques culturales grandes cultures et prairies » qui concernent les années 1986, 1994, 2001, 2006, 2011 et 2017 sont très lacunaires avant 2001 sur le sujet. Les analyses de cet article couvrent donc la période 2001-2017. Pendant cette période, les réglementations en lien avec la question des couverts végétaux ont évolué, ce que résume l’encadré 1.
Encadré 1 : Évolution réglementaire dans la période
- 1ère Directive nitrate européenne 1991 transposée par un décret 1993 France : délimitation zone vulnérable et corrections des apports fertilisants
- 2ème programme d’action (2000) renforcé en 2003, et surtout la procédure contentieuse (Commission européenne contre État français en 2001) (pour l’ouest en particulier), impose des couverts végétaux dans les bonnes pratiques agricoles sur interculture de Zones d’application Complémentaires (ZAC)
- 4ème directive nitrate (2012), la couverture hivernale des sols est obligatoire pour couvrir 100% des sols nus l’hiver en zone vulnérable, hors dérogation
- 5ème programme d’actions (2014) : interculture longue (moins de 20% de repousses); Interculture courte (après colza un mois de repousses minimum, après cult récoltée avant le 15 juillet (un CIPAN); destruction mécanique (dérogations : TCS, Légumes …)
- Verdissement de la PAC à partir de 2015 : conditions d’éligibilité des couverts au statut de SIE : pas de repousses, semis d’un mélange de 2 espèces min, destruction mécanique sans dérogation
Résultats de l’analyse des données
Les données ont été traitées selon quatre axes : 1- Évolution des surfaces totales de 2001 à 2017 ; 2- Évolution des pratiques de gestion des cultures intermédiaires de 2001 à 2017 : évolution des espèces, des dates d’installation et de destruction, modes de destruction ; 3- Typologie de couverts végétaux et ; 4- Répartition des types de couverts sur le territoire français en 2017
Évolution des surfaces totales
Au cours des 16 années explorées, l’extension des couvertures végétales, jusqu’à 45% des surfaces de grandes cultures (figure 1), concerne principalement les « repousses du précédent » (25%) et les « cultures intermédiaires » (20%). Les cultures dérobées sont assez stables et représentent de faibles surfaces ; les surfaces en sol nu diminuent. En 2017, il reste cependant de l’ordre de 15% des surfaces en sol nu dans les intercultures longues (qui correspondent aux dérogations de la loi de 2014). En 2017, un tiers des surfaces en interculture courte étaient couvertes, dont 31% par les repousses du précédent et 2% par une culture intermédiaire.
Ces évolutions peuvent être mises en parallèle avec l’évolution de la législation : en 2001, certaines régions sont frappées d’un contentieux avec l’Europe pour non-respect des limites de concentration en nitrate dans l’eau potable ; en 2005, la directive nitrate est globalement renforcée et c’est en2012 qu’intervient l’obligation de couverture hivernale des sols dans 100% des zones vulnérables (d’extension variée selon les régions). Cette obligation de couverture hivernale peut être remplie par le maintien des repousses du précédent, l’implantation d’une culture intermédiaire ou dérobée, mais aussi par la présence d’une culture principale semée à l’automne ou d’une prairie. Un régime dérogatoire existe pour certains cas : sols argileux, gestion mécanique des adventices préoccupantes (chardons, ambroisies), précédents récoltés tardivement ou dont les résidus peuvent être mulchés (maïs, sorgho, tournesol).
Évolution des pratiques de gestion des cultures intermédiaires
La figure 2a montre l’évolution des espèces implantées en cultures intermédiaires. La moutarde qui approche 50% des surfaces jusqu’en 2014 diminue nettement en fin de période, surtout avant cultures d’été. L’avoine se stabilise autour de 10%, le ray-grass et la phacélie régressent. Enfin, les mélanges avec ou sans légumineuses se multiplient en fin de période (2017). Avec des variations en fonction de la culture suivante (figure 2b), la culture intermédiaire rentre progressivement dans une succession culturale avec un souci croissant des règles précédent-suivant (pas de graminées avant graminées, pas de crucifère avant crucifère, des légumineuses avant cultures exigeantes en azote …).
Les périodes d’installation de la culture intermédiaire restent assez tardives (Figure 3) et, hormis pour quelques cultures comme le sarrasin, les deux tiers des semis sont postérieurs au 15 août. Les destructions (majoritairement mécaniques dans les déclarations de l’année 2017) peuvent être tardives (après décembre pour les couverts suivant maïs et tournesol) voire très tardives (suivant soja) mais pour près de 50% des surfaces promises à une culture de printemps, les cultures intermédiaires sont détruites au plus tard en décembre. Depuis 2017, il est demandé aux agriculteurs enquêtés une estimation de la biomasse sur les parcelles mais celle-ci reste majoritairement dans la classe « moyenne » (1 à 3 tMS/ha).
Typologie des cultures intermédiaires en France
Une classification hiérarchique, précédée par une analyse multivariée (ACM – Analyse des correspondances multiples) sur l’ensemble des données parcellaires des enquêtes 2001, 2006, 2011 et 2017,a permis de distinguer trois types de « cultures intermédiaires ». La classification est basée sur neuf variables caractérisant l’interculture et la culture qui s’y développe : précédent cultural ; période d’implantation de la culture suivante ; période d’implantation de la culture intermédiaire ; période de destruction de la culture intermédiaire ; mode de destruction de la culture intermédiaire ; moutarde (oui / non) ; graminée (oui / non) ; légumineuse (oui / non) ; mélange d’espèces (oui / non).
Les trois types identifiés sont les suivants (figures 4 et 5) :
- Type 1 : la culture intermédiaire correspond à une CIPAN "réglementaire" (Culture Intermédiaire Piège à Nitrates comme la moutarde), implantée entre une céréale et une culture de printemps ou d'été et détruite précocement. En 2017, il représente 37% des surfaces avec culture intermédiaire.
- Type 2 : la culture intermédiaire n’est jamais une moutarde mais plutôt des légumineuses pures ou en mélange ; elle est implantée plus précocement et maintenue plus tardivement que dans le type 1, avec une destruction chimique plus fréquente. En 2017, il représente la moitié des surfaces avec culture intermédiaire.
- Type 3 : la culture intermédiaire est plus souvent une graminée ou une autre espèce implantée tardivement, majoritairement entre deux maïs et détruite tardivement. En 2017, il représente 13% des surfaces avec culture intermédiaire.
Répartition des types de cultures intermédiaires sur le territoire français en 2017
Si la Bretagne et dans une moindre mesure les secteurs betteraviers du nord de la France ont précocement mis en place des couverts végétaux (Laurent, 2010), ils se sont développés depuis dans le Centre, en Bourgogne, en Champagne Ardennes et Lorraine. Quand on évalue la part des différents types de couverts (les trois types de cultures intermédiaires, les cultures dérobées, les repousses et le sol nu) pour l’année 2017 (Figure 6), on peut dégager différentes zones aux profils assez marqués :
- Une zone Centre France (1) où « Sol nu » et « Repousses » sont très dominants avec quelques cultures intermédiaires de type 2. Elle correspond – en 2017 – aux zones de production de colza, culture bien adaptée au maintien de repousses pour le piégeage de nitrate. L’assolement y est de plus dominé par les cultures d’hiver, induisant peu de surfaces en interculture longue avec obligation d’implantation de culture intermédiaire
- Une zone Nord France (2) où l’on trouve beaucoup de cultures intermédiaires (type 1 et 2) et peu de repousses. Elle correspond notamment à la zone de production de betterave sucrière, fréquemment précédée par l’implantation de moutarde en culture intermédiaire
- Une zone Ouest (majoritairement Bretagne) (3) offrant une très grande variété de types de couverts dont un peu de cultures intermédiaires de type 3. Cette zone se caractérise notamment par une part importante de maïs sur les terres arables, mais aussi par une orientation élevage expliquant la présence de cultures dérobées
- Une zone sud (4) où les couverts végétaux quand il y en a, sont des cultures intermédiaires de type 3 (zone 4a) ou de type2 (zone 4b). Cet ensemble recouvre à la fois des zones de côteaux argileux, avec des sols fréquemment laissés nus en interculture, ainsi que des zones de maïsiculture, cohérentes avec l’implantation tardive de cultures intermédiaires.
Conclusion
Il existe une très grande diversité de stratégies de gestion de l’interculture (Labreuche et al., 2016), accentuée par une dynamique récente impulsée par la PAC. Les repousses sont dominantes dans la couverture automnale de sol mais on constate une montée en puissance des cultures intermédiaires en mélange d’espèces. Les régions françaises sont marquées par des logiques différentes à relier aux systèmes de production et à un historique associé à l’extension des zones vulnérables.
Si l’analyse des évolutions des couverts végétaux est restée ici intentionnellement descriptive, elle montre que cette culture, qui n’en est pas tout à fait une et qui reste parfois dans un angle mort des travaux sur le fonctionnement des systèmes de culture, exige un approfondissement des connaissances.
Remerciements
Les auteurs remercient le Ministère en charge de l’agriculture pour la mise à disposition des données des enquêtes « Pratiques culturales » et « Pratiques phytosanitaires ». L’accès à certaines données utilisées dans le cadre de ce travail a été réalisé au sein d’environnements sécurisés du Centre d’accès sécurisé aux données – CASD (Réf. 10.34724/CASD) ;
Références bibliographiques
Laurent F., 2015. L’Agriculture de Conservation et sa diffusion en France et dans le monde, Cybergeo, European Journal of Geography [En ligne], Environnement, Nature, Paysage, document 747 https://doi.org/10.4000/cybergeo.27284
Labreuche J., Minette S., Légère R., Brun D., 2017. Pratiques culturales adaptées pour réussir l’implantation des cultures intermédiaires. Innovations Agronomiques, INRAE, 62, pp.1-16.
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