Impact de la conduite des cultures intermédiaires sur la flore adventice : résultats de l’analyse de 31 essais
Pierre VILLEFOURCEIX-GIMENEZ1, Nathalie COLBACH2, Stéphane CORDEAU2, Delphine MOREAU2, Sébastien MINETTE3, Jérôme LABREUCHE1*
1 ARVALIS – Institut du végétal, F-91720 Boigneville, France j.labreuche@arvalis.fr
2 Agroécologie, INRAE, Institut Agro, Univ. Bourgogne Franche-Comté, F-21000 Dijon, France
3 Chambre régionale d'agriculture de Nouvelle-Aquitaine, F- 86600 Lusignan, France
Résumé
Les données de 31 essais ont été analysées afin de quantifier l’impact des cultures intermédiaires sur les adventices pendant l’interculture. Les résultats montrent une très grande variabilité de la densité d’adventices à la destruction du couvert, principalement selon l’effet site (pédoclimat, précédent cultural, parcelle, etc.). La biomasse aérienne du couvert n’a pas d’effet sur la densité d’adventices (nombre d’adventices/m²). En revanche, la biomasse aérienne d’adventices (t/ha de matière sèche) décroit avec la biomasse aérienne du couvert. Il existe des différences notoires entre espèces de couvert, selon leur production de biomasse, leur vitesse de couverture du sol et les caractéristiques de leurs parties aériennes. Les couverts à forte biomasse et forte vitesse de couverture du sol limitent nettement la biomasse des adventices sans pour autant les faire disparaître. La densité d’adventices observée dans la culture suivante n’est ni corrélée à la densité d’adventices pendant l’interculture, ni à la biomasse du couvert.
Mots clefs : Adventice, Culture intermédiaire, Biomasse, Abondance, Couverture du sol
Abstract Impact of cover crops on weeds: analysis of 31 field trials
Data of 31 field trials were analysed to quantify the impact of cover crops grown during summer fallow on weeds during this period. Results show that weed abundance at the date of cover-crop destruction greatly varies between experimental locations which differed in terms of pedoclimate, previous crop etc. Cover-crop above-ground biomass did not impact weed plant density. However, weed above-ground biomass decreased with increasing cover-crop biomass. Cover-crop species greatly differed in their ability to reduce weed biomass, according to their own biomass, their speed of soil coverage at early stages and their above-ground plant morphology. Cover crops with high levels of biomass and rapid soil coverage strongly reduced weed biomass but without eliminating weeds entirely. Weeds density monitored in crops following the cover crops were neither correlated to weeds abundance during the fallow period nor to cover crop biomass.
Key words: Weed, Cover crop, Biomass, Abundance, Soil coverage
Introduction
Pour diminuer le recours aux herbicides, lutter contre les adventices résistantes aux herbicides et s’adapter au contexte réglementaire et sociétal, la protection intégrée des cultures est mise en avant pour limiter la nuisibilité des adventices pour la production agricole, tout en diminuant les impacts environnementaux. Un certain nombre de leviers sont disponibles : diversification des rotations, faux semis, diminution du travail du sol au moment du semis, amélioration variétale, désherbages mécaniques... (Chauvel et al., 2018). L’efficacité de chacun de ces leviers pris isolément est cependant limitée, en comparaison de celle des herbicides, et ils doivent être combinés pour assurer un contrôle satisfaisant.
La période d’interculture est habituellement une période clé pour la gestion de la flore adventice. Maintenue en sol nu, elle permet à l’agriculteur de pratiquer des faux-semis et des destructions d’adventices, diminuant ainsi le stock semencier qui pourrait germer dans les cultures de vente. La mise en place de cultures intermédiaires (ou couverts d’interculture), obligatoires à l’automne dans les zones vulnérables, remet en cause ces pratiques. Néanmoins, les cultures intermédiaires représentent également une opportunité en termes de gestion des adventices. Elles ont en effet de réelles capacités pour réguler les adventices au travers de plusieurs mécanismes : compétition pour les ressources (lumière, azote et eau), allélopathie, recrutement de communautés d’organismes auxiliaires et modifications du milieu physique (Cordeau & Moreau, 2017).
Ce travail vise à valoriser des données d’essai existantes afin de déterminer dans quelle mesure les cultures intermédiaires ont un impact sur la biomasse et le nombre d’adventices pendant l’interculture. Nous chercherons également à déterminer quels paramètres de croissance du couvert ou de sa conduite impactent les effets sur la flore. Il nous manque en particulier des données quant aux espèces ou associations d’espèces les plus aptes à réguler la flore adventice.
Matériels et méthodes
Les données d’essai
Une base de données a été constituée. Elle regroupe les résultats d’essais menés par Arvalis seul et en partenariat avec la Fédération Régionale des CUMA 64-40 ou Zasso, ainsi que par plusieurs partenaires (CREABio, Terres Inovia, Océalia, Vivadour, le lycée agricole de Fondettes en partenariat avec la chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire).
Les essais intégrant uniquement des couverts permanents ou relais ont été exclus. Pour finir, la base de données contient 31 essais avec un total de 657 observations, réparties sur 16 lieux en France et 13 campagnes entre 2006 et 2020 (figure 1). 31 espèces pures et 42 mélanges ont été testés, selon des dates de semis variant du 14 juin au 18 octobre, et diverses modalités de travail du sol et de semis. Peu de témoins (sols nus conduits de la même manière que les couverts et notamment sans destruction mécanique ou chimique des adventices ou repousses du précédent) sont présents dans la base de données.
L’approche a consisté à valoriser au maximum l’existant : la base de données n’inclut que des essais où au moins une caractéristique de la flore adventice a été relevée, mais l’objectif premier de ces essais n’était pas nécessairement cette étude. C’est pourquoi les variables mesurées sur la flore diffèrent d’un essai à l’autre, l’importance des adventices ayant parfois été mesurée par leur densité, parfois par leur biomasse. La base de données est ainsi hétérogène et inclut un grand nombre de données manquantes. Ces particularités ont orienté le choix des méthodes statistiques utilisées.
Le tableau original de données se décompose en quatre groupes de variables :
- Les caractéristiques de chaque modalité : nom, lieu, année et organisme responsable de l’essai, bloc de l’observation au sein de l’essai, précédent cultural, type de sol, travail du sol avant le semis du couvert, date de ce dernier, composition du couvert en espèces et en variétés, densité de semis et niveau de fertilisation du couvert ;
- Les observations réalisées à une date d’observation dite « précoce », située entre un et quatre mois après le semis du couvert, selon la date d’implantation de ce dernier ;
- Celles faites peu avant la destruction du couvert et située entre trois et sept mois après le semis du couvert ;
- Celles réalisées dans la culture suivante.
Pour chacune de ces trois dates, le nom, la biomasse aérienne sèche et la densité des dix adventices les plus présentes sont relevés, ainsi que la biomasse aérienne sèche et la densité de toute la flore adventice. Pour les deux premières dates, on dispose également de la biomasse, du pourcentage d’azote, de l’azote absorbé, et parfois de la hauteur et du pourcentage de couverture du couvert semé (toutes espèces confondues dans le cas d’associations d’espèces), ainsi que de mesures de reliquats azotés mesurés à la récolte de la culture précédente ainsi qu’à la destruction du couvert. Pour les observations réalisées en cours de cycle de la culture de rente sont indiqués aussi les modalités de destruction du couvert, le travail du sol et les désherbages effectués avant l’observation.
A partir des données de la station météorologique la plus proche de chaque essai, trois variables ont été calculées :
— La somme des degrés-jours (base 0°C) entre le semis du couvert et la date d’observation des adventices avant la destruction du couvert ;
— La somme des bilans hydriques simplifiés BHs de J-10 à J+20, où J désigne la date du semis du couvert et BHs = Pluie − Evapotranspiration ;
— De la même manière, la moyenne des bilans hydriques de J+21 à la date d’observation des adventices pré-destruction du couvert.
La vitesse de croissance du couvert a été obtenue en divisant la biomasse par la durée du couvert, allant du semis à la date d’observation pré-destruction et exprimée soit en jours, soit en degrés-jours.
Caractéristiques des espèces de couvert
Les premières explorations des données d’essais ont rapidement laissé supposer que les différences entre espèces de couverts jouaient un rôle prédominant dans la variabilité observée dans la régulation des adventices. Par la suite, les espèces de couvert (et les espèces adventices) ont été caractérisées grâce aux valeurs des paramètres du modèle FlorSys (Colbach et al., 2021). Il s'agit d'un modèle qui simule les processus liés à la survie des semences dans le sol, la levée, la croissance, le développement et la reproduction des adventices et plantes cultivées ainsi que la compétition pour les ressources, sous l'effet du système de culture et du pédoclimat. Les paramètres utilisés ici sont regroupés ici en quatre catégories : développement (par ex. vitesses et temps nécessaires au développement), feuilles (par ex. surface foliaire spécifique), partie aérienne (par ex. hauteur et largeur de la plante à différents stades), partie racinaire (par ex. dimensions et dynamique de croissance du système racinaire).
Nous avons également inclus un indicateur qui mobilise l’importance des feuilles et autres parties aériennes de l’espèce de couvert au travers d’un paramètre unique, le pourcentage de couverture du sol à des stades jeunes. Il est relativement facile à estimer et mobilisable pour le conseil aux agriculteurs. Cependant, il a été mesuré dans un nombre limité d’essais. Pour compenser ce manque de données, nous avons créé des classes regroupant les espèces de couvert d’interculture selon leur vitesse de couverture du sol environ un mois après semis. Ces classes ont été établies indépendamment des données considérées ici, à partir de photos d’essais et de mesures faites depuis peu par le GEVES pour l’inscription des variétés de plantes de service (mesure lorsque les sommes de température cumulent 300°J base 0°C depuis la levée). La cohérence avec nos données a été vérifiée en comparant ces classes aux observations de couverture du sol à date précoce dont nous disposions (voir figure 2).
Traitements statistiques
Nous avons retenu, comme variables à expliquer, la biomasse et la densité adventice mesurée avant destruction du couvert. Elles ont été transformées au logarithme népérien, après addition de 0,1 afin de gérer les valeurs nulles.
Avant tout test de significativité, pour sélectionner les facteurs ayant le plus d’influence sur ces variables, nous avons réalisé des RandomForest, ou forêts aléatoires. Elles sont construites à partir d’un grand nombre d’arbres de régression et de classification qui permettent de mesurer l’importance de chaque variable de réponse (Breiman, 2001). Nous avons réalisé, pour chacune des deux variables adventices à prédire, une série de 75 forêts de 1000 arbres.
Les forêts aléatoires ont permis d’identifier des variables clés qui ont été réintroduites dans des modèles linéaires mixtes (package lme4 de R) par la suite. Les caractéristiques de l’essai (lieu, année...) ont été modélisées comme des effets aléatoires. L’idée a ensuite été d’introduire une à une les variables préalablement identifiées comme essentielles en tant qu’effets fixes, en prêtant bien sûr attention à leur significativité (méthode de Satterthwaite), mais aussi aux variations de la variance estimée pour les effets aléatoires : une variance réduite indique que l’introduction de l’effet fixe est parvenue à capter une part de l’effet espèce ou essai, selon les cas.
Toutes les analyses statistiques ont été effectuées sous R version 4.0.2.
Résultats
Biomasse adventice à la destruction du couvert
L’analyse d’importance des variables pour la prédiction de la biomasse adventice, issue des forêts aléatoires, montre que les trois variables les plus importantes sont, dans l’ordre décroissant, la biomasse du couvert semé, sa vitesse de croissance exprimée en tonnes par hectare et par jour, et sa vitesse de croissance exprimée en tonnes par hectare et par degrés-jours (figure 3). Il faut souligner que les deux dernières variables ont été calculées à partir de la première. Viennent ensuite des caractéristiques relatives à l’essai, notamment aux conditions pédoclimatiques : type de sol, latitude, lieu, nombre de degrés-jours. De la 11ème à la 111ème place sur 238 variables, la plupart des variables qui apparaissent sont des caractéristiques des espèces de couverts au niveau de leurs feuilles ou de leurs parties aériennes ou encore de leur capacité à la compétition pour la lumière. Apparaissent, dans l’ordre :
— Le ratio biomasse des feuilles sur biomasse totale ;
— Le ratio hauteur sur biomasse aérienne totale ;
— La sensibilité du ratio largeur sur biomasse à l’ombrage ;
— La sensibilité du ratio hauteur sur biomasse à l’ombrage ;
— La hauteur relative de la plante en-deçà de laquelle on trouve 50% de la surface foliaire ;
— La surface foliaire spécifique.
Nous nous attendions à trouver des paramètres en lien avec la compétition pour l’azote (nitrophilie des espèces de couvert, fertilisation des couverts, reliquats azotés) mais cela n’a pas été le cas.
Suite aux résultats des forêts aléatoires et après analyse de la significativité des variables, le modèle linéaire mixte retenu comprenait les caractéristiques de l’essai (lieu, année...) en effet aléatoire et, comme effets fixes, la biomasse du couvert, la durée d’implantation du couvert en degrés-jours, la note de couverture du sol et les interactions biomasse * durée, biomasse * couverture et durée * couverture. Le modèle linéaire mixte montre que les effets de la biomasse du couvert et de la note de couverture sont significatifs au seuil de 0.1%. Leur interaction est significative au seuil de 1%. Le pseudo-R² marginal, incluant la variabilité expliquée par les effets aléatoires, est de 0.60, alors même que les effets fixes parviennent à expliquer 30% de la variabilité de la biomasse adventice à eux seuls.
En résumé, plus un couvert est capable de couvrir vite le sol, moins il y aura de biomasse adventice à la destruction du couvert (figure 4), mais avec une forte variabilité selon les lieux. La réduction de la biomasse adventice est d'autant plus forte que la note de vitesse de couverture du sol des espèces de couvert est importante. Les couverts lents à couvrir le sol (notes de 1 et 2) ont peu ou pas d’impact sur la biomasse des adventices ; ils ne pourraient pas réguler les adventices même s’ils atteignaient des biomasses élevées. Au contraire, les couverts plus rapides à s’installer (notes de 3 et 4) affectent la biomasse des adventices sans nécessairement devoir atteindre des biomasses au-delà de 3 t/ha.
Le même type de résultat a été obtenu pour les associations d’espèces (données non illustrées ici). La note de couverture attribuée au mélange est la somme des notes des espèces pondérées pour chacune par leur densité de semis exprimée en pourcentage de la densité conseillée de l’espèce en pur. Les notes élevées de couverture du mélange, qui répriment le mieux la flore adventice, correspondent à des associations intégrant des espèces à couverture rapide du sol et à des densités de semis suffisantes pour qu’elles expriment leur potentiel.
Densité d’adventices à la destruction du couvert
La figure 5 illustre l’importance des variables pour la prédiction de la densité des adventices. Ici, ce sont les caractéristiques de l’essai qui arrivent en premières positions. Viennent ensuite la somme de degrés-jours du semis du couvert à la mesure de biomasse pré-destruction, l’année, le bilan hydrique moyen du semis + 21 jours à la mesure de biomasse pré-destruction du couvert, la durée d’implantation, la latitude... La vitesse de croissance en degrés-jours, en jours, et la biomasse du couvert, en tête pour la prédiction de la biomasse adventice, se trouvent ici en 12ème, 14ème et 21ème place. Le reste du classement semble organisé de manière moins cohérente que pour la biomasse adventice, et devient plus rapidement difficilement interprétable.
Le modèle linéaire mixte qui explique le moins mal la densité d’adventices avant la destruction du couvert inclut les caractéristiques de l’essai (lieu, année...) en effet aléatoire. Comme précédemment, le modèle a intégré comme effets fixes la biomasse du couvert, la durée d’implantation du couvert en degrés-jours, la note de couverture du sol et les interactions biomasse * durée, biomasse * couverture et durée * couverture. L’ajout de la note de couverture dans le modèle améliore sa capacité de prédiction sans pour autant avoir d’effet significatif. Sa prise en compte permettrait de dégager des effets significatifs de la biomasse du couvert et de l’interaction de celle-ci avec la durée d’implantation du couvert (aux seuils de 0,1% et 1%, respectivement). Le modèle présente cependant une variance très élevée associée à l’effet aléatoire « essais ». Cette forte variance hisse le pseudo-R² marginal, incluant la variabilité expliquée par les effets aléatoires, à la hauteur de 0.74, alors même que les effets fixes ne parviennent à expliquer que 6% de la variabilité de la densité adventice.
Densité d’adventices dans la culture suivante
Le nombre d’observations de la flore adventice dans la culture suivante est limité à 145 (site x année x modalité). La Figure 6 illustre l’absence de relation entre la densité d’adventices mesurée avant la destruction du couvert et la densité mesurée dans la culture suivante, dans les essais où les deux données étaient disponibles. Pour 58% de ces situations, la culture n’avait pas été désherbée avant le comptage d’adventices dans la culture. En revanche, l’interculture entre la destruction du couvert et le semis de la culture a fait l’objet d’interventions ayant très probablement détruit une grande partie de la flore adventice voire la totalité : labour ou travail du sol superficiel. En l’absence de travail du sol (semis direct), un glyphosate a été appliqué dans tous les cas. Les plantes présentes dans la culture ont pour la plupart levé dans cette dernière et ne sont pas des survivantes de la période d’interculture.
Discussion des résultats
Biomasse des adventices à la destruction des couverts d'interculture
L’impact négatif de la biomasse du couvert sur la biomasse adventice en interculture maintes fois décrit dans la bibliographie est à nouveau confirmé ici, autant par les analyses d’importance de variable (forêts aléatoires) que par les modèles linéaires mixtes. Kruidhof et al. (2008) mettent en évidence une forte corrélation entre l’effet suppresseur du couvert et son niveau d’interception de la lumière, corrélation encore plus marquée quand l’interception intervient tôt, notamment contre les adventices de grande taille. Métais et al. (2019) ont également fait le constat que plus une culture intermédiaire se développe rapidement et fortement, plus il y aura un effet suppresseur sur les repousses et adventices. La compétition pour les ressources du sol est un autre mécanisme de la régulation de la croissance des adventices par les couverts mais qui semble moins impactant que la compétition pour la lumière (Cordeau et Moreau, 2017 ; Lemessa et Wakjira, 2014). Les espèces nitrophiles ont la capacité à produire de fortes surfaces foliaires lorsque l’azote est abondant dans le sol, ce qui leur procure un avantage sur les autres espèces (Moreau et al., 2014). Ces fortes surfaces foliaires sont concomitantes de fortes biomasses. La nitrophilie des espèces de couvert ou encore des paramètres en lien avec l’azote minéral du sol (fertilisation des couverts, reliquats azotés) ne sont pas ressortis dans les analyses d’importance. De nombreuses espèces adventices des champs cultivés sont nitrophiles, tout comme certaines espèces de couverts végétaux, ce qui peut expliquer en partie ce constat.
L’effet potentiellement allélopathique des couverts sur la flore adventice n’est pas suffisamment bien documenté dans la bibliographie pour avoir pu être intégré dans la base de données décrivant les caractéristiques des espèces de cultures intermédiaires Par ailleurs, au champ, ce mécanisme ne peut que très difficilement être dissocié de la compétition pour les ressources (Mahé et al., 2022).
Nos analyses mettent en avant la biomasse du couvert et sa vitesse de couverture du sol pour améliorer l’impact des cultures intermédiaires sur la biomasse adventice. De nombreuses espèces sont capable de produire des biomasses élevées si les conditions du milieu sont favorables et si la date de semis est adaptée à leurs exigences. La vitesse de couverture du sol est en partie conditionnée par l’espèce de couvert (figure 2). Elle peut être améliorée par certaines pratiques au semis du couvert, par exemple en respectant les densités de semis recommandées, en réalisant un semis soigné favorisant une bonne levée et en optant pour des espèces et variétés faciles à faire lever et vigoureuses au démarrage. La biomasse du couvert ne semble pas être systématiquement augmentée par des densités de semis plus élevées (Ryan et al., 2011). Elle pourrait en revanche être favorisée par un semis précoce, voire un semis avant la récolte du précédent avec des espèces adaptées, si les conditions hydriques sont favorables (Sturm et al., 2017). Un apport d’azote au semis peut permettre au couvert de produire plus de biomasse de couvert mais ne réduit cependant pas la biomasse des adventices car ces dernières profitent aussi de l’azote (Cordeau et al., 2019).
Au vu de la littérature, il existe des différences notables entre espèces ou combinaisons d’espèces au regard de leur effet suppresseur sur les adventices en interculture (Smith et al., 2020 ; Gebhard et al., 2013 ; Métais et al., 2019). Cependant, il n’existe pas de screening systématique des espèces de couvert les plus répandues en France pour ce critère, étant donné qu’il est chronophage de quantifier la présence d’adventices (comptage de plantes ou séparation de la biomasse du couvert de celle des adventices). La biomasse des adventices au moment de détruire le couvert étant fortement impactée par la biomasse du couvert et l’aptitude de ce dernier à couvrir rapidement le sol, il semble envisageable de classer le potentiel des espèces de cultures intermédiaires, dans des conditions définies d’implantation du couvert, selon ces 2 critères. Le critère biomasse du couvert est mesuré dans de nombreux essais. La couverture du sol aux stades précoces est moins souvent mesurée mais mériterait de l’être en routine, à l’instar des essais réalisés par le CTPS pour l’inscription des plantes de service (Leclerc et al., 2017).
Densité des adventices à la destruction des couverts
La densité adventice semble bien plus liée au lieu de l’essai qu’aux caractéristiques des couverts d’interculture mis en place, comme l’indique l’importance de la variable essai dans les randomForest et la variance élevée associée à son effet aléatoire. La densité adventice dépend en effet du stock semencier présent dans la parcelle et des conditions pour qu’il puisse s’exprimer (travail du sol, climat…). D’autres auteurs ont également observé un impact avéré de la biomasse des couverts sur la biomasse des adventices et au contraire un effet faible à nul sur la densité de ces dernières (Métais et al., 2019 ; Fisk et al., 2001).
Au premier abord, on peut s’étonner que l’introduction de cultures intermédiaires permette de réduire la biomasse adventice totale, sans réduire leur densité. Lorsque plus de plantes adventices émergent, elles peuvent se concurrencer entre elles. Cette concurrence peut entraîner des retards dans leur développement et leur croissance, réduisant leur biomasse individuelle. On peut émettre trois remarques à ce propos :
- Sur le terrain, il est moins aisé d’observer des petites adventices cachées sous un couvert développé que la même densité d’adventices développées et seules. C’est ce qui explique qu’on a souvent l’impression que les couverts développés sont « propres ».
- Des petites adventices sont probablement plus faciles à détruire mécaniquement par un travail du sol que les mêmes espèces avec de fortes biomasses. Cela mériterait cependant d’être confirmé par des observations fines, tout comme leur aptitude à produire des semences (stades phénologiques et nombre de semences par plante).
- Si le couvert vient à disparaître naturellement (gel, sénescence) ou par des opérations mécaniques sans travail du sol (roulage, broyage), en éliminant la concurrence du couvert sur les adventices, il y a fort à parier que certaines de ces adventices vont reprendre leur croissance et potentiellement devenir nuisibles par la suite. C’est ce qui arrive en cas d’implantation de la culture suivant le couvert sans travail du sol ni application de glyphosate (Cordeau et al., 2019).
Densité des adventices dans la culture suivante
L’absence d’impact observé des cultures intermédiaires sur la flore adventice dans la culture suivante est une déception car de grosses attentes existent à ce niveau et sont exprimées par les agriculteurs (Labreuche et al., 2017). Ce constat est cependant cohérent avec de nombreuses autres observations (Métais et al., 2019 ; Fisk et al., 2001). Le temps entre la destruction du couvert et le semis de la culture de vente fait très souvent l’objet d’interventions détruisant une grande partie de la flore adventice voire la totalité : labour ou travail du sol superficiel ; glyphosate. Ces pratiques de gestion de la flore avant semis agissent comme un filtre qui « remet les compteurs à zéro » dans la plupart des cas et permettent de semer sur un sol propre. Le travail du sol, en mélangeant les couches de terre, peut ainsi modifier le stock semencier présent en surface. Enfin, les espèces aptes à lever dans le couvert en été ne sont pas forcément les mêmes que celles qui lèveront dans la culture suivante, que ce soit une culture d’automne ou de printemps. Autant de raisons qui expliquent que la flore adventice est totalement différente entre la période d’interculture et celle présente dans la culture suivante. Les situations sans travail du sol ni herbicides pour installer des cultures sont très rarement mises en œuvre. Si tel est le cas, la flore héritée du couvert peut être en partie retrouvée dans la culture suivante (Cordeau et al., 2019). Cependant, sans couvert, travail du sol ni herbicide, la flore serait encore plus développée qu’avec un couvert.
Conclusions et perspectives
Ces travaux ont confirmé ceux réalisés précédemment. Les cultures intermédiaires à forte biomasse et forte vitesse de couverture du sol limitent nettement la biomasse des adventices au moment de la destruction du couvert d'interculture. Elles ont cependant peu d’effet, dans la plupart des cas, sur la densité d’adventices. Les adventices voient leur biomasse réduite sous des couverts performants. Il convient cependant de les gérer par la suite car certaines peuvent se montrer aptes à reprendre leur croissance en culture de vente si le couvert n'est pas détruit par un travail du sol ou des herbicides. Les connaissances mériteraient d’être affinées pour mieux évaluer le comportement des adventices ayant subi la compétition d’un couvert (phénologie, aptitude à produire des semences, sensibilité à différents moyens de destruction).
La combinaison de la biomasse du couvert avec la vitesse de couverture du sol explique une bonne partie de la réduction de la biomasse des adventices pendant l’interculture. En caractérisant ces deux variables pour des conditions données de conduite du couvert, il semble envisageable de prédire le potentiel du couvert à réprimer la croissance des adventices. Cette démarche est envisagée pour ajouter un critère sur les adventices aux fiches présentant les principales espèces pures de cultures intermédiaires : http://www.fiches.arvalis-infos.fr/liste_fiches.php?fiche=ci&type=pures. Un exemple est présenté figure 7. Le potentiel de production de biomasse est différent selon les espèces de couvert et leur date de semis. Après combinaison à une vitesse de couverture du sol propre à chaque espèce, nous avons estimé un potentiel de répression de la croissance des adventices.
La couverture du sol par les couverts n’est pas encore mesurée dans la plupart des essais. Les outils à disposition (applications sur smartphone, outil portatif de phénotypage) permettent cependant de le faire de plus en plus facilement. Cela ouvre la perspective de mesurer en routine la vitesse de couverture du sol par les couverts selon différentes conduites (type d’implantation, densité de semis, espèces et variétés de couverts, associations d’espèces…) et donc indirectement de prédire la capacité de ces couverts à réprimer la croissance des adventices. Ce type de données améliorerait la finesse de nos préconisations à terme.
L’absence d’impact des cultures intermédiaires sur la flore adventice dans les cultures suivantes s’explique pour la plupart des essais par les opérations de désherbage ou de travail du sol qui précèdent le semis de la culture. Le semis direct sous couvert bien développé ou vivant, associé à une application de glyphosate, est une pratique plus à même de bénéficier de l’effet du mulch qui est un frein à la levée des adventices. Avec ce type de pratique comme avec l’utilisation plus globale de plantes de service, il reste beaucoup à faire pour essayer de réduire l’enherbement des cultures grâce aux couverts.
Remerciements
Ce travail a été effectué par Pierre VILLEFOURCEIX-GIMENEZ, dans le cadre de son mémoire de fin d’études à AgroParisTech. Il s’insère dans le cadre du projet CASDAR RAID (Régulation biologique des Adventices : Evaluation des ressources phytogénétiques et conception d’IDéotypes pour des systèmes de cultures multiperformants), qui réunit l’UMR d’Agroécologie (INRAE et Institut Agro Dijon), Arvalis et Jouffray Drillaud. Il vise à caractériser l’aptitude à la compétition pour les ressources d’une culture de vente (le pois) et de plusieurs espèces utilisées en couverts d’interculture, et à évaluer leurs performances quant à la régulation biologique des adventices. Nous remercions également les partenaires qui ont fourni des données d’essai : Arvalis, chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire, CREABio, Fédération Régionale des CUMA 64-40, lycée agricole de Fondettes, Océalia, Terres Inovia, Vivadour, Zasso.
Références bibliographiques
Breiman L., 2001. Random Forests. Machine Learning 45, 5-32
Chauvel B., Darmency H., Munier-Jolain N. coord., 2018. Gestion durable de la flore adventice des cultures 355 p. isbn : 9782759228188, Editions Quae
Colbach N., Colas F., Cordeau S., Maillot T., Queyrel W., Villerd J. & Moreau D., 2021. The FLORSYS crop-weed canopy model, a tool to investigate and promote agroecological weed management. Field Crops Research 261, 108006, https://doi.org/10.1016/j.fcr.2020.108006
Cordeau S., Moreau D., 2017. Gestion des adventices au moyen des cultures intermédiaires multiservices : potentiels et limites. Innovations Agronomiques 62, 1-14
Cordeau S., Grall L., Lachmann A., Martin J., Matejicek A., Busset H., 2019. Gestion des adventices en semis direct : effet des couverts et de leur conduite. 24e Conférence du COLUMA - Journées internationales sur la lutte contre les mauvaises herbes – Orléans - 3, 4 et 5 décembre 2019
Fisk J., Hesterman O., Shrestha A., Kells J., Harwood R., John M., Squire J., Sheaffer C., 2001. Weed Suppression by Annual Legume Cover Crops in No-Tillage Corn. Agronomy Journal 93, 319–325
Gebhard C.A., Büchi L., Liebisch F., Sinaj S., Ramseier H., Charles R., 2013. Screening de légumineuses pour couverts végétaux : azote et adventices. Recherche Agronomique Suisse, 4, 384-393.
Kruidhof H., Bastiaans L., Kropff, M., 2008. Ecological weed management by cover cropping: effects on weed growth in autumn and weed establishment in spring. Weed Research 48, 492-502
Labreuche J., Edeline P., Sauzet G., 2017. Des couverts à durée indéterminée. Perspectives Agricoles 443, 38-40
Leclercq D., Basset A., Bourdon P., Gras M.C., Julier B., Leclerc C., Litrico I., 2017. Catalogue français : valorisation de la sélection pour les variétés de cultures intermédiaires multiservices. Innovations Agronomiques, INRAE, 2017, 62, 101-114
Lemessa F., Wakjira M., 2014. Mechanisms of Ecological Weed Management by Cover Cropping: A Review. Journal of Biological Sciences 14, 452-459
Mahé I., Chauvel B., Colbach N., Cordeau S., Gfeller A., Reiss A. & Moreau D., 2022. Is there field-based evidence of weed regulation by crop allelopathy? A systematic review based on the comparison of crop varieties. Agronomy for Sustainable Development, in press
Métais P., Vuillemin F., Cordeau S., 2019. Travail du sol et couverts : quels effets sur les adventices ? Phytoma 720, 35-38
Moreau D., Milard G., Munier-Jolain N., 2014. A plant nitrophily index based on plant leaf area response to soil nitrogen availability. Agron. Sustain. Dev. 33, 809–815
Ryan M., Curran W., Grantham A., Hunsberger L., Mirsky S., Mortensen D., Nord E., Wilson D., 2011. Effects of Seeding Rate and Poultry Litter on Weed Suppression from a Cereal Rye Cover Crop. Weed Science 59, 438-444.
Smith R., Warren N., Cordeau, S., 2020. Are Cover Crop Mixtures Better at Suppressing Weeds than Cover Crop Monocultures ? Weed Science, 68-2, 186 – 194. DOI: https://doi.org/10.1017/wsc.2020.12
Sturm D., Kunz C., Peteinatos G., Gerhards R., 2017. Do cover crop sowing date and fertilization affect weed suppression ? Plant, Soil and Environment 63, 82-88.
Les articles sont publiés sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 2.0)
Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue AES et de son URL, la date de publication.