Effets de couverts d’interculture sur les adventices en interculture et dans les cultures suivantes : analyse d’un réseau d’essais (projet Vancouver)
F. Vuillemin* (1), G. Monier (2), C. Denieul (2), M. Guillot (3), E. Marinier (4), m. Herbach (5), B. Chorro (6), F. Thomas (6), P. Fauvin(7), MA. Benard (8), A. Rodriguez (9)
(1) Terres Inovia, 6 chemin de la côte vieille, 31400 Baziège, chargée d’études sur la gestion intégrée des adventices, 05 82 08 34 18, f.vuillemin@terresinovia.fr *
(2) Agrosolutions, 17 Rond-Point de l’Europe, 51 430 Bezannes
(3) Chambre d’Agriculture d’Indre-et-Loire, 38 rue Augustin Fresnel, 37171 Chambray-les-Tours
(4) Lycée agricole de Tours-Fondettes, La Plaine, 37230 Fondettes
(5) Vivadour, Lucante Route d'Agen, 32000 Auch
(6) Océalia, 51 rue Pierre Loti, 16111 Cognac
(7) Terres Inovia, Domaine du Magneraud, 17700 St Pierre d’Amilly
(8) Terres Inovia, Domaine du Grand Chaumoy, 18570 Le Subdray
(9) ACTA, 6 chemin de la côte vieille, 31400 Baziège
Résumé
Pour évaluer l’aptitude de couverts d’interculture ou de couverts associés maintenus ensuite dans l’interculture et la culture suivante à limiter le salissement des parcelles, des essais ont été mis en place dans le cadre du projet CASDAR VANCOUVER par plusieurs partenaires (Terres Inovia, Agrosolutions avec les coopératives Océalia et Vivadour et la Chambre d’Agriculture d’Indre-et-Loire avec l’EPLEFPA de Tours-Fondettes) entre 2017 et 2019 dans différents contextes pédoclimatiques, soit en interculture longue (blé-tournesol ou blé-maïs), soit en interculture courte (colza-blé). Pour chacun de ces deux types d’interculture, un protocole commun a été rédigé pour réaliser un réseau d’essais testant différentes combinaisons couvert et déchaumages / faux-semis. Des mesures de la biomasse du couvert et des comptages des adventices et leur stade dans l’interculture et dans la culture suivante ont permis de mettre en évidence que plus le couvert a une forte biomasse, moins les adventices présentes à la même période, en interculture ou dans la culture associée, sont denses et développées. Ce résultat n’est pas observé dans la culture suivante.
Mots-clés : couverts, interculture, adventices, réseau d’essais
Abstract Impact of cover crops on weeds at intercropping and in the following crops: study of a network of trials (the vancouver project)
In order to evaluate the ability of cover crop at intercrop period (sowed after the harvest or sowed in association with the previous crop) to limit the infestation in the field, some trials were implemented by several partners (Terres Inovia, Agrosolutions with Ocealia and Vivadour and Chambre d’Agriculture d’Indre-et-Loire with high school of Tours-Fondettes Agrocampus) between 2017 and 2019 in several climate and soil contexts, financially supported by the VANCOUVER project. Two different intercrop period were targeted: a long (wheat – sunflower or wheat – maize) and short intercropping (oilseed rape – wheat). A common protocol was tested combining cover corps and/or tillage. Cover crop biomass and weed density were measured during intercropping and in the succeeding crop. It showed that more the cover crop is stifling (big biomass) and less the weeds present at the same time, either during intercropping and in associated crop, are dense and developed. This result was not observed in the next crop.
Keywords: cover crops, intercropping, weeds, trial network
Introduction
Pour réduire le salissement des parcelles, la question de l’intérêt des couverts par rapport à des déchaumages répétés superficiels durant l’interculture se pose. De plus, si l’interculture est courte, on peut se demander quelle est la meilleure période d’implantation du couvert.
Le projet CASDAR VANCOUVER vise à évaluer l’effet de l’introduction de couverts d’interculture et de couverts associés (semis sous couvert et couvert en relais) sur l’évolution du salissement des parcelles par les adventices.
Deux types d’essais ont été mis en place : un en interculture longue (blé-tournesol) et un en interculture courte (colza-blé).
L’interculture blé-tournesol est assez longue. L’implantation de couverts d’interculture s’envisage donc facilement entre les deux cultures. L’objectif de ce type d’essai est d’évaluer l’effet du couvert sur la levée et le développement des adventices en interculture puis dans le tournesol et ensuite dans le blé suivant. Concernant l’interculture, on sait que les couverts, en exerçant une compétition pour les ressources vis-à-vis des adventices, peuvent avoir un effet répressif sur les adventices (Cordeau et al, 2019).
Dans l’interculture colza-blé, la directive Nitrates impose de laisser les repousses de colza pendant une durée qui varie, selon le département, de trois à six semaines après la récolte, ce qui limite les possibilités de préparer le sol pour le semis d’un couvert de légumineuses, qui ne sont d’ailleurs pas des pièges à nitrates. L’implantation d’un couvert de légumineuses semi-permanent dès le semis du colza (colza associé) est une alternative qui permet de fixer de l’azote atmosphérique pendant la culture et de maximiser la production de biomasse culture + couvert. Outre le fait qu’il sera déjà en place pour couvrir l’interculture colza-blé, ce couvert procure aussi des bénéfices au colza (azote, limitation du développement des adventices par concurrence) (Valantin-Morison et al, 2014 ; Cadoux et al, 2015). L’objectif de ce second type d’essai est d’évaluer l’effet du couvert sur la levée et le développement des adventices, dans le colza, puis en interculture colza-blé et également dans le blé suivant.
L’objectif de ces expérimentations était donc d’acquérir des connaissances sur l’effet du mode de conduite de l’interculture (couvert étouffant ou non, implanté en association avec la culture précédente (colza) ou non, destruction précoce ou tardive du couvert, faux-semis après ou non…) sur les adventices. Ce réseau d’essais a pour but de tester l’hypothèse selon laquelle la présence d’un couvert conséquent (Métais et al, 2019) et le mode de gestion du couvert (date de destruction et faux semis ensuite ou non) ont un effet sur la densité des adventices.
Matériel et méthodes
Réseau d’essais mis en place
Les différents partenaires du CASDAR VANCOUVER ont mis en place un ou des essais de type blé-tournesol ou colza-blé, dans différents contextes pédo-climatiques (Tableau I) permettant ainsi d’avoir un réseau d’essais.
Interculture longue : Essais blé-tournesol (ou blé-maïs)
Dans ce type d’essai, trois modalités A, B et C sont comparées, mettant en œuvre différentes conduites de l’interculture longue : mise en place d’un couvert étouffant et maintien le plus longtemps possible jusqu’à la préparation du lit de semences du tournesol (A) ; mise en place d’un couvert étouffant et destruction en entrée hiver puis faux-semis avant implantation du tournesol (B) ; mise en place d’un couvert minimal, réglementaire (moins dense et moins diversifié) puis labour en entrée hiver et préparation classique du semis du tournesol (C) (Figure 1).
Couvert des modalités A et B : mélange couvrant de type avoine (8,4 kg/ha) + trèfle d’Alexandrie (2,4 kg/ha) + phacélie (1,2 kg/ha). L’implantation devait avoir lieu durant l’été (pas de date imposée pour permettre de bien positionner le semis par rapport aux pluies et maximiser ainsi les chances de levée du couvert). Pour la destruction, même si la voie mécanique était privilégiée, le glyphosate n’était pas exclu (en cas de conditions trop humides pour une destruction mécanique ou en cas d’efficacité partielle) pour garantir la destruction et la simplicité de l’opération.
Couvert de la modalité C : un couvert simple (peu dense et peu diversifié) adapté à la région et facile à réaliser (de type avoine/vesce ou moutarde).
Tournesol en 2018 : variété tolérante aux herbicides (VTH) a été demandée afin de ne pas faire de désherbage de prélevée pour pouvoir réaliser des comptages d’adventices dans la culture (avant désherbage de post-levée). Pour l’implantation du tournesol (ou du maïs dans 1 des 4 essais),
Blé en 2018-2019 : pas de désherbage à l’automne.
Le travail du sol est précisé dans le tableau ci-dessus. Contrairement à ce qui a été demandé au protocole, un déchaumage a été réalisé dans la plupart des essais entre le tournesol et le blé (disques de 7 à 15 cm de profondeur selon les essais).
Interculture courte : Essais colza-blé
Dans ce type d’essai, trois modalités A, B et C sont comparées, mettant en œuvre différentes conduites de l’interculture courte après le colza : maintien d’un couvert pérenne de type trèfle blanc implanté au moment du semis du colza durant l’interculture puis destruction mécanique avant le semis du blé (A) ; maintien du couvert pérenne implanté au semis du colza, durant l’interculture et semis du blé dans ce couvert après régulation chimique (B) ; conduite classique d’interculture recouvert par des repousses spontanées de colza (colza non associé) puis destruction et faux-semis avant implantation du blé (C) (Figure 2).
Couvert associé au colza dans les modalités A et B : mélange d’espèces annuelles gélives (pour couvrir rapidement le sol dans le colza) et d’espèces pérennes (pour maintenir le couvert en interculture) (par exemple trèfle blanc + lentille + trèfle d’Alexandrie + féverole).
Désherbage du colza associé avec un couvert : ne pas appliquer d’herbicide de pré-semis ou de prélevée. Si nécessaire, un herbicide type anti-graminée ou un désherbage post-levée précoce.
Désherbage du colza non-associé : Alabama ou Novall à 2,5 l/ha en prélevée, conduite classique.
Interculture modalité C : Pour optimiser la levée des graines de colza tombées à la récolte, il a été demandé de ne plus travailler le sol après le déchaumage superficiel rappuyé post récolte. Un déchaumage superficiel rappuyé post récolte était demandé pour réaliser un faux-semis ; puis un déchaumage superficiel en cas de forte infestation d’adventices puis semis combiné du blé.
Blé en 2018-2019 : Un semis tardif (3ème décade d’octobre) avait été demandé pour permettre un faux-semis en modalité C. Il a été demandé de ne pas le désherber à l’automne.
Plan d’expérimentation des essais
Les modalités A, B et C ont été répétées trois fois et randomisées dans un dispositif de type carré latin (Figure 3). La surface des parcelles élémentaires était adaptable en fonction des contraintes matérielles.
Données complémentaires
Les données météorologiques et d’itinéraires techniques des cultures (dates et densités de semis (culture et couvert), doses et dates d’application des intrants, matériel et profondeur travail du sol…) ont été consignées.
Notations
L’objectif de cette notation est d’attribuer des classes de densités (tableau II) à chaque espèce adventice afin d’estimer l’abondance (Barralis, 1976). L’observateur arpente chaque parcelle élémentaire et note toutes les espèces présentes dans chacune d’elles. Pour chaque espèce, il note ensuite le stade phénologique dominant (tableau III) et attribue une classe de densité (estimation visuelle et en comparaison avec les autres espèces et les autres parcelles) (Tableau II).
Biomasse aérienne du couvert et des adventices
Pour chaque parcelle élémentaire, l’expérimentateur prélève les parties aériennes de tous les végétaux (couvert + adventices) sur quatre placettes de 0,25 m². Il sépare ensuite le couvert des adventices et pèse en frais la quantité de couvert et d’adventices pour chaque placette de chaque parcelle élémentaire (exprimée en g/m²). Après avoir pesé les sous-échantillons (couvert et adventices par parcelle élémentaire), les échantillons sont placés à l’étuve à 80°C pendant 48 heures. Puis ils sont ensuite pesés à sec.
Traitement statistique des données
Une analyse essai par essai a été réalisée pour tenir compte des spécificités de chaque essai (contraintes météorologiques, du matériel, de la flore…).
Une analyse commune a été également réalisée afin d’observer les tendances sur l’ensemble des essais. Cette analyse cherchait à expliquer la densité des adventices à chaque période (en entrée hiver, sortie hiver, interculture ou culture suivante) d’une part et la biomasse sèche aérienne des adventices d’autre part, par des variables potentiellement explicatives. Ces dernières étaient sélectionnées parmi des variables de caractéristiques de l’essai (le site, le bloc), des variables de caractéristiques du couvert (modalité, type de couvert…), des variables de pratiques culturales (travail du sol avant couvert…) et des variables relatives au passé de la parcelle (note Barralis lors de la précédente observation…). Les variables sélectionnées étaient celles ayant une note d’importance élevée dans le modèle Random Forest réalisé (celui-ci cherchait à expliquer la densité des adventices à une période ou bien la biomasse sèche aérienne des adventices à une période avec toutes les autres variables disponibles comme potentiellement explicatives). Une série d’analyse de variance a été réalisée en prenant une par une les variables ainsi sélectionnées. L’effet site étant un effet de confusion possible, celui-ci était mis en effet aléatoire dans le modèle. Croiser plusieurs facteurs d’intérêt était impossible en raison du nombre de répétitions dans chacun des cas. Ainsi, il était possible de conclure sur l’importance du facteur d’intérêt sur la densité des adventices ou la biomasse sèche aérienne des adventices sur une période.
Résultats
Analyse par essai
Essais concernant l’interculture longue blé-tournesol (ou blé-maïs) :
Sur trois essais sur quatre, dans l’interculture longue type blé-tournesol ou blé-maïs, les modalités avec un couvert choisi pour être étouffant (modalités A et B) étaient moins infestées par les adventices en entrée hiver que la modalité sans couvert ou avec un couvert minimal règlementaire (modalité C).
En effet, la modalité C à Fondettes est plus infestée en adventices à l’automne que les modalités A et B (Figure 4) ; ensuite, au printemps, le labour sur la modalité C a tout enfoui. A Surgères, on voit également qu’avant la destruction totale des couverts (en sortie hiver sur cet essai, car empêchée à l’entrée de l’hiver à cause d’une pluviométrie élevée à l’automne), les modalités avec un couvert étouffant (A et B) sont plus propres que la modalité C. C’est le même constat sur l’essai de Vivadour en entrée hiver (figure 5), d’autant que la modalité C n’avait pas de couvert sur cet essai. Cela confirme l’importance de la biomasse du couvert vis-à-vis des adventices en interculture.
Cependant, l’effet n’est pas visible ensuite dans la culture de printemps suivante (Figure 4). Notons toutefois que le labour sur la modalité C assure un sol propre avant le semis de la culture de printemps.
Essais concernant l’interculture courte colza-blé :
Sur l’essai de Fondettes à l’entrée de l’hiver, le colza seul (modalité C) est plus infesté par les adventices que le colza associé des modalités A et B (mélange d’espèces annuelles gélives + trèfle blanc) (Figure 6). En effet, le désherbage a pu être réduit dans le colza associé par rapport au colza seul, sous réserve d’une implantation correcte du colza et du couvert (semis précoce, conditions météo…).
Plus la biomasse aérienne de colza + couvert est importante et moins la biomasse aérienne adventice est importante (Figure 7). Cela illustre donc l’effet répressif sur les adventices d’une biomasse importante, renforcée par la biomasse du couvert dans la culture par rapport à un colza seul, moins couvrant.
Ensuite, dans l’interculture courte type colza-blé, la difficulté d’implanter un couvert permanent qui dure (ici le trèfle blanc dans le colza, afin qu’il s’installe bien et qu’il demeure ensuite en interculture) a impacté trois expérimentations sur quatre. En cas d’implantation réussie du couvert (un seul essai, Brunet), il est apparu indispensable de le réguler dans le blé suivant pour ne pas qu’il prenne le dessus sur la culture.
En général, peu de différences ont été observées entre les modalités à l’interculture estivale et dans le blé suivant (date du 19/11/2018) (Figure 6).
Analyse à l’échelle du réseau par type d’interculture
Essais concernant l’interculture longue blé-tournesol (ou blé-maïs) :
Durant l’interculture entre le blé et le tournesol, la quantité d’adventices à l’entrée de l’hiver de l’interculture influence la densité d’adventices à la sortie de l’hiver de l’interculture (p < 0,01, seule la modalité C de Fondettes a été écartée car c’est le seul essai ayant pu réaliser le labour en entrée hiver) puis au début du tournesol.
La modalité (c’est-à-dire le type de couverture du sol durant l’interculture et le type de travail du sol) est explicative de la densité d’adventices à l’entrée de l’hiver de l’interculture (soit en novembre-décembre entre blé et tournesol) (p < 0,01). La présence d’adventices est plus importante pour la modalité C (couvert minimal) que pour les modalités A et B (couvert étouffant) pour chaque site (cf. figures 4 et 5). Une tendance similaire peut être observée en sortie d’hiver mais les données sont incomplètes et de ce fait la quantité de données restant disponible est faible pour réaliser des tests de significativité.
Lorsque nous cherchons à expliquer la biomasse d’adventices à l’entrée et à la sortie de l’hiver (en tenant compte de l’effet site), la biomasse du couvert à la même période ainsi que la modalité montrent un effet significatif (les p-valeurs sont respectivement < 0,01 et 0,043). Dans les modalités C des différents essais, où le couvert est léger voire inexistant (en bleu sur la figure 8), la quantité d’adventices est plus forte que dans les autres modalités (en rouge et vert), où un couvert étouffant était réalisé. Plus la biomasse du couvert est importante, plus la biomasse des adventices est faible (Figure 8, p-valeurs < 0,01).
Il est donc possible d’avancer que le couvert d’interculture réduit la quantité d’adventices en interculture et que l’état de salissement d’une parcelle dépend de son historique d’infestation (c’est-à-dire de la densité à la période de comptage précédente).
Cependant, il n’y a pas d’effet du couvert sur les adventices observé dans la culture suivante.
Essais concernant l’interculture courte colza-blé :
Pendant l’interculture suivant le colza, l’absence de couvert (modalité C) semble augmenter la quantité d’adventices sur cette période. Cependant le faible nombre d’observations rend l’étude de significativité difficile. Au début du blé suivant le colza, c’est la densité d’adventices en fin de colza et en interculture qui explique le mieux la quantité d’adventices dans le blé suivant (p < 0,01).
Discussion et conclusion
Les conclusions retenues sur ces essais sont en cohérence avec celles de la bibliographie : plus la biomasse du couvert est importante et moins les adventices présentes à la même période (et pas dans la culture suivante) sont denses et développées (Cordeau et Moreau, 2017 ; Métais et al, 2019). Cela est valable tant en interculture (Kulakowski 2016 ; Bonin et Labreuche, 2017) qu’en couvert associé à une culture, plus spécifiquement le colza associé (Cadoux et al, 2015).
Il est reconnu que « les couverts d’interculture ont une action de régulation des adventices qui se fait directement par compétition pour les ressources (lumière, eau, azote) mais aussi par allélopathie » (Cordeau et Moreau, 2017). Notons que cet effet répressif du couvert sur les adventices est fonction de sa biomasse et donc de sa densité, de sa composition (Cordeau et Moreau, 2017) et de sa qualité d’implantation, qui dépend bien souvent de la date de semis mais surtout de la météorologie (Lieven et Lecomte, 2013).
Un couvert peu étouffant, sans concurrencer les adventices, les laissera grainer s’il n’est pas détruit à temps, ce qui contribuera à alimenter le stock semencier (Escoffier, 2016). Néanmoins, à part l’étude de Brennan et Smith (2005) qui démontre la réduction de la production de semences pour l’ortie (Urtica urens) en réponse à la présence de quelques espèces de couverts comme la moutarde ou l’avoine, peu d’études ont travaillé le sujet, si bien qu’on ne peut affirmer, à l’échelle de la rotation, que la présence d’un couvert augmente ou réduit le stock de semences adventices dans le sol (Cordeau et Moreau, 2017).
Concernant l’absence d’effet du couvert d’interculture dans la culture suivante, on peut tout d’abord supposer que d’autres pratiques liées à la mise en place de la culture suivante ont pu masquer l’effet potentiel de ce couvert. Cette absence d’effet se matérialise dans nos essais de différentes manières : flore tout à fait différente (y compris pour une même culture, dans les essais blé-tournesol-blé par exemple), très faible salissement, ou encore hiérarchie des modalités « aléatoire », en tout cas qui ne semble avoir de lien avec l’effet du couvert observé en interculture. En effet, comme dans d’autres études, « le travail du sol et les herbicides neutralisent l'effet potentiel du couvert sur les communautés de mauvaises herbes dans les cultures suivantes » (Adeux et al, 2021). Cependant, sur ces essais il n’y avait pas de désherbage de prélevée sur la culture suivante (demandé au protocole), c’est donc le déchaumage des cultures qui a potentiellement modifié la flore : destruction d’espèces présentes, mise en germination d’autres espèces…
Sous réserve de maîtriser le couvert dans les cultures, on peut espérer bénéficier d’effets positifs des couverts d’interculture en le maintenant au cours du temps, au fil de quelques successions intercultures – cultures. L’introduction de plantes compagnes associées à une culture sécurise l’implantation de couverts pérennes ou semi-permanents (Thomas, 2018). Par exemple, le trèfle blanc nain semé dans le colza puis maintenu tout au moins dans l’interculture qui précède l’implantation du blé ayant montré des perspectives encourageantes (Labreuche et al, 2015), c’est ce qui a été envisagé dans les essais colza-blé de ce réseau. Cependant, en raison de quelques impondérables expérimentaux dans nos essais, le couvert de trèfle blanc nain n’a été correctement mis en place et conservé que dans un essai sur quatre. Pour ce dernier, une régulation chimique dans le blé a été nécessaire sous peine de concurrencer la culture, en cohérence avec les premiers résultats obtenus sur cette technique (Labreuche et al, 2015).
On peut cependant espérer qu’en réprimant les densités d’adventices, les couverts, s’ils sont suffisamment étouffants, permettent de réduire, directement ou indirectement, les quantités d’herbicides appliqués et apportent des bénéfices environnementaux et agronomiques comme l’amélioration de la structure du sol, la fourniture en azote, le stockage du carbone, etc. (Valantin-Morison et al, 2014 ; Magnard, 2018).
Notons toutefois qu’en situation de parcelles très sales (forte pression de graminées, géraniums, gaillet), l’association d’espèces de couvert au colza ne suffit pas pour assurer une bonne maîtrise du salissement et le désherbage restera nécessaire (Lambert, 2017). Ainsi, « les couverts ne permettent pas à eux seuls d’assurer une régulation complète des adventices ; en d’autres termes, il s’agit d’utiliser les couverts pour épauler d’autres pratiques permettant de limiter l’utilisation d’intrants » (Cordeau et al, 2019).
Cependant, cette étude présente un nombre de mesures plutôt faible pour tirer véritablement de conclusions sur l’ensemble des données. Certaines mesures ont dû être écartées car la pratique finalement mise en place ne correspondait pas complètement au protocole (par exemple, en modalité C de l’essai en interculture longue, le labour n’a pas été fait sur certains essais) et certaines mesures n’ont pas été réalisées dans certains essais.
Par ailleurs, il est difficile de mettre en place ce type de dispositif expérimental en réseau d’essais. En effet, si le réseau d’essais a l’avantage de prendre en compte les variations territoriales inter-annuelles, imposer le même itinéraire technique sur des parcelles de régions différentes soumises à des conditions climatiques différentes engendre des complications de mise en œuvre mais aussi d’interprétation. En effet, entre les différents niveaux de pression adventice, les espèces de flores très diverses d’un site à l’autre et même d’une culture à l’autre au sein d’une même parcelle, la diversité des matériels et des pédoclimats, l'expérimentation sur la gestion des adventices ne va pas de soi... Le contexte propre à chaque parcelle ainsi que les contraintes expérimentales liées par exemple au matériel, peuvent engendrer un biais pour l’interprétation des résultats par type d’essai. Néanmoins, ce type de biais est aussi une réponse à la question posée : si une pratique permet de réduire la présence d’adventices, son intérêt peut aussi être très variable d’une situation à l’autre. Cette variabilité de réponse peut compliquer le conseil et implique une certaine prise de risque de la part de l’agriculteur.
Si notre étude, confirmée par la bibliographie, permet de montrer que la présence d’un couvert développé pendant l’interculture (ou en association avec la culture) réduit significativement l’abondance d’adventices durant cette période, avec ces résultats nous ne pouvons cependant pas montrer d’impact sur le salissement en adventices dans la culture suivante (flore différente ou abondance très faible ou hiérarchie des modalités concernant l’abondance de la flore n’ayant rien à voir avec la conduite en interculture ; de plus, s’il y a peut-être un potentiel effet du couvert sur la culture suivante il a pu être masqué par le travail du sol qui bouleverse les horizons de sol). Ces conclusions sur les couverts doivent encore être confirmées par d’autres études ultérieures. Les couverts restent à raisonner au sein du système de culture, en cohérence avec le choix des cultures et de la rotation ainsi qu’avec le travail (ou non travail) du sol envisagé et les outils disponibles (Thomas 2018).
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