Être agronome en contexte de transition numérique
Pietro Barbieri, Jérôme Steffe, Clara Reichert, Loïse Vergnaud
* Bordeaux Sciences Agro
Email contact auteurs : pietro.barbieri@agro-bordeaux.fr
Introduction
Dans le cadre de la 11ème édition des Entretiens agronomiques Olivier de Serres, portant sur "Être agronome dans un contexte de transitions”, plusieurs ateliers ont été organisés en France. Quatre grandes transitions ont été abordées, notamment : (i) la transition alimentaire, (ii) la transition écologique, (iii) la transition énergétique, et (iv) la transition numérique. Notre travail porte sur cette dernière à travers l’organisation d’un atelier, à Bordeaux Sciences agro le 01 mars 2022 visant à l’échange entre différents acteurs, principalement issus du territoire girondin. Le témoignage d’un agriculteur du réseau MaïsAdour fortement impliqué dans l’utilisation des outils numériques dans la gestion de sa ferme a été la clé d’entrée des discussions. Trois axes principaux ont été abordés : la transition numérique chez les agriculteurs, chez les organismes de conseil et chez les formateurs agricoles. Ces trois sujets ont été abordés et analysés en suivant la grille proposée en Figure 1. Les résultats de ces discussions seront ici reportés par la suite.
L’agriculteur au cœur de la transition numérique
Quelle utilisation du numérique liée à l’agriculture ?
La première question concerne la possibilité d’utiliser les outils numériques comme support à une réflexion plus globale sur les orientations stratégiques de gestion d’une exploitation agricole. L’adoption du numérique dans les pratiques agronomiques est facilité par l’éventuelle appétence au numérique et à une volonté d’optimisation et d’efficience. Elle est souvent appuyée par un premier outil « de confort » devenant rapidement indispensable (par exemple le guidage du tracteur pour les grandes cultures, la machine de traite pour l’élevage, etc.). En termes agronomiques, ces outils apportent des données qui servent d’appui aux décisions agronomiques (adaptation au changement climatique, modulation intra parcellaire, diagnostic d’hétérogénéité, …). Ces données peuvent supporter des prises de décision, par exemple le déplacement des cultures dans de nouvelles zones de production qui prendraient compte de l’évolution des changements climatiques. Selon le témoignage de l’agriculteur présent à l’atelier, les outils numériques sont aussi essentiels pour déterminer l’orientation stratégique agronomique. Plus en détail, l’homogénéisation des parcelles est ressentie comme essentielle pour diminuer le coût de la main d’œuvre et stabiliser les performances agronomiques à l’aide des outils numérique du type Be Api (logiciel d’agriculture de précision qui permet un diagnostic d’hétérogénéité intra-parcellaires afin d’adapter sa modulation). Le numérique fournit aussi des outils qui facilitent la gestion d’entreprise, avec un gain de temps de travail (commerce en ligne, location et suivi du matériel, transactions, traçabilité, comptabilité, contrats avec la coopérative, entre autres).
Quelle évolution des compétences dans le métier de l’agriculteur ?
L’utilisation de ces outils numériques ne devrait pas entrainer le risque de dégrader les compétences agronomiques des agriculteurs, car ces compétences sont essentielles pour l’interprétation des résultats/conseils de gestion issue des modèles numériques. Au contraire, elle oblige : (i) à une prise de recul et un regard critique sur les outils utilisés (donc une compréhension des outils, et la mise en relation avec les réalités agronomiques), (ii) au développement des compétences telles que l’adaptabilité et flexibilité (par exemple, passage d’engrais ternaires aux engrais simples), (iii) au développement des compétences de maîtrise et de paramétrage des outils, ainsi que (iv) à des activités de formation et de suivi ou d’accompagnement des salariés sur les outils utilisés. L’adoption de ces outils porte donc vers une évolution des connaissances et pratiques agronomiques, plutôt qu’à une dégradation des compétences.
Pour ce qui concerne le matériel agricole, toujours selon le témoignage de l’agriculteur du réseau MaïsAdour, on constate aujourd’hui une évolution du matériel permettant la valorisation des outils numériques, avec ~80% du matériel qui permet directement la valorisation les outils numériques, sans investissement supplémentaire.
Quels moyens actuels d’acquisition de ces compétences ?
L’acquisition de ces compétences n’est pas toujours simple. Les formations proposées par les organismes locaux de conseil (par exemple, en Gironde le GRCETA) sont souvent mal ciblées. Les coopératives et regroupements agricoles ne dispensent pas ce type de formation, car étant organisés par filière, ils ne sont pas structurés pour prendre en compte la transversalité des outils numériques. Quant aux fournisseurs de matériels, ils proposent des formations, mais avec une qualité variable. Enfin, des formations sont disponibles chez des entreprises ou instituts spécialisés (par exemple AgricapConduite proposé par le CFA de Montagne Saint Emillion) mais elles restent sous utilisées. Le moyen principal d’acquisition des compétences reste donc l’autoformation permise par l’appétence technologique de l’agriculteur et l’existence de nombreuses ressources (en ligne notamment). Cependant, grâce à l’évolution progressive du matériel agricole, l’utilisation et la valorisation des outils numériques est de plus en plus simple.
Quels besoins / difficultés rencontrées pour cette évolution ?
Pour ce qui concerne les limites liées au matériel agricole, on constate la présence d’un certain nombre de freins techniques à l’adoption de solutions numériques. Il n’y a par exemple pas de moyen fiable de cartographier le rendement de certaines productions (par exemple le Maïs semences, le Maïs doux ou le Haricot vert). Il est donc impossible de sortir des cartes des marges intra-parcellaires, qui constitueraient une information très intéressante pour l’agriculteur. Certaines autres contraintes sont cependant facilement améliorables comme le fait que certains tracteurs ne supportent pas la taille des fichiers générés par les logiciels et ce qui oblige aujourd’hui à simplifier les cartes de modulation. Pour ce qui concerne l’application pratique des résultats issus des modèles numériques, on constate que les agriculteurs, par précaution, ne suivent pas complètement ces résultats. Cette stratégie est plus une réaction de précaution que de défiance vis-à-vis du modèle.
Pour ce qui concerne la formation, l’offre de formation est clairement insuffisante. À cela se rajoute une problématique liée à la saisonnalité et temporalité en agriculture : les périodes les plus propices à la formation car permettant des formations concrètes en présence des cultures, sont aussi les plus chargées pour les apprenants. De plus, la formation est en général vécue comme une contrainte et non comme une opportunité par les salariés agricoles. Le principal problème reste donc de motiver les salariés à participer à des actions de formation. Des actions de sensibilisation des salariés agricoles à la formation continue sont nécessaires. De plus, les salariés attendent des formations très concrètes et très opérationnelles qui ne sont pas toujours proposées par les fournisseurs. Concernant les agriculteurs, la contrainte principale est nettement un manque de temps pour participer aux formations et se former aux fonctionnalités complètes. Même si l’utilisation du numérique n’entraine pas une dégradation des compétences agronomiques des agriculteurs, les salariés maîtrisant le numérique, au contraire, sont souvent trop focalisés sur les résultats générés automatiquement et leur accordent une confiance excessive et en oubliant parfois les réalités agronomiques.
D’autres limites identifiées, mais plus ponctuelles, concernent le manque d’interopérabilité entre les différents outils numériques, ainsi qu’une trop forte charge de saisie des données, parfois redondantes (données parfois saisies plusieurs fois pour différents outils).
Le conseil au cœur de la transition numérique
Tout d’abord, on identifie trois types d’institutions qui sont impliqués dans le conseil agricole : les chambres d’agriculture – caractérisées aujourd’hui par un public très mixte en alliant des jeunes agriculteurs aux agriculteurs en fin de carrière, avec des visions et des besoins différents –, les coopératives agricoles et les conseillers indépendants. L’objectif premier dans la relation de conseil est d’améliorer l’efficience sur la partie production.
Quelle utilisation du numérique ?
Le numérique se présente tout d’abord comme un moyen d’échange. Les nouveaux outils de communication développés sur la base des technologies numériques offrent aujourd’hui des moyens de discussion et d’échange plus puissants qu’auparavant. Cela facilite le travail en réseau, indispensable dans les activités de conseil pour mutualiser les connaissances et compétences, comparer les résultats, partager les expérimentations. On constate aussi qu’aujourd’hui, il n’y a parfois plus d’écart de connaissances entre l’agriculteur et le conseiller (qui avant était le sachant) : les outils numériques sont donc utilisés comme support d’échange en permettent un accès beaucoup plus facile à l’information par les agriculteurs par rapport au passé.
L’utilisation des outils numériques par les conseillers agricoles permet aussi une facilitation du travail par rapport à l’évolution des contraintes agronomiques, réglementaires, etc. et à la quantité d’informations nécessaires pour les résoudre. La charge en travail en traitement de données qui s’impose aujourd’hui au conseiller rend les outils numériques nécessaires du seul point de vue de la productivité (par exemple : outils de traçabilité) et permet aux conseillers de synthétiser une quantité et complexité de données dans un contexte de réglementation toujours plus prégnant. Le numérique joue également un rôle de mémoire important permettant d’objectiver la prise de décision.
Les conseillers ont aujourd’hui un double rôle : ils peuvent donc être prescripteurs de solutions auprès d’agriculteurs ayant une problématique, ou ils peuvent apporter du conseil plus spécifique à des agriculteurs demandeurs de numérique. Dans ce deuxième cas, les choix des logiciels sont orientés principalement vers les producteurs de solutions qui proposent des combinaisons solution technique + solution numérique. On constate aussi que les conseillers font face à un foisonnement d’outils numériques adaptés à des utilisations très différentes (simulation de projets, acquisition de la donnée, logiciels de suivi, …) et dans des domaines différents (production, réglementaire, communication…), ce qui rend leur appropriation difficile.
Quelle évolution des compétences dans le métier du conseiller ?
Le numérique constitue une compétence supplémentaire pour le conseiller, en se rajoutant aux connaissances de base en agronomie. Un point d’attention est représenté par l’effet mémoire apporté par le numérique, qui ne permet pas de s’approprier rapidement une situation. Les facteurs expérience et communication des conseillers restent donc prépondérants. Les compétences du conseiller ont également évolué, de l’apport d'informations ponctuelles vers l’esprit de synthèse et l’esprit critique permettant de digérer la masse d’information disponible grâce au numérique. La figure du conseiller devient donc un garant du raisonnement agronomique et le catalyseur de l’information qui n’est que difficilement effectué par les agriculteurs par manque de temps à y consacrer. Le conseiller y contribue aussi par son expérience cumulée au cours de son activité de conseil. Ces évolutions demandent des besoins en compétences a minima pour la compréhension des outils rencontrés dans le métier. Les conseillers doivent donc se former sur les nouveaux outils qu’ils rencontrent pour les comprendre et pourvoir leur porter un regard critique, voire être capable de les utiliser. Une entrée qui semble incontournable aujourd’hui est la cartographie numérique (à travers les Systèmes d’Informations Géographique - SIG). De plus, comme précédemment mentionnées, les données fournies par les outils numériques ne se suffisent pas à elles-mêmes : elles nécessitent une prise de recul critique sur les résultats produits.
Quels moyens actuels d’acquisition des compétences ?
L’arrivée des outils numériques au cœur de la relation conseiller-agriculteur est souvent portée par des agriculteurs moteurs (souvent des grosses exploitations avec les moyens financiers adaptés), qui peuvent orienter et influencer l'acquisition des compétences du conseiller. Les compétences autour du fonctionnement, de l’utilisation et de la prise de recul des résultats s’acquièrent par de multiples canaux : formations très spécifiques, bibliographie, séminaires, etc. La formation nécessite l’adjonction de très nombreux aspects qu’il faut confronter.
On constate que dans certaines régions françaises, certaines chambres d’agriculture ont pris de l’avance par rapport à d’autres dans la montée en compétences sur les outils numériques. Même s’il y a actuellement peu de mutualisation formelle de ces compétences entre ces acteurs, des processus de transmission de connaissance et de savoir-faire entre les chambres sont mis en place, sous la forme d’échanges d’expérience plus ou moins formels entre conseillers. Des groupes thématiques commencent à se former au sein des chambres grâce à ces dynamiques de collaboration entre conseillers qui permettent un transfert progressif de la connaissance entre les chambres d’agriculture.
Quels besoins et difficultés rencontrées pour cette évolution ?
Des problèmes d’interopérabilité limitent la traçabilité des données et mènent à leur sous-valorisation. Plus en détails, la question de la propriété des données personnelles et leur complexité peut constituer un frein pour la mutualisation et l'utilisation des données. En effet, la multiplicité des sources, des utilisations et des formes de stockage les rendent difficiles à exploiter. Ceci complexifie également la compatibilité et les échanges entre outils numériques tout en les rendant d’autant plus nécessaires. On mentionne ici aussi la présence de problèmes de compatibilité entre différents systèmes numériques (par exemple : formalismes des différents logiciels de cartographie, problèmes de mémoire et de stockage, etc.). Le foisonnement des solutions numériques et l’absence de normalisation (hors IsoBus) cause aussi de la dispersion des modalités de stockage et d’échange des données. Cette diversité demande aussi une grande capacité d’adaptation face à ces outils. Les conseillers sont donc quasiment en permanence confrontés à la nécessité de se former sur de nouveaux outils et sur leurs évolutions, ce qui représente une charge de travail considérable. Actuellement, il n’y a pas de fusion formelle des compétences entre les différents services offerts par les chambres.
Pour ce qui concerne l’analyse et la prise de recul des résultats/données issues du numérique, on constate que l’interprétation par des approches systémiques est souvent complexe à mener à cause d’un manque de recul et de données suffisantes pour analyser tous les critères nécessaires aux diagnostics systémiques des situations agronomiques. On observe aussi un manque d’agronomes dits généralistes, mais capables d’une vision globale pour identifier la cause des problèmes selon les symptômes rencontrés et de proposer des solutions préventives ou curatives. Les conseillers passent aujourd’hui trop de temps dans leurs bureaux, astreints à des tâches administratives. Il faudrait donc ré-augmenter leur temps passé sur le terrain, car ce manque leur pose problème quand ils se retrouvent face à des contextes et situations très variés.
Enfin, une dernière difficulté liée à la transition numérique est qu’il est difficile d’en chiffrer les gains. Le retour sur investissement pour les outils numériques est peu ou pas connu. Corollairement, il aujourd’hui difficile de dégager de la marge sur des activités de conseil pures. Celles-ci sont souvent adossées à des ventes de produits (ex : concessionnaires, coopératives).
Quelles solutions et leviers ?
Une possible solution consisterait à simplifier les outils numériques,qui restent aujourd’hui encore trop complexes en agriculture, puisqu’il s’avère difficile de faire monter les agriculteurs et conseillers en compétences. Afin de résoudre les problèmes d’interopérabilité précédemment mentionnés, l’utilisation des outils libres est également une piste à creuser, à supposer que ceux-ci soient également simple d’emploi.
De manière générale, on constate le besoin de deux niveaux de conseillers pour gérer la complexité d’une exploitation : un niveau dit généraliste ayant une vision systémique qui permet d'identifier les problèmes et de rediriger vers un deuxième niveau, dit spécialisé, lorsqu'il est nécessaire. Le besoin est le même pour ce qui relève du conseil en numérique.
La formation agronomique au cœur de la transition numérique
L’utilisation du numérique en formation peut être entendu de plusieurs façons. Afin de restreindre le contexte à l’agronomie, on aborde ici l’utilisation des outils numériques pour l’agriculture dans l’enseignement de l’agronomie, ainsi que les impacts que ces outils numériques ont eu sur les approches d’enseignement de l’agronomie. On exclut donc ici l’utilisation du numérique au service de la pédagogie en sens large (e-learning).
Quelle utilisation du numérique ?
On relève que les outils numériques sont actuellement principalement utilisés en appui à l’enseignement d’agronomie. La formation au numérique pour les métiers d’agronome doit être abordée sous l’angle d’une problématique métier et doit permettre de : (i) bien faire comprendre à l’étudiant la technologie employée afin de transformer l’information produite en une valeur ajoutée agronomique, (ii) leur fournir les clés nécessaires pour interpréter les résultats issus de ces outils, (iii) leur permettre d’appréhender les limites des outils pour qu’ils acquiert le recul nécessaire par rapport aux réalités agronomiques, (iv) les mettre en face d’ outils capables de leur offrir des moyens de synthétiser les informations disponibles, et (v) maitriser les potentialités offertes par les systèmes numériques afin d’être en capacité de les intégrer dans la proposition de nouvelles solutions. De fait, une des problématiques liées à l’enseignement de l’agronomie, au-delà du transfert de connaissances pur, concerne le développement de l’esprit critique et de la capacité à prendre du recul. La contribution du numérique se situe donc bien à ce niveau, car l’utilisation de ces outils nécessite un facteur d’expérience assez fort, de confrontations de situations et de regards critiques sur les systèmes et leurs évolutions.
Quelle évolution des compétences dans le métier de l’enseignant ?
L’introduction des outils numériques agricoles dans les activités d’enseignement demande aux formateurs d’en connaître la construction et le fonctionnement pour pouvoir amener les étudiants à interpréter et comprendre les résultats sur un plan agronomique. Un aspect important est l’identification des limites de ces outils. De plus, comme mentionné précédemment, l’interprétation et la lecture des informations-données-résultats issues du numérique n’est pas qu’une des compétences du panel de l’agronome : la capacité à lire et interpréter le paysage et le terrain restent des compétences primordiales.
Quels moyens actuels d’acquisition des compétences ?
Le choix des technologies à aborder se fait la plupart du temps par contacts avec les entreprises connues dans le réseau des enseignants. Ce réseau est complété par les contacts établis via les projets professionnels de fin d’études ingénieur, les sujets de stage, ainsi que par les enquêtes auprès des employeurs et des diplômés. Le panel des moyens d’acquisition de ces compétences par les formateurs est ample et assez varié, et inclut : (i) l’acquisition par auto-formation, stimulé surtout pas les intérêts personnels, (ii) la formation par webinaires et séminaires, (iii) la participation aux salons professionnels, (iv) l’acquisition des compétences via les réseaux personnels d’échanges (chambre d’agriculture, coopératives, institutions techniques et de recherche,…), ainsi que (v) les échanges internes entre services/départements.
Quels besoins et difficultés rencontrées pour cette évolution ?
On constate parfois un manque d’appétence de certains enseignants-agronomes pour le numérique, qui ont en conséquence une tendance à aborder le numérique sous l’aspect risques et contraintes. En effet, le numérique a canalisé au départ un certain nombre de craintes, par exemple la crainte d’être dépossédés du savoir d’agronome. On constate aussi actuellement une cristallisation qui lie le numérique avec des systèmes de production bien précis, notamment l’agriculture dite industrielle ou productiviste. À cause de ce manque d’appétence, l’apprentissage du numérique est, aujourd’hui, souvent porté par les enseignants en machinisme et en TIM (Technologies de l’Information et du Multimedia) pour les lycées agricoles, et les enseignants en informatique pour l’enseignement supérieur Agricole, avec un manque de communication entre les différentes disciplines. Cela indique une séparation entre les rôles au détriment de l’apport de compétences qui doit être complémentaire. Des liens existent entre les agronomes et les collègues d’autres disciplines mais ils ne sont pas naturels et sont souvent structurés autour de projets concrets. Ces interactions sont cependant rendues compliquées par le manque de temps et la difficulté de faire correspondre les emplois de temps.
Une autre limite à l’utilisation du numérique en enseignement agronomique est représentée par l’effort perçu de l’adoption de ces outils, par rapport à la charge de travail quotidienne et la difficulté de se projeter sur le gain de temps futur que peut représenter l'adoption de solutions numériques.
Enfin, on souligne aussi la nécessité de trouver un équilibre entre l’enseignement des connaissances et compétences de base de l’agronome (observation du terrain, etc.), qui permettent un raisonnement agronomique et la capacité d’utilisation des outils numériques qui viennent en appui à ce raisonnement agronomique.
Quelles solutions et leviers ?
Il semble donc opportun et nécessaire de renforcer les coopérations entre formation et acteurs du monde professionnel. Concernant la formation continue, une piste intéressante pourrait consister à mixer les publics (étudiants et professionnels, agriculteurs…) pour favoriser l’échange et le partage d’expériences mais cela pose la contrainte de réorganiser les modèles de formation avec des modules relativement courts et ciblés. Le format doit donc être adapté en conséquence. Du coté enseignant, les interactions entre enseignants en agronomie et en numérique devaient être renforcés via des contacts amont des activités d’enseignement, ou via le partage des connaissances des publics différents (par exemple, les spécialisations AgroGER et AgroTIC à Bordeaux Sciences Agro, qui rassemblent à la fois les enseignants et les étudiants des différents domaines). Afin de dépasser les craintes des agronomes, il faut les convaincre que le numérique n’est qu’une boîte à outils à leur service (et pas le contraire). L’utilisation de plus en plus courante de ces outils avec la pandémie pourrait être une clé d’entrée pour certains enseignants évoluant vers une utilisation du numérique pour l’agronomie. Enfin, il faut que les écoles d’agronomie se questionnent sur la nécessité de rendre les compétences liées au numérique une obligation au panel de compétences des futurs agronomes. Cela ne peut se faire qu’en définissant de manière communautaire un référentiel de compétences transversales versus de compétences propres au métier de l’agronome. On pourrait donc définir un itinéraire d’apprentissage, en identifiant les stades où l’utilisation du numérique pourrait apporter des bénéfices pour la formation des futurs agronomes.
Remerciements et financement des travaux
Nous tenons à remercier Arnaud Tachon, agriculteur dans les Landes, passionné d’agronomie et de technologie, qui, par son expérience, a nourri la réflexion du groupe de l’atelier sur l’évolution des activités et des compétences des différents métiers d’agronomes.
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