Des compétences individuelles à la compétence collective des agronomes pour accompagner la transformation de l’agriculture
Philippe Prévost1, Antoine Messéan2, Mathieu Capitaine3, Jérôme Busnel4, Adeline Michel5
1 Alliance Agreenium ; 2INRAE ; 3VetAgro Sup ; 4Association française d’agronomie ; 5CER France-Normandie Maine
Email contact auteurs : philippe.prevost@agreenium.fr
Résumé
La 11ème édition des Entretiens agronomiques Olivier de Serres a traité de l’évolution des métiers, des activités et des compétences des agronomes dans le contexte actuel de transitions multiples de l’agriculture.
Au-delà de transitions sociotechniques (écologique, énergétique, numérique, alimentaire), les défis d’abandon des énergies fossiles et d’accroissement de la biodiversité exigent une transformation radicale des pratiques agricoles. Les agronomes ont une place et un rôle essentiel à jouer, à condition qu’ils poursuivent l’élargissement de leur champ d’activités, tout en gardant leur expertise sociotechnique. Cela suppose un renforcement des compétences individuelles, mais également l’affirmation d’une compétence collective que les institutions et les employeurs doivent encourager.
Mots-clés : transformation agricole, Agronomes, activités, compétences, reconnaissance
Abstract
The 11th edition of the Entretiens agronomiques Olivier de Serres dealt with the evolution of agronomists' professions, activities and skills in the current context of multiple transitions in agriculture.
In addition to socio-technical transitions (ecological, energy, digital, food), the challenges of abandoning fossil fuels and increasing biodiversity require a radical transformation of agricultural practices. Agronomists have a place and an essential role to play, provided that they continue to broaden their field of activity, while maintaining their socio-technical expertise. This implies a strengthening of individual skills, but also the affirmation of a collective competence that institutions and employers must encourage.
Keywords: agricultural transformation, agronomists, activities, skills, recognition
Introduction
L’agriculture doit changer. Car les deux périls actuels de l’humanité, que sont le changement climatique et la perte de la biodiversité, sont incontestables. Or, l’agriculture, à l’instar de toutes les activités humaines, a une responsabilité dans ces périls par sa dépendance aux énergies fossiles et son mode actuel de production intensive incompatible avec la préservation et le renouvellement des ressources naturelles. Et pourtant, l’agriculture est une des rares activités humaines qui a la capacité d’avoir un solde énergétique positif, par le fait qu’elle valorise la fonction photosynthétique naturelle des plantes. Elle est aussi l’activité humaine qui gère la plus grande partie de l’espace géographique et peut donc avoir une contribution essentielle dans la préservation des milieux et du monde vivant.
Depuis plusieurs décennies, les agronomes se sont engagés dans la voie de l’agriculture durable. D’abord en travaillant sur la compréhension et les modalités de suppression des effets négatifs de l’intensification de l’agriculture sur l’environnement, puis en produisant des connaissances et des innovations techniques et organisationnelles pour le développement de démarches agroécologiques. Mais l’adaptation actuelle des pratiques agricoles n’est absolument pas à la hauteur des enjeux réels et de l’urgence à agir. Une réelle rupture dans nos modes de production agricole et de consommation est nécessaire et doit être engagée dès maintenant. La 11ème édition des Entretiens agronomiques Olivier de Serres a ainsi été l’occasion d’examiner différentes transitions en lien avec l’agriculture et d’appréhender ce qui doit changer dans les métiers et les compétences des agronomes, afin qu’ils soient à la hauteur des défis auxquels est confrontée l’agriculture.
S’engager dans l’abandon des énergies fossiles et pour l’accroissement de la biodiversité
Peut-on encore simplement parler de transition agricole, qui laisse penser que nous avons encore du temps devant nous, alors qu’il nous faut réduire drastiquement le rejet de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, voire capter ceux déjà émis et permettre le retour de la biodiversité naturelle et cultivée dans tous les espaces ? C’est en fait une transformation radicale de l’agriculture que nous devons mettre en œuvre dans les années à venir.
Conjuguer les défis de toutes les transitions aux différentes échelles des systèmes agricoles
Pour éviter le même leurre que l’injonction à l’agriculture durable dans les années 1990, il est indispensable de bien nommer ce qui est attendu : la diminution drastique du recours aux énergies fossiles et l’accroissement de pratiques restaurant la biodiversité dans les espaces cultivés. Cela suppose de transformer les systèmes sociotechniques actuels et de sortir de la seule logique industrielle qui a prévalu depuis le 19ème siècle, centralisée et top-down, pour aller vers de nouveaux systèmes sociotechniques beaucoup plus décentralisés, favorisant des innovations de rupture, qui peuvent être autant technologiques qu’organisationnelles, et adaptés aux spécificités des territoires (Colombier et Messéan*[1], 2022).
Cette transformation des systèmes sociotechniques doit intégrer toutes les transitions en cours. A l’issue des travaux des Entretiens agronomiques Olivier de Serres, où nous avons choisi d’analyser finement ce qui changeait dans les activités et les compétences des agronomes dans le contexte d’un type de transition (écologique, numérique, énergétique, alimentaire), il ressort que c’est l’appréhension globale de tout ce qui change, dans l’entreprise ou dans le territoire, et la transformation radicale des modèles de production, que les agronomes doivent désormais considérer. Mais selon les caractéristiques des écosystèmes, les changements nécessaires, les potentialités du territoire, les opportunités locales, les structurations et les organisations sociales, les agronomes pourront accompagner la transformation de l’agriculture selon des voies très diverses, tout en gardant toujours l’objectif de transformation radicale des systèmes agricoles devenus biodiversifiés et à énergie positive.
Combiner les effets de chacune des transitions
Pour autant, il sera utile d’avoir un cadre d’évaluation des transformations qui prend en compte les particularités des différents types de transitions. Car n’étant pas de même nature, la dynamique d’innovation et la dimension sociale n’auront pas le même impact.
Rendre la transition écologique désirable
Concernant la transition écologique, l’histoire de son injonction est déjà longue et ses résultats sont décevants en termes de changement des pratiques. Devant la nécessité d’accélérer cette transition, en particulier pour ce qui concerne la qualité de l’alimentation et les risques sur la santé humaine de l’usage des produits phytosanitaires, une des conditions essentielles du changement sera d’abord de prouver au monde politique et au monde professionnel que les pratiques agricoles vertueuses ont un rôle majeur dans l’accroissement de la biodiversité et dans l’adaptation au changement climatique (Compagnone*, 2022 ; Paravano et al*., 2002) et qu’elles sont compatibles avec les valeurs et les motivations des agriculteurs dans leurs recherches et interventions (Martin*, 2022). Les pratiques vertueuses resteront continuellement à documenter par les agronomes au fur et à mesure que les connaissances sur le fonctionnement des agroécosystèmes (régulations biologiques, solutions basées sur la nature, biocontrôle…) s’affineront et en tenant compte du besoin d’adaptation permanente aux nouveaux régimes climatiques.
Maîtriser les transitions numérique et énergétique
Les transitions énergétique et numérique n’ont pas la même histoire et ont une image beaucoup plus positive dans le monde agricole. La transition numérique propose des innovations technologiques qui renforcent l’efficience des pratiques actuelles, avec un possible impact positif sur la transition écologique par la capacité de réduire les intrants, remettant peu en cause le système sociotechnique actuel. Mais c’est sans considérer les risques de nouvelles dépendances technique et économique (Meyer*, 2022 ; Memmi et Bouttet*, 2022) que peut créer la numérisation de l’activité agricole. Par ailleurs, cette transition numérique peut de fait freiner la transformation des régimes sociotechniques. Et les limites actuelles au développement des usages numériques en agriculture, que ce soit du fait des zones agricoles avec un accès à internet aléatoire encore nombreuses, du mauvais rapport bénéfice/coût de certaines technologies numériques, ou encore du manque d’appétence pour la supervision d’outils connectés d’une majorité d’agriculteurs, ne seront pas éliminées de sitôt (Barbieri et al*., 2022). De même, la transition énergétique présente des enjeux et des impacts contrastés. D’un côté, le sevrage de l’agriculture aux énergies fossiles (mécanisation, intrants) n’a rien d’une évidence, les alternatives en énergies renouvelables ou en techniques sobres en énergie n’étant pas encore réellement disponibles. De l’autre côté, le potentiel de l’agriculture dans la production d’énergie renouvelable représente un véritable atout pour la diversification des productions et des revenus en agriculture, mais reste fortement dépendant des contextes locaux et de l’analyse des conséquences environnementales et sociales des formes d’énergie produites (Mousset*, 2022). C’est particulièrement le cas du développement de la méthanisation, qui présente de nombreux atouts dans les territoires agricoles, mais encore faut-il que la production d’énergie ne vienne pas en concurrence d’autres productions, comme la production alimentaire (Mousset*, 2022 ; Affre et al*., 2022) ou que ce ne soit pas une nouvelle forme d’exploitation minière du milieu naturel.
Investir la transition alimentaire pour renforcer le raisonnement multi-critères et multi-échelles
La transition alimentaire prend une importance de plus en plus forte dans les besoins de transformation de l’agriculture, parce qu’elle concerne à la fois les systèmes de production agricole, du fait de la relation de plus en plus documentée entre qualité de l’alimentation et santé humaine (Pointereau*, 2022) et la culture alimentaire, qui impacte autant les systèmes alimentaires locaux que les enjeux de souveraineté alimentaire (Trébuil*, 2022, d’après Bricas et al., 2021). La question alimentaire représente ainsi un enjeu majeur parce que non seulement elle concerne tout le monde, des citoyens qui font des choix dans leurs achats alimentaires jusqu’aux filières agro-alimentaires qui doivent s’adapter ou engager des changements de consommation, plus végétale et plus locale, mais aussi parce que les échelles pour penser la transition alimentaire sont imbriquées (Capitaine et Loudiyi*, 2022).
Il ressort bien de l’analyse des enjeux et impacts des différentes transitions en agriculture que seule une démarche systémique, participative et territorialisée de diagnostic et de scénarisation de trajectoires de transition aux différentes échelles des agroécosystèmes (de la parcelle de culture aux échelles territoriales emboitées), peut permettre une véritable transformation de l’agriculture, parce qu’adaptée aux motivations, besoins et possibilités des différentes parties prenantes.
Des agronomes pour accompagner la transformation de l’agriculture, par une démarche systémique et participative, des innovations multi-acteurs et multi-échelles, et une perspective de long terme
Les agronomes, qui ont construit leur utilité sociale par la co-production de connaissances et la diffusion d’innovations en interaction avec les professionnels agricoles et en réponse aux attentes de la société, sont aujourd’hui fortement sollicités pour cette nouvelle transformation de l’agriculture à venir (Messéan et al., 2020 ; Boiffin et al., 2022). Reconnus dans leurs compétences d’ingénierie, permettant de relier connaissance et action, ils ont les atouts pour contribuer à la transformation de l’agriculture, mais l’élargissement de leurs objets est devenu tel que la diversification des besoins des acteurs, qu’ils soient agriculteurs ou parties prenantes de l’activité agricole dans les territoires, engendre des questionnements sur ce que seront les métiers d’agronomes demain.
Les différents travaux des Entretiens agronomiques Olivier de Serres ont ainsi mis en évidence les caractéristiques majeures des métiers d’agronomes dans les années à venir.
Une épistémologie de l’action transformative
Dans la production de connaissances, il a ainsi été confirmé l’enjeu majeur d’une démarche systémique, pluridisciplinaire et participative (Colombier et Messéan*, 2022 ; Martin*, 2022 ; Simon et al*., 2022). Que ce soit avec l’affirmation du concept d’agroécosystème comme objet central d’étude des agronomes, par les démarches d’évaluation multi-critère et multi-échelle, de traque aux innovations ou de co-conception de nouveaux systèmes techniques, ou encore par l’élargissement des objets selon l’évolution des fonctions de l’agriculture (services écosystémiques, agriculture multifonctionnelle, systèmes alimentaires…), les connaissances produites par la recherche répondent à des problématiques concrètes et situées. Mais les besoins actuels et à venir demandent aux agronomes chercheurs d’approfondir leur réflexion épistémologique dans trois directions.
D’une part, la recherche de généricité de la connaissance, qui est à la base de la reconnaissance scientifique, est souvent questionnée par les compétences nécessaires des acteurs pour la transition, en particulier écologique. Face aux aléas inhérents au fonctionnement des systèmes agricoles, les savoirs d’expérience et situés constituent des ressources cognitives à prendre beaucoup plus en compte dans la production de connaissances (Meynard, 2016 ; Girard et Magda, 2018).
D’autre part, la production de connaissances par les agronomes demande de renforcer les échanges interdisciplinaires. Après un lourd investissement pour l’intégration des concepts de l’écologie en agronomie, il ressort aujourd’hui un besoin fort de ré-investissement des agronomes dans le partenariat avec les sciences humaines et sociales, et particulièrement l’économie, la sociologie, et les sciences du travail (ergonomie, didactique professionnelle), compte tenu des fortes dimensions économique, sociale, et cognitive dans les changements de pratiques des agriculteurs (Colombier et Messéan*, 2022 ; Compagnone*, 2022 ; Boiffin et al., 2022). Car la transformation de l’agriculture demandant de sortir du modèle agricole des dernières décennies, la conception de nouveaux systèmes agricoles ne peut plus se limiter aux seules dimensions technico-économiques.
Enfin, les agronomes chercheurs ne peuvent plus éviter dans leur réflexion épistémologique les sujets pour lesquels des questions d’éthique sont posées (protection des biens communs, justice sociale et environnementale, protection des données personnelles…) (Memmi et Bouttet*, 2022 ; Meyer*, 2022 ; Capitaine et Loudiyi*, 2022).
Cette réflexion engendrera une évolution de la posture de l’agronome dans la recherche, pour que la problématisation, les questions, la méthodologie et les résultats de ces recherches produisent des connaissances opératoires et actionnables en priorité dans les situations observées, tout en prenant en compte les questions éthiques que posent certaines technologies ou certains choix politiques.
Innover au sein de multiples réseaux
Dans les démarches d’innovations, le principal enseignement de nos travaux est l’abandon définitif du modèle unique de reconnaissance et diffusion des innovations, au profit d’écosystèmes d’innovation, du local au global ou inversement. Tous les métiers d’agronomes peuvent contribuer aux innovations agronomiques : un agriculteur riche de ses connaissances et de son expérience peut innover et en faire le partage au sein d’un groupe local, d’un GIEE[2], d’une coopérative ou d’un territoire de projet (Simon et al*., 2022 ; Barbieri et al*., 2022 ; Paravano et al*., 2022 ; Affre et al., 2022 ; Capitaine et Loudiyi*, 2022) ; un agronome conseiller, voire un agronome enseignant, peut diffuser des innovations issues d’unités de recherche et de stations expérimentales, ou accompagner les agriculteurs à diffuser leurs propres innovations (Seronie et Omon*, 2022 ; Chrétien et al*., 2022) ; et bien évidemment, un agronome chercheur peut produire des méthodes, des outils ou des solutions innovants, seul, en équipe, avec des praticiens, avec des entreprises, répondant à des problématiques spécifiques ou à de nouveaux besoins plus génériques (Memmi et Bouttet*, 2022 ; Martin*, 2022). Il peut également participer au repérage et à l’évaluation des innovations. Par ailleurs, il n’est plus question aujourd’hui de choisir entre les innovations technologiques, les innovations organisationnelles ou même les innovations institutionnelles (par exemple dans le droit, la réglementation, la comptabilité ou les politiques publiques). La transformation des systèmes agricoles devant être rapide et massive, c’est l’approche combinatoire des différents leviers de changement de pratiques qui est à privilégier (Martin*, 2022 ; Seronie et Omon*, 2022), et dans des démarches territoriales (Le Bail et Bonin*, 2022 ; Capitaine et Loudiyi*, 2022).
S’engager sur le long terme en anticipant les futurs possibles pour aider à la décision
Enfin, le métier d’agronome devient directement relié au besoin de redonner une capacité de résilience aux systèmes agricoles suite aux aléas de différentes natures (climatique, écologique, sanitaire, économique, social), ce qui suppose à la fois la capacité à anticiper les futurs possibles et à identifier les scénarios d’évolution des activités agricoles, du local au global (Colombier et Messéan*, 2022 ; Pointereau*, 2022 ; Mousset*, 2022). Ainsi, au-delà de leur compétence technique, les agronomes de demain devront s’organiser, avec d’autres (à l’instar du GIEC ou de l’IPBES), pour produire les connaissances permettant d’aider les acteurs agricoles à prendre des décisions. Les agronomes devront également être en mesure d’imaginer et construire des possibles dans un contexte incertain et caractérisé par des manques de connaissances (Messéan et al., 2020, Colombier et Messéan*, 2022).
Des profils diversifiés d’agronomes pour favoriser des systèmes agricoles résilients
D’ores et déjà, nous avons pu identifier, dans les différentes situations analysées au cours des Entretiens agronomiques Olivier de Serres, des évolutions notables dans les différents métiers d’agronomes, avec des activités qui se diversifient, soit parce qu’il y a de nouveaux objets de travail (ex : les projets alimentaires territoriaux, la production d’énergies renouvelables), soit parce qu’il y a de nouvelles méthodes de travail (ex : intégration des technologies numériques, reconception de systèmes, accompagnement de collectifs agricoles ou multi-acteurs), ou soit parce qu’il y a de nouvelles exigences dans les politiques publiques, la demande sociale ou le marché (ex : travaux de prospective, cahiers des charges de production, protection de ressources naturelles) (figure 1).
Les agronomes multifonctions
Outre sa nécessité, cette diversification des objets et des activités peut être très valorisante, à l’échelle individuelle et à l’échelle collective, et mérite d’être encouragée, car l’agriculture est une activité qui concerne l’ensemble des acteurs d’un territoire. L’agronome est en mesure d’assumer aujourd’hui différentes fonctions :
- La fonction d’expertise des systèmes techniques agricoles, correspondant à la compétence première attendue par les autres acteurs. L’agronome est à la fois celui qui peut porter des diagnostics et des pronostics documentés de situations agricoles, et préciser les conditions d’adaptation et d’évolution des systèmes et pratiques agricoles tant dans leur dimension technique que dans leurs conséquences socio-économiques (Colombier et Messéan*, 2022) ;
- La fonction de médiation entre le monde agricole et les autres acteurs, grâce à leurs connaissances scientifiques et techniques, leur permettant d’objectiver les possibilités et les conditions de changements de pratiques agricoles (Capitaine et Loudiyi*, 2022 ; Le Bail et Bonin*, 2022) ;
- La fonction d’accompagnement des agriculteurs et de leurs groupements dans la transformation des systèmes et des pratiques agricoles, que ce soit par des apports d’informations ou de connaissances, par de la formation à l’usage de nouveaux outils, par le conseil tactique ou stratégique, ou par l’aide à la décision dans une démarche de co-conception (Seronie et Omon*, 2022 ; Simon et al*., 2022 ; Chrétien et al*., 2022 ; Barbieri et al*., 2022) ;
- La fonction d’acteur local, peu spontanée chez l’agronome qui s’est toujours considéré comme un technicien. Or, dans le contexte des différentes transitions en cours, tous les choix, de productions comme de techniques, ont une dimension politique et l’agronome ne peut échapper à reconnaître qu’il porte un point de vue (au sens de Darré, 1985) dans son milieu professionnel et sur son territoire d’action. Que ce soit dans les modes de gestion des ressources naturelles, les modes de production, ou les impacts de l’activité agricole dans les territoires, l’agronome, du fait des connaissances dont il dispose, peut affirmer son point de vue, tout en ayant un regard réflexif, s’interrogeant sur l’éthique de son action et sa probité (Capitaine et Loudiyi*, 2022).
Cette diversité des fonctions de l’agronome apparaît aujourd’hui nécessaire pour contribuer à la résilience des systèmes agricoles. Face aux injonctions contradictoires auxquels sont confrontés les acteurs agricoles, entre la transformation rapide des pratiques agricoles pour permettre la résilience des écosystèmes et les risques encourus par cette transformation dans la capacité de résistance socio-économique des entreprises agricoles, les agronomes, dans leurs différentes fonctions, peuvent ouvrir la voie aux trajectoires articulant cette double dimension écologique et socio-économique.
La probité et le travail en équipe des agronomes comme principes de précaution
Mais il y a tout de même certains écueils à éviter dans cette perspective multifonctionnelle de l’agronome. Tout d’abord, s’il est possible et souhaitable que certains agronomes puissent exercer ces différentes fonctions au sein d’un territoire à titre individuel, cela ne peut concerner que des professionnels connaissant les réalités du lieu d’action et sur des sujets relativement bien circonscrits, afin que la légitimité et la réflexivité sur les pratiques soient des gages de réussite. Le plus souvent, il sera préférable de distribuer ces fonctions au sein d’une équipe d’agronomes qui œuvre à l’échelle territoriale, de manière à alléger la charge et les responsabilités individuelles. Un autre écueil à éviter est que l’agronome sorte du champ d’expertise pour lequel il est reconnu, lui permettant de prendre le pouvoir dans un collectif multi-acteurs. Le meilleur garde-fou est alors d’obliger l’agronome à documenter sur le plan scientifique l’ensemble de ses arguments dans les échanges multi-acteurs. Enfin, dès lors qu’il y a expression d’un point de vue d’acteur local, il y a le risque de confusion entre les connaissances et les croyances, et entre le discours et les actes. L’éthique et la probité sont alors les conditions essentielles pour que cet engagement citoyen ne desserve pas l’agronome, et au-delà toute la communauté des agronomes.
De nouvelles compétences individuelles transversales pour tous les agronomes, et certaines spécifiques à certaines activités
Les transitions à l’œuvre, l’évolution nécessaire des systèmes sociotechniques et l’objectif de transformation de l’agriculture pour faire face aux défis du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité ont fait nous interroger pendant toute la durée des Entretiens agronomiques Olivier de Serres sur les compétences des agronomes pour demain. Il en ressort globalement une bonne nouvelle : les agronomes sont conscients des enjeux d’évolution de leurs compétences et les systèmes de formation initiale répondent en partie à ces enjeux. Mais des lacunes sont à combler pour satisfaire à certaines activités et à la rapidité des changements en cours.
Des compétences individuelles transversales à renforcer chez tous les agronomes
Les agronomes ont, pour la grande majorité d’entre eux, une formation d’ingénieur ou de technicien, dans un système d’enseignement spécialisé (écoles d’ingénieur ou lycées agricoles), et dans lequel les disciplines biotechniques constituent une partie du socle de connaissances et de compétences des diplômés. Par ailleurs, l’agronomie, comme discipline d’enseignement, a très fortement évolué depuis 40 ans en même temps que les concepts et outils de l’agronomie en tant que science se construisant (Doré et al., 2022). Aussi, un certain nombre de connaissances et de compétences identifiées comme nécessaires à l’accompagnement des transitions sociotechniques font déjà partie de l’outillage conceptuel et méthodologique des agronomes :
- L’approche systémique et pluridisciplinaire est le socle méthodologique de la formation d’ingénieur agronome et de technicien supérieur agricole depuis les années 80 et ses usages se renforcent au fur et à mesure de l’élargissement des objets de l’agronome : diagnostic de territoire, évaluation multicritères, reconception de systèmes techniques… (Doré et al., 2022 ; Michel et al*., 2022 ; Bon et Papillon*, 2022 ; Chrétien et al*., 2022) ;
- Les compétences transversales de gestion de projet, d’animation de réunions ou de groupes, d’accompagnement au changement, sont l’objet d’apprentissages tout au long des formations et sont valorisées dans les diplômes (Michel et al*., 2022) ;
- Les contenus d’enseignement agronomique ont déjà bien intégré les concepts de l’écologie (Bon et Papillon*, 2022 ; Doré et al., 2022 ; Collectif, 2016) et le système d’enseignement agricole, supérieur et technique, est fortement engagé dans l’accompagnement de la transition agroécologique, via le plan national « Enseigner à produire autrement » depuis 2016 (Bon et Papillon*, 2022 ; Chrétien et al*., 2022). Les nouveaux objets liés aux autres transitions sociotechniques sont aussi progressivement intégrés dans les formations : développement des usages numériques en agriculture, systèmes agri-alimentaires localisés, énergies renouvelables et agriculture, mais dans ce cas sans prescription nationale.
Les travaux des Entretiens agronomiques Olivier de Serres ont cependant relevé des besoins essentiels de nouvelles compétences individuelles des agronomes pour relever les défis de la transformation de l’agriculture :
Les connaissances sur les enjeux et les risques de l’ère de l’Anthropocène
Si la transition écologique fait désormais partie des sujets importants dans la formation des agronomes, elle est avant tout reliée à la préservation de l’environnement, mais encore trop peu au changement climatique. Or, c’est déjà le défi majeur du moment et il est urgent que les agronomes de tous les métiers, à l’instar des autres secteurs d’activité, maîtrisent les enjeux et les risques de notre époque pour la poursuite de la vie humaine sur la planète.
Le think tank AgrIdées ne s’y est pas trompé, considérant qu’il fallait se « focaliser sur la transition climatique » dans l’évolution des compétences des entrepreneurs agricoles (Prévost*, 2022a, d’après Y. Le Morvan et B. Valluis), jusqu’à recommander la création d’une « Ecole nationale de l’Agro-climat » réunissant la recherche et l’enseignement supérieur agricole. Cette Ecole aurait pour mission d’organiser la formation de tous les acteurs du monde agricole, en particulier les agriculteurs et leurs conseillers. Nous reprenons cette idée d’une « Ecole », au sens d’une dynamique de formation collective et non d’une nouvelle structure de formation, mais en ne se limitant pas à l’acquisition de connaissances sur le climat, en l’orientant sur les compétences des acteurs agricoles à agir avec et pour le climat. Cela passe par la capacité de tous les acteurs à organiser la résilience des agroécosystèmes et des entreprises agricoles pour s’adapter au changement d’environnement écologique et résister aux chocs créés par les différentes transitions en cours.
Les connaissances et les compétences sur l’accompagnement à l’action transformative
Tout au long de nos Entretiens agronomiques Olivier de Serres, la place des agronomes dans la transformation de l’agriculture s’est progressivement focalisée sur la capacité à documenter « les futurs possibles » (Colombier et Messéan*, 2022), tant dans les opportunités de changements de pratiques que dans leurs impacts, et sur la capacité à accompagner la transformation associant diverses activités (diagnostic/pronostic, évaluation, conception, aide à la décision…) (voir tous les textes du numéro Agronomie, environnement & sociétés, vol.12, n°2).
Cet accompagnement des agronomes à l’action transformative exige de leur part de maîtriser des concepts et des outils qui ne sont pas toujours dans les référentiels de formation. Cela concerne trois domaines à renforcer dans les formations :
- La place des sciences humaines et sociales, que ce soit dans la compréhension des dimensions sociale et personnelle dans le changement de pratiques (Compagnone*, 2022 ; Martin*, 2022), que dans le positionnement épistémologique d’une science de l’action (Meynard, 2016 ; Cornu et Meynard, 2020) ;
- Les démarches de prospective, qui permettent d’ouvrir le « champ des possibles » (Colombier et Messéan, 2022), de documenter des scénarios de transformation de systèmes agricoles et d’en évaluer les impacts à différentes échelles de temps et d’espace ;
- Les démarches d’accompagnement stratégique, pour concevoir une trajectoire de changement de pratiques adaptée à chaque situation agricole et documenter pas-à-pas les impacts de ces changements.
La maîtrise de nouveaux outils d’accompagnement du changement
Afin de favoriser les démarches de changement de pratiques chez les acteurs agricoles, nos travaux ont mis en évidence les opportunités offertes aujourd’hui par de nouveaux outils d’animation, de formation et d’accompagnement que les agronomes devraient mobiliser de manière plus fréquente. D’une part, les différents outils numériques (sites internet, blogs, plateformes de cours en ligne, youtube, réseaux sociaux…), permettant la circulation de l’information et des savoirs avec les éditions numériques (Ebooks, collections de webinaires, cours en ligne chaines vidéo…), constituent aujourd’hui un moyen d’accès et de gestion de l’information que les agronomes doivent apprendre à utiliser beaucoup plus, et de manière efficace, en accroissant les compétences d’usages des moteurs de recherche et d’analyse rapide de l’information (Barbieri et al*., 2022 ; Chrétien et al*., 2022). D’autre part, la construction de nouvelles capacités d’action ayant fait l’objet de nombreux travaux dans les sciences de l’apprentissage, il se développe aujourd’hui différents dispositifs favorisant la compréhension partagée de situations complexes et la mobilisation individuelle et collective pour le changement de pratiques (jeux sérieux, élaboration de fresques, cartographie de controverses…) (Chrétien et al*., 2022). Ce sont là aussi des moyens d’action que les agronomes peuvent s’approprier pour les utiliser dans leurs actions d’animation, de formation et d’accompagnement. Et au-delà de ce qui existe, la transformation radicale des pratiques, qui ne peut se limiter à la seule action des agriculteurs, va demander l’invention de nouvelles démarches et outils du changement, en particulier à l’échelle collective sur les territoires, à l’instar des propositions de partage des « modes d’existence » pour « habiter la terre » de Latour (2022).
Des compétences spécifiques pour l’expertise attendue des agronomes sur de nouveaux objets
En analysant les activités et les compétences dans des contextes très diversifiés de transition, nous avons pu mettre en évidence la difficulté de maîtrise des différentes connaissances et compétences par les agronomes en vue de répondre à toutes les attentes. Pour autant, l’expertise des systèmes techniques agricoles étant ce qui est attendu des agronomes, il est indispensable que certains agronomes développent les compétences spécifiques à propos de certains objets.
Cela concerne surtout les compétences techniques liées aux transitions sociotechniques autres que la transition écologique.
L’enjeu de la double compétence agronomique et numérique
Ainsi, dans le contexte du développement rapide des usages numériques en agriculture, il existe un très fort enjeu du développement de la double compétence agronomique et numérique. Car actuellement, la logique du marché de l’Agtech (entreprises fournisseuses de services numériques) favorise les innovations de solutions commerciales qui ont deux inconvénients : d’une part le manque d’une approche systémique de reconception des systèmes techniques au profit de l’efficience des techniques existantes (géolocalisation des intrants, robotisation mécanique…), et d’autre part la tentation de privatisation des données agricoles créant une nouvelle dépendance économique des agriculteurs. Les agronomes doivent non seulement connaître les modèles et les algorithmes qui font fonctionner les outils numériques, mais également être capables d’accompagner les agriculteurs dans des usages autonomes et favorables à la double résilience de leurs agroécosystèmes et de leurs entreprises- (Memmi et Bouttet*, 2022 ; Barbieri et al*., 2022).
L’enjeu de la compétence dans l’accompagnement à la production d’énergies renouvelables
De même, la transition énergétique crée une dynamique de production d’énergies renouvelables très diversifiées (méthanisation, agrivoltaïsme, éolien terrestre, bois-énergie…) qui ne font pas appel aux mêmes compétences techniques. Dans le développement de la méthanisation, les agronomes vont devoir en premier lieu apporter des connaissances sur les solutions d’approvisionnement du méthaniseur (déjections animales, cultures intermédiaires à vocation énergétique…) et sur les usages des digestats et leurs effets sur l’écosystème (qualité agronomique, plans d’épandage, plans de fertilisation…). Ils devront également s’associer à d’autres compétences lorsqu’il s’agira de la conception, l’installation et la gestion d’un méthaniseur (Affre et al*., 2022). Pour une autre énergie, par exemple la ressource bois-énergie, la logique d’accompagnement des agronomes va concerner les choix dans l’implantation des arbres (en lien avec les infrastructures agroécologiques, comme les haies, ou avec le développement de l’agroforesterie) et la création de filières de valorisation à l’échelle territoriale.
L’enjeu de la compétence agronomique à partager dans les systèmes agri-alimentaires locaux
Enfin, dans le cadre de la reterritorialisation de l’alimentation, ce sont encore d’autres compétences qui permettront à l’agronome d’être reconnu comme un expert technique : la cartographie de la qualité des sols à l’échelle d’un territoire pour leur caractère nourricier, la réglementation des usages des sols dans le cadre des Plans locaux d’urbanisme, l’organisation d’un système alimentaire à l’échelle d’une collectivité territoriale, la mise en place d’une logistique permettant la rencontre de l’offre et la demande alimentaire… (Le Bail et Bonin*, 2022 ; Capitaine et Loudiyi*, 2022).
Pour toutes ces compétences spécifiques, les agronomes ont à répondre aux attentes, soit en se spécialisant à l’échelle individuelle, devenant alors l’agronome spécialiste du sujet au sein d’une équipe d’agronomes d’une organisation professionnelle ou d’une entreprise, soit en s’associant la compétence d’un spécialiste du sujet pour travailler en binôme sur les problématiques particulières.
Mais dans tous les cas, l’agronome devra être présent sur les différents nouveaux objets, car ses compétences méthodologiques dans l’approche d’une situation, et ses capacités à évaluer les potentiels de production et les externalités positives et négatives de nouvelles productions ou services de l’activité agricole, lui donnent un statut d’expert incontournable pour les décideurs.
Mais ces compétences spécifiques ne devront pas faire oublier à l’agronome l’importance du regard transversal, d’une part sur les impacts des changements sectoriels dans la transformation globale de l’agriculture aux différentes échelles de temps et d’espace, d’autre part sur les connaissances produites en interdisciplinarité avec les autres sciences pour l’agriculture.
Le rôle et la place des agronomes dans la société : une compétence collective à affirmer par les agronomes et à faire reconnaître par les entreprises et dans les politiques publiques
Dans nos travaux, tout au long des neuf mois de consultations et d’ateliers participatifs, il ressort deux idée-force majeures que les agronomes ont à transformer en action collective : (i) l’agriculture étant un secteur clé dans la recherche de la neutralité carbone, les agronomes ont un rôle évident de production de connaissances et d’accompagnement pour la transformation de l’agriculture, et (ii) l’urgence à agir exige que la transformation de l’agriculture n’attende plus, et les agronomes doivent s’engager collectivement pour lever ou faire lever tous les verrous de résistance aux changements de pratiques agricoles.
La mobilisation collective des agronomes pour planifier la transformation de l’agriculture
Dans cette période où l’agriculture fait partie du problème et de la solution pour faire face aux défis planétaires, les agronomes se doivent de répondre aux injonctions, parfois paradoxales, pour accompagner l’agriculture dans une transformation radicale des pratiques par une diversification des productions agricoles tout en garantissant une nourriture en quantité et en qualité, et en rendant des services multiples (captation du carbone dans les sols, assurer le renouvellement des ressources naturelles, accueillir à la campagne…). Cela demande une production de nouvelles connaissances sur le fonctionnement et la dynamique des agroécosystèmes et des innovations multiples, qu’elles soient technologiques, organisationnelles et/ou institutionnelles.
Cette transformation de l’agriculture ne pourra pas se réaliser sans une mobilisation massive des agronomes. Car, d’une part, ils sont bien placés pour pouvoir définir les problématiques de recherche et mettre en place les activités de production et de partage des nouvelles connaissances nécessaires à la transformation des pratiques. Et d’autre part, ils ont depuis toujours travaillé dans une logique de continuum entre recherche, formation et développement agricole, ce qui leur donne une capacité d’entraînement de l’ensemble de la profession agricole.
Cette mobilisation collective est à organiser aux différentes échelles de transformation de l’agriculture : l’échelle locale de la pratique, à l’échelle des politiques publiques (régionale, nationale et européenne), à l’échelle du changement climatique global, des cultures alimentaires et des marchés des produits agricoles (échelle planétaire).
L’engagement des agronomes pour une agriculture au service de la société
Après la période où les agronomes ont pu simplifier les systèmes agricoles parce que la seule demande sociétale était d’accroître les volumes de production, en utilisant toutes les techniques procurées par les industries d’agroéquipements et d’intrants chimiques, est venue celle où l’agriculture doit être multifonctionnelle et répondre à une diversité de demandes sociétales.
Les agronomes sont ainsi passés d’une situation où ils ont été accusés a posteriori de productivistes ayant encouragé les pollutions à la situation où ils risquent d’être ignorés, parce que dispersés sur des objets trop divers et incapables de contribuer à répondre aux principales demandes sociétales :
- quelles sont les priorités de l’agriculture, entre l’alimentation humaine, l’alimentation animale, l’énergie, les biomatériaux… ?
- quels modèles d’agriculture soutient-on, entre l’agriculture industrielle, paysanne, biologique, à haute valeur environnementale… ?
- quels critères de performance privilégie-t-on dans les systèmes techniques agricoles : le volume de production, la marge de revenu, l’impact sur les ressources naturelles, l’impact sur la santé humaine… ?
- quelles technologies nouvelles sont à encourager ou à éviter, par exemple parmi les technologies numériques (high tech vs low tech, intelligence artificielle, blockchain, robots…) ou les biotechnologies (nouveaux OGM, sélection des espèces et variétés adaptées au changement climatique, agriculture cellulaire…) ?
La communauté des agronomes ne peut plus rester muette, face aux lobbies divers et variés qui influencent les opinions publiques et les politiques publiques. Ils ont a minima un rôle d’éclaireurs à jouer, par la connaissance de la complexité et de la diversité des problèmes que posent les choix de société sur les questions agricoles, et pour leur capacité d’aide à la décision par la production d’outils de prospective, de modélisation et de simulation. Mais ils peuvent aussi revendiquer un point de vue collectif et le défendre, surtout lorsque les lobbies dominent les politiques publiques ou restent trop souvent porteurs d’agendas sectoriels ou d’intérêts corporatistes, abusant de media peu scrupuleux dans la diffusion de fausses informations. C’est une nouvelle activité pour les agronomes, mais elle ne peut plus être négligée.
En conclusion, une feuille de route pour la communauté des agronomes... Et quelques demandes aux décideurs
A l’issue des travaux de cette 11ème édition des Entretiens agronomiques Olivier de Serres, nous pouvons considérer que la communauté des agronomes a de nombreux éléments pour construire une feuille de route dans les années à venir et assurer les principales fonctions qui sont aujourd’hui importantes pour contribuer à l’indispensable transformation de l’agriculture.
Avec la somme de connaissances acquises, les pistes de travail pour élargir et compléter l’efficience des agronomes, la mesure prise des transitions en cours, la conscience de l’urgence à les mettre en pratique, et l’expérience de pratiques vertueuses chez un certain nombre d’agriculteurs, des moyens existent pour engager rapidement cette transformation. Il reste à trouver comment s’affirmer en tant qu’experts auprès des décideurs en acquérant une visibilité aussi légitime que les climatologues ou les écologues dans leur domaine. Car rien ne sera possible sans l’appui des institutions et des employeurs des agronomes, qui doivent prendre également leurs responsabilités :
- Les pouvoirs publics : la mise en place des soutiens nécessaires et adaptés aux objectifs, et l’organisation de la planification de la transformation de l’agriculture ;
- Les institutions de recherche et de formation : le renforcement des coopérations pour produire et partager des connaissances nouvelles et des innovations, selon des méthodes et une posture nouvelles, afin de rendre possible la diversité des trajectoires de changements de pratiques agricoles ;
- Le système de développement agricole, qu’il soit public ou privé : l’accompagnement des transitions agricoles en adaptant les objectifs, les moyens et les modalités à chacun des territoires et des situations d’entreprises ;
- Les organismes professionnels agricoles : l’engagement clair et de long terme de transformation de leurs pratiques agricoles avec l’exigence de réponse aux défis urgents : la sortie des énergies fossiles et l’arrêt de l’érosion de la biodiversité.
Lors de ces travaux, nous avons aussi fait un pas de côté en allant voir ce qui se passait ailleurs, et nous avons pu avoir le témoignage de l’Ordre des agronomes du Québec. Les agronomes français ont perçu les avantages identifiés d’une profession réglementée, que ce soit l’exigence d’une compétence professionnelle tout au long de la carrière, l’indépendance professionnelle, le rôle de l’agronome dans les politiques publiques, et celui de médiation dans les sujets à controverse, qui constituent de véritables leviers pour affirmer le rôle et la place des agronomes dans la société, particulièrement en contextes de transitions agricoles (Prévost*, 2022b). A l’analyse, ce n’est pas un nouvel Ordre professionnel que souhaitent les agronomes, mais la reconnaissance des compétences de leur communauté et leur liberté d’agir pour le bien commun dans la réponse aux grands défis actuels de l’agriculture.
Une nouvelle dynamique collective reste donc encore à construire pour les années à venir, tant dans la communauté des agronomes que dans les institutions publiques et professionnelles, pour faire converger les politiques publiques, les objectifs des organismes professionnels, le continuum recherche-formation-développement, les pratiques des agriculteurs et la reconnaissance des citoyens-consommateurs.
Les agronomes doivent y prendre toute leur part, en faisant de leur handicap d’absence de corporatisme, du fait de la diversité de leurs métiers, un atout de légitimité, du fait de leur expertise sur les systèmes agricoles, de leur ancrage dans la diversité des territoires et de leur proximité, tant avec la recherche qu’avec la pratique agricole.
[1] Les références avec * correspondent aux textes issus des travaux de la 11ème édition des Entretiens agronomiques Olivier de Serres, publiés dans le Volume 12 numéro 2 de la revue Agrononomie, environnement et sociétés, accessibles à la page web : https://agronomie.asso.fr/aes-12-2
[2] Groupement d’intérêt économique et environnemental
Références bibliographiques
Affre, L., Coudon, T., Chauvel, A., Rémy, H., 2022. Les effets de la transition énergétique en cours sur les métiers et les compétences des agronomes, à partir de la méthanisation. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Barbieri, P., Steffe, J., Reichert, C., Vergnaud, L., 2022. Etre agronome en contexte de transition numérique. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Boiffin, J., Doré, T., Kockmann, F., Papy, F., Prévost, P., 2022. La fabrique de l’agronomie. Quae Ed., Versailles, 496p.
Bon, E., Papillon, T., 2022. Comment les formations des agronomes peuvent-elles répondre à l’évolution des besoins en compétences des agriculteurs et agronomes d’aujourd’hui et de demain ? In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Michel, I., Capitaine, M., Trystram, G., 2022. La formation initiale des ingénieurs agronomes : nouveaux enjeux, nouvelles pratiques. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Capitaine, M., Loudiyi, S., 2022. Les effets de la transition alimentaire sur les métiers et les compétences des agronomes : une lecture à partir des enjeux des processus de reterritorialisation alimentaire. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Chrétien, F., Pujos, A., Candalh, C., 2022. La formation continue des enseignants en agronomie, au service des nouveaux enjeux de l’enseignement agricole en matière de transitions. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Collectif, 2016. L’agronome en action. Mobiliser concepts et outils de l’agronomie dans une démarche agroécologique. Educagri Editions, Dijon, 359p.
Colombier, M., Messéan, A., 2022. Enjeux et impacts de la transition globale. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Compagnone, 2022. La dimension sociale de l’orientation des pratiques des agriculteurs. Autorités, déférences et conflits épistémiques. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Cornu, P., Meynard, J.M., 2020. Pour une épistémologie historique de l’agronomie française. Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2. https://doi.org/10.54800/eha224
Darré, J.P., 1985. La parole et la technique. L’univers de pensée des éleveurs du Ternois. L’Harmattan, Paris, 196p.
Doré, T., Gailleton, J.J, Prévost, P., 2022. Construction et déploiement de l’agronomie dans et par la formation. In La fabrique de l’agronomie. Quae Ed., Versailles, 496p.
Girard, N., Magda, 2018. Les jeux entre singularité et généricité des savoirs agro-écologiques dans un réseau d’éleveurs. Revue d’anthropologie des connaissances, 2018/2 (Vol.2, n°12), pp199-228.
Latour, B., 2022. Habiter la terre ; Entretiens avec Nicolas Truong. Les liens qui libèrent, Arte Editions. Paris, 165p.
Le Bail Marianne, Bonin, R., 2022. Participer à des collectifs multi-acteurs : rôle et place des agronomes en contexte de transitions agricoles. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Martin, G., 2022. Etre agronome en contexte de transitions : enjeux et impacts de la transition écologique. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Memmi, G., Bouttet, D., 2022. Etre agronome en contexte de transitions : enjeux et impacts de la transition numérique. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Messéan, A., Capitaine, M., Doré, T., Prévost-, P., 2020. Vers une agronomie des transitions. Agronomie, environnement & sociétés, Vol.10, N°2. doi.org/10.54800/tra112
Meyer, M., 2022. Agriculture low tech : comment innover par les usages. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Meynard, J.M., 2016.Les savoirs agronomiques pour le développement : diversité et dynamiques de production. Agronomie, environnement & sociétés, volume 6 numéro 2, pp19-28.
Mousset, J., 2022. Enjeux et impacts de la transition énergétique pour les métiers d’agronomes. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Paravano, L., Petit, M.S., Reau, R., Prost, L., 2022. Etre agronome dans un contexte de transition agroécologique. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Pointereau, P., 2022. Enjeux et implications de la transition alimentaire dans les métiers des agronomes. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Prévost, P., 2022a. Note de lecture de la note bleue AgrIdées « Dynamique agricole : quelles compétences ? » (Yves le Morvan et Bernard Valluis). In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Prévost, P., 2022b. Une autre approche des diplômes et des compétences : l’exemple de l’ordre des agronomes au Québec - Canada. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Séronie, J.M., Omon, B., 2022. L’accompagnement des transitions transforme le métier de conseiller agronome. In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Simon, S., Clerc, P., Jonville, D., Réchauchère, O., Messéan, A., 2022. Concevoir des systèmes techniques agro-écologiques : quel métier pour les agronomes, entre diagnostic, évaluation/conception et accompagnement ? In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Trébuil, G., 2022. Note de lecture de l’ouvrage « Une écologie de l’alimentation » (Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Walser, Ed. Quae). In « Etre agronome en contexte de transitions », Agronomie, environnement & sociétés, volume 12 numéro 2.
Les articles sont publiés sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 2.0)
Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue AES et de son URL, la date de publication.