Une autre approche des diplômes et des compétences
L’exemple de l’Ordre des agronomes au Québec - Canada
Philippe Prévost*
* Alliance Agreenium
À partir d’une communication orale de Pascal Thériault, vice-président de l’Ordre des agronomes du Québec , lors du séminaire de synthèse de la 11ème édition des Entretiens agronomiques Olivier de Serres
Au Québec, les agronomes ont depuis longtemps été organisés en tant que profession, d’abord à partir de la fin des années 1940 sous forme de corporation, puis dans le cadre de la mise en place de l’office des professions du Québec à partir de 1973, où les Ordres professionnels sont créés avec un mandat de protection du public. L’Ordre des agronomes du Québec a ainsi été créé le 1er février 1974. Parmi les 40 Ordres professionnels du Québec, l’Ordre des agronomes est de taille intermédiaire, avec actuellement 3300 membres (dont environ 700 dans le domaine de la production végétale).
Dans la mission de protection du public, il faut comprendre :
- Bien informer le public afin qu’il puisse déterminer ses besoins,
- Adopter des normes d’exercice axées sur la protection du public,
- Maintenir à jour ses compétences,
- Conserver son indépendance professionnelle.
L’office des professions a accordé à l’Ordre des agronomes un titre et des actes réservés, du fait que leurs services, qui portent sur les activités agricoles et agro-alimentaires, devaient considérer les risques et les impacts, inhérentes à ces activités, tant pour les praticiens que pour les consommateurs.
L’Ordre des agronomes du Québec utilise le mot « agronome » dans un sens très différent de la façon dont on l’utilise en France, celui-ci correspondant là-bas à une profession normée par une loi, qui a défini que « l’exercice de la profession d’agronome comprend tout acte posé moyennant rémunération, qui a pour objet de communiquer, de vulgariser ou d’expérimenter les principes, les lois et les procédés, soit de la culture des plantes agricoles, soit de l’élevage des animaux de ferme, soit de l’aménagement et de l’exploitation générale des sols arables, soit de la gestion de l’entreprise agricole ». « Le législateur a conféré un tel droit d’exercice exclusif aux agronomes en raison de la complexité de la pratique agronomique, de la latitude dont ils disposent ainsi que des préjudices sérieux qui peuvent résulter d’une erreur » (A-12 – Loi sur les agronomes[1]).
Ainsi, l’agronome au Québec correspond à une agronomie au sens large (à l’instar de l’ingénieur agronome en France) et peut exercer dans les domaines de la production végétale ou animale, mais aussi toutes les activités de gestion d’entreprise agricole ou de transformation agro-alimentaire. Six grands champs d’activités sont ainsi considérés dans le référentiel de compétences des agronomes du Québec[2] (Figure 1).
La caractérisation des compétences, au-delà la qualification par un diplôme
Compte tenu du caractère réglementaire du métier d’agronome, l’exigence requise pour être reconnu comme agronome a fait l’objet d’un travail de caractérisation des compétences qui a abouti à la constitution d’un « référentiel de compétences initiales des agronomes du Québec », intéressant à considérer dans le contexte français de l’exercice des métiers de conseil en agriculture. Trois types de compétences sont concernées dans le référentiel : professionnelle, contextuelle et fonctionnelle.
Ces trois catégories de compétences constituent les axes de développement professionnel des agronomes (Figure 2).
La compétence professionnelle
La compétence professionnelle est vue comme « la capacité de concevoir et d’agir avec efficience, de manière opportune et éthique dans le but de répondre à des situations professionnelles complexes en mobilisant ses propres ressources et celles de son environnement. La compétence professionnelle se situe aux croisements de trois pôles : l’agronome, le mandat qu’on lui confie et le contexte immédiat et présumé » (Référentiel de compétences initiales des agronomes du Québec).
Ces compétences professionnelles sont identifiées en lien avec des fonctions (Figure 3) et se caractérisent par des activités décrites (Figure 4).


La compétence contextuelle
La compétence contextuelle est définie en fonction d’un champ d’activité circonscrit. Elle « prend en considération le contexte, les pratiques, les principes et les savoirs qui régissent l’exercice professionnel dans un secteur d’intervention délimité » (Référentiel de compétences initiales des agronomes du Québec).
Ces compétences contextuelles distinguent ainsi les profils des agronomes selon les six champs d’activités des agronomes.
Pour les agronomes de la production végétale, les compétences contextuelles sont différentes selon le secteur de production : grandes cultures, horticulture, espaces verts (Figure 5). Et elles sont explicitées par les actions correspondantes à ces compétences (Figure 6).
La compétence fonctionnelle
La compétence fonctionnelle « renvoie aux différents champs de savoirs — connaissances, habiletés, attitudes, comportements — requis et pertinents à l’exercice de la profession d’agronome » (Référentiel de compétences initiales des agronomes du Québec).
Ces différentes compétences sont illustrées par des actions clés que doit être capable de réussir l’agronome en activité.
Le référentiel des compétences des agronomes, l’outil de reconnaissance pour le permis d’exercer la profession d’agronome au Québec
Ce référentiel sert de base pour l’évaluation des compétences des personnes qui veulent exercer la profession d’agronome au Québec, ceux-ci devant réussir un examen d’admission pour l’obtention du titre d’agronome du Québec (comme c’est le cas en France pour les professions médicales et certaines autres professions comme celles de vétérinaire ou d’œnologue).
Un agronome de profession au Québec ne peut donc se satisfaire de la qualification d’agronome donnée par un diplôme (comme c’est le cas d’ingénieur agronome en France) mais doit justifier d’un certain nombre de compétences pour pouvoir exercer l’activité d’agronome et se faire rémunérer pour ses services.
Enfin, l’Ordre des agronomes effectue une inspection professionnelle de chaque nouvel agronome inscrit à l’Ordre dans les deux premières années d’exercice.
Cette approche de la compétence présente l’intérêt de garantir l’opérationnalité de l’agronome dans l’exercice de son métier et de certifier les compétences du fait de l’évaluation par les pairs. Et elle permet également à des diplômés de différents niveaux, pays, âges, de candidater à la profession d’agronome. Enfin, ce référentiel sert utilement les universités qui le prennent comme base dans la construction de leurs référentiels de formation et de certification.
La formation continue, une obligation dans la profession d’agronome au Québec
Au-delà du besoin de validation d’une liste de compétences pour être accepté dans l’Ordre des agronomes, la formation continue est une obligation pour renouveler son inscription sur le tableau de l’Ordre.
L’agronome doit ainsi remplir les obligations suivantes :
« compléter au moins 40 heures de formation liées à l’exercice de sa profession et admissibles au cours d’une période de référence de deux ans ;
parmi ces 40 heures, un minimum de quatre heures doit être suivi en éthique et déontologie ou en pratique professionnelle et choisi par le membre à partir d’une liste d’activités dressée par l’Ordre » (Guide-Règlement sur la formation continue obligatoire des agronomes[4]).
Différentes activités sont reconnues comme formation continue :
- « la participation à des cours, des séminaires, des colloques, des conférences ou des ateliers offerts ou organisés par l’Ordre, par un autre Ordre professionnel, par un établissement d’enseignement ou par une personne ou un organisme spécialisé ;
- la participation à des formations structurées offertes en milieu de travail ;
- la préparation requise afin d’agir à titre de conférencier, de formateur ou d’enseignant sur un sujet lié à l’exercice de la profession, notamment la recherche, la lecture et la synthèse de références ;
- la préparation d’une revue de littérature requise pour la rédaction d’ouvrages liés à l’exercice de la profession, dans la mesure où ils sont publiés, pour un maximum de 10 heures par période de référence ;
- la préparation d’une revue de littérature requise pour la rédaction d’articles scientifiques liés à l’exercice de la profession et leur rédaction dans la mesure où ils sont publiés par une autorité reconnue ;
- la lecture d’articles scientifiques ou d’ouvrages spécialisés, l’écoute d’un document audio spécialisé ou le visionnement d’un document audiovisuel spécialisé liés à l’exercice de la profession pour un maximum de 10 heures par période de référence ;
- la préparation d’un plan de formation continue sur le formulaire reconnu par l’Ordre pour un maximum de 1 heure par période de référence » (Règlement sur la formation continue des agronomes[5]).
L’ensemble de ces activités doit être justifié avec des documents certifiant la réalité de l’activité de formation, que l’agronome doit fournir à l’Ordre des agronomes au sein d’une plateforme de suivi des dossiers individuels.
Quels apports d’une réglementation de la profession d’agronome dans les pratiques agricoles et pour la protection du public ?
La comparaison du fonctionnement du conseil agronomique au Québec et en France est un sujet délicat du fait d’une histoire très différente. En France, la cogestion du développement agricole à partir des années 1960 a fait que le conseil agronomique a d’abord été le fait de structures publiques (chambres d’agriculture), puis s’est progressivement élargi aux structures privées, mais dont la plupart étaient du régime de la coopération agricole. Mais la période productiviste à partir des années 1970, en donnant une priorité à l’usage des intrants agricoles, a favorisé les organismes de commerce d’intrants par leur capacité à fournir en même temps le conseil et la vente. Au Québec, où de nombreuses professions se sont organisées en corporations, le choix politique a été de reconnaître un Ordre à partir des années 1970, puis d’encourager le conseil agronomique privé à partir des années 80, lorsque le choix du gouvernement du Québec a été de se délester des emplois publics d’agronomes dans les régions.
Pour autant, le mouvement de privatisation du conseil agronomique a été sensiblement le même et a abouti à des résultats similaires. Au Québec, les agronomes sont aujourd’hui essentiellement employés dans les industries d’agrofournitures et au sein de clubs de gestion agronomique financés par des groupements d’agriculteurs. Lorsque ces derniers groupements emploient un agronome, il y a tout de même une subvention du gouvernement. Et en France, le conseil est très majoritairement le fait des coopératives agricoles et des entreprises privées d’agrofournitures, et de plus en plus de consultants indépendants ou en bureaux d’études.
Cette évolution a favorisé une proximité des agronomes avec les clients agriculteurs plutôt qu’avec les citoyens consommateurs dans les deux pays, ce qui a créé une crise de confiance du public envers les agronomes dès lors que les questions environnementales, et désormais de santé publique, ont remis en question les modes de production agricole intensive.
On peut alors se demander quels seraient les intérêts pour les agronomes et les pouvoirs publics français de s’inspirer du mode de fonctionnement du conseil agronomique s’appuyant sur une réglementation de la profession d’agronome.
En effet, ce n’est pas seulement le fait d’avoir un pouvoir de prescription auprès des agriculteurs qui donne un intérêt à l’Ordre des agronomes. Au Québec, en pratique, les agriculteurs ont besoin de l’avis d’un agronome sur un certain nombre d’actes, en particulier dans l’usage des intrants. A titre d’exemples :
- tout agriculteur doit avoir un plan agro-environnemental de fertilisation (PAEF) produit et signé par un agronome ;
- pour l’usage des pesticides, un certain nombre de molécules (de la famille du Chlorpyrifois et des néonicotinoïdes) sont sous prescription agronomique au Québec, les autres étant encore en vente libre.
Mais les fonctions de l’agronome évoluant cependant au fil du temps, les agronomes québécois sont de moins en moins prescripteurs auprès des agriculteurs dont les compétences ont fortement évolué avec l’évolution des niveaux de qualification, et sont ainsi de plus en plus dans l’accompagnement dans la stratégie agronomique, individuelle ou auprès de collectifs. Les agriculteurs, qui rémunèrent les agronomes, les mobilisent lorsqu’ils y trouvent une valeur ajoutée. Et par ailleurs, les prescriptions restent dépendantes des choix politiques. C’est le cas des obligations de prescription des produits phytosanitaires, pour lesquelles l’Ordre des agronomes considère qu’elles sont encore trop limitées à seulement quelques molécules, alors que de nombreuses autres en vente libre nécessiteraient une prescription.
Ainsi, les prescriptions en France ne sont pas moins contraintes qu’au Québec, du fait de la conjugaison des exigences de la politique agricole européenne en matière d’environnement et de santé publique, de la réglementation et des normes françaises, et des demandes sociétales relayées par les politiques publiques et les entreprises d’aval qui s’adaptent aux évolutions dans les demandes des consommateurs.
En revanche, un Ordre professionnel présente un certain nombre d’atouts qui méritent réflexion pour la communauté des agronomes français. Nous en retenons quatre :
L’exigence de compétence professionnelle tout au long de la carrière
Si les formations initiales des agronomes en France sont considérées de qualité, y compris pour être considérées par l’Ordre des agronomes du Québec comme des qualifications permettant l’accès au titre d’agronome inscrit à l’Ordre, le maintien voire le renforcement des compétences professionnelles tout au long de la carrière est un sujet qui est peu traité par les employeurs français des agronomes. Ce sujet est d’autant plus crucial dans une période de transitions où l’actualisation des savoirs pour la reconception des systèmes de production adaptés au changement climatique s’avère une des demandes majeures faites aux agronomes. L’Ordre des agronomes du Québec, en rendant obligatoire la formation continue et en recommandant certaines formations, peut orienter rapidement l’évolution des compétences des agronomes selon ce qui est attendu par la société, si le gouvernement met en place les politiques agricoles correspondantes.
L’indépendance professionnelle
Le fait d’appartenir à un Ordre professionnel rend l’agronome indépendant dans ses actes, y compris de son employeur. Ainsi, en cas d’illégalité des demandes de l’employeur auprès des agronomes employés, l’Ordre des agronomes ne va pas directement intervenir auprès de l’employeur, mais va mettre en avant son mandat de protection du public pour que l’agronome ne soit pas obligé d’obéir à l’employeur. Dans les entreprises françaises où le conseil agronomique et la vente d’intrants agricoles pouvaient créer une injonction paradoxale dans le raisonnement des agronomes, jusqu’à la séparation récente des activités de conseil et de vente, l’indépendance professionnelle des agronomes représente dans ce type de situation une liberté d’action importante à considérer.
La reconnaissance de la profession d’agronome auprès des pouvoirs publics et dans les politiques publiques
A l’instar de ce qui existe en France dans les professions de santé, avec des professions réglementées (médecins, vétérinaires), un Ordre professionnel constitue un lieu de consultation et de construction d’avis et de recommandations permettant d’affirmer le point de vue de la profession. L’Ordre des agronomes du Québec publie ainsi régulièrement des documents de référence sur différents sujets[6], comme le font en France l’Ordre des médecins et l’Ordre des vétérinaires, qui ont un certain poids auprès des pouvoirs publics.
Par ailleurs, le fait d’avoir une profession reconnue par la loi offre aux agronomes des possibilités d’interventions dans des secteurs non directement agricoles, par exemple dans la gestion des ressources naturelles ou dans l’urbanisme. Ainsi, dans le cadre de projets d’urbanisation, l’Ordre des agronomes et l’Ordre des urbanistes sont mobilisés pour travailler ensemble sur les nouveaux projets, prenant ainsi en compte les enjeux et les impacts du projet urbanistique sur l’activité agricole.
La médiation entre le public et les agriculteurs sur les sujets à controverse
C’est une fonction qui a pris de l’importance ces dernières années du fait de la crise de confiance entre les agronomes et le public au Québec. En effet, du fait des effets avérés des pesticides sur la santé, le public s’est inquiété du rôle des agronomes qui ont mandat de protéger le public. Or, le fait que les pesticides soient pour la majorité en vente libre ne permet pas aux agronomes d’agir en prescripteur. Cependant, ils auraient dû porter les connaissances sur les risques liés aux pesticides et agi auprès des agriculteurs et cette prise de conscience de ce rôle à jouer a été tardive. Cette crise de confiance a fait réagir l’Ordre des agronomes du Québec qui a inscrit dans sa stratégie 2021-2024 un axe sur la confiance du public (Figure 7).
Conclusion
La communication orale du Vice-Président de l’Ordre des agronomes du Québec lors des Entretiens agrononomiques Olivier de Serres et leur approche du développement professionnel des agronomes selon une démarche de compétences a permis d’identifier un certain nombre d’avantages dans le fait d’avoir une profession réglementée pour les agronomes.
Mais il est bien difficile d’imaginer cette organisation des agronomes en France. D’une part, l’agronomie en France concerne prioritairement la production végétale, dans sa relation à l’environnement et à la gestion de l’entreprise, alors que le Québec considère l’agronome dans tous les domaines d’activités de l’agriculture et de l’agro-alimentaire. D’autre part, l’Ordre des agronomes ne concerne que les métiers du conseil, alors que la communauté des agronomes en France se reconnaît plutôt dans sa diversité des métiers de la recherche, du développement, de la formation, des entreprises amont et aval de la production, et de la pratique agricole.
Pour autant, les avantages identifiés d’une profession réglementée, que ce soit l’exigence d’une compétence professionnelle tout au long de la carrière, l’indépendance professionnelle, le rôle de l’agronome dans les politiques publiques, et celui de médiation dans les sujets à controverse, constituent de véritables leviers pour affirmer le rôle et la place des agronomes dans le contexte actuel des transitions. C’est la raison d’être de l’Association française d’agronomie et de ses activités de capitalisation des savoirs, d’échanges de pratiques entre métiers, et de travaux prospectifs permettant d’anticiper l’évolution des pratiques agronomiques et agricoles. C’est donc certainement à cette association professionnelle de poursuivre son travail afin de remplir des missions d’intérêt général pour les agronomes et pour le public, comme le fait un Ordre professionnel dans un autre contexte.
[1] www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/tdm/lc/A-12
[2] https://oaq.qc.ca/wp-content/uploads/2016/03/Referentiel_final.pdf
[3] Toutes les figures sont extraites du référentiel de compétences des agronomes du Québec, accessible en ligne sur le lien https://oaq.qc.ca/wp-content/uploads/2016/03/Referentiel_final.pdf
[4] https://oaq.qc.ca/wp-content/uploads/2021/08/guide-reglement-formation-oaq-web-1.pdf
[5] https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/A-12,%20r.%207.3%20/
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