Être agronome en contexte de transitions : Enjeux et impacts de la transition écologique
Guillaume Martin *
* Université de Toulouse, INRAE, UMR AGIR, F-31320, Castanet-Tolosan, France
Email contact auteurs : guillaume.martin@inrae.fr
Résumé
La transition écologique est un changement vers un nouveau modèle de société qui apporte une solution aux défis environnementaux. Elle engage à transformer la plupart des secteurs d’activité l’agronome. Cette transformation porte tant sur le périmètre du système considéré que sur ses fonctions attendues et sur les capacités des agriculteurs à concevoir et mettre en œuvre des changements. Tout d’abord, il convient d’aller au-delà du champ cultivé d’espèces en pur considéré sur la durée d’une rotation pour intégrer des peuplements diversifiés et des échelles plus larges (par ex. le paysage). Ensuite, il convient de ne plus considérer qu’une productivité par unité de surface mais aussi d’autres services pour l’agriculture. Enfin, il convient de délaisser la logique diffusionniste visant à déployer des technologies à grande échelle pour développer les innovations nécessaires à sa mise en œuvre avec les agriculteurs et les acteurs du secteur, et de créer par des politiques publiques adaptées les conditions nécessaires pour cette mise en mouvement.
Mots-clés : transition ; agriculture ; agroécologie ; agronomie ; systémique
Abstract
The ecological transition is a change towards a new model of society that provides a solution to environmental challenges. It involves transforming most sectors of activity, including agriculture. Logically, the same applies to agronomy and the profession of agronomist. This transformation concerns both the perimeter of the system under consideration and its expected functions, as well as the capacity of farmers to design and implement changes. First of all, it is necessary to go beyond the cultivated field of pure species considered over the duration of a rotation to integrate diversified stands and larger scales (e.g. the landscape). Secondly, it is necessary to consider not only productivity per unit area but also other services for agriculture. Finally, it is necessary to move away from a diffusionist logic aiming at deploying technologies on a large scale to develop the innovations necessary for its implementation with farmers and actors in the sector, and to create the necessary conditions for this movement through adapted public policies.
La transition écologique : définition
La transition écologique est définie comme un changement vers un nouveau modèle de société qui apporte une solution globale et pérenne aux défis environnementaux et aux menaces qui pèsent sur la planète Terre (Larousse, 2022). Elle vise à mettre en place un modèle de développement durable qui repense nos façons de consommer, de produire, de travailler et de vivre ensemble. Elle engage la plupart des secteurs d’activité et notamment l’énergie, l’industrie, ou l’agriculture et l’alimentation.
Transition écologique et agriculture : un mariage de raison ?
En 2009, Rockström et al. définissent le concept de limites planétaires, i.e. les seuils que l'humanité ne devrait pas dépasser pour continuer à vivre sur Terre dans des conditions favorables et préserver suffisamment cet écosystème pour qu’il conserve une certaine stabilité. Ils retiennent alors neuf processus considérés comme remettant en cause la stabilité de la biosphère : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, les changements d'utilisation des terres, l’acidification des océans, l’utilisation de l’eau, l’appauvrissement de la couche d'ozone, l'introduction d’entités nouvelles dans l’environnement (pollution chimique) et l'augmentation des aérosols dans l’atmosphère. En 2022, six de ces limites ont déjà été dépassées (Fig. 2) et pour plusieurs d’entre elles, le rôle de l’agriculture est clairement établi (Campbell et al., 2017).
Dans ces conditions, une part croissante de la société réclame un modèle de société plus durable qui implique une transition écologique. Cette demande s’applique sans surprise à l’agriculture qui est tout particulièrement sommée de réduire ses impacts environnementaux. En outre, dans les pays développés, un nombre croissant de problèmes techniques invitent à repenser notre modèle agricole et notamment la stagnation des rendements (Schauberger et al., 2018) ou la résistance croissante des adventices ou des bioagresseurs aux pesticides (Gould et al., 2018).
Pour penser et mettre en œuvre la transition écologique, les solutions fondées sur la nature connaissent un intérêt croissant. Elles visent à comprendre les processus écosystémiques et à tenter de les reproduire dans des systèmes anthropisés tels que les systèmes agricoles. Les sources d’inspiration pour penser les solutions fondées sur la nature sont des écosystèmes tels que la forêt ou la prairie naturelle. Ils sont généralement très riches en biodiversité, laquelle peut être considérée sous un angle fonctionnel, c’est-à-dire selon les fonctions rendues par les composantes de la biodiversité à l’écosystème (Moonen et Barberi, 2008).
S’inspirer de la nature en agriculture invite entre autres choses à maximiser la biodiversité fonctionnelle et donc utile dans les systèmes agricoles, à la fois dans l’espace et dans le temps, pour viser une diversité de fonctions et une plus grande stabilité (Moonen et Barberi, ibid). Cela invite aussi à considérer les surfaces non cultivées à proximité directe (haies, bandes enherbées, etc.) des surfaces cultivées, ainsi que l’agencement spatial et temporel de ces infrastructures susceptibles d’héberger de multiples organismes (oiseaux, abeilles, etc.) ayant une influence sur les systèmes agricoles (Le Cœur et al., 2002).
S’inspirer de la nature en agriculture implique aussi de ne pas négliger les dynamiques évolutives des écosystèmes (Thrall et al., 2011), lesquels sont de plus en plus exposés à des évènements extrêmes notamment climatiques. Cette perspective évolutive va à l’encontre de la représentation d’une exploitation systématique, stable et normalisée du vivant encore largement partagée dans le secteur agricole. Or, toutes les composantes de l’écosystème co-évoluent, non-humaines et humaines, conduisant à des transformations de la biodiversité présente et des interactions au sein de l’écosystème.
Enfin, s’inspirer de la nature en agriculture nécessite de regarder les écosystèmes comme des réseaux trophiques (Liere et al., 2015) au sein desquels circulent l’énergie et les éléments minéraux. Ces réseaux intègrent des boucles de rétroactions complexes et des équilibres dynamiques, et ils sont largement influencés par les facteurs biotiques et abiotiques. Dans le secteur agricole, ces réseaux peuvent être considérés à des échelles très fines (infra-parcellaires) comme à des échelles très vastes dans un contexte de système alimentaire mondial globalisé au sein duquel les denrées s’échangent d’un continent à l’autre, avec pour conséquence une altération du cycle de l’azote et une dépendance croissante de certaines régions du monde vis-à-vis d’autres (Lassaletta et al., 2009).
Impacts de la transition écologique sur le métier d’agronome
En 1854, Gasparin définit l’agronomie comme une technologie des productions végétales :
« 1. L'agronomie est la science qui enseigne les moyens d'obtenir les produits des végétaux de la manière la plus parfaite et la plus économique.
2. C'est une science technologique, puisqu'elle n'a pas seulement pour but de connaître, comme les sciences pures, mais aussi celui de produire une utilité. C'est la branche technique de la phytologie ou science des végétaux. Mais la phytologie se borne à recueillir ou à faire croître le végétal pour l'observer, l'agronomie fait croître une valeur végétale » (Gasparin, 1854).
Le champ se veut alors le niveau d’organisation privilégié de l’agronomie et désigne la parcelle de culture qui fait l’objet d’une succession d’interventions. A la fin du 20ème siècle, cette succession d’interventions donne corps au concept de système de culture, c’est-à-dire « l'ensemble des modalités techniques mises en œuvre sur des parcelles cultivées de manière identique. Chaque système se définit par :
- la nature des cultures et leur ordre de succession,
- les itinéraires techniques appliqués à ces différentes cultures, ce qui inclut le choix des variétés. » (Sebillotte, 1990)
L’agronomie vise alors à accompagner les évolutions de l’agriculture par le recours à des variétés plus productives et un usage raisonné des intrants (éléments minéraux, eau d’irrigation, pesticides principalement) en phase avec les besoins des cultures. La logique de résolution de problème domine les raisonnements : à un problème, une solution à diffuser largement assez indépendamment des spécificités locales.
Aujourd’hui, la transition écologique invite à transformer l’agriculture. Logiquement, il en va de même pour l’agronomie et le métier de l’agronome. Cette transformation porte tant sur le périmètre du système considéré que sur les fonctions attendues pour ce système et sur les capacités des agriculteurs à concevoir et mettre en œuvre des changements.
La révision et l’extension des objets de l’agronomie
Il convient d’aller au-delà de l’objet traditionnel de l’agronome : le champ cultivé par un agriculteur avec une succession d’espèces cultivées en pur et considéré sur la durée d’une rotation.
La transition écologique répond à l’épuisement ou à la dégradation des ressources naturelles (eau, sol, biodiversité, etc.) liées aux activités humaines et notamment agricoles. Faire un usage sobre des ressources naturelles et les préserver implique la conception et la mise en œuvre de systèmes agricoles inspirés par la nature (Malézieux, 2012), plus complexes, associant des espèces et variétés végétales plus nombreuses, sur plusieurs strates de végétation, avec des composantes pérennes et des successions de cultures annuelles plus rapides. Cela invite à considérer les systèmes agricoles non plus comme des ensembles de champs peuplés d’individus homogènes mais comme des ensembles de populations d’individus très hétérogènes (caractère annuel vs pérenne, familles botaniques, etc.) en interaction.
La transition écologique répond aux changements globaux qui affectent l’ensemble de la planète Terre depuis plusieurs décennies et dont les effets sont tant immédiats que différés sur des temps longs (IPCC, 2019). Ces changements globaux sont différenciés selon les régions du monde et les sociétés qui les habitent, et peuvent même avoir des effets délocalisés (par ex. déforestation) (Yu et al., 2013). Ces changements ont des impacts sur de multiples dimensions économiques, sociales et environnementales. Cela invite à considérer les systèmes agricoles non plus comme de simples champs cultivés pour la production alimentaire sur la durée d’une rotation mais comme des systèmes ayant un impact du local au global, du temps court au temps long, et répondant à de multiples objectifs de développement durable.
La transition écologique répond à la globalisation des systèmes alimentaires et à une distanciation sans précédent entre producteurs et consommateurs (Weber et Matthews, 2008). Cette globalisation a favorisé une hyperspécialisation des exploitations et territoires agricoles qui est à l’origine de nombreux problèmes environnementaux induits par l’agriculture, qu’il s’agisse des pollutions aux nitrates dans les zones d’élevage ou de celles liées aux lessivages des reliquats de pesticides dans les zones de culture. Infléchir cette tendance revient à considérer les systèmes agricoles dans une logique de systèmes alimentaires territorialisés, c’est-à-dire que les systèmes agricoles et les industries aval d’un territoire fournissent une diversité de denrées alimentaires aux habitants de ce territoire.
Pour faire face à ces changements, plusieurs inflexions sont dès à présent notables dans le champ de l’agronomie. Celle-ci s’est progressivement ouverte aux concepts et outils de l’écologie (approches traits, Wood et al., 2015) et cette ouverture est à poursuivre pour être mieux capable d’appréhender la diversité cultivée et associée dans les systèmes agricoles. C’est tout particulièrement le cas dans les sols qui ont trop longtemps été relégués au rôle de support de culture et qui renferment de nombreux alliés (par ex. la mycorhizosphère) pour mettre en œuvre la transition écologique. Les développements récents de l’agronomie des territoires (Benoit et al., 2012) ou de l’agronomie globale (Makowski et al., 2014) témoignent aussi de l’ouverture progressive des agronomes à des échelles supérieures au champ cultivé. Resituer les systèmes agricoles dans des systèmes plus larges invite aussi à intégrer les interactions avec les autres types d’activités (élevage, foresterie, transformation alimentaire, etc.), lesquelles sont de plus en plus considérées par les agronomes (Brun et al., 2021).
Une agronomie ouverte à de nouvelles fonctions et de nouveaux arbitrages
Si l'agronomie a longtemps visé à faire croître une valeur végétale réduite à une productivité par unité de surface, la transition écologique invite à considérer d’autres services pour l’agriculture.
La transition écologique engage la nécessaire reconnaissance des services écosystémiques (Zhang et al., 2007). Il est d’usage de distinguer quatre catégories de services : (i) les services d’approvisionnement pour se nourrir et fournir des ressources (grain, viande, etc.) ; (ii) les services de régulation pour faire face aux perturbations (mitigation du changement climatique, purification de l’eau, etc.) ; (iii) les services de support assurant le fonctionnement des agroécosystèmes (formation du sol, cycle des nutriments, etc.) ; (iv) les services culturels qui nous affectent en tant qu’humain (beauté des paysages, éducation, etc.). Ces services élargissent le périmètre des attendus vis-à-vis de l’agriculture et relèvent de différents niveaux d’organisation, par ex. l’exploitation (viabilité économique) et le paysage (régulations naturelles), et de différents acteurs. Cela invite à considérer les arbitrages à réaliser entre services (par ex. production alimentaire vs mitigation du réchauffement climatique) mais aussi entre niveaux d’organisation : une option favorable à un service à un niveau peut conduire à un disservice si on la généralise à un niveau supérieur.
Dans la perspective de sa massification, la transition écologique ne doit pas se faire au détriment des critères sociaux et économiques. Ainsi, parmi les objectifs de développement durable établis par les Nations Unies figurent : pas de pauvreté, bonne santé et bien-être, égalité entre les sexes, et travail décent et croissance économique. Ces objectifs s’appliquent aussi au secteur agricole. Ainsi, si l’on prend l’exemple du travail en agriculture, il ne s’agit plus seulement de contribuer à l’emploi mais aussi que ces emplois garantissent le bien-être des travailleurs comme revendiqué par les mouvements sociaux promouvant l’agroécologie tels que la Via Campesina. Les dimensions qui sous-tendent ces objectifs ont jusqu’à présent été largement négligées par les agronomes. Avec l’extension des objets de l’agronomie jusqu’au système alimentaire, il convient de renforcer leur intégration, en particulier pour la dimension sociale qui a été largement délaissée comparativement aux dimensions agronomiques, environnementales et économiques (Janker et Mann, 2020).
La transition écologique est par essence évolutive. Elle engage une coévolution entre la diversité cultivée et associée, les pratiques agricoles et les services qui en découlent. Ainsi, l’accroissement de la diversité cultivée nécessite un apprentissage pour identifier les pratiques les plus opportunes au regard du bouquet de services visé, et ce, en dépit des perturbations de l’environnement (aléas climatiques, occurrence de nouveaux ravageurs, etc.). En conséquence, ces pratiques vont s’améliorer de manière continue en lien avec l’évolution de la diversité cultivée et associée, de la fréquence des perturbations vécues et des niveaux de services atteints (Duru et al., 2015). Ces interactions étant variables dans le temps, il convient de considérer leurs dynamiques et leur transposabilité à d’autres situations en fonction de la situation du système de culture, de l’exploitation agricole et de leur environnement (paysage, filières, etc.).
L’analyse et l’évaluation des systèmes agricoles sont bien ancrées dans les pratiques de l’agronome. Néanmoins, leur degré de complexité se trouve considérablement accru par la transition écologique tant par l’élargissement du périmètre des services et dimensions à évaluer que de la multiplicité des niveaux d’organisation à considérer et par la nécessaire prise en compte des dynamiques. Les cadres théoriques de la dynamique des systèmes tels que la résilience ou la vulnérabilité commencent à être mobilisés dans le champ de l’agronomie (Dardonville et al., 2021). Les développements dans le champ de l’intelligence artificielle constituent une autre source d’inspiration pour embrasser cette complexité croissante.
Une agronomie tournée vers l’innovation avec les agriculteurs et les acteurs des chaînes de valeur
L’agronomie a longtemps été guidée par une logique diffusionniste visant à déployer des technologies à grande échelle. La transition écologique invite à développer les innovations nécessaires à sa mise en œuvre, et à intégrer l’agriculteur et les acteurs de la chaîne de valeur dans la réflexion.
En matière de transition écologique, chaque agriculteur est guidé par des valeurs et des motivations. Elles déterminent ses choix stratégiques (par ex. réduction des phytos, conversion à l’AB), son vécu des situations rencontrées. Pour comprendre les systèmes agricoles et leur engagement dans une transition, l’agronome ne peut plus faire l’impasse d’une intégration de ces valeurs et motivations. En outre, les pratiques des agriculteurs sont fortement influencées par d’autres acteurs à l’amont et à l’aval, les consommateurs et leurs choix alimentaires en particulier. En conséquence, l’innovation agronomique ne peut plus être pensée indépendamment des arbitrages faits par ces différents acteurs : tous n’ont pas les mêmes valeurs, les mêmes besoins, les mêmes motivations, ce qui peut constituer un verrou à la transition (Plumecocq et al., 2018).
La transition écologique appelle des changements systémiques. Cela signifie que l’innovation ne peut pas reposer seulement sur des changements dans les exploitations agricoles. Au contraire, elle doit reposer sur l’articulation d’acteurs divers dans une logique d’innovation couplée (Brun et al., 2021). Ainsi, la diversification des systèmes de culture nécessite des efforts conjoints des semenciers pour développer une offre sur des cultures actuellement mineures, des organismes stockeurs pour collecter le produit de ces cultures, des conseillers agricoles pour développer un service d’accompagnement à leur mise en œuvre, etc. De même, certains processus agronomiques ne relèvent pas de l’agriculteur seul mais d’un effort collectif au niveau du paysage ou du territoire. Enfin, le nécessaire renouvellement générationnel en agriculture repose sur un traitement différent de la question foncière par les décideurs publics et les organisation professionnelles agricoles. Ces éléments soulignent la nécessité de considérer l’agriculteur comme intégré à un réseau d’acteurs favorisant ou contraignant sa capacité à innover.
Les innovations développées pour la transition agroécologique doivent avoir une pertinence locale tenant compte des spécificités de sols, de climats, etc. A cette fin, il convient aussi de mieux valoriser l’expertise des agriculteurs qui expérimentent, observent et déduisent quotidiennement (Catalogna et al., 2018) selon des logiques de traque aux innovations (Salembier et al., 2021). Cette base de connaissances est une ressource à mieux valoriser, sur laquelle capitaliser. Mais cela implique de pouvoir distinguer le caractère générique de la déclinaison locale de ces connaissances, et c’est une tâche ardue pour l’agronome. De même, l’innovation implique aussi pour l’agriculteur de faire avec les incertitudes inhérentes à l’innovation et avec celles liées à la complexité des situations (rétroactions, effets inattendus, aléas). Il est essentiel de mieux comprendre comment ces capacités se développent et les leviers (cognitifs, techniques, etc.) sur lesquelles elles s’appuient.
L’agronomie a toujours eu pour mission de produire une utilité (au sens de Gasparin, 1854), c’est-à-dire de transformer l’agriculture en sus de produire des connaissances sur les systèmes de culture. Dans le cadre de la transition écologique, cette utilité nécessite une ouverture vers des cadres théoriques des sciences humaines et sociales pour intégrer les valeurs et des motivations des agriculteurs et des autres acteurs, considérer l’évaluation d’un point de vue moins normatif, en acceptant que la performance doit être relativisée au regard des attentes de chaque acteur. C’est encore une posture très rare chez les agronomes bien que des premiers travaux sur le sujet commencent à émerger (Perrin et al., 2020). L’utilité de l’agronomie appelle aussi à progresser en matière d’animation de dispositifs participatifs visant l’innovation en agriculture. Les dispositifs participatifs existent de longue date en agriculture mais ceux dédiés à l’innovation couplée sont plus récents et accroissent la complexité du processus et le coût des transactions.
Conclusions
La mise en œuvre de la transition écologique est confrontée à de multiples défis. L’un de ces défis est sans doute de sacrifier une vision de court terme pour investir sur le long terme. La gestion des aléas immédiats (conflit Russo-Ukrainien, évènements climatiques extrêmes, etc.) continue de l’emporter sur une planification de long terme par la conception de politiques publiques adaptées et efficaces qui soient à la hauteur des enjeux environnementaux, économiques et sociaux. Un autre de ces défis est que la transition écologique est à penser conjointement avec d’autres transitions, énergétiques et alimentaires notamment. Le métier d’agronome est en prise directe avec ces changements dans un secteur clé de cette transition, l’agriculture. Il donne l’occasion de penser cette transition et ses chemins, de communiquer et convaincre sur leur bien-fondé, de participer à leur mise en œuvre voire d’en évaluer les impacts multiples. Il s’agit là d’une nouvelle évolution dans la façon de concevoir et de pratiquer l’agronomie en conservant la diversité de ses métiers.
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