Les effets de la transition énergétique en cours sur les métiers et les compétences d’agronomes, à partir de l’exemple de la méthanisation
Lys Affre, Thomas Coudon, Alice Chauvel et Hugo Rémy
* Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse
Email contact auteurs : lys.affre@gmail.com
Introduction
La méthanisation est une technologie essentielle à la transition énergétique et climatique selon Solagro, qui travaille dans ce domaine depuis 1981. Portée comme un levier de l’agroécologie, la méthanisation est en plein essor en France : environ 1000 sites ont été recensés au 1er janvier 2021 et une centaine de projets sont en cours d’installation. Solagro se positionne de cette manière : « [Le modèle de méthaniseur] que nous préconisons n’est ni le modèle intensif des élevages bovins sans pâture, ni celui des monocultures de maïs où le méthaniseur se substitue aux animaux d’élevage ». Bien que porteuse d’espoir, tant dans le monde agricole que celui de l’énergie, la méthanisation suscite également de nombreuses interrogations. De ce fait, la communication autour de la méthanisation a une place importante, tout comme le développement des compétences par rapport à cette dernière. Des formations commencent à émerger en France, comme le certificat de spécialisation “Responsable d’une unité de méthanisation agricole” du lycée agricole de Périgueux. Cependant, les places peinent à être pourvues, bien que l’acquisition de ces compétences soit un véritable avantage lors du montage d’un projet de méthanisation.
Dans l’atelier organisé par Solagro, l’ENSAT et l’Association française d’agronomie (Afa), nous nous sommes intéressés aux compétences liées à un projet de méthanisation et plus largement : quels sont les effets de la transition énergétique en cours sur les métiers et compétences des agronomes ?
Nous verrons dans une première partie la dynamique propre à la méthanisation dans la transition énergétique en agriculture. Dans un second temps, nous verrons les compétences liées au montage d’un projet de méthanisation en s’intéressant au cas concret de Ariège Biométhane : de l'émergence du projet à l’activité du méthaniseur. La troisième partie abordera la place des agronomes dans un projet de méthanisation. Enfin, dans une dernière partie, nous nous demanderons comment, au-delà de la méthanisation, les agronomes peuvent soutenir la transition énergétique, et avec quelles fonctions et compétences ?
La méthanisation, une dynamique singulière dans la transition énergétique en agriculture
Les unités de méthanisation se développent de plus en plus en France. En effet, selon Gaz Réseau Distribution France (GRDF), le nombre d’unités a été multiplié par 10 en l’espace de 10 ans (une centaine en 2009 contre plus de 1084 en 2021). Aujourd’hui, près de 80% des unités travaillent en cogénération (chaleur et électricité) et le reste en injection.
Dans ce sens, le scénario négaWatt, portant sur la consommation énergétique ainsi que le mix énergétique à l’horizon 2050, a estimé que le biogaz représenterait une part significative (13%) des énergies. La méthanisation est donc un levier à mobiliser pour substituer les actuelles énergies fossiles. Il existe différents types d’unités comme par exemple une unité développée par des agriculteurs sur leur ferme, ou des unités de taille plus importante alimentées par des intrants variés (boues de STEP (station d’épuration des eaux usées), déchets verts, déchets alimentaires, etc) venant de différents points d’approvisionnement.
Ainsi, comme nous le verrons par la suite dans la retranscription de la visite d’une unité, les porteurs de projet doivent faire face à une situation complexe. D’une part, la méthanisation constitue un supplément conséquent en matière de charge de travail, mais fait également face à une très forte opposition des riverains tout comme peuvent l’être d’autres installations d’énergies renouvelables. Ces oppositions sont dues aux craintes liées aux accidents, aux nuisances olfactives, et d’autres éléments encore liés pour la plupart à un manque d’information du grand public sur le sujet.
Il existe également des critiques liées à l’agronomie, notamment autour de la matière organique apportée par le digestat. En effet, le manque de recul sur l’impact des apports de digestats sur le taux de matière organique et la santé des sols pose question : la part de matière organique apportée par le digestat serait-elle équivalente à la matière organique apportée directement par des résidus de couverts végétaux ? L’utilisation de cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) ne contribuerait-elle pas à appauvrir les sols où ces CIVE seraient implantées ? Les conditions d’épandage du digestat sont également sources de questionnements : comment faire pour limiter au maximum le lessivage du digestat épandu ? Faut-il épandre du digestat sur sol nu ou sur des cultures ? En effet, la méthanisation produisant un digestat riche en azote, phosphore et potassium (les concentrations dépendent de la proportion des intrants injectés dans le méthaniseur) et en matière organique, celui-ci doit être manipulé avec précaution pour limiter les fuites d’azote et la pollution des milieux.
Enfin, la méthanisation, au travers de son fonctionnement, met en place une dynamique entre plusieurs acteurs. Nous verrons par la suite que l’installation d’une unité peut créer des emplois locaux et valoriser des effluents pour la production de gaz ou de chaleur et d’électricité pour les redistribuer au niveau local.
Le projet de méthanisation, de l’idée à l’activité du méthaniseur : un projet qui mobilise une diversité de métiers et de compétences
Nous allons maintenant nous intéresser au cas concret de Ariège Biométhane que nous avons visité au cours de l’atelier du 16 décembre 2021. Cette unité a été montée par Maxime et Sébastien Durand, deux frères associés et exploitants agricoles. Avant leur installation sur l’exploitation familiale respectivement en 2000 et 2009, ils étaient déjà actifs dans le monde agricole : Sébastien en tant que directeur d’une coopérative ovine et Maxime en tant qu’enseignant en lycée agricole. L’exploitation, nommée SCEA les Seigneuries, présente 465 ha de SAU (Surface Agricole Utile) entièrement en zone vulnérable nitrate, un atelier de production végétale (de consommation et semencières) et un atelier de production animale (ovin allaitant).
Quel est l’historique du projet Ariège Biométhane ?
L'émergence du projet de méthanisation à la ferme est venue suite à différentes problématiques qui existaient sur la ferme. Un système d’échange de paille contre du fumier d’éleveurs alentour se faisait déjà, mais l’exploitation avait des problèmes de stockage de ce fumier. En effet, l’exploitation des Seigneuries étant entièrement en zone vulnérable nitrate et étant donc dans l’impossibilité d’épandre du fumier sur leurs terres avant fin janvier, le fumier était stocké dans des fosses ou à l’extérieur durant une grande période de l’hiver. A l’extérieur, le fumier perdait alors de sa valeur agronomique. De plus, l'utilisation de ce fumier issu des autres exploitations apportait de plus en plus de mauvaises herbes jusqu'alors absentes de leurs parcelles. Enfin, le marché des cultures semencières fluctuant, et environ la moitié de la SAU étant consacrée à ces cultures-là, le souhait était de tendre vers une diversification du revenu. Ce sont ces trois éléments qui ont poussé Sébastien et Maxime à développer la méthanisation sur leur exploitation.
Après avoir visité une dizaine de projets de méthanisation afin d’avoir des retours d’expérience, c’est en juillet 2016 que les porteurs de projet ont contacté Solagro pour mettre en place ce projet de méthanisation. La réflexion portait au démarrage sur un petit projet en cogénération avec 6000 tonnes d'intrants. Il existait cependant plusieurs problématiques : d’une part, le moteur qui servait à réaliser la cogénération demandait beaucoup d’entretien et de suivi. D’autre part, le ratio estimé à la sortie du méthaniseur était composé de 60% de chaleur et 40% d’électricité. Or, le méthaniseur devait produire 65% en chaleur pour obtenir certaines subventions (régionale, européenne). Du fait de ces deux problématiques, le projet s’est tourné vers une injection totale du gaz produit dans le réseau de distribution.
Par la suite, il a fallu trouver le site d’implantation. Deux sites ont été retenus, l’un nécessitant 6,3 km d'installation de conduite de distribution, l'autre seulement 2,8 km. La deuxième option fut favorisée mais les relations avec les habitants et municipalités alentour se sont très vite tendues. En effet, le projet a connu une très forte opposition jusqu'à aller en justice.C’est donc le premier site qui a été retenu, qui est le site actuel de Ariège Biométhane. Le projet a été davantage accepté par les habitants et la municipalité, et a donc pu avancer avec pour maître d'œuvre Arkolia et pour assistant maître d’ouvrage Solagro.
Les travaux ont alors débuté en janvier 2020, les premières matières premières étaient mises dans le digesteur en mars 2021, et les premiers Nm3 de biométhane étaient injectés dans le réseau en avril 2021. Une fois le projet réalisé, Ariège Biométhane a été cité comme exemple d'intégration par une association environnementale locale, ce qui vient contraster avec la forte opposition rencontrée sur le premier site d’implantation.
Quel est le fonctionnement de Ariège Biométhane aujourd’hui ?
Aujourd’hui, les intrants du méthaniseur sont composés de 85% d’effluents d’élevage (bovins laitiers, bovins allaitants, ovins, équins) situés dans un rayon de 10 km autour du méthaniseur, et de 15% de végétaux (déchets de silos, pieds mâles de cultures semences, CIVE, seigle, sorgho). Des contrats de 12 ans ont été signés avec les éleveurs, sécurisant les échanges et leur garantissant une restitution de digestat brut. Le contrat prévoit également le transport des effluents (les éleveurs ont donc seulement à charger la semi-remorque sur leur exploitation), et l’épandage du digestat brut. La totalité des transports de flux et l’épandage sont réalisés par une société montée pour l'occasion par le fils de Maxime, la société TS3D. L'épandage est facturé à un prix symbolique d'1€/m3 de digestat épandu, et est réalisé grâce à un automoteur qui enfouit le digestat brut à 3 cm de profondeur. L’épandage ne se fait pour le moment que sur sols nus. Les exploitants ont le souhait de développer l’épandage sur cultures : par exemple sur prairies ou pour des apports d’azote sur tout type de cultures. Concernant les déchets de silos, une contractualisation a été faite avec des silos de la coopérative Arterris pour une durée de 3 ans. Ariège Biométhane achète les déchets de silos, non traités, dont le prix est renégocié tous les 3 ans.
Les intrants, qui sont stockés dans des silos sur le site de l’unité de méthanisation, sont chargés dans la mélangeuse selon une recette précise, puis transférés dans une fosse et envoyés dans le méthaniseur. La recette des quantités d’intrants à mettre dans le digesteur a été élaborée avec l’aide de Solagro et Arkolia. Pour le démarrage du méthaniseur, l’ensemencement a été fait avec une flore microbienne issue d’un autre méthaniseur ayant les mêmes types d’intrants. De la même manière que fonctionne le rumen d’une vache, le digesteur a besoin de temps pour s’adapter à un changement de recette, il faut donc être vigilant à tout manquement d’intrant afin d’éviter des accidents.
Sur ce site de méthanisation, le temps de séjour des intrants est relativement long (30 jours dans le digesteur puis 25 jours dans le post digesteur), permettant de supprimer la majorité des mauvaises herbes présentes dans les intrants. Environ 7000 m3 d'eau par an sont ajoutés au cours du processus. Une partie de l'eau est issue du réseau d'irrigation et environ 3000 m3 sont issus de la récupération des eaux pluviales stockées dans une lagune. Un suivi de la composition au sein du digesteur est réalisé tous les mois pour ajuster et garantir les retours de digestat aux agriculteurs. Ces retours de digestat se calculent en tonnage et sont équivalents au tonnage d’intrants apporté en azote, matière organique, phosphore et potassium.
Aujourd’hui, l’unité produit entre 120 et 125 Nm3 de biométhane[1] injectés par heure sur le réseau de distribution. L’ensemble des activités (productions végétales, animales et méthanisation) nécessite 4 équivalents temps plein. La charge de travail est en moyenne de 100 heures par semaine par personne pour Maxime et Sébastien, ce chiffre pouvant monter jusqu’à 140 heures durant l'été. Avec cette charge de travail énorme, les exploitants disent eux-mêmes qu’une personne de plus sur l'exploitation leur permettrait de travailler plus confortablement, d’autant plus que la charge mentale est également importante. A l’inverse, le fait d’être seulement deux décideurs et de ne pas inclure les autres agriculteurs dans la gouvernance a été mis en avant par les exploitants, puisque cela leur permettait de prendre les décisions rapidement lors de l’avancement du projet.
Quelles sont les compétences liées à la construction d’un projet de méthanisation ?
Maxime et Sébastien ont insisté sur la véritable nécessité d'être accompagnés sur la construction d’un tel projet. Cela fait écho à la complexité du jeu d'acteurs ainsi que du cadre législatif difficilement appréhendable. Il faut des savoirs dans les processus administratifs, l'urbanisme, l'environnement, le domaine sanitaire, les études de faisabilité, la comptabilité, etc. Autant de domaines complexes et différents qui rendent l'accompagnement nécessaire pour mener à bien son projet.
La maîtrise d'œuvre, quant à elle, est également un processus complexe sur un procédé de méthanisation. Il y a de nombreux aménagements à mettre en œuvre non seulement au niveau du site, mais également autour du site.
De ce fait, concernant les compétences nécessaires d’un agriculteur pour un projet de méthanisation, nous avons insisté sur le fait qu'il fallait savoir bien s'entourer, savoir déléguer à la bonne personne et à la bonne structure, tout en gardant la capacité d’être le chef d'orchestre de son projet. Disposer d'un bon suivi est élémentaire que ce soit au cours du montage de projet ou ultérieurement. L'acquisition de retour d'expérience lors des visites d'autres méthaniseurs aura été très importante pour éviter certaines erreurs déjà commises. En effet, les bases théoriques sur la méthanisation sont importantes mais s'acquièrent par l'accompagnement, la pratique et les échanges. Enfin, nous avons relevé trois compétences essentielles à la réussite de ces deux exploitants : la motivation sur le long terme, l’entreprenariat et la rigueur.
L’agronome dans un projet de méthanisation
Dans cette partie, nous discuterons exclusivement des compétences nécessaires de l'agronome pour accompagner un projet de méthanisation que nous avons recensé lors de l’atelier. Cette partie et ce travail de manière générale n’est pas un plaidoyer ou une critique de la méthanisation, il se concentre uniquement sur les compétences.
Durant la matinée, nous avons visité l’unité de production Ariège Biométhane en présence de Maxime et Sébastien et des personnes invitées. La visite était organisée selon la logique suivante : historique du projet, visite de la plateforme de méthanisation et une discussion autour des compétences déployées pour mener le projet. En amont de cette journée, nous avions rédigé et distribué par mail une fiche récapitulative de l’exploitation agricole et de l’unité de méthanisation pour faciliter les discussions.
L’atelier s’est poursuivi sur le site du lycée agricole de Pamiers, en présence de 16 personnes aux profils variés et invités par Solagro et l’Afa. Nous avons choisi de diviser en deux groupes de 5 personnes et un groupe de 6 personnes. Après une courte introduction, un premier travail de groupe a été mené autour du scénario Négawatt. Ensuite s’est déroulé un world café autour des compétences de l’agronome afin d’accompagner un projet de méthanisation. Ces compétences étaient divisées en 3 sujets différents : la gestion des intrants et des extrants, le développement du projet ainsi que sa maintenance, puis la gestion administrative, économique, accompagnées de la communication. Enfin, la journée se terminait par un dernier atelier sur les compétences de l’agronome nécessaires pour participer à la transition énergétique. Nous allons décrire par la suite les compétences qui sont ressortis de ce world café.
Les compétences liées à la gestion des intrants et du digestat
Pour en optimiser la gestion, les intrants et les extrants doivent être gérés de manière commune et en amont du projet d’installation. Ils doivent être adaptés au territoire duquel ils sont issus et dans lequel les extrants, sous forme de digestat, seront épandus. Pour bien comprendre cette nécessité d’adaptation lors de l’atelier, il a été décidé de séparer en deux parties l’approvisionnement du méthaniseur avec les intrants en première partie et la gestion des extrants en seconde.
Le point de départ est l’identification et la quantification de la ressource disponible. Pour cela les premières compétences vont être la communication et la pédagogie afin de faciliter les échanges entre les différents acteurs et leur permettre de bien identifier les types d’intrants à choisir pour leur projet et le mode d’approvisionnement (autoproduction, contrats d’échanges, achats auprès de coopératives de déchets issus du triage, etc). Il est aussi nécessaire de faire valoir les intérêts que peut présenter la méthanisation comme la facilitation de la gestion des effluents d’élevage, la lutte contre les adventices ou encore la capacité à rendre une exploitation moins dépendante des fumures minérales.
Toujours en amont d’un projet de méthanisation, il est important que l’ingénieur participe à la partie économique et financière du projet. Il doit être capable de mettre en relation le porteur de projet avec les acteurs du milieu bancaire, énergétique et publics indispensables à l’installation.
La seconde compétence nécessaire à l’ingénieur concerne l’agronomie, il doit être capable de guider le porteur de projet dans le choix et la production de CIVE, du semis à leur destruction. Cette compétence peut même aller jusqu’à accompagner l’agriculteur vers de nouvelles pratiques culturales comme l’agriculture de conservation des sols avec un assolement plus diversifié et des rotations plus longues, ou plus simplement en adaptant la production de CIVE à un assolement déjà en place.
Les autres compétences déclinées lors de l’atelier ne sont pas entièrement de la responsabilité de l’agronome comme peut l’être l’agronomie. Parmi ces autres compétences, nous retrouvons la logistique, il est important de mettre en place un système d’enregistrement des flux entrants et sortants, qui plus est dans le cas de contrats d’échange d’intrants contre du digestat (Exemple : l’échange d’effluents d’élevage contre du digestat brut d’Ariège Biométhane). Des compétences liées à la biologie permettent de choisir le meilleur mélange d’intrants afin d’équilibrer le mélange et favoriser la vie bactérienne à l’intérieur du méthaniseur. Toujours en lien avec la biologie, il est important de connaître les intrants potentiellement dangereux pour la vie bactérienne du méthaniseur (Exemple : les traitements de semences peuvent menacer la santé et donc la productivité du méthaniseur).
La seconde partie concerne la gestion des extrants et les compétences qu’elle nécessite pour l’ingénieur. Tout d’abord, trois catégories différentes d’extrants ont été identifiées : le digestat, le méthane et le dioxyde de carbone. Chacune de ces catégories comporte des compétences spécifiques, cependant certaines rejoignent les compétences évoquées dans la première partie consacrée à la gestion des intrants. Concernant le digestat, il est indispensable que l’ingénieur accompagnant le projet connaisse la réglementation en vigueur au niveau du territoire en particulier la réglementation nitrate (Zone vulnérable aux nitrates). En plus de connaître la réglementation qui s’applique au territoire, l’ingénieur doit être en mesure de mettre en place un plan de fumure prévisionnel (PPF) ainsi qu’un plan d’épandage. Des compétences de logistique entrent aussi en jeu lorsqu’il s’agit de choisir la méthode et la date d’épandage. Enfin il est indispensable d’effectuer, grâce à des compétences agronomiques, un suivi de fertilité des sols afin de mesurer d’éventuels impacts positifs ou négatifs.
Les deux autres catégories d’extrants identifiées étaient le CH₄ et CO₂, pour lesquels il est indispensable d’identifier le meilleur type de débouché en fonction de la situation géographique du projet. Concernant le CH₄, quatre débouchés existants ont été évoqués : gaz, chaleur, électricité, et gazole non routier (GNR). Les possibles utilisations du CO₂ concernent le chauffage des serres ou l’utilisation en agro-alimentaire.
Les compétences liées au développement du projet et à la maintenance
Nous commencerons par traiter les compétences mises en jeu dans le montage du projet, qui nécessite en effet un très large panel de compétences.
Tout d’abord, le porteur de projet doit être doté d’un fort esprit d’entreprise pour garder motivation, rigueur et organisation tout au long du développement du projet. Les obstacles étant nombreux et le développement du projet nécessitant un temps de travail important, la motivation doit bel et bien être présente sur cette étape et même au-delà. Ensuite, une prise de recul sur ses savoirs et capacités est nécessaire pour ensuite être capable de se former en fonction des nécessités. Pour cela, une prise d’information en allant visiter d’autres unités de méthanisation au préalable paraît importante pour visualiser les erreurs déjà commises et développer son projet à l’aide de retours d’expériences. Ces différents éléments dénotent un besoin d’anticipation de la part du porteur de projet et de ses accompagnants. Des compétences en communication sont très importantes comme nous l’avons vu lors de l’exemple d’unité visitée. Ce point sera détaillé dans la partie suivante, nous ne nous y attarderons donc pas. Il est tout de même utile de mentionner qu’une capacité d’adaptation est nécessaire pour faire face aux éventuelles tensions dans le contexte social ou même tout autre imprévu.
D’autre part, la gestion de projet est un exercice qui reviendra auprès de tous les acteurs impliqués. Que ce soit dans son dimensionnement, son suivi, son montage comme les relations avec les organismes financiers, savoir s’entourer ou orienter le porteur de projet vers l’acteur adéquat est crucial. Pour finir sur le montage du projet, un certain nombre des compétences et savoirs peuvent relever de l’action d’agronomes. Notamment pour la gestion des digestats et de l’azote comme évoqué dans la partie précédente. D’autres actions peuvent être menées par les ingénieurs comme les diagnostics territoriaux ou d’exploitation avec des études de faisabilité ou des scénarios prospectifs sur l’évolution du territoire ou encore la réflexion sur le type d’énergie à produire.
Concernant la maintenance, bien qu’il faille plusieurs compétences mécaniques et techniques pour effectuer les étapes de routines, déléguer une partie des étapes s’avère nécessaire pour une libération de la charge mentale et du temps de travail (nettoyage de l’épurateur, chargement, etc). Le maintien du site dans un état propre participe également à la communication et à sa perception par les acteurs territoriaux et les habitants.
Les agronomes pourront apporter les connaissances réglementaires pour bien cadrer la maintenance et mettre en place des éléments de suivi. Le suivi doit d’ailleurs être le plus précis possible pour éviter les incidents, en effet, dans le développement de nouvelles pratiques, chaque incident fait un contre-exemple de poids qui va à l’encontre de l’image de la méthanisation. Par ailleurs, un développement des associations de méthaniseurs pourrait accroître les références disponibles. Dans cette idée, la création d’un observatoire contenant les impacts locaux économiques, agronomiques et énergétiques des méthaniseurs pourrait développer davantage les références bibliographiques de cette pratique.
Les compétences liées à la gestion : le suivi administratif, le suivi économique, la communication
Les compétences liées à la gestion ont été subdivisées sous trois fonctions : le suivi administratif, le suivi économique et la communication (au sein et hors de l’équipe). Elles sont, bien entendu, liées les unes aux autres par des compétences transversales.
D’un point de vue du suivi administratif, une première compétence liée au management est ressortie. En effet, travailler sur une unité de méthanisation oblige à avoir une bonne organisation car on y travaille 24h/24 : prise en charge des gardes la nuit et le week-end, travail à côté sur l’exploitation agricole, maintenance, etc. Ainsi, il faut savoir diviser le travail, s’entourer et déléguer certaines tâches. Sur les sites de méthanisation ayant peu d’employés, les exploitants endossent à la fois le rôle de manager et de responsable Ressources Humaines. De plus, les méthaniseurs suivent un contrôle quotidien de la qualité du digestat. Les exploitants doivent alors savoir comment décrypter les analyses et ajuster les intrants en conséquence. Ils doivent également se conformer en fonction des différentes normes qui entourent les digesteurs : traçabilité des matières, enregistrer les données relatives au fonctionnement de l’unité (intrants, pesée…) et les transmettre, réaliser les démarches administratives obligatoires liées à la réglementation environnementale (ICPE), etc. La négociation est également une compétence développée en gestion. En effet, les exploitants doivent pouvoir négocier les contrats avec les différents prestataires : intrants, logistique, épandage des digestats, intervenants extérieurs, etc… Enfin la gestion de groupe est une compétence importante pour faire avancer des gros projets comme les projets de méthanisations territoriaux. Cette compétence est bien évidemment liée à celle de communication.
La compétence de communication est l’une des plus importantes pour porter un projet de méthanisation, d’autant plus que ces projets sont aujourd’hui en proie à de nombreuses critiques, qui n’ont parfois pas de fondement mis à part la peur de l’inconnu. Ainsi pour démarrer un tel projet, il faut pouvoir faire preuve de capacité de médiation. Par exemple, Maxime et Sébastien Durand ont fait appel à un cabinet de communication pour promouvoir leur projet et essayer de sortir des idées reçues portées par plusieurs groupes (associations environnementales ou habitants). La position de neutralité dans laquelle se trouvait le cabinet de communication est importante pour éviter les avis biaisés. Cependant, les deux frères ont également dû faire des concertations locales auprès des autres agriculteurs, des élus et des habitants. De plus, selon eux, la réputation initiale des porteurs de projet a une place importante dans l’acceptation finale. Enfin, la communication doit continuer une fois le projet lancé, pour faire perpétuer l’acceptation auprès d’un plus grand public. Être un “agronome communiquant”, c'est-à-dire avoir une bonne connaissance des démarches de communication permet aux agronomes de porter des projets et de les faire accepter plus facilement.
Enfin, le suivi économique doit être basé sur un plan d’affaire solide. Les exploitants d’Ariège Biométhane ont fait appel à Solagro pour le montage du dossier économique. Ils ont également délégué une partie à un courtier pour négocier les prêts. Les porteurs de projets ont dû savoir intégrer leur unité de méthanisation au sein de leur exploitation ovine déjà existante, qui devait continuer à fonctionner. Enfin, les compétences technico-économiques sont liées au bon équipement mais également à la viabilité de leur entreprise, ce qui semble être le plus important.
En conclusion, les exploitants ont dû réussir à s’écouter et déterminer leurs limites, que ce soit en termes de connaissance ou de temps de travail. Quand les exploitants ne maîtrisent pas un sujet, ou qu’il ne fait pas partie de leur champ de compétence, ils ont su déléguer le travail et s’entourer pour gérer et maîtriser le projet dans toutes ses dimensions. Le cadrage du projet s’est fait avec l’aide de nombreux agronomes, que ce soit pour le montage économique, la conception des plans de méthanisation ou encore la mise aux normes et le contrôle qualité. Ainsi, on peut qualifier les compétences de ces agronomes de transversales : ils doivent être polyvalents. De plus, leur position extérieure et neutre au projet leur permet d’avoir une vue globale et pertinente tout au long de sa constructin.
Au-delà de la méthanisation, comment les agronomes peuvent soutenir la transition énergétique, et avec quelles fonctions et compétences ?
Lors de notre atelier du 16 décembre 2021, nous avons voulu introduire le sujet de la transition énergétique par la présentation du scénario négaWatt. L’association du même nom a publié le 26 octobre 2021 son 5ème scénario de transition énergétique pour la France. C’est un scénario qui prévoit pour la France d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 ainsi qu’un mix énergétique à 96% renouvelable. La démarche négaWatt consiste à prioriser les 3 points suivants :
- la sobriété
- l’efficacité énergétique dans le but de diminuer la quantité d’énergie consommée
- le développement des énergies renouvelables, qui sont des énergies de flux et non de stock (comme le sont les réserves finies de pétrole, charbon, gaz fossile et uranium).
Nous avons jugé pertinent de parler de ce scénario, de par sa force et son caractère utopique. Il montre une nécessité de rupture radicale dans notre manière de vivre, et nous montre la hauteur du défi à relever pour l’avenir.
Voici ci-dessous quelques éléments d’explications de ce scénario.
- Le graphique ci-dessous représente la consommation d’énergie par secteur d’activité, entre 2015 et 2050. Le scénario prévoit une division par trois de la consommation dans les transports, par deux dans le bâtiment, et une baisse de plus de 40 % dans l’industrie.
- Aujourd’hui, la production française d’énergies renouvelables est dominée par le bois-énergie et l’électricité hydraulique. En 2050, selon le scénario, l’éolien (terrestre et maritime) deviendrait la première source d’énergie renouvelable en multipliant la surface des parcs éoliens par 10 (une moitié serait terrestre et l’autre moitié serait marine). En deuxième position se trouverait la biomasse solide qui augmente de moitié sa contribution, avec une surface identique de forêt et une exploitation plus rationnelle, ainsi que le développement de l’agroforesterie. Le photovoltaïque se trouverait en troisième position avec un développement fort et régulier (multiplication par 10 des surfaces photovoltaïques). Le biogazse développerait et représenterait 13 % du mix énergétique en 2050
- Le scénario négaWatt mettant en avant la sobriété et l’efficacité énergétique, nous pouvons voir que le scénario prévoit une baisse des besoins en énergie primaire d’ici 2050. Ces besoins seraient divisés par 3. Le développement des énergies renouvelables se ferait de manière progressive, ce qui permettrait de substituer quasi entièrement au nucléaire et aux énergies fossiles.
- Enfin, le scénario prévoit une réduction drastique des émissions de GES. Une réduction compatible avec l’objectif de limiter l’élévation moyenne de la température de la terre à +1,5°C en 2100.
Suite aux discussions de l’atelier, plusieurs questions se sont posées quant au réalisme des efforts de sobriété qui sont mis en avant dans le scénario. Est-il possible de réduire de plus de moitié la consommation énergétique française ? Cela impliquerait une baisse du Produit Intérieur Brut français, les politiques y sont-elles prêtes ? Sommes-nous capables de revoir entièrement notre manière de vivre et engager un changement sociétal ?
Il est à supposer que cette réduction se fera majoritairement par des contraintes : le levier semble plus important pour les industriels et les collectivités, qui accepteraient davantage de nouvelles réglementations, plutôt que des particuliers qui refuseraient de toucher à leur confort personnel. Néanmoins, la prise de conscience progressive du réchauffement climatique par la population va favoriser certains aspects du scénario. Par exemple, la nouvelle génération étant très sensibilisée aux problématiques environnementales, la sobriété sera d’autant plus facilement acceptée. L’éducation et la communication auront aussi un rôle important à jouer dans cette transition énergétique.
Il a également été relevé que cette dimension de sobriété viendrait naturellement avec le développement de l’économie circulaire. En effet, il faut que chaque consommateur d’énergie se rende compte de son empreinte énergétique, se réapproprie et se rapproche des sources d’énergie qu’il utilise. Cela permettrait de boucler les cycles des matières sur un territoire local : par exemple, la méthanisation de l’unité Ariège Biométhane contribue à la mise en place d’une économie circulaire puisque les déchets agricoles et alimentaires locaux sont utilisés pour la production de biométhane, qui est ensuite utilisé dans les bâtiments publics, tels que le lycée de Pamiers. Il est cependant nécessaire d’être vigilant à qui récupère la valeur ajoutée de ces nouvelles installations. Pour l’exemple de la méthanisation, il faut que la valeur ajoutée revienne aux porteurs de projet, et non aux politiques.
Concernant le mix énergétique présenté par le scénario négaWatt, il a été relevé qu’il sera sûrement difficile d’atteindre l’objectif de quasiment 100% renouvelable. Cependant, l’essor des surfaces photovoltaïques semble possible, par la disponibilité de nombreuses toitures ou ombrières industrielles. Des panneaux peuvent également être mis en place chez des particuliers, et le développement de l’agrivoltaïsme est également en marche.
Le scénario prévoit un fort développement de la méthanisation d’ici 2050. Cet essor peut être favorisé par le tri des biodéchets des particuliers qui sera rendu obligatoire en 2025. Concernant les organismes produisant une quantité importante de biodéchets, l’obligation de les faire valoriser est en vigueur depuis 2012 (en passant par le compostage ou la méthanisation par exemple).
Bien que ce scénario négaWatt soit réalisable, il ne sera pas forcément la voie choisie par les politiques françaises. Cependant nous pouvons dire que, peu importe le chemin choisi, les ingénieurs agronomes et autres seront sollicités dans les changements qui s’opéreront. Les compétences citées dans le tableau 1 seront utiles à chacun, et, chacun dans leur domaine, les ingénieurs sauront faire preuve de polyvalence pour contribuer au mieux à cette transition vers une énergie plus saine et plus durable.
Conclusion
Ce projet a été l’occasion d’étudier en profondeur et de prendre en main des thèmes d’actualité comme le mix énergétique, la transition énergétique ou encore des pratiques méconnues et controversées comme la méthanisation. Pour être en mesure de comprendre ces thématiques et mettre en évidence les compétences nécessaires aux agronomes pour participer à la transition énergétique, nous avons dû mobiliser une large palette de compétences allant de la synthèse de documents scientifiques, à de l’animation et de l'agronomie.
En ce qui concerne la transition énergétique, lors de nos recherches et entretiens nous avons pu identifier plusieurs compétences incombant aux agronomes. Tout d’abord, il est apparu qu’il était compliqué pour l’agriculture de réduire sa consommation d’énergie, cependant elle pouvait être partie prenante de la transition énergétique en produisant de l’énergie.
La production d’énergie n’est pas nouvelle sur les exploitations agricoles, depuis une quinzaine d’années les panneaux photovoltaïques ont fait leur apparition sur les toits des bâtiments d’élevage ou de stockage. De la même façon, le nombre d’unités de méthanisation a été multiplié par 10 depuis 10 ans selon GRDF, une centaine en 2009 contre plus de 1084 en 2021 (GRDF, date non connue).
Dans le but de poursuivre ces développements, les agronomes doivent être en mesure de connaître les filières énergies et les opportunités qu’elles offrent aux agriculteurs. Ainsi l’agronome doit avoir la capacité de développer un projet à l’échelle de l’exploitation avec une vraie synergie entre la production d’énergie et la production agricole (animale ou végétale) associée. De plus, le porteur de projet sera dans l’attente de connaissances globales aussi bien économique, technique, agronomique que réglementaire ou administrative. L’agronome doit donc être en mesure d’orienter l’agriculteur vers les spécialistes concernés.
Même si lors des ateliers, il est apparu comme compliqué de réduire la part d’utilisation de l’énergie par l’agriculture, certains points d’amélioration ont été identifiés avec les compétences de l’agronome correspondantes. Ces points d’amélioration reposent sur des connaissances agroécologiques afin de réduire l’utilisation d’engrais azotés de synthèse ou encore en réduisant le travail du sol afin de consommer moins de carburants. Pour développer les deux pratiques citées précédemment il est nécessaire pour l’agronome de créer des groupes de travail et de les animer, les connaissances de communication et logistique sont donc indispensables.
Collectivement malgré des créneaux limités pour préparer la journée, nous avons été très satisfaits de préparer et d’animer la journée d’échanges qui était l’aboutissement de nos efforts. Nous avons aussi pu nous forger un avis sur la méthanisation, un sujet encore clivant dans le monde agricole. Les différents professionnels que nous avons rencontrés nous ont tous apporté volontiers des connaissances et retours d’expérience qui nous ont permis de construire la journée d’animation, la présentation et ce rapport de la meilleure des manières. Nous les en remercions.
Remerciements
Nous tenons à remercier Maxime et Sébastien Durand pour le temps qu’ils nous ont consacré ainsi que pour leur énergie. Cette visite a permis à tous les participants de l’atelier de voir un cas concret, sur lequel nous nous sommes appuyés lors de nos ateliers de l’après-midi.
Références bibliographiques
Association négaWatt, Scénario négaWatt 2022 (2021), disponible sur : https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2022 (consulté le 06/01/2022)
Association négaWatt, Scénario négaWatt 2022 : Graphiques dynamiques (2021), disponible sur: https://negawatt.org/scenario-2022/ (consulté le 06/01/2022)
Solagro, Domaine d’intervention : Méthanisation, disponible sur : https://solagro.org/nos-domaines-d-intervention/methanisation (consulté le 06/01/2022)
Daniel Salmon, La méthanisation dans le mix énergétique : enjeux et impacts : http://www.senat.fr/commission/missions/la_methanisation_dans_le_mix_energetique_enjeux_et_impacts.html (consulté le 10/11/2021)
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