L'outil J-DISTAS
Prévoir les Jours Disponibles pour réussir les opérations culturales et éviter les tassements des sols en grandes cultures
Pascale Métais1, Nicolas Rogier1, Pierre Dul2, Carolina Ugarte3, Annie Duparque4, Damian Martin4, Rémy Duval2, Philippe Billa5, Marine Lacoste6
- Arvalis, Biopôle Clermont Limagne, 63230 Saint Beauzire
- ITB, 45 Rue de Naples, 75008 Paris
- AGHYLE, UniLaSalle, SFR Condorcet FR CNRS 3417, 19, rue Pierre Waguet, 60000 Beauvais, France.
- Agro-Transfert Ressources et Territoires, 80200 Estrées-Mons, France
- Chambre d’Agriculture de l’Oise, Rue Frère Gagne, 60021 Beauvais
- INRAE, Info&Sols, 45075, Orléans, France
Auteur correspondant : p.metais@arvalis.fr
Résumé
La réalisation des opérations culturales en bonne condition est un enjeu majeur pour la réussite de l’intervention, et pour la préservation des sols face à l’augmentation du poids des agroéquipements. Un jour est disponible si les conditions sont favorables à la réussite de l’opération (travaillabilité) et le sol peut supporter le passage de la machine (traficabilité). Le projet J-DISTAS a pour ambition de construire un prototype de calcul des jours disponibles. Ce prototype interroge plusieurs modèles et bases de données pour calculer des indicateurs, qui sont ensuite agrégés selon des règles de décision construites par expertise. Le résultat obtenu tient compte de la travaillabilité et de la traficabilité : il permet de considérer le risque de tassement dans le dimensionnement du matériel ou l’évolution des systèmes de culture. La performance du prototype est en cours d’évaluation.
Mots clés : Jour disponible, tassement, travaillabilité, modélisation
Abstract:
Carrying out cultural operations under good climatic and agronomic conditions is a major challenge for the success of agricultural interventions, and for soil structure preservation as the weight of agricultural machinery increase. A day is considered available for operations if the conditions are favorable for their success (workability) and if the ground can support the machinery traffic (trafficability). The J-DISTAS project aims to build a prototype for estimating available days for operations. This prototype uses several models and get access to various databases to calculate indicators, which are then aggregated according to decision rules built by expertise. The output includes both workability and trafficability: it is thus possible to consider the risk of compaction to dassess which agricultural machinery buy or which changes in cropping systems could be implemented. The prototype’s performances are currently being evaluated.
Keywords: Available days, soil compaction, workability, trafficability, modelling
Introduction
La mécanisation de l’agriculture depuis les années 60 a grandement contribué à l’agriculture moderne en augmentant la productivité des exploitations et a permis une croissance de la population mondiale sans précédent. Cette mécanisation des exploitations, couplée à l’utilisation intensive d’intrants chimiques (engrais, pesticides), a réduit les besoins de main d’œuvre, favorisé une augmentation des surfaces exploitées et poussé les agriculteurs à utiliser des machines de plus en plus puissantes pour satisfaire des objectifs de rentabilité. L’évolution de la puissance des machines s’accompagne indéniablement d’une hausse de la charge à la roue des engins agricole et donc des contraintes appliquées sur le sol (Keller et al., 2019 ; Keller and Or, 2022).
Des innovations technologiques concernant les pneumatiques ont accompagné l’évolution des machines, limitant les effets aggravants de l’augmentation du poids des engins en surface (Ten Damme et al., 2019). Cependant, en situations de charges élevées, les contraintes en profondeur dépendent principalement de la charge, plus impactante que la pression de contact entre le pneumatique et le sol, et ces contraintes n’ont cessé d’augmenter depuis les années 60 (Schjønning et al., 2015) (Figure 1).
Les contraintes causées par le passage des machines peuvent être à l’origine de tassements qui se traduisent par une baisse de la porosité des sols et de sa capacité à stocker de l’eau d’une part et par une réduction de l’exploration racinaire d’autre part (Figure 2). Ces modifications réduisent la taille du réservoir utile (Tardieu, 1987), engendrant des pertes de rendement jusqu’à 30% selon les espèces (Métais, 2019).
En parallèle des transformations du parc matériel, les pratiques des agriculteurs évoluent pour atteindre les objectifs de réduction d’usage de produits phytosanitaires fixés par l’union européenne et le gouvernement, ce qui devrait s’intensifier dans le cadre de la transition agroécologique. Pour atteindre ces niveaux de restriction d’usage, des modes de gestion alternatifs permettant de limiter les bioagresseurs, les maladies ou encore les adventices ont été identifiées, mais leur efficacité repose souvent sur leur qualité d’exécution (Reboud et al., 2017). Par exemple, le décalage de la date de semis des céréales d’hiver permet de limiter l’exposition au puceron vecteur de la jaunisse nanissante de l'orge et contribue à lutter contre les adventices. En revanche, cette technique peut exposer les agriculteurs à des conditions de sols plus limitantes pour garantir une levée homogène et une portance suffisante (Boiffin et al., 2020). Toutes ces pratiques viennent s’ajouter à des calendriers culturaux déjà chargés, ce qui pose des questions en termes de faisabilité en fonction du contexte pédoclimatique de l’exploitation.
La réalisation d’une opération culturale est soumise à deux types de contraintes : (i) l’opération doit être réalisée dans une période donnée, délimitée par d’autres interventions à réaliser ou par des stades phénologiques de la culture à respecter, et (ii) au sein de cette période, seule une partie de ces jours remplissent les conditions agronomiques nécessaires à la réalisation de cette opération culturale (Reboul and Maamoun, 1983) : on parle de jours disponibles. Un jour est agronomiquement disponible pour une opération culturale donnée lorsqu’il répond à une double condition (i) de traficabilité : le sol peut supporter le passage des engins agricoles sans qu’il y ait de déformation importante et/ou irréversible de sa structure (Edwards et al., 2016), et (ii) de travaillabilité : la possibilité d’effectuer l’opération culturale dans des conditions prédéfinies de réussite, et en limitant les dommages (Edwards et al., 2016).
Plusieurs outils existent pour évaluer les différentes composantes des jours disponibles, on peut notamment citer J-Dispo (Gillet, 1992), Mecagro (Mousset et al., 1996), Perfbet (ITB, 2014) et Terranimo® (Schjønning, P. and Lamandé, M., 2020) mais aucun ne parvient à prendre en compte de façon satisfaisante traficabilité et travaillabilité.
Les outils de calcul des jours disponibles tels que J-Dispo ou Mecagro ont été conçus pour intégrer traficabilité et travaillabilité, en s’appuyant sur des conditions hydriques définies par opération culturale pour le matériel moyen couramment utilisé pour l’opération culturale étudiée, or celui-ci a largement évolué depuis la conception de ces outils dans les années 90. Perfbet est un outil similaire, mais est uniquement adapté à la récolte de la betterave.
Terranimo®, quant à lui, permet d'estimer le risque de tassement sur un profil de sol en fonction du type de sol, de son état hydrique et des caractéristiques machines. L’efficacité des pratiques culturales n’est pas considérée.
L’objectif du projet J-DISTAS est de construire un prototype de calcul des jours disponibles adapté au contexte actuel et évolutif. Ceci implique de prendre en compte à la fois la travaillabilité et la traficabilité tout en conservant une bonne lisibilité des différentes composantes. Le projet s’appuie sur des outils de modélisation récents : des modèles de cultures pour estimer l’état hydrique du sol et Terranimo® pour évaluer la traficabilité. En complément, de nouveaux modèles (pour le calcul de l’indicateur de dessiccation par exemple) et règles de décision (pour l’agrégation des indicateurs notamment) ont été créés spécifiquement dans le cadre du projet en s’inspirant des outils préexistants et en mobilisant les connaissances et données acquises ces dernières années. Les références produites grâce au prototype J-DISTAS pourront être utilisées ensuite pour aider à prendre des décisions stratégiques telles que le dimensionnement du matériel ou l’évolution du système de culture.
Nous présenterons ici l’outil J-DISTAS et donnerons un exemple de son utilisation.
Présentation de l’outil J-DISTAS
Fonctionnement général
L’outil J-DISTAS est un outil d’aide à la décision stratégique qui permet de calculer le nombre de jours disponibles pour différents scénarios prenant en compte les opérations culturales (semis et préparation du lit de semence, désherbage mécanique, destruction de couverts et récolte), les cultures (céréales à pailles, maïs et betterave) et les machines (variation de poids, de pneus, etc.). En aucun cas J-DISTAS n’a été conçu pour piloter les opérations au quotidien. La description de son fonctionnement nécessite l’utilisation de plusieurs mots-outils (en gras) explicités dans le Tableau 1.
L’utilisateur commence par créer le ou les scenarios qu’il souhaite étudier : il saisit des informations relatives au climat (station météo ou coordonnées géographiques), au sol (choix d’un sol type de la base sol Arvalis et personnalisation si nécessaire), aux pratiques culturales (espèce et variété, date de semis, précédent, travail du sol depuis la récolte du précédent, fertilisation et irrigation) et à l’ensemble tracteur / machine utilisé pour l’opération (poids par essieu, pression de gonflage et type de pneus montés) (Figure 3-A).
Ensuite, l’utilisateur choisit l’opération pour laquelle il veut calculer des jours disponibles parmi les opérations disponibles puis il renseigne la fenêtre calendaire sur laquelle il souhaite calculer les jours disponibles. Cette fenêtre doit correspondre à la période prévue pour la réalisation du chantier. En fonction de l’opération sélectionnée, l’outil J-DISTAS considère un éventail de critères spécifiques pour décrire les conditions de réalisation de l’opération : travaillabilité du sol (possibilité de le fragmenter), conditions climatiques (possibilité de dessécher les plantes déracinées et éviter leur repiquage), risque de tassement en surface et en profondeur et, dans le cas d’une récolte de maïs grain, le stade de la culture (Figure 3-B).
Les informations relatives au contexte pédologique, au climat et aux pratiques culturales sont utilisées pour calculer des indicateurs spécifiques à chaque critère pour chaque jour de la période cible (par exemple l’humidité du grain de maïs pour le stade de la culture de maïs). L’outil J-DISTAS associe à chaque valeur d’indicateur un niveau d’aptitude (Figure 3-C). La combinaison des niveaux d’aptitudes obtenue est associée à un résultat de disponibilité du jour grâce à un ensemble de règles de décision spécifique à l’opération sélectionnée (Figure 3-D). Ce processus est répété sur l’ensemble des données climatiques des 20 dernières campagnes culturales.
Ce procédé de calcul permet d’obtenir une variabilité interannuelle du nombre de jours disponibles et de calculer des indicateurs statistiques de distribution (médiane, 2ème décile et minimum) mobilisables lors de décisions stratégiques (Figure 3-E).
Tableau 1 : Vocabulaire employé dans la conception de l’outil J-DISTAS.
Terme employé | Définition dans le contexte de J-DISTAS | Exemples | ||
Critère | Caractère, principe, élément auquel on se réfère pour juger, apprécier, définir la disponibilité du jour. | Travaillabilité | Conditions climatiques favorisant le dessèchement des plantes arrachées / évitant leur repiquage | Le risque de tassement |
Niveau d'aptitude | Echelle qualitative qui réfère aux différents niveaux de satisfaction pour le critère considéré | Bonne, moyenne ou mauvaise | Sec, intermédiaire ou humide | Fort, moyen, faible |
Référence au champ | Mesure ou observation de référence qui permet d'évaluer le niveau d'aptitude au champ | Consistance | Efficacité de destruction des adventices / repousses / couvert | Evolution de la densité apparente et de la perméabilité |
Indicateur | Paramètre quantitatif et calculable qui nous renseigne sur le niveau d'aptitude in silico. | Ratio de teneur en eau w/wpF2 | Cumul de P-ETP sur 5 jours | SCI de Terranimo max sur la couche |
Seuils | Valeur qui délimite des plages de l'indicateur renvoyant à des niveaux d'aptitude différents |
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Plusieurs indicateurs utilisés dans J-DISTAS nécessitent de connaitre l’humidité du sol sur différentes épaisseurs. Comme l’outil est conçu pour calculer le nombre de jours disponibles sur les 20 dernières campagnes, il est nécessaire de disposer de modèle pour estimer cette humidité du sol quotidiennement. Il a été décidé de s’appuyer préférentiellement sur le modèle de culture CHN (Soenen et al., 2019) pour sa facilité d’utilisation : l’interconnexion de ce modèle avec les bases de données d’Arvalis permet de réduire drastiquement le nombre de données d’entrées nécessaires, ce qui est un élément primordial pour un outil à destination du développement agricole. En outre, le bilan hydrique de CHN prévoit une percolation progressive de l’eau excédentaire (à saturation) d’une couche de sol vers la couche inférieure dont la vitesse dépend d’un coefficient de percolation propre à chaque sol, ce qui le rend particulièrement adapté au calcul de jours disponibles (Bessard Duparc et al., 2017). Par contre, CHN ne permettant pas de calculer l’état hydrique du sol sous un couvert de betterave, c’est le modèle STICS (Brisson et al., 2003, 2009), paramétré en contexte français, qui est utilisé dans ces situations
Démarche de construction de l’outil J-DISTAS
L’architecture générale de l’outil J-DISTAS, c’est-à-dire l’identification des critères importants par opération et le choix de classification des jours en fonction de la combinaison des niveaux d’aptitudes, a été construite par expertise. Ensuite, plusieurs sources de données et modèles ont été mobilisés pour calculer les indicateurs permettant d’estimer le niveau d’aptitude de chaque critère. La construction de l’outil J-DISTAS s’est déroulée en trois phases.
La première phase a consisté à identifier les critères à retenir pour chaque opération. Ceci s’est fait lors de réunions d’un groupe de travail mobilisant l’expertise pratique d’agriculteurs et techniciens, et les connaissances scientifiques d’agronomes et chercheurs.
La seconde phase a permis de définir les différents niveaux d’aptitude possibles pour chaque critère, puis de construire l’ensemble des règles de décision (par la suite appelés arbres de décision) qui permettent de classer le jour en fonction des niveaux d’aptitude.
Pour chaque opération, un panel d’experts aux compétences complémentaires a été constitué, en s’appuyant à la fois sur le groupe de travail de la phase 1 et en ouvrant à d’autres acteurs pouvant apporter une expertise complémentaire sur l’opération étudiée. Un entretien individuel a été réalisé avec chaque expert pour construire sa propre version de l’arbre de décision : l’expert était invité à lister les aptitudes qui lui semblaient importantes pour l’opération, puis à les découper en 2 à 4 niveaux et enfin à proposer une décision de disponibilité du jour pour chaque combinaison de niveaux d’aptitude. Un exemple est donné dans la Figure 1Figure 4, portant sur la destruction mécanique de couvert à l’interculture. Dans cet exemple, l’expert a choisi de retenir trois critères : la travaillabilité du sol, les conditions climatiques et le risque de tassement. Il a jugé utile de découper chaque critère en 3 niveaux d’aptitude, ce qui résulte en 27 combinaisons permettant de définir si un jour est disponible ou non. Les jours conseillés ou possibles pour une opération culturale sont considérés comme disponibles, les jours déconseillés ou impossibles comme non disponibles.
Une fois l’ensemble des entretiens individuels terminés, une synthèse par opération a été réalisée. Cette synthèse a permis la construction d’une version provisoire d’arbre de décision, faisant clairement apparaitre les points de consensus et les avis divergents pour servir de support aux discussions ultérieures.
Une réunion de travail par opération culturale a été organisée, rassemblant tous les experts interrogés individuellement, pour présenter la version provisoire puis construire ensemble une version consensuelle grâce à un débat argumenté pour chaque point de divergence.
La construction des arbres de décisions a nécessairement amené à se réinterroger sur les critères retenus et à préciser voire réviser les choix faits initialement. Elle a également permis d’orienter le choix des indicateurs à utiliser pour évaluer les niveaux d’aptitude.
La troisième et dernière phase de construction de l’outil J-DISTAS a consisté à définir un indicateur permettant de définir les niveaux d’aptitude de chaque critère retenu dans la phase 2, et à établir une méthode pour le calculer. Selon les critères et indicateurs, des modèles préexistants ont pu être remobilisés et/ou de nouveaux modèles et méthodes ont dû être construits. Un exemple de sélection et de calcul d’indicateur est donné dans la section suivante.
Description, paramétrage et validation des indicateurs utilisés dans le calcul des jours disponibles pour la destruction mécanique des couverts
Le fonctionnement de l’outil J-DISTAS nécessite le choix d’un indicateur pour chaque critère, la définition de son mode de calcul et le paramétrage de seuils pour différencier les niveaux d’aptitudes. Le choix des indicateurs et la définition des seuils nécessite de recourir à une référence au champ, c’est-à-dire une mesure ou une observation de référence qui permet d’évaluer le niveau d’aptitude au champ (Tableau 1). Il est d’abord nécessaire de vérifier l’existence d’une relation entre l’indicateur choisi et la référence au champ avant de chercher à fixer des seuils qui délimitent des niveaux d’aptitude différents.
Travaillabilité du sol
Dans le contexte de la destruction mécanique des couverts, la travaillabilité d’un sol dépend fortement de sa consistance, c’est-à-dire la capacité du sol à se fragmenter sous l’action d’un outil de travail du sol (friabilité). En effet, le passage de l’outil de destruction du couvert doit permettre d’émietter la terre pour faciliter l’arrachage puis la dessiccation du couvert, tout en évitant d’altérer la structure du sol.
Choix de l’indicateur
Au champ, l’évaluation de la consistance du sol est régulièrement utilisée pour estimer sa friabilité et donc sa travaillabilité avant une intervention impliquant un travail du sol (destruction de couvert, préparation du lit de semences, décompactage, etc.). Il s’agit d’une estimation tactile la réalisée en serrant une motte de sol dans la main. On observe ensuite si elle se fragmente et/ou se déforme pour identifier si le sol est dans un état dur, friable, semi-plastique ou plastique (Arvalis, 2010, p. 11). Les experts ont donc choisi de retenir la consistance du sol comme référence au champ de la travaillabilité, le sol friable étant l’état optimal.
La consistance du sol dépend de sa teneur en eau, et plusieurs méthodes existent pour estimer les teneurs en eau minimales, maximales et optimales pour le travail du sol (Obour et al., 2017). Dans le cadre de la construction de l’outil J-DISTAS, l’hypothèse a été faite qu’il est possible de prévoir la consistance du sol en fonction du ratio de teneur en eau w/wpF2, défini comme le rapport entre la teneur en eau du sol au moment de l’intervention (w) et la teneur en eau du sol à la capacité au champ (wpF2) pour la couche de 0 à 10 cm de profondeur (Ugarte Nano et al., 2021).
Validation de la pertinence de l’indicateur
Dans un premier temps, nous avons cherché à estimer si le ratio w/wpF2 était un bon indicateur de la consistance du sol (évaluée sur le terrain). La relation entre le ratio w/wpF2 et la consistance du sol a été étudiée en utilisant des données récoltées sur le terrain et au laboratoire lors de 35 chantiers agricoles suivis dans le cadre du projet. Pour ces chantiers, répartis sur 5 sites (
Tableau 2), la teneur en eau du sol au moment de l’intervention a été mesurée pour l’horizon 0-10 cm et une évaluation de la consistance du sol (Arvalis, 2010, p. 11) a été réalisée à la même date. Uniquement trois types de consistance du sol ont été observés : semi-plastique, friable et dure. Lorsque la teneur en eau du sol à la capacité au champ n’était pas déjà connue, elle a été mesurée au laboratoire.
Tableau 2 : Caractéristiques des sites sur lesquels la relation entre le ratio w/wpF2 et la consistance du sol a pu être étudiée et nombre de chantiers agricoles suivis par sites.
Site | Nom du sol (base sol Arvalis) | Texture (GEPPA) | WpF2 | Nombre de chantiers étudiés |
Beauvais (60) | Limon argileux caillouteux sur argile à silex | Al | 0.21 | 4 |
Berny en Santerre (80) | Limon profond sain | La | 0.32 | 3 |
La Jaillière (44) | Limon argileux humide sur altérite de schiste | Lsa | 0.17 | 2 |
Estrées Mons (80) | Limon profond sain | La | 0.23 | 3 |
Boigneville (91) Labour | Limon argileux caillouteux peu épais sur calcaire de Beauce | Al | 0.30 | 13 |
Boigneville (91) Semis direct | Limon argileux caillouteux peu épais sur calcaire de Beauce | Al | 0.35 | 10 |
Ces données ont permis de montrer que le ratio w/wpF2 est pertinent pour estimer la consistance du sol. A partir de ces données acquises sur les chantiers étudiés, une valeur moyenne du ratio w/wpF2 a été définie pour chaque consistance observée sur le terrain, ainsi que des intervalles de confiance à 95% autour de chaque valeur moyenne de w/wpF2 (Figure 5). Nous ne disposions cependant pas de suffisamment de données acquises sur ces 35 chantiers pour définir des valeurs seuils du ratio w/wpF2 permettant de distinguer les différentes consistances, or ce sont bien ces seuils qui nous intéressent.
Définition des seuils de teneurs en eau pour les différentes consistances
Dans un second temps, des valeurs seuils du ratio w/wpF2 ont été fixées entre chaque intervalle de confiance, de manière à affecter une classe de consistance à chaque valeur de l’indicateur w/wpF2. Pour cela, un jeu de données plus large que les 35 observations initiales a été utilisé. Ce jeu de données était constitué de 225 observations de consistance du sol, également réalisées dans le cadre du projet J-DISTAS, pour lesquelles les quatre types de consistance du sol ont été identifiés. Cependant, aucune mesure de teneur en eau (w) et de wpF2 n’était disponible. L’indicateur w/wpF2 n’étaitdonc pas calculable à partir de données mesurées. Nous avons fait le choix de calculer l’indicateur w/wpF2 à partir de données de wpF2 de la base Sol d’Arvalis et de teneur en eau (w) estimées en utilisant deux modèles de culture : CHN (Bessard Duparc et al., 2017; Soenen et al., 2019) pour les observations dans des céréales à pailles, du maïs, ou à l’interculturel, et STICS (Brisson et al., 2003, 2009) pour des observations en betterave. Cette option est cohérente avec le fait que l’outil J-DISTAS ne se base pas sur des données de wpF2 et de teneur en eau mesurées, mais utilise les données de base sol d’Arvalis et les valeurs estimées à partir de ces deux modèles pour prévoir si un jour est disponible ou non. La méthode statistique ROC (« Receiver Operating Characteristic », Zhou et al., 2011) a été utilisée pour définir les seuils entre deux consistances de sol. La performance des seuils à distinguer deux consistances a été évaluée et les seuils ont été fixés en faisant un compromis entre leur sensibilité (proportions des observations classées dans une consistance donnée et qui ont réellement cette consistance) et leur spécificité (proportions des observations non classés dans une consistance donnée et qui n’ont réellement pas cette consistance). Le seuil choisi pour distinguer des consistances friable et semi-plastique permet un taux d’observations bien classées de 56% (Tableau 3).
Tableau 3 : Matrice de confusion pour la prédiction de la consistance du sol après optimisation du seuil entre les consistances friable et semi-plastique.
ObservationS | ||||||
Dure | Friable | Semi-plastique | Plastique | |||
prédictionS | Dure | 0 | 6 | 0 | 0 | |
Friable | 1 | 144 | 5 | 6 | ||
Semi-plastique | 2 | 39 | 13 | 1 | ||
Plastique | 0 | 27 | 11 | 0 |
Une évaluation de ces seuils sur un jeu de données indépendant sera nécessaire dès lors que de nouvelles observations de consistance de sol seront disponibles.
Aptitude climatique à la dessiccation du couvert
Après le passage d’un outil de destruction mécanique de couvert, les plantes ayant perdu une partie de leur ancrage sont soumises aux aléas climatiques, qui peuvent soit achever de les détruire soit favoriser leur repiquage (Carpentier et al., 2020). Le rôle du climat dans la destruction mécanique des couverts est donc central et doit être pris en compte pour définir les périodes les plus propices à ce type d’opération.
L’indicateur climatique retenu pour J-DISTAS est la différence entre les cumuls de pluie (P) et d’évapotranspiration potentielle (ETP) sur 5 jours (le jour de l’intervention et les 4 jours suivants), nommé Ʃ(P-ETP)5j. Cet indicateur est issu de résultats du projet AGATE GC (Labreuche et al., 2022). Dans le cadre de ce projet, une analyse sur 64 essais de destructions mécaniques à l’interculture, répartis sur 35 sites dans 19 départements, a été menée et a abouti à l’analyse de 465 observations d’efficacité de destructions mécaniques en croisant une espèce, un stade et un mode de destruction mécanique (outils animés ou non animés). Les essais étudiés sont répartis sur 34 sites, dans 19 départements et 20 types de sols différents permettant de couvrir une grande partie du triangle des textures (Figure 6). Pour chaque observation, l’indicateur climatique a été calculé et l’humidité du sol estimée grâce au modèle CHN.
Une première analyse a permis de construire un modèle linéaire mixte permettant d’expliquer le pourcentage de destruction observé en fonction du type d’outil (animé ou non animé), du ratio w/wpF2, de l’indicateur climatique Ʃ(P-ETP)5j, de la plante à détruire (famille, stade, espèce) et leurs interactions. Ce modèle permet d’expliquer 30% de la variance observée dans le jeu de données et 46% en ajoutant les effets aléatoires (Labreuche et al., 2022).
Le modèle révèle une différence de comportement en fonction de l’espèce et du stade : les dicotylédones se révèlent globalement faciles à détruire par le travail du sol quelles que soient les conditions climatiques. A l’inverse, les graminées tallées nécessitent des conditions climatiques spécifiques pour atteindre des niveaux d’efficacité élevés (Figure 7).
Les seuils de l’indicateur climatique Ʃ(P-ETP)5j permettant de caractériser l’aptitude du climat à la dessiccation des racines de couvert ont été définis d’après les résultats du modèle pour la destruction mécanique de graminées tallées en conditions humides (ratio w/wpF2 de 90%) avec des outils non animés (Figure 8), car cette combinaison de facteurs requiert la plus forte exigence climatique. Les seuils retenus pour J-DISTAS correspondent à des efficacités de 80% et 90% dans cette situation et permettent de distinguer les 3 niveaux de l’aptitude climatique à la dessiccation : humide, intermédiaire et séchant.
Risque de tassement (traficabilité)
La caractérisation du risque de tassement repose sur le modèle Terranimo® développé par l’université d’Aarhus (Schjønning, P. and Lamandé, M., 2020). Ce modèle permet de calculer la contrainte causée par un engin et la résistance du sol jusqu’à 1.5 m de profondeur. La méthode de calcul tient compte des caractéristiques de l’engin (poids, type de pneumatiques, pression de gonflage), du sol (granulométrie, matière organique, densité apparente et état hydrique) pour calculer un index de compaction du sol (Soil Compaction Index, SCI), qui permet d’estimer le risque de tassement par tranche de 10 cm de sol.
Le SCI se définit par le ratio log(Vs/R), avec Vs la contrainte verticale appliquée au sol lors du passage d’une machine, et R la capacité de résistance du sol à cette contrainte. Si SCI < -0.12 (i.e. Vs < 75% R) alors le risque de tassement est faible, si -0.12 < SCI < 0.1 (i.e. 75% R < Vs < 125% R) le risque de tassement est moyen, et si SCI > 0.1 (i.e. Vs > 125% R) alors le risque de tassement est fort. Ces seuils ont été fixés par les concepteurs de Terranimo (Schjønning, P. and Lamandé, M., 2020). Une évaluation de la capacité de Terranimo à prédire le risque de tassement dans nos contextes pédoclimatiques a été réalisé dans le cadre du projet, un article dédié est en cours d’écriture.
Dans J-DISTAS, on agrège les risques de tassement estimés par Terranimo®, par tranche de 10 cm, en 2 couches de sol : la couche superficielle, travaillée au moins une fois au cours de la rotation, et la couche profonde au-delà de la profondeur maximale de travail du sol (définie par l’utilisateur). Cela permet de dissocier le risque de tassement superficiel, rattrapable par un travail du sol, du risque de tassement profond dont le rattrapage dépend uniquement de l’activité biologique et des caractéristiques mécaniques du sol en lien avec le climat (alternances humectation dessiccation) (Bakema et al., 2023).
Pour chacune de ces deux couches, la valeur maximale de SCI observée parmi l’ensemble des tranches de 10 cm de sol qui la compose est retenue (Figure 9).
Exemple d’utilisation de J-DISTAS
Reconcevoir les systèmes de culture nécessite de connaitre le nombre de jours disponibles pour réaliser certaines opérations culturales en fonction de données pédoclimatiques et techniques (machine utilisée, période de réalisation…). Cela permet d’objectiver les fenêtres d’intervention optimales, d’identifier les leviers disponibles pour augmenter ces fenêtres et de maximiser les chances d’intervenir en conditions favorables. Cette démarche a été appliquée avec les étudiants d’UniLaSalle Beauvais dans le cadre de travaux dirigés.
Définition du cadre de l’étude
Le responsable de la ferme expérimentale d’UniLaSalle Beauvais souhaite détruire 40 ha de couvert de moutarde sur la 1ère décade de novembre, une période pendant laquelle il peut assurer 5 h de traction par jour en moyenne. Il se demande s’il dispose de suffisamment de jours disponibles pour cela, et si le choix du type de déchaumeur, parmi les 5 présents sur la ferme, a un impact sur le nombre de jours disponibles.
Les données relatives aux couples tracteurs-déchaumeurs comparés dans cette étude sont récapitulées dans le Tableau 4. La répartition du poids des tracteurs sur les essieux avant et arrières en condition de travail ont été définies par expertise à partir des fiches techniques disponibles sur les sites internet des constructeurs. Les types de pneus montés ont été relevés sur les machines et les pressions indiquées sont celles recommandées par les équipementiers. Les débits de chantiers de chaque couple tracteurs-déchaumeurs ont été calculés à partir de la largeur de travail, de la vitesse d’avancement annoncée par le chef d’exploitation et d’un coefficient pour prendre en compte les durées nécessaires aux demi-tours.
Les parcelles du site d’étude sont situées sur des sols limono-argileux sur argile à silex. Les données climatiques entre 2002 et 2022 utilisées pour le calcul des jours disponibles proviennent de la station météorologique de Beauvais.
Tableau 4 : Caractéristiques des machines étudiées pour la destruction mécanique de couvert à UniLaSalle Beauvais.
id | Tracteurs | Déchaumeur | Débit de chantier (ha/h) | Vitesse (km/h)
| |||||||
Puissance (ch) | Essieu avant | Essieu arrière | Modèle - Type | Largeur (m) | |||||||
Poids (kg) | Références pneu | Pression (bar) | Poids (kg) | Références pneu | Pression (bar) | ||||||
1 | 150 | 3000 | 480/70R28 | 0.4 | 5800 | 580/70R38 | 0.6 | RAU | 3 | 1.68 | 7 |
2 | 190 | 3000 | 540/65R30 | 0.4 | 5800 | 650/65R42 | 0.4 | Cover crop à disque | 5 | 4.8 | 12 |
3 | 190 | 3000 | 540/65R30 | 0.4 | 6200 | 650/65R42 | 0.4 | Karat | 4 | 2.56 | 8 |
4 | 245 | 4000 | 600/60R30 | 0.4 | 8300 | 710/60R42 | 0.7 | Koralin | 6 | 7.2 | 15 |
5 | 245 | 4000 | 600/60R30 | 0.4 | 7500 | 710/60R42 | 0.6 | Déchaumeur à dents | 4 | 2.24 | 7 |
Résultats obtenus et discussion
L’outil J-DISTAS fournit un nombre de jours disponibles pour chacune des 20 dernières années climatiques et pour chaque couple tracteur-déchaumeur. L’analyse fréquentielle sur 20 ans permet de calculer le nombre de jours disponibles atteint ou dépassé au moins 10 années sur 20 (médiane), 16 années sur 20 (2ème décile) ou tous les ans (min). Ces trois critères peuvent être associés à des niveaux de risque de moins en moins importants. En effet, fonder une réflexion stratégique sur le nombre de jours disponibles médian est plus risqué que lorsqu’on se base sur le nombre de jours disponibles du 2ème décile, car la probabilité d’atteindre ce nombre de jours disponibles est plus faible.
Les trois premières combinaisons de tracteur-déchaumeur sont équivalentes en termes de jours disponibles (id1, id2, id3) avec 5 jours disponibles sur la première décade de novembre en décile2 soit 8 années sur 10 (Figure 10). A l’inverse, Les deux autres combinaisons aboutissent à moins de jours disponibles avec au mieux 5 jours disponibles 1 année sur 2.
Ces résultats sont ensuite convertis en surface afin de conclure sur la faisabilité de la pratique visée (Figure 10B). Sur la première décade de Novembre, les 3 premiers couples de tracteurs-déchaumeurs peuvent être utilisés pour détruire les 40 ha de couverts dans des conditions qui permettent de garantir une qualité d’exécution et préserver la structure des sols au moins 8 années sur 10. A l’inverse, les tracteurs déchaumeurs de plus grande taille ne permettent d’atteindre l’objectif de surface travaillée qu’une année sur deux (Figure 10 B).
En cas de mauvaises conditions sur la première décade de novembre, les possiblités de report sur les décades suivantes peuvent être considérées. Des créneaux de passages restent possibles au-delà du 10 novembre pour les couples tracteur-déchaumeur id1, id2 et id2, mais pas pour les deux autres (id4 et id5) (résultats non montrés). L’analyse des facteurs limitant le nombre de jours disponibles permet d’étudier les leviers qu’il faudrait actionner pour augmenter le nombre de jours disponibles (Figure 11). Pour les couples tracteur – déchaumeur id1 à id3, le tassement seul n’est jamais un facteur limitant : agir uniquement sur le poids du tracteur ou ses pneumatiques ne permettra donc pas d’augmenter le nombre de jours disponibles. En revanche la travaillabilité est systématiquement insuffisante pour ces couples tracteur – déchaumeur, il faudrait donc améliorer les capacités de ressuyage du sol pour augmenter le nombre de jours disponibles. Dans le cas où un tracteur de plus forte puissance est utilisé, de 60 % (id5) à 66% (id4), des jours sont non disponibles à cause d’une combinaison défavorable de niveaux de travaillabilité et de risque de tassement superficiel, ce qui veut dire qu’améliorer l’un ou l’autre de ces deux critères suffirait à augmenter le nombre de jours disponibles. Enfin, il est à noter qu’aucun risque de tassement profond n’a été observé dans notre étude. De même, les conditions climatiques n’ont jamais été limitantes. En effet, nous étudions la destruction d’un couvert pour lequel les risques de repicage sont faibles, les conditions climatiques ont donc peu de poids dans l’arbre de décision permettant de définir si un jour est disponible ou non.
Les couples tracteurs-déchaumeurs 4 et 5 sont plus lourds que les autres, notamment du fait de l’utilisation d’un tracteur plus puissant, de 245cv. Ce poids supplémentaire se traduit par un risque de tassement accru, donc un nombre de jours disponibles nettement plus faible (Figure 10). Dans ce cas, viser un fort débit de chantier n’est pas la meilleure solution, car cela implique un risque de tassement plus important donc trop peu de fenêtres disponibles pour intervenir dans de bonnes conditions, c’est-à-dire pour favoriser la réussite de l’opération sans occasionner de tassement du sol.
Ce cas d’étude montre que la prise en compte du risque de tassement intégrant les caractéristiques liées au matériel utilisé permet de trouver le meilleur compromis entre accroissement du débit de chantier et limitation du poids pour intervenir en bonnes conditions.
Discussion générale et perspectives
Intérêts, limites et usages de l’outil J-DISTAS
Le projet J-DISTAS a permis de construire un prototype d’outil de calcul des jours disponibles qui tient compte de la travaillabilité et de la traficabilité du sol. Cet outil a pour vocation d’aider à prendre du recul lors de choix stratégiques en évaluant le nombre de jours disponibles régulièrement atteint lors des 20 dernières années pour des combinaisons d’intérêt (site étudié, culture, pratiques agricoles, matériel). Pour ce faire, il est nécessaire de recourir à des modèles de culture pour estimer l’état hydrique du sol, qui est utilisé pour le calcul de différents indicateurs. L’utilisation de données estimées et non mesurées introduit un biais, qui est acceptable pour une utilisation stratégique de J-DISTAS (estimation du nombre de jours disponibles pour chacune des 20 dernières années), mais pas pour un usage tactique (décision d’intervention au jour le jour). Cette limitation à un usage stratégique est cohérente avec les attentes identifiées lors de l’enquête préalable au projet J-DISTAS, menée en 2016 (Ben Romdhane, 2016). Cette enquête avait en effet mis en évidence le besoin d’outil de calcul des jours disponibles pour du conseil stratégique uniquement, et les personnes enquêtées considèrent que les agriculteurs n’ont pas besoin de modèle de calcul des jours disponibles pour décider d’effectuer ou retarder une opération culturale (et donc pour une utilisation à visée tactique).
L’exemple d’application présenté ici montre comment le calcul des jours disponibles peut être utilisé pour aider au dimensionnement du parc matériel. Avec les outils antérieurs à J-DISTAS, le nombre de jours disponibles pour une opération donnée était indépendant du matériel (tracteur et outil) utilisé pour cette opération. Le nombre de jours disponibles permettait alors uniquement d’identifier un débit de chantier minimum nécessaire. L’outil J-DISTAS permet d’aller plus loin en prenant en compte les caractéristiques des outils utilisés (poids et pneumatiques) : si pour accroitre le débit de chantier il faut augmenter le poids du matériel, cela peut se traduire par un accroissement du risque de tassement donc par une réduction du nombre de jours disponibles. Plus qu’un débit de chantier minimum nécessaire, il devient donc possible de chercher le meilleur compromis entre débit de chantier et souplesse d’utilisation. Pour aller plus loin, il reste à croiser ces informations avec les charges de mécanisation, elles aussi dépendantes du matériel.
Une autre application de l’outil J-DISTAS concerne l’étude de la faisabilité d’opérations, et notamment de chantier lourd avec des risques de tassement accrus. A titre d’exemple, l’arrachage de betterave pose de plus en plus de questions dans un contexte d’allongement des campagnes et d’alourdissement du matériel de récolte. De même, le développement de la méthanisation pose des questions sur les possibilités d’apport de digestat en sortie d’hiver.
Enfin, le calcul des jours disponibles peut être utilisé pour évaluer la faisabilité de systèmes de culture. Des travaux sont en cours dans le cadre du projet national EXPE Ecophyto MadeInAB sur l’évaluation multicritères de systèmes de grandes cultures biologiques ; la faisabilité des opérations culturales est considérée à travers l'adéquation entre stratégie de conduite des cultures envisagées et jours disponibles pour intervenir au champ dans de bonnes conditions.
Au-delà du nombre de jours disponibles, l’outil J-DISTAS donne le niveau d’aptitude pour chaque critère et chaque jour, ce qui permet d’identifier les principaux critères limitant la disponibilité d’un jour et de réfléchir aux solutions adaptées pour augmenter le nombre de jours disponibles ou la surface travaillable.
Évaluation de l’outil
Les travaux conduits dans le projet ont permis de valider le choix des différents indicateurs utilisés (le ratio w/wpf2, l’indicateur climatique Ʃ(P-ETP)5j, le SCI max par couche) et de définir des valeurs seuils. Faute de données suffisantes, il n’a pas toujours été possible d’évaluer ces seuils sur des jeux de données indépendants de ceux ayant servi à leur construction. Ce travail devra donc être poursuivi lorsque de nouvelles données seront disponibles.
Au-delà du travail sur les indicateurs, une évaluation de l’outil dans sa globalité est en cours pour mesurer sa capacité à classer correctement les jours. Cette étape est indispensable pour connaitre les performances de l’outil et la fiabilité des résultats qui en sont issus. Cependant, les données nécessaires pour évaluer la capacité de l’outil à classer correctement les jours sont actuellement trop peu nombreuses. La principale source de données est en effet l’ensemble des observations et mesures réalisées dans le cadre du projet J-DISTAS. Des enquêtes complémentaires ont été réalisées en 2022 sur les opérations de récolte de maïs grain et de betterave, trop peu représentées dans le jeu de données initial, pour disposer d’informations sur la faisabilité de ces opérations dans différents contextes pédoclimatiques. Cependant, les conditions climatiques sèches de l’automne 2022 étaient telles que les conditions étaient très majoritairement favorables à la réalisation des opérations ciblées dans les enquêtes. De nouvelles phases d’acquisitions de données seront donc probablement nécessaires pour évaluer l’outil dans une gamme de situations contrastées, la plus représentative possible des conditions rencontrées en France métropolitaine.
En complément, une étude est en cours pour mieux connaitre la sensibilité de J-DISTAS aux données d’entrée, en se concentrant sur celles qui sont les plus difficiles à connaitre pour l’utilisateur. Cette analyse de sensibilité permettra d’identifier les paramètres à définir avec le plus de soin pour obtenir des résultats fiables.
Enfin, l’utilisation de l’outil dans différents cas-types va permettre de déceler d’éventuelles situations de mise en défaut, donc de les corriger et finalement augmenter sa robustesse. Cette étape est indispensable pour que le prototype puisse être stabilisé.
Améliorations de l’outil à prévoir
Une limite majeure actuellement identifiée dans la phase de construction de l’outil J-DISTAS est le calcul de la travaillabilité
Celui-ci s’appuie sur le ratio de la teneur en eau du sol au moment de l’opération culturale et de la teneur en eau du sol à la capacité au champ (w/wPF2), qui est ensuite comparé à des valeurs seuils. Ces valeurs seuils ont été établies grâce aux mesures et observations réalisées dans le cadre du projet J-DISTAS, cependant les situations extrêmes (sol sec ou à l’inverse très humide) sont peu représentées dans le jeu de données. De plus, ces données ont été acquises sur un nombre restreint de sites, non représentatifs de la diversité pédoclimatique Française. Il serait donc utile d’acquérir des données complémentaires pour, a minima, évaluer ces seuils sur des situations plus diversifiées et, si nécessaire, les corriger.
Enfin, une fois les évaluations terminées et le prototype stabilisé, il pourra être utile de faire évoluer la forme de l’outil pour qu’il soit plus facile à prendre en main, et donc puisse être utilisé plus largement.
Conclusion
Le projet J-DISTAS a permis la création d’un outil, actuellement au stade de prototype, qui intègre la traficabilité et la travaillabilité pour évaluer le nombre de jours disponibles. Cet outil repose sur le calcul d’indicateurs grâce à différents modèles, et leur agrégation selon un ensemble de règles de décisions propre à chaque opération culturale. Les travaux doivent encore être poursuivis pour évaluer l’outil et l’améliorer.
Ce nouvel outil permet de traiter la question des jours disponibles dans toutes ces dimensions pour éclairer les décisions stratégiques, qu’il s’agisse de chercher un compromis entre débit de chantier et souplesse d’utilisation pour préserver la structure du sol lors d’un achat de matériel agricole, ou d’évaluer la faisabilité avant de faire évoluer le système de culture.
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