Le protocole d’accord pour une agriculture durable dans le territoire du bassin Sèvre niortaise – Mignon
Un levier pour accélérer la transition agroécologique et l’adaptation au changement climatique
Frank MICHEL*, Thierry BOUDAUD**
* Chargé d’études économiques à la Chambre Régionale d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine – Contact : frank.michel@na.chambagri.fr
** Agriculteur à Amuré (Deux-Sèvres), Président de la Coop de l’eau 79
Introduction
Le bassin Sèvre-Mignon, qui alimente en eau le Marais-Poitevin par l’Est, est classé en zone de répartition des eaux (ZRE), ce qui traduit un déséquilibre quantitatif persistant entre les ressources disponibles et les prélèvements. Afin de réduire ce déséquilibre et parvenir au « bon état des eaux », le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) Loire-Bretagne a fixé des objectifs chiffrés concernant les débits et les niveaux à atteindre. Cela se traduit sur le bassin par une baisse des prélèvements agricoles en printemps-été de 60 % d’ici 2025 (-8,2 Mm3).
Créée en 2011 pour cela, la Coopérative de l’eau 79 porte le projet de construction de 16 réserves de substitution, d’une capacité de 200 000 m3 à 700 000 m3, surnommées par leurs opposants des « mégabassines », pour stocker 6,2 Mm3 prélevés dans les nappes superficielles lorsqu’elles sont en excédent l’hiver (période du 01/11 au 31/03). Ce projet permettra de conserver un volume total d’irrigation de 12 Mm3 sur le bassin Sèvre-Mignon, mais avec des prélèvements estivaux réduits à moins de 6 Mm3 à terme, soit trois fois moins que les volumes actuellement autorisés.
Pour être financée à 70 % par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne (AELB) et le Conseil régional Nouvelle-Aquitaine, la construction des réserves de substitution doit s’inscrire dans un projet de territoire de gestion des eaux (PTGE) et d’adaptation au changement climatique, associant toutes les parties prenantes : dans une gestion collective transparente, le but est de sécuriser des ressources en eau pour l’agriculture, en y intégrant des objectifs sur l’évolution des pratiques agricoles vers l’agroécologie, la préservation de la biodiversité et la reconquête de la qualité de l’eau.
À la suite d’une médiation organisée par la Préfecture des Deux-Sèvres, un projet de territoire a fait l’objet d’un « protocole d’accord pour une agriculture durable dans le territoire du bassin Sèvre Niortaise - Mignon », signé en décembre 2018 par la majorité des acteurs de l’eau du Marais Poitevin (1). Il a ensuite acquis le label « PTGE » et s’est traduit concrètement dans un plan d’action cofinancé par l’AELB (le CTGQ, contrat territorial de gestion quantitative) et le Conseil régional Nouvelle-Aquitaine.
Ce protocole unique en France est innovant à plus d’un titre : d’une part, la gestion de l’eau et des autorisations individuelles de prélèvement est assurée par l’EPMP (Établissement Public du Marais Poitevin), un organisme d’État qui assure la mission d’OUGC (Organisme Unique de Gestion Collective) ; d’autre part, les irrigants doivent s’engager dans des changements de pratiques avec obligation de résultats, sous peine de se voir retirer tout ou partie de leurs volumes autorisés ; enfin, un volet d’engagements collectifs a été signé par les opérateurs économiques amont et aval du territoire pour maintenir l’élevage et développer des filières locales, notamment dans le cadre de programmes alimentaires territoriaux (PAT) : agriculture biologique (AB), protéines végétales, alimentation du bétail non OGM, légumes, semences…
Nous voulons démontrer ici que l’articulation entre les engagements individuels et collectifs des agriculteurs, une répartition ciblée et priorisée des volumes autorisés et le développement de filières alimentaires locales constituent un puissant levier de transition agroécologique, déjà bien entamée dans les systèmes irrigués, et de maintien d’activités non délocalisables en milieu rural. Les réserves ne sont qu’un des outils, parmi d’autres, de cette stratégie.
1/ Un bassin de polyculture-élevage encore diversifié à l’entrée du Marais Poitevin
Le bassin Sèvre-Mignon fait partie du « seuil du Poitou », à la confluence des massifs centraux et armoricains et des bassins calcaires jurassiques aquitain et parisien, travaillé par de multiples jeux de failles. Le sous-sol karstique est constitué de couches de calcaires plus ou moins fissurés, en alternance comme un mille-feuille avec des couches de marnes imperméables, constituant ainsi deux principaux jeux de nappes, en plus des nappes d’accompagnement des cours d’eau : les unes sont superficielles (de 10 à 50 mètres) et très réactives aux précipitations ; les autres sont profondes (plus de 120 mètres, dans les couches infra-toarciennes), et ne sont pas concernées par le projet car réservées à l’eau potable.
Les exploitations agricoles ont accès à différents étages agroécologiques : surfaces alluviales ou de marais, drainées ou non, côteaux et plateaux avec des bancs argilocalcaires et des groies en général à faible réserve utile. C’est sur ces dernières que l’irrigation s’est développée quand l’eau était accessible.
Selon le recensement agricole de 2020 (Agreste, 2022), il y a 1 881 exploitations ayant une surface agricole sur le bassin, dont 390 irriguent (21 %). Les surfaces irriguées atteignent 8 % de la SAU (16 000 ha), et elles sont en baisse de 1 700 ha par rapport à 2010 (-10 %). Sur la même période 2010-2020, le nombre d’exploitations irrigantes a baissé trois fois moins vite que le nombre d’exploitations en sec, de 7 % contre 22 %. En 2020, les surfaces irriguées du bassin Sèvre-Mignon représentaient les trois-quarts des surfaces irriguées des Deux-Sèvres.
Les céréaliers spécialisés représentent environ la moitié des agriculteurs du bassin et exploitent la même proportion des surfaces. Les éleveurs de ruminants (bovins lait et viande, ovins viande, caprins lait) en représentent un gros quart (30 %), les polyculteurs-éleveurs 15 % et les maraîchers ou horticulteurs 5 %. Les irrigants représentent 20 % à 25 % des exploitations dans les différents systèmes de production, sauf en maraîchage-horticulture, où ils sont plus de 85 %.
2/ Au démarrage du projet Sèvre-Mignon, une irrigation déjà engagée dans la sobriété avec la baisse de moitié des volumes prélevés en 20 ans
2-1/ L’irrigation n’a pu se développer sur le bassin que durant une courte « fenêtre de tir » d’une quinzaine d’années
Les premiers systèmes irrigués apparaissent après la sécheresse de 1976, encore dans toutes les mémoires. Sans aménagements publics ni subventions dédiées, l’irrigation du bassin n’a pu être adoptée que par une minorité d’exploitations ayant de fortes capacités d’investissements, principalement les exploitations céréalières et bovines laitières les plus grandes.
Sans gestion collective ni régulation des volumes prélevés dans les masses d’eau, les prélèvements agricoles dépassent 24 Mm3 à la fin des années 90, presque le double d’aujourd’hui : des assecs rarement vus auparavant se multiplient à partir de 1987, aboutissant à des conflits d’usage de plus en plus vifs autour des niveaux d’eau dans le Marais Poitevin (bateliers, ostréiculteurs, céréaliers, éleveurs herbagers, pêcheurs…).
La loi sur l’eau de 1992 stoppe net la construction de forages, encadre de plus en plus strictement les prélèvements dans le milieu et oblige les irrigants à installer des compteurs d’eau (2). Ils sont tous équipés à partir de 1999, ce qui a permis ensuite à l’Agence de l’eau de définir un volume autorisé de référence pour chaque irrigant, calculé sur sa consommation historique. Cette disposition, outre qu’elle a pénalisé les irrigants ayant déjà fait des économies d’eau, a figé une situation inégalitaire et empêché de nouveaux entrants d’irriguer, la « fenêtre de tir » s’étant refermée avec l’arrêt des forages et l’encadrement individuel des volumes.
2-2/ Les irrigants vivent la « décroissance quantitative » depuis plus de vingt ans
Durant les années 2000, des politiques publiques actives pour résorber les déficits quantitatifs se sont imposées, avec des abattements forfaitaires pour économies d’eau d’environ un tiers, ramenant l’ensemble des prélèvements autorisés en-dessous de 20 Mm3 en 2011, dont environ 15 Mm3 prélevés dans le milieu l’été, au lieu de 22 Mm3 au début des années 2000 (voir figure 2). Malgré cette baisse, les surfaces irriguées se sont à peu près maintenues, les agriculteurs ayant réduit de 25-30 % les consommations d’eau à l’hectare irrigué.
Les volumes prélevables dans le milieu l’été doivent encore être divisés par trois d’ici 2025 : d’où le projet des réserves de substitution pour garder le potentiel irrigable actuel d’environ 16 000 ha. Si le projet n’aboutissait pas, les surfaces irriguées seraient divisées par presque trois, une partie significative d’économies d’eau ayant encore été faite ces dernières années, avec un pilotage plus fin de l’irrigation (compteurs et sondes capacitives connectés, micro irrigation, équipements sobres…).
2-3/ Des autorisations de prélèvements fortement réduites par rapport aux volumes de référence établis en 2011, mais mieux réparties entre irrigants
L’AUP 2016-2022 (Autorisation Unique de Prélèvements) prévoit une baisse supplémentaire des volumes estivaux de 20 % pour l’ensemble des bassins déficitaires du Marais Poitevin (3). Cette AUP a été attaquée et annulée par le tribunal administratif de Poitiers le 9 mai 2019, qui précise que d’ici 2022 « les prélèvements autorisés seront plafonnés à hauteur de la moyenne des prélèvements annuels effectivement réalisés, calculée sur les dix campagnes précédentes (2009-2018) ».
En 2020 et 2021, les volumes autorisés ont été établis en appliquant la décision du tribunal au plan annuel de répartition (PAR) initialement prévu pour 2021, ce qui a conduit à une réduction moyenne des volumes prélevés dans le milieu l’été de 39 %. Dans les zones où les programmes de substitution ne sont pas achevés comme sur Sèvre-Mignon, cette baisse ne s’applique pas aux irrigants ayant moins de 20 000 m3 autorisés. Comme le montre la figure 3, le fait d’appliquer ces abattements a conduit à une bien meilleure répartition des volumes entre irrigants.
En considérant le PAR 2021 comme la dernière « photographie » de la répartition des volumes entre irrigants en 2011, la distribution des volumes réellement autorisés aujourd’hui (AUP) montre une toute autre physionomie que celle figée par l’instauration de références individuelles basées sur les volumes consommés au début des années 2000 : alors qu’un quart des irrigants ayant plus de 100 000 m3 détenait la moitié des volumes prélevables en 2011, ils ne sont plus aujourd’hui que 6 % et se partagent 20 % des volumes ; à l’opposé, les irrigants ayant moins de 40 000 m3, presque deux fois plus nombreux qu’il y a dix ans, utilisent aujourd’hui près 28 % des volumes, contre 12 % en 2011.
Sous condition d’un accès sécurisé à l’eau, cette meilleure répartition des volumes permet d’envisager plus sérieusement qu’avant des stratégies de diversification des cultures et des pratiques agronomiques avec l’irrigation, notamment la recherche de valeur ajoutée par m3 dans un contexte de décroissance de la ressource en eau.
3/ Des surfaces irriguées plus diversifiées, répondant aux attentes sociétales
3-1/ Baisse de 10 % des surfaces irriguées et effondrement de la part du maïs grain standard
Dans les Deux-Sèvres comme dans tous les départements de l’ex-Poitou-Charentes, les surfaces de maïs grain irrigué se sont effondrées : elles ont été divisées par trois depuis vingt ans et par deux depuis dix ans (fig.4). Ce mouvement s’est accéléré depuis 2012-2013, avec un ciseau des prix défavorable au maïs grain (prix à la production bas entre 2013 et 2019, hausse du prix de l’électricité depuis 2015, renchérissant le prix de l’eau). La multiplication des restrictions estivales (4) a aussi conduit les irrigants à se diversifier vers des cultures ayant des pics de demande d’eau plus précoces.
Les surfaces de maïs irriguées ont été remplacées pour les trois-quarts par des céréales et oléagineux irrigués au printemps et pour un quart par des cultures diversifiées à plus forte valeur ajoutée.
3-2/ Diversification des cultures irriguées : en quête de cultures rémunératrices et de valeur ajoutée
Dans le contexte de baisse des volumes d’eau disponibles et d’augmentation de son coût d’accès (prix de l’énergie, infrastructure coûteuse), les irrigants ont eu pour stratégie de rechercher d’une part une meilleure efficience de l’eau en sécurisant avec moins d’eau les rendements des céréales d’hiver sous contrat (blé dur, blé meunier, orge de brasserie…) et des oléagineux (tournesol), et d’autre part de rechercher les cultures à plus forte valeur ajoutée (protéagineux, semences, légumes…), dont le développement est aujourd’hui bridé par l’insécurité d’accès à l’eau en fin de campagne faute de stockage…
La conversion à l’agriculture biologique (AB) fait largement partie de ces stratégies : la part des irrigants en bio est de 16 % en 2020 contre 10 % des exploitations dans les systèmes sans irrigation (fig. 5), soit une proportion significativement supérieure. Notons que la proportion des irrigants en AB était déjà le double de celle des agriculteurs AB en sec en 2010.
La recherche de valeur ajoutée passe en même temps par la diversification des cultures irriguées (fig. 6). Ainsi, les surfaces de protéagineux, de légumes secs et de plein champ, de semences, de PPAM (plantes à parfum, aromatique et médicinales), de maraîchage… passe de 9 % à 12 % des surfaces irriguées entre 2010 et 2020.
En décomposant les surfaces irriguées 2020 entre conventionnel et AB, on constate que près du tiers (31 %) des surfaces AB irriguées se sont diversifiées ainsi, contre 10 % en conventionnel : l’irrigation ouvre en effet un champ « des possibles agronomiques » bien plus large, et les agriculteurs à la recherche de valeur ajoutée et de rémunération se sont engouffrés dans l’agriculture biologique et/ou des filières de niche rémunératrices. Ce mouvement a continué en 2021 : selon l’agence bio, le nombre d’agriculteurs en AB a encore augmenté de 10 % et les surfaces de 7,8 % en Deux-Sèvres par rapport à 2020 (5). Par contre, nous observons des déconversions depuis 2022, faute de débouchés en AB (grandes cultures, volailles et lait de vache principalement).
La figure 7 suivante montre que la proportion des irrigants chez les agriculteurs conventionnels (20 %) est moins importante d’un tiers que chez les agriculteurs en AB (29 %).
On remarque qu’un tiers des éleveurs de bovins laitiers et 38 % des polyculteurs-éleveurs en AB sont des irrigants, contre respectivement 24 % et 23 % dans ces systèmes en AB en sec.
3-3/ L’eau sécurisée constitue un puissant levier de conversion à l’agriculture biologique : exemple autour des réserves du bassin Autizes-Vendée
Le bassin Autizes-Vendée se situe au nord-est du Marais Poitevin, et il fait la frontière nord-ouest du bassin Sèvre-Mignon. Il a les mêmes caractéristiques pédoclimatiques et hydrogéologiques que lui, mais dispose depuis une quinzaine d’années de 20 réserves de substitution en gestion collective, d’une capacité de stockage hivernal de 8,7 Mm3.
C’est la conversion des irrigants à l’agriculture biologique qui caractérise le mieux l’évolution de l’agriculture de ce bassin depuis que l’eau est sécurisée (fig. 8 et 9). Près de la moitié (46%) des agriculteurs en AB sont des irrigants, et près du quart des irrigants (23%) sont en AB, contre respectivement 29% et 12%.
Mais c’est aussi la rapidité du phénomène qui est remarquable : un quart des surfaces irriguées est en AB en 2020 ; c’est 2,5 fois plus que pour les surfaces en sec (11 %), alors que ces proportions étaient très proches dix ans auparavant.
En comparant le développement de l’agriculture biologique dans les systèmes de production irrigués des deux bassins limitrophes et similaires Sèvre-Mignon et Autizes-Vendée, nous pensons démontrer que l’eau sécurisée l’été permet un développement beaucoup plus rapide de l’agriculture biologique en élargissant considérablement les choix possibles de cultures. Nous avons fait un focus sur l’AB car c’est un indicateur fiable des pratiques agroécologiques. Et bien des axes de recherches seraient les bienvenus pour améliorer les connaissances sur les « possibles agronomiques » dans le cadre d’une irrigation contrainte, documentant ainsi l’adaptation des systèmes agraires au réchauffement climatique.
4/ Le protocole Sèvre-Mignon permet d’accélérer la transition agroécologique déjà engagée
Nous souhaitons mettre en débat la question suivante : est-ce que le protocole du bassin Sèvre-Mignon, et la construction des 16 réserves qui va avec, constitue ou non un levier pour accélérer la transition agroécologique ?
4-1/ Engagements individuels des irrigants dans la transition agroécologique
C’est la première fois en France que le règlement intérieur d’un Organisme Unique de Gestion Collective (OUGC) prévoit de conditionner chaque année l’accès à l’eau au respect d’engagements pris individuellement sur la base d’un diagnostic des pratiques agricoles. En cas de non engagement d’un irrigant, son volume lui est retiré et si les objectifs ne sont pas atteints, une réfaction est faite sur les volumes jusqu’au respect des objectifs. Ces volumes sont mis dans une réserve destinée aux nouveaux entrants ou aux petits volumes.
Les engagements portent sur plusieurs volets simultanément et concernent toutes les exploitations : celles qui sont en AB ou en HVE s’engagent à rester dans les cahiers des charges, et à participer au volet biodiversité (trames verte et bleue). Les autres doivent s’engager sur plusieurs volets. L’engagement principal porte sur la réduction des produits phytopharmaceutiques (PPP) de 50 % entre 2018 et 2025, avec les pratiques suivantes :
- Rotations culturales sur 5 ans (3 cultures) ; (*)
- Techniques de lutte alternative (désherbage mécanique ou biocontrôle ou autres) ;
- Agriculture de conservation des sols ;
- Réduction des PPP pour toutes les cultures vers l’IFT de référence régional du réseau DEPHY.
Le second groupe d’engagements est relatif aux pratiques agricoles et culturales :
- Autonomie fourragère ;
- Maintien des prairies naturelles ; (*)
- Association de cultures ;
- Diversification des productions et allongement des rotations. (*)
Enfin, les irrigants doivent souscrire des engagements en faveur de la biodiversité, en cohérence avec les schémas directeurs proposés par les associations de protection de la nature compétentes :
- Mise en place des cultures intermédiaires au-delà de la durée réglementaire ; (*)
- Mise en place des bandes enherbées autour d’écoulements identifiés ; (*)
- Mise en défens de cours d'eau contre l’accès et le piétinement des animaux d’élevage ;
- Implantation de parcelles en agroforesterie ; (*)
- Implantation de jachères faune sauvage ou mellifère ; (*)
- Maintien ou plantation de haies pour atteindre l'indice de maillage du territoire (corridors écologiques) ; (*)
- Protection de l’agrifaune de la plaine de Niort. (*)
Les engagements peuvent également consister pour les irrigants à participer à un programme de recherche et développement : systèmes de cultures innovants (SDCI) ; trois cultures en deux ans ; groupes collectifs d’amélioration des pratiques ; programmes pilotes sur les couverts végétaux…
(*) : Définis en 2018, une bonne partie des engagements sur les rotations, la diversification des cultures ou les infrastructures agroécologiques font aujourd’hui partie des conditions d’accès aux aides de la PAC 2023-2027, comme les écorégimes, les BCAE (bonnes conditions agricoles et environnementales, les MAEC (mesures agroenvironnementales climatiques)… Sans aller jusqu’à le qualifier de « visionnaire », ce protocole anticipe et s’inscrit bien dans les trajectoires des politiques publiques agricoles.
4-2/ Priorité aux nouveaux entrants et à la création de valeur ajoutée
Le règlement intérieur de l’OUGC révisé par le protocole (CTGQ) prévoit en priorité le renforcement des petits volumes par UTH (Unité de Travail Humain), les transferts de cultures du marais vers les terres hautes avec remise en prairie, et enfin les projets destinés à renforcer ou soutenir :
- Les exploitations certifiées par un label bio ou en projet de conversion ;
- Les pratiques agricoles permettant l’amélioration de la qualité de l’eau en particulier sur les périmètres des aires d’alimentation de captages ;
- Les cultures à haute valeur ajoutée ;
- L’élevage et la sécurisation de la production fourragère ;
- Le maraîchage ;
- Les projets de filière.
Entre 2018 et 2021, il y a eu 20 nouveaux entrants pour 13 sortants, ce qui démontre que l’irrigation dans un projet collectif de territoire permet de recréer de l’emploi dans la production agricole en partageant l’eau (fig. 10).
Sur les vingt nouveaux projets bénéficiant d’un volume d’eau, il y a sept maraîchers, dont six en bio, bénéficiant de volumes moyens d’environ 6 000 m3 (soit de quoi irriguer 1,5 à 2 ha), cinq éleveurs et huit céréaliers, bénéficiant respectivement de volumes moyens de 35 000 m3 et de 80 000 m3.
4-3/ L’implication décisive des opérateurs économiques locaux dans les engagements collectifs
Signataires du protocole, la plupart des opérateurs aval (collecte, transformation), coopératives et négoces agricoles, se sont engagés d’une part dans l’accompagnement des agriculteurs dans les changements de pratiques, et d’autre part dans la création ou la pérennisation de filières en lien avec l’accès à de l’eau sécurisée l’été, notamment pour alimenter des débouchés locaux en pleine expansion (soja non OGM, projets alimentaires territoriaux (PAT), magasins de producteurs, filières sur Nantes et Bordeaux…).
Sans être exhaustif, citons l’exemple d’Alicoop, fabricant d’aliment du bétail : associé à cinq autres coopératives locales, il a lancé un ambitieux projet de développement de la filière soja non-OGM dans les bassins limitrophes du Marais Poitevin : l’objectif est de produire 24 000 tonnes de tourteaux de soja pour 5 000 éleveurs, soja qui ne sera plus importé des zones de déforestation de l’Amazonie. Il faudra donc 10 000 hectares de soja (presque entièrement irrigués) d’ici 2030 pour solvabiliser la filière, et donc un accès à des volumes d’eau sécurisés l’été suffisants (20 Mm3), « toutes les autres planètes étant favorablement alignées », selon un de ses promoteurs, sachant que le soja, comme le maïs, a un pic de demande d’eau à l’étiage, ce qui restera une limite dans les zones tendues.
L’eau sécurisée est également cruciale pour la survie de la Coopérative laitière de la Sèvre (CLS), qui compte deux sites de transformation sur le bassin (beurre AOP, lait UHT non-OGM, fromages de chèvre AOP ou au lait cru, ingrédients…) avec 160 salariés, et dont les deux-tiers de la collecte de lait de vache dépend étroitement de l’irrigation.
5/ Passer à un autre paradigme pour s’adapter au changement climatique
Bien que les irrigants du bassin Sèvre-Mignon aient connu de fortes baisses de volumes prélevables, ils se sont de plus en plus tournés vers des cultures de diversification (fourrages, semences, légumes…) et la conversion à l’agriculture biologique pour compenser la baisse de rentabilité du maïs grain et les aléas économiques liés aux restrictions, dans une zone intermédiaire à potentiel pédoclimatique très moyen (60-65 q/ha de blé en sec). Et dès que l’eau est sécurisée par des réserves de substitution comme dans le bassin Autizes-Vendée voisin, ces évolutions s’accélèrent.
Le projet Sèvre-Mignon cherche au fond à s’inscrire le plus possible dans un contexte de transition et d’adaptation au changement climatique pour mieux les anticiper, et transmettre quelque chose de viable aux générations suivantes. Pour cela, nous proposons quatre piliers indissociables pour agir, comme le sont les quatre pieds d’une table : s’il en manque un tout tombe.
- Économiser l’eau : le premier pied est basé sur la sobriété des usages face à la baisse des ressources disponibles : les volumes prélevables totaux doivent encore baisser de 2 Mm3 avec la construction des réserves, après avoir été divisés par deux en vingt ans. Cette réduction du projet initial a été actée par les irrigants comme une adaptation au changement climatique et à la raréfaction des ressources en eau que cela entraînera. Chaque irrigant est équipé d’un compteur télécommunicant qui suit sa consommation en temps réel, ce qui permet à chacun et à l’OUGC de mieux piloter l’irrigation sur toute la campagne, le stockage permettant d’étaler les besoins selon les cultures et l’assolement, gérés collectivement.
- Réduire drastiquement les prélèvements dans le milieu l’été : le second pied est basé sur la substitution, et la viabilité du projet s’appuie sur des règles de remplissage hivernal strictes, qui limitent au maximum l’impact des prélèvements en établissant des seuils minimaux pour éviter de perturber le milieu. Par exemple, le remplissage de la seule réserve du projet construite à Mauzé-sur-le-Mignon (SEV 17), d’une capacité de 240 000 m3, a été remplie du 09/12/2022 au 15/02/2023 en prélevant 1,1 % de la nappe qui alimente le Mignon, où se sont écoulés sur cette période 22,4 Mm3 vers le marais, puis l’océan. En retour, la forte baisse des prélèvements estivaux permettra aux irrigants non connectés aux réserves, donc prélevant dans le milieu l’été, de connaître moins de restrictions.
- Protéger l’eau : le troisième pied conditionne l’accès à l’eau au respect des engagements sur les pratiques agricoles et la préservation/restauration de la biodiversité. Il s’agit en fait d’accélérer la transition agroécologique, déjà bien engagée, grâce au « champ des possibles agronomiques » permis par une eau à l’accès sécurisé, sachant que la recherche de valeur ajoutée peut ici rimer avec demande sociale et sociétale, comme par exemple l’agriculture biologique ou le développement de filières locales diversifiées, notamment des protéines végétales destinées à l’alimentation humaine, en plein boom.
- Partager l’eau : enfin, le quatrième pied organise le partage de l’eau entre irrigants : d’une part en priorisant la création de valeur ajoutée et l’élevage ; et d’autre part en garantissant un accès à l’eau aux nouveaux entrants qui en font la demande, dans un contexte tendu. Pour un projet construit pour au moins deux générations, c’est l’unique voie pour assurer le renouvellement des irrigants, dont la moitié a aujourd’hui plus de 50 ans.
Le projet du bassin Sèvre-Mignon conserve toutefois une faiblesse structurelle dans son portage, car la Coop de l’eau 79, créée en 2011 pour l’assurer face au refus des collectivités territoriales compétentes de le faire, ne peut plus assurer cette mission seule. D’intérêt général, le portage doit devenir public, et donc être transféré aux collectivités territoriales compétentes dans la gestion de l’eau, avec une gouvernance élargie à tous les acteurs. C’est ce que demandent les irrigants, qui souhaitent passer d’un compromis fragile pour chacun à la construction d’un « commun » transmissible à tous.
Références bibliographiques
Références
(1) : Protocole d’accord pour une agriculture durable dans le territoire du bassin Sèvre Niortaise – Mignon : https://www.deux-sevres.gouv.fr/Actions-de-l-Etat/Environnement-eau-risques-naturels-et-technologiques/Projet-de-construction-de-reserves-de-substitution-bassin-versant-Sevre-Niortaise-et-Mignon/Porter-a-connaissance-n-1-avril-2020/PROTOCOLE-D-ACCORD-SIGNE
(2) : Retenues de substitution d'irrigation dans les Deux-Sèvres - Rapport CGEDD (Hugues AYPHASSORHO) et CGAAER (Roland RENOULT) – Juillet 2018 : https://www.vie-publique.fr/rapport/37655-retenues-de-substitution-dirrigation-dans-les-deux-sevres
(3) : Plaquette de communication AUP2 – EPMP – 2022 : https://www.epmp-marais-poitevin.fr/ougc/
(4) : Ministère de la Transition Écologique et de la Transition des Territoires : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/leau-en-france-ressource-et-utilisation-synthese-des-connaissances-en-2021#:~:text=connaissances%20en%202021-,L%E2%80%99eau%20en%20France%20%3A%20ressource%20et%20utilisation%20%2D,Synth%C3%A8se%20des%20connaissances%20en%202021&text=Ressource%20naturelle%20abondante%20en%20France,%2C%20refroidissement%20des%20centrales%20%C3%A9lectriqu
(5) : Agence Bio : observatoire de la production bio : https://www.agencebio.org/vos-outils/les-chiffres-cles/observatoire-de-la-production-bio/observatoire-de-la-production-bio-nationale/observatoire-de-la-production-bio-sur-votre-territoire/?level=department&area=79
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