Les Annales Agricoles de Roville, par C.J.A. Mathieu de Dombasle
Il y a deux siècles naissait la première revue périodique agronomique française
Note de lecture réalisée par Marc Benoit*
*Association française d’agronomie, paysagro@gmail.com
Une revue à parution régulière et de longue portée
Cette revue périodique, a paru de 1824 (premier numéro) à 1837 (dernière année de publication). Elle doit sa réputation aussi à son éditeur, Marie-Rosalie Huzard, qui a soutenu l’édition de très nombreux ouvrages sur l’agriculture. Marie-Rosalie Huzard couvrit la fin du XVIIIème siècle et la moitié du XIXème siècle (1767-1849).
En 1822, soit deux ans avant le premier numéro des A.A.R., CJA Mathieu de Dombasle pose les bases de l’institut agricole de Roville, en Lorraine. Son ambition est triple :
- Créer des méthodes d’observation in situ de nouveaux systèmes de culture,
- Initier la première revue agronomique en langue française : les Annales agricoles de Roville,
- Enfin, innover en pratique pédagogique, pour former ceux qui seront en responsabilité de mettre en œuvre de nouvelles pratiques culturales.
De cet institut sortiront des agronomes, dont Auguste Bella et Jules Rieffel, créateurs dans la veine de l’institut agricole de Roville, des écoles de Grignon et de Grand Jouan, initiatrices des écoles agronomiques de Grignon et Rennes.
Une revue accueillant les résultats d’observation in situ
C.J.A. Mathieu de Dombasle a tenu une ligne éditoriale permanente dans les Annales de Roville : mettre en forme des résultats d’observation de plein champ, et accueillir des lectures critiques, parfois virulentes, d’ouvrages remarquables de l’époque. Sa maîtrise de l’anglais, et surtout de l’allemand, ont soutenu une permanente ouverture européenne (Knittel, 2010), en ce début de XIXème siècle. Ainsi, la revue rendra compte régulièrement des travaux de l’agronome Albrecht Thaër (Frielinghaus M., Dalchow C., 2007). Thaër eut une grande influence sur le contenu intellectuel des Annales de Roville, lui qui affirmait que les résultats expérimentaux n’ont de valeur que s’ils sont corroborés par la pratique quotidienne du praticien. Si l’art confirme la science, alors Mathieu de Dombasle en déduit la validité de l’une et l’autre : « M. Thaër, praticien expérimenté, a contrôlé les résultats de l’analyse par ceux de l’expérience [i.e. la pratique] ». Ce calage scientifique sur les liens entre analyse des faits agronomiques et pratique agricole caractérise le point de vue éditorial de cette première revue agronomique française.
Pour lui, la théorie (scientifique) doit être validée par la pratique (de l’art) sans quoi elle n’est que conjecture. Il met en avant le primat de la pratique et de l’observation en plein champ. Approche qui s’éloigne nettement de la formation de chimiste reçue par Mathieu de Dombasle à l’École centrale, fondée sur une approche de type expérimentale. Il devient spécialiste de mécanique des forces et de l’analyse physique des sols dont il devient un spécialiste reconnu dans les années 1820 après la publication de son Mémoire sur la charrue (Mathieu de Dombasle, 1821). Ce texte fondateur de sa réputation d’agronome du labour, précéda et confirma son intention de lancer une revue périodique.
Une revue qui introduit les premières méthodes agronomiques
Le diagnostic agronomique, nommé « la clinique agricole »
Voici comment C.J.F. Mathieu de Dombasle justifie la nécessaire pratique de l’observation agronomique critique, qu’il nomme la clinique agricole (Benoit, Knittel, 2002) : « mais ce serait se faire illusion que de croire que l’examen des terres, fait dans le laboratoire par le chimiste le plus exercé, puisse fournir des données aussi positives sur les propriétés relatives à l’agriculture, que celles que pourra acquérir un cultivateur, par une observation attentive sur le terrain » (Annales Agricoles de Roville, 1er volume, 1824).
Le tour de plaine, nommé « la conférence agricole hebdomadaire »
Au sein de l’institut agricole de Roville, Mathieu de Dombasle institua une pratique hebdomadaire d’observations in situ partagées, critiques et enregistrées : la conférence agricole. Cet exercice est une première théorisation, et pratique menée sur 15 ans, de ce que nous nommons le « tour de plaine » (Benoit, Knittel, 2000)
Une revue ouverte sur la littérature agronomique internationale :
Comme le signale Fabien Knittel (2012) , deux textes critiques sur la chimie rédigés par l’agronome lorrain montrent l’implication internationale qu’il veut donner à sa revue. « Il s’agit, pour le premier texte par ordre chronologique, de l’« Examen critique des éléments de chimie agricole de M. H. Davy », publié dans les Annales de l’agriculture française en 1820 et réédité dans les Annales Agricoles de Roville ; pour le second, Mathieu de Dombasle s’intéresse aux travaux de Sprengel : « De quelques travaux chimico-agricoles de M. Sprengel », publié en 1832 dans les mêmes Annales Agricoles de Roville. Dans le premier texte, Mathieu de Dombasle adopte un ton véhément et polémique très critique que l’on pourrait presque qualifier d’anti-chimique. Dans le second texte, le ton est beaucoup plus apaisé, et l’un des objectifs ici est de l’expliquer. L’étude de ces deux textes amène à se poser la question du dénigrement de la chimie en tant que science appliquée à l’agriculture par Mathieu de Dombasle qui cherche à mieux assoir la légitimité de la jeune discipline agronomique. Ces deux exemples montrent que nous sommes déjà dans une interaction entre acteurs de divers disciplines, interactions où l’agronome Mathieu de Dombasle utilise toute la gamme rhétorique, encore utilisée dans les polémiques scientifiques actuelles.
Pour conclure cette note, deux siècles nous séparent de la conception du premier numéro des A.A.R., et il serait passionnant d’instruire une lecture critique comparative entre les riches interactions scientifiques de l’agronomie de l’époque avec la chimie, et celles actuelles avec l’écologie.
Références bibliographiques
Références
Benoît M., Knittel F., 2001. De la conférence agricole au tour de plaine : naissance d’une pratique de pédagogie agronomique. Comptes rendus de l’Académie d’Agriculture de France, vol. 87, n°4, 2001, p. 105-112.
Knittel F., 2010. L’Europe agronomique de C. J. A. Mathieu de Dombasle, Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 57-1, janvier-mars 2010, p. 119-138
Knittel F., 2012. La chimie au lendemain des révolutions Mathieu de Dombasle : un agronome critique de la chimie dans le premier tiers du XIXe siècle. Bulletin de la Sabix : Société des amis de la Bibliothèque et de l'Histoire de l'École polytechnique 50 | 2012 Chimie et Révolution.
Mathieu de Dombasle C.J.A., 1821. Mémoire sur la charrue considérée principalement sous le rapport de la présence ou de l’absence de l’avant-train. Mémoires de la Société Royale et Centrale d’agriculture, Paris, Mme Huzard.
Frielinghaus M., Dalchow C., 2007. Thaër, 200 years at Möglin (Germany). In P. Robin, J.-P. Aeschlimann, Ch. Feller (éd.), Histoire et agronomie : entre rupture et durée. Paris, Institut de Recherches pour le Développement éditions, p. 259-267.
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