L’impact du changement climatique en viticulture
L’exemple des vignerons d’Ensérune (Occitanie)
Laëtitia CARBONELL*
*Ingénieure agronome, Directrice Vignoble des vignerons d’Ensérune
Le contexte
La disponibilité en eau est soumise à deux grands facteurs : d’une part le changement climatique avec excès d'eau, épisodes de sécheresse et répartition des apports plus hétérogène ; d’autre part, l'évolution des systèmes de culture avec globalement un moindre travail du sol, une couvertuare végétale plus importante et de nouvelles espèces cultivées.
Les vignerons du pays d'Ensérune constituent une coopérative de 492 vignerons exploitant 3290ha, dont 2450 hectares certifiés en haute valeur environnementale de niveau 3. Les exploitations sont soumises depuis plusieurs années aux effets du changement climatique et de disponibilité en eau : par exemple, épisode de très fortes chaleurs en juin 2020 avec des températures de 46 degrés qui a engendré des échaudages ; gel en avril 2021 qui a décimé le vignoble, épisodes de grêle fréquents ainsi que des inondations lors d’épisodes pluvieux importants.
Globalement, les cycles de pluviométrie sont donc changeants et aléatoires mais, en moyenne, on observe une baisse des pluviométries (figure 1).
La vigne a des besoins en eau depuis le moment du débourrement en mars jusqu'à la récolte entre août/septembre. Or, les séquences de pluie arrivent de manière de plus en plus aléatoires : en 2018, 200 mm sur le mois de mars puis quasiment plus d'eau ; 2019, année très sèche où on va cumuler sur toute cette période à peine 82 mm. Cela engendre des pertes de rendement mais également une accélération du dépérissement et de la mortalité sur les vignes. Les problèmes de salinisation sont aggravés dans les sols pour les vignobles littoraux, que ce soit en Camargue ou dans le sud-ouest biterrois, par exemple dans la vallée de l'Orb où on inonde les vignes pour lutter contre les remontées de sel. Ces phénomènes de salinisation deviennent de plus en plus fréquents car on a aussi très peu de pluviométrie en hiver.
Quelles stratégies d’adaptation à ce changement climatique ?
Un pré-requis dans notre coopérative a été la mise en place de stations météo connectées pour une gestion optimale des pratiques agricoles impactées par l’alimentation hydrique.
Il s’agit de petits équipements installés au sein des vignobles afin de disposer de données fiables pour anticiper a minima les phénomènes d’aléas climatiques, de modéliser l’impact du climat et ainsi d’aider à la prise de décision. Par exemple, l’outil Agroclim de Prométhée est utilisé pour prévoir la pression en termes de maladies et optimiser les pulvérisations. De même, cela permet de prévoir les stress hydriques et piloter les systèmes d’irrigation en goutte à goutte qui se déploient actuellement afin de réaliser des économies d’eau tout en alimentant la vigne de manière optimale en fonction de ses besoins. Le débit des goutteurs, leur densité et leur disposition dans le vignoble sont autant de paramètres à piloter.
La vigne a un besoin annuel entre 400 et 600 mm par an, or nous avons vu que le cumul annuel n’excède pas 300mm certaines années avec des niveaux inférieurs à 100mm en période de végétation.
Il est aujourd'hui inenvisageable dans le sud de la France de mettre en place une plantation sans goutte-à-goutte. Encore faut-il avoir accès à l’eau, seule la moitié des viticulteurs sont actuellement équipés. Par ailleurs, il convient de gérer au moins l’eau qui se raréfie pour la fournir à la plante aux moments critiques. Pour cela, on utilise des sondes capacitives qui mesurent l’humidité à différentes profondeurs de sol, ce qui permet d’estimer la disponibilité en eau dans les horizons stratégiques du système racinaire, aux alentours de 60 cm, et de gérer l’irrigation afin d’humecter cette zone stratégique en conséquence. Ces outils restent toutefois encore difficiles à maîtriser par les viticulteurs.
De façon plus générale, la stratégie consiste à préserver le « bien-être » de la plante car une plante en bonne santé résistera mieux aux différents stress. Dans ce contexte, la nutrition joue un rôle clé pour assurer une disponibilité satisfaisante en éléments minéraux, azote, phosphore, potasse et certains oligo-éléments. Cette disponibilité est évidemment liée à celle de l’eau, qui est indispensable pour leur assimilation par la plante. Cette mise à disposition de la plante se fait également par pulvérisations foliaires, notamment de bore et de manganèse en début de saison qui est une période critique.
Ces actions sont accompagnées d’une stratégie de « monitoring » tout au long de la saison afin d’estimer la disponibilité en éléments minéraux : analyse de pétioles à stade boutons floraux pour corriger l’alimentation si nécessaire, analyse de sarments qui permet de faire un diagnostic de la campagne et d’estimer les réserves pour la suivante. Dans ce cadre, un réseau de parcelles de références est essentiel pour mettre au point ce pilotage et sensibiliser les producteurs ; il est stratégique de bien le constituer parmi les 3000 parcelles de la coopérative.
Autre facteur contribuant au « bien-être » de la plante, la qualité des sols. Il s’agit d’améliorer la structure du sol, en particulier par l’apport de matières organiques, ce qui est désormais mis en avant dans les démarches de certification environnementale ou le développement de l’agriculture biologique. Outre l’apport de compost, c’est la mise en place de couverts végétaux qui suscitent le plus de demandes et de réflexion. De nombreuses questions se posent : couverts implantés ou spontanés ? Destruction au printemps ou maintien permanent, implantation sur chaque inter-rang ou un sur deux ? Avant de partir dans des stratégies coûteuses, nous préconisons de s’appuyer sur les analyses de sol, voire de réaliser une fosse pédologique, même si cela a un certain coût. Disposer d’un profil de sol permet d’identifier des points de blocage et définir l’objectif à atteindre avec les couverts : juste structurer le sol, favoriser la portance ou procéder à des amendements avec des légumineuses, comme on le voit sur les figures 2 et 3.
Dernier point crucial à prendre en compte dans le pilotage de la vigne : éviter le dépérissement. Les aléas climatiques soumettent en effet la vigne à rude épreuve et il est important d’éviter le desséchement. Les pratiques, notamment la taille, peuvent contribuer à atténuer ces phénomènes. Il y a en particulier un retour des pratiques de taille non mutilante, respectant les flux de sève et créant du bois vivant, par exemple des chicots des onglets permettant d'éviter les cônes de dessication.
Perspectives
Il y a d’abord encore beaucoup de progrès à faire dans la mobilisation des outils de pilotage tels que présentés plus haut : acquisition de données, optimisation des stations connectées, mobilisation des quantités énormes de données collectées, valorisation par l’intelligence artificielle, modélisation fine des besoins en fonction des sols, pilotage de l’irrigation et de l’alimentation minérale en fonction des besoins, plus grande réactivité vis-à-vis des aléas climatiques (figure 5).
Par ailleurs, sur la disponibilité en eau, il a été proposé de favoriser des systèmes racinaires beaucoup plus profonds mais cela dépend beaucoup du type de sol et du positionnement de la nappe (figure 5). En outre, il subsiste des incertitudes quant à la contribution réelle du système racinaire profond à l’alimentation de la vigne. En ce qui concerne l’accès à l’eau pour l’irrigation, la réutilisation des eaux usées des stations d’épuration est une voie envisageable et prometteuse, non seulement elle permet de mettre à disposition de l’eau à des viticulteurs qui n’y ont pas accès directement mais elle contribue en outre à la fourniture d’éléments fertilisants. Il convient évidemment de s’assurer de l’absence d’agents pathogènes. Enfin, il existe un obstacle réglementaire pour ce type d’usage, la réglementation française est actuellement très contraignante mais cela pourrait évoluer avec la transcription en droit français d’une directive européenne.
En termes d’adaptation au changement climatique, outre la taille évoquée plus haut, la modification du microclimat par l’implantation d’arbres ou la modification des pratiques de rognage pour protéger les grappes des coups de chaud constituent également des voies en cours de développement dans certaines régions.
Même si nous sommes moins avancés sur ce point, la mise en place de cépages plus tolérants aux stress hydriques ou aux maladies constitue un axe essentiel pour l’avenir. Nous réfléchissons à l’implantation de cépages grecs ou portugais, en particulier un cépage grec de l’île de Santorin qui a par ailleurs des capacités gustatives très intéressantes en raison d’une acidité assez remarquable. Le gros point d'interrogation réside dans l'intégration de ces nouveaux cépages dans les cahiers des charges des indications géographiques protégées (IGP) et des appellations d’origine protégée (AOP) ainsi que leur impact sur la qualité des vins et leur capacité de production dans nos régions.
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