Rendre compte des performances de systèmes horticoles diversifiés agro-écologiques
Construction d’un cadre générique de restitution des résultats avec et pour les agriculteurs
Aude Alaphilippe*1, Alexia Lefevre², Solène Borne1, Josian Delaunay3, Rachel Graindorge², René-Claude Judith4, Pierre-Éric Lauri5, Jean-Michel Ricard6, Sylvaine Simon1, Luc Vanhuffel7, Joël Huat4
1 INRAE UERI Gotheron, F-26320 St-Marcel-Lès-Valence ; 2 Institut technique ARMEFLHOR, Saint Pierre, La Réunion, France ; 3 EPL Forma’Terra, Saint Paul, La Réunion, France; 4 CIRAD, UPR HORTSYS, F-97455 Saint Pierre, La Réunion, France ; 5 INRAE, UMR ABSys, Montpellier ; 6 CTIFL, Centre de Balandran, 751 chemin de Balandran – F-30127 Bellegarde ; 7 Chambre d’Agriculture de La Réunion, Saint Pierre, La Réunion, France.
Email contact auteurs : aude.alaphilippe@inrae.fr
Résumé
Dans le cadre du plan gouvernemental de réduction de l’usage des pesticides, deux projets, Ecophyto DEPHY EXPE ALTO (France métropolitaine) et STOP (Ile de La Réunion), expérimentent des systèmes horticoles diversifiés dans l’objectif de produire sans pesticides de synthèse, en s’appuyant sur la biodiversité.
Les performances des systèmes diversifiés sont plurielles et aucune méthode n’est disponible pour évaluer ces types de systèmes horticoles. Une démarche participative impliquant différents acteurs de la filière a permis la construction d’un cadre de restitution des résultats sous forme de “feuillets résultats” accessibles et appropriables par les agriculteurs. Ce cadre tient compte des spécificités de ces systèmes diversifiés agroécologiques en proposant une représentation des performances des systèmes diversifiés dans leur complexité, en regard de leur contexte, de l’occupation des espaces et de leur variabilité temporelle. Ce travail se poursuit pour intégrer d’autres volets à l’évaluation dont le pilotage de ces systèmes diversifiés.
Mots clés : systèmes horticoles diversifiés, performance, cadre de restitution, partage des résultats
Abstract
In the frame of the French national action plan to reduce pesticide use, two projects DEPHY EXPE ALTO, in French metropolitan area and ST0P, in La Reunion Island, are carrying out field experiments of horticultural diversified systems, without synthetic pesticide use, but functional biodiversity.
The performances of such diversified systems are diverse, and appropriate methods are needed to evaluate them. A participatory approach has been developped to build a framework to share results and performances with farmers. This framework considers the specificity of such diversified systems, including their land occupation and evolution in time, as well as their pedoclimatic and economic context. Work on both projects helped gain genericity for this framework, which is a single leaflet with a short description of the system with context elements, presenting agronomic and economic results. This study will continue to include other dimensions among which social one in order to best meet the needs and expectations of growers.
Introduction
L’intensification de l’agriculture s’est accompagnée d’une utilisation généralisée et parfois importante des pesticides de synthèse entraînant la contamination des différents compartiments de l’environnement par ces substances (De Bon et al., 2014). A l’heure actuelle, plusieurs projets, dont les projets Ecophyto DEPHY EXPE ST0P[1] et ALTO[2], développent des approches d’expérimentation système (Havard et al., 2017) dans lesquelles des systèmes de culture très diversifiés, n’utilisant pas de pesticides de synthèse (voire sans aucun pesticide), sont expérimentés dans l’objectif de produire en s’appuyant sur la biodiversité cultivée et sauvage (Graindorge et al., 2022 ; Penvern et al., 2018 ; Simon et al., 2019 ; Ricard et al., 2022). Ces systèmes sont complexes, et leurs performances sont plurielles. Cependant, aucune méthode n’est actuellement disponible pour évaluer ces systèmes horticoles diversifiés. L’évaluation multicritère permet l’évaluation d’un ou plusieurs systèmes sur la base de plusieurs critères déterminés en fonction des objectifs assignés à ces systèmes et qui intègrent également différents points de vue et dimensions (Lairez et al. 2015). Il convenait donc de développer une méthode d’évaluation répondant aux particularités de ces systèmes diversifiés et en accord avec les objectifs et finalités de production agroécologique de ces deux projets utilisés comme cas d’étude.
Le développement d’une nouvelle méthode nécessite toutefois certains points d’attention et une démarche rigoureuse afin de proposer une analyse de qualité. Selon Lairez et al. (2015), il est essentiel d’être transparent sur les choix méthodologiques et de valider la méthode en évaluant sa pertinence, sa cohérence, sa sensibilité ainsi que sa robustesse. Une méthode participative peut être mise en place pour tenter de concilier les points de vue des différents acteurs impliqués dans la construction de la méthode sur les éléments à considérer. Bien que cette approche nécessite des temps d’échange et de débats pouvant s’avérer chronophages (Lairez et al., 2015), c’est elle que nous avons décidé de mobiliser pour construire un cadre de restitution des résultats avec et pour les agriculteurs. Ce cadre se veut générique et il vise à proposer une méthode d’évaluation multicritère cohérente, pertinente au regard des objectifs des dispositifs ST0P et ALTO et tenant compte des attentes des agriculteurs, notamment pour les volets agronomique et économique. Par ailleurs, afin de permettre aux acteurs de terrain de s’appuyer efficacement sur des résultats parfois complexes issus d’évaluation, il convient de rendre ceux-ci accessibles et de permettre aux agriculteurs d’interagir entre eux autour de ces résultats, favorisant ainsi la transition agroécologique (Guérin et al., 2018 ; Deguine et al. 2023). Ainsi, ce travail porte à la fois sur le fond (éléments à considérer dans l’évaluation, manière de les évaluer) et sur la forme (formats de partage des résultats).
Après une description des dispositifs ST0P et ALTO ayant servi de cas d’étude, la démarche de construction du cadre de restitution des résultats sera décrite. Les résultats se présentent sous forme de “feuillets résultats”, dont la structure et les modalités de représentation choisies (format, éventuelles références…) sont détaillées. Enfin, les spécificités liées aux systèmes horticoles diversifiés et les questions soulevées quant à la représentation des résultats seront discutées.
Matériels et méthodes
Projets et sites
Pour répondre à l’objectif de suppression de l’usage de produits phytosanitaires de synthèse, deux initiatives reposant sur la diversification des cultures ont été développées dans le cadre du dispositif Ecophyto DEPHY EXPE (https://ecophytopic.fr/dephy/le-dispositif-dephy-expe) : le projet ST0P, en outre-mer, et le projet ALTO, en métropole, dont les principales caractéristiques sont résumées dans le tableau 1.
Tableau 1. Description générale des projets ST0P et ALTO.
Caractéristiques du projet | ST0P | ALTO |
Zone géographique | Tropicale (La Réunion) | Méditerranéenne (Métropole) |
Productions | Maraîchage et arboriculture fruitière | Arboriculture fruitière |
Type de diversification (niveau, type, formes) | Juxtaposition de micro-parcelles homogènes | Alternance d’espèces et de variétés entre rangs et sur les rangs et multistrate |
Problématique de ces systèmes | En quoi la diversification permet-elle d’obtenir une production commercialisable et viable économiquement sans pesticides de synthèse ? | Dans quelle mesure peut-on produire des fruits sans pesticides en s’appuyant sur les services écosystémiques, notamment de régulation ? |
Partenaires | ARMEFLHOR, CIRAD, EPLEFPA Forma’Terra, Chambre d’agriculture 974, FDGDON | INRAE, Ctifl, lycée agricole EPLEFPA Le Valentin, GRAB, LPO, Iteipmai, Chambre d’Agriculture 26, Agribiodrôme |
Méthode de construction des dispositifs expérimentaux | Ateliers de co-conception | |
Type de dispositifs | - 3 observatoires pilotés répartis sur la zone géographique - Dispositifs en station expérimentale (organisme de recherche agronomique, institut technique ou lycée agricole) | |
Pilotage | Evolutif ‘chemin faisant’ | |
Année de début de projet | 2020 | 2018 |
Références | Graindorge et al., 2022 ecophytopic.fr/dephy/conception-de-systeme-de-culture/projet-st0p | Penvern et al., 2018 ; Simon et al., 2019 ; Ricard et al., 2022 https://www6.paca.inrae.fr/ueri/Contrats-et-projets/Expe-DEPHY-Ecophyto-II-ALTO |
La diversification des systèmes de production a pour objectif de favoriser la régulation naturelle des bio-agresseurs par l’augmentation de la biodiversité fonctionnelle (les auxiliaires sont favorisés par l’augmentation des ressources alimentaires et des habitats), par la création d’effet barrière, de dilution, par perturbation des cycles des bioagresseurs. Il s’agit également d’apporter des bénéfices agronomiques via les plantes cultivées. Cette diversification porte donc sur les cultures elles-mêmes, en matière d’espèces et de variétés, mais consiste aussi en l’introduction de plantes de service favorables aux auxiliaires ou défavorables aux ravageurs. Ces systèmes ont des organisations spatiales différentes : ils incluent tous des plantes pérennes, mais sont constitués soit d’une juxtaposition de micro-parcelles homogènes (ST0P) soit d’une alternance de plantes de service, d’espèces cultivées et de variétés entre rangs et/ou sur les rangs (ALTO), avec un étagement vertical des espèces.
Pour chacun de ces deux projets, trois dispositifs expérimentaux ont été mis en place (Figure 1). Ces dispositifs, de type observatoire piloté (terminologie ECOPHYTO) adoptent une démarche d’observation de systèmes en rupture et pour lesquels les principes de gestion sont évolutifs. Ils ont été co-conçus avec des agriculteurs, des conseillers agricoles, des formateurs, des chercheurs et des naturalistes dans le cadre d’ateliers.
Démarche d’élaboration d’un cadre de restitution des résultats (de systèmes de culture horticoles diversifiés) avec et pour les agriculteurs
Pour élaborer ce cadre, une démarche en cinq étapes a été développée (Figure 2). Cette démarche repose sur une base experte et bibliographique. Pour les deux projets, les cibles et partenaires ont été associés à la construction de la méthode sur la base de propositions pour le projet ST0P, à partir d’une page blanche pour le projet ALTO. Nous avons travaillé en complémentarité sur les deux projets avec une mise en commun à chaque étape. Les cinq étapes sont les suivantes :
- Etape 1 : Identifier la cible principale pour la restitution des résultats
Pour les deux projets, la cible commune choisie est celle des agriculteurs et leurs accompagnants dont les conseillers agricoles.
- Etape 2 : Expliciter les finalités de l’évaluation propres à chaque dispositif en lien avec les objectifs
Pour le projet ST0P, l’objectif à atteindre est de produire des fruits et légumes commercialisables, de quantifier le nombre d’ETP nécessaire pour faire fonctionner ce système et d’estimer sa capacité à générer un revenu minimum pour faire vivre cette main d’œuvre.
Pour le projet ALTO, il s’agit de développer des systèmes renforçant le service de régulation naturelle afin de générer une production de fruits.
- Etape 3 : Définir les composantes de l’évaluation
Pour ST0P, les éléments descripteurs de la performance de systèmes diversifiés ont été établis sur une base bibliographique. Pour ALTO, des ateliers multi-acteurs (juin 2021) ont complété ce travail bibliographique sur les volets sociaux et économiques.
Sur cette base, en lien avec les cibles identifiées et les objectifs expérimentaux, un cadre partagé de restitution des résultats a été co-construit pour les deux projets ST0P et ALTO.
- Etape 4 : Construire la méthode incluant critères, indicateurs et formats de représentation
Deux démarches complémentaires ont été mises en œuvre dans les deux projets. Pour le projet ST0P, les porteurs de projet et pilotes de sites ont élaboré une proposition ‘à dire d’experts’. Celle-ci a été ensuite confrontée aux critiques des agriculteurs en atelier. Le premier atelier (décembre 2021) a pointé la difficulté d’illustrer les résultats de production (Figure 2). Ainsi, sur le projet ALTO, un atelier a été organisé (juin 2022) pour faire des propositions à partir d’une page blanche pour rendre compte spécifiquement des performances agronomiques (éléments à considérer et formats de restitution).
- Etape 5 : Valider la méthode de restitution et le format de représentation
L’objectif de cette étape est de tester la méthode et de la mettre en application sur les dispositifs. Cette proposition finale a été partagée avec les utilisateurs et bénéficiaires (dont financeurs), afin de recueillir les avis sur le fond et la forme via un test en atelier pour le projet ST0P (octobre 2022), et une présentation avec retours critiques pour le projet ALTO (septembre 2022).
Enfin, un cadre commun et un canevas support ont été fournis aux porteurs de site expérimentaux pour être utilisés en routine (fréquence annuelle pour ST0P et pluriannuelle pour ALTO).
Résultats
Présentation du cadre commun de restitution des résultats
Le cadre de restitution se présente sous forme d’un livret format A5 de quatre pages (A4 plié en deux). Il se compose de trois volets :
- La description des dispositifs et systèmes en page 1,
- Les résultats obtenus en lien avec les objectifs du projet sur la double page centrale pages 2 et 3 ,
- Les moyens mis en œuvre pour réduire ou supprimer l’utilisation des pesticides en page 4.
Nous avons réalisé les feuillets résultats pour les 3 dispositifs SToP et sur un dispositif ALTO. Nous illustrons ici le contenu de ces trois volets avec la feuillet résultat du site de l’ARMEFLHOR, projet ST0P.
Cette première page (Figure 3) est structurée en trois parties. La première partie donne des éléments de contexte (sol, pente, conditions climatiques, pression sanitaire, éléments marquants). Ces éléments permettent de situer les résultats et participent à l’explication des résultats de production présentés ensuite.
Le dispositif est ensuite présenté avec son plan et un graphique indique les surfaces dédiées aux productions pérennes et annuelles, ainsi que les zones dites support à la production (zones de circulation, infrastructures agroécologiques (IAE)…).
Enfin, la description de la diversité avec le nombre d’espèces et variétés productives et non productives est indiquée.
Résultats agronomiques
Les résultats de production sont présentés à l’échelle du système (Figure 4). A la demande des producteurs, des tableaux détaillés par type de culture, pérenne ou annuelle, principale ou secondaire ont été proposés. Pour chaque espèce, sont donnés : durée du cycle/année de plantation, densité de plantation et nombre d'arbres, production commercialisable, rendement, pertes (légumes ou fruits non valorisés). Pour le maraichage, les performances sont données pour chaque culture de la rotation. A noter que pour les cultures pérennes, dans le projet ALTO, une moyenne glissante des productions et pertes sur 3 ans est envisagée.
Moyens mis en œuvre
Il s’agit de donner des éléments qui relèvent de la stratégie de protection et de production, incluant les moyens mobilisés dont le temps de travail (Figure 5)
Pour le temps de travail, la répartition du temps sur l’année est représentée par type d’activité afin d’identifier d’éventuels pics d’activité. L’histogramme de la répartition du temps de travail par mois, positionné en regard du diagramme circulaire de la répartition par type d’activités, permet d’expliciter les principaux pics de travaux.
Pour le projet ST0P, une synthèse des résultats économiques est produite en lien avec l’objectif du projet de rémunérer la main d’œuvre nécessaire à la gestion du système proposé.
Représentation des résultats agronomiques dans ces systèmes diversifiés et intégration de nouvelles échelles spatiales et temporelles
Pour représenter les résultats agronomiques, un atelier spécifique pour faire des propositions à partir d’une page blanche a été réalisé en métropole en juin 2022 avec le collectif ALTO. En effet, lors de l’atelier ST0P dans lequel la proposition élaborée ‘à dire d’experts’ était discutée, les participants ont pointé la difficulté d’illustrer les résultats de production. Les systèmes agricoles diversifiés agrègeant plusieurs productions de volume et de qualité différentes, il s’agissait de rendre compte à un public cible technique la diversité des productions agricoles générées par ces dispositifs.
A l’issue de cet atelier, deux types de résultats proposés ont fait consensus :
- Une représentation de la productivité combinant représentation graphique avec une valeur de référence (valeur issue de références régionales en Agriculture Biologique (AB) avec la même densité de plantation ; source précisée sur le document) et un tableau détaillant les niveaux de production avec différentes unités, similaire à celui proposé dans ST0P (Figure 6).
- Une représentation graphique de l’efficience du système, sous forme d’histogrammes cumulés, représentant l’ensemble des productions en volume et une simulation des recettes financières (sur la base d’une simulation utilisant les prix de référence AB régionaux du Marché d’Intérêt National (MIN) de Lyon ; source précisée sur le document) au regard des moyens alloués en surface et en temps, faisant ainsi apparaître les productions les plus efficientes.
Les éléments du tableau sur les performances agronomiques proposés à l’issue de cet atelier ont alimenté le feuillet résultats de ST0P. Le graphique sur l’efficience est utilisé actuellement uniquement dans le cadre des restitutions de l’un des dispositifs d’ALTO (le site de Gotheron). Une réflexion pour utiliser au mieux ces propositions de représentation est en cours : il s’agit notamment d’intégrer la variabilité interannuelle propre aux cultures pérennes en utilisant des valeurs moyennées sur plusieurs années.
Discussion sur l’intégration des spécificités de systèmes horticoles très diversifiés
Dans ces systèmes, jusqu’à 18 espèces productives se partagent un même espace, espace qui intègre également des surfaces non productives sur le plan agronomique, avec une composition qui évolue au cours du temps.
Pour intégrer les spécificités de ces systèmes , les éléments à considérer et les unités proposées sont :
- Echelle temporelle : plusieurs unités (saison, année, cycle pluri-annuel) permettent de représenter la dynamique annuelle et pluriannuelle des différents indicateurs en lien avec les phases de production (plantation, entrée en production…) pour les cultures pérennes, ou en lien avec la succession des cultures lors d’une rotation complète et la saison de production pour les cultures annuelles.
- Echelle spatiale : plusieurs unités permettent de rendre compte des rendements, soit à la plante, soit à l’hectare théorique (en extrapolant avec une densité de plantation de référence ou avec prise en compte ou non des passe-pieds qui sont les zones de circulation entre les planches du culture permanentes en maraîchage). Une proposition de définition de plusieurs types d’espaces est proposée :
La définition du « système de culture » telle que formulée par Sebillote en 1990 doit donc être adaptée à ces systèmes horticoles diversifiés. Il a été proposé de redéfinir l’espace occupé en deux entités :
- Espace de production
Il s’agit de la somme des unités de gestion ; une unité de gestion est caractérisée par :
- Une conduite, avec passe-pied associé pour les annuelles ou une densité de plantation pour les pérennes (il peut y avoir une ou plusieurs espèces, une ou plusieurs variétés) ;
- Un espace fixé au sol (une unité spatiale cadastrée) continu (ni morcelée, ni déplacée) ;
- Une temporalité : choix d’un pas de temps pertinent (saison culturale, année, rotation, cycle, phase de production).
- Espace support de production
Il s’agit d’espaces nécessaires au bon fonctionnement du système mais dont la fonction première n’est pas de produire : les zones de circulation et les infrastructures agroécologiques, ou encore les zones dédiées contribuant à la fertilité du système par apport de biomasse ou d’azote (légumineuses).
Concrètement, la performance est évaluée en mobilisant la notion d’unité de gestion et plusieurs unités ont été choisies pour exprimer les rendements en ramenant les quantités produites à :
- La surface globale occupée (intégrant les surfaces non productives telles que les chemins et zones de biodiversité) ;
- La surface cultivée totale ;
- La surface théorique équivalente à une référence ayant la même densité de plantation pour permettre la comparaison.
Pour tenir compte de la variabilité temporelle des performances, plusieurs solutions ont été proposées :
- Une évaluation contextualisée des performances en précisant la pression des bioagresseurs et les conditions abiotiques pouvant affecter les rendements ;
- Une évaluation annuelle pour ST0P et pluriannuelle pour ALTO en considérant les phases de vie du système (plantation, entrée en production, pleine production ou mâture…).
Enfin, les agriculteurs ne connaissant pas toutes les cultures présentées, il a été proposé de fournir une référence pour chaque culture (si disponible). En particulier, pour ALTO, une référence en agriculture biologique, à densité de plantation identique à celle du rendement théorique par hectare, est fournie.
Conclusions et perspectives
Les systèmes agroécologiques diversifiés sont multi-fonctions, multi-services et évolutifs. Ils sont également ‘situés’, c’est-à-dire très liés au contexte local. Il y a donc un challenge à la fois pour les construire, les évaluer et enfin les partager, les discuter, dans un contexte où la régulation naturelle des ennemis des cultures est une alternative forte à l’absence d’usage de pesticides (Brevault et Clouvel, 2019).
L’objectif de ce travail en co-conception était que les connaissances issues de dispositifs diversifiés soient accessibles et appropriables par les agriculteurs afin de réduire l’utilisation des pesticides. Cela nécessite que le cadre de représentation soit suffisamment explicite et tienne compte des modes de raisonnement des agriculteurs (Huat et al., 2014) et de leurs perceptions (Vidogbena et al., 2015 ; Rezaei et al., 2019). Ce travail de co-construction d’un cadre de restitution de résultats issus de systèmes complexes a permis de poser les bases d’une démarche. Il tient compte des spécificités de ces systèmes diversifiés agroécologiques en proposant une représentation des performances tenant compte de l’occupation des espaces et de leur variabilité temporelle. Ce cadre constitue une base de travail originale pour rendre compte des performances de systèmes diversifiés dans leur complexité, en regard de leur contexte, à travers différents indicateurs montrant l’intérêt et les limites de tels systèmes. Il est cependant nécessaire de l’affiner et de le compléter sur d’autres volets, en particulier en lien avec les compétences et le pilotage de ces systèmes. La poursuite de ce travail est prévue dans le cadre du site de Gotheron, dont le dispositif entre en pleine production et sera maintenu jusqu’à 2030 au moins.
Ce travail en co-construction avec deux ‘groupes projet’ en parallèle a permis d’enrichir la réflexion et de proposer un cadre robuste, adaptable à chaque cas d’étude en fonction des objectifs et des dimensions spatiales et temporelles spécifiques (cultures annuelles et pérennes, systèmes multi-strates). La mise en commun des réflexions issues de ces deux collectifs nous a permis de gagner en généricité.
Ce cadre générique a cependant des limites : les agriculteurs ont des intérêts différents, des contextes d’exploitation spécifiques à chacun, des niveaux de connaissance et d’expérience divers, et leurs besoins d’informations peuvent différer. Aussi, il apparait nécessaire d’inscrire ces feuillets de résultats dans une évaluation multicritère plus large, couvrant d’autres critères, non prioritaires pour eux à court terme, mais importants à long terme ou pour d’autres acteurs. Ce cadre peut cependant être un support d’interaction, d’échange et de partage d’expériences entre agriculteurs et expérimentateurs (Karki and Bandhari, 2023).
Les choix des producteurs sont guidés par les perceptions qu’ils ont des pratiques alternatives et de leurs impacts sur la façon dont la société les considère (Aubert et Enjolras, 2023). En questionnant la manière de représenter les systèmes complexes, ce travail interroge plus largement le besoin et la manière d’intégrer des angles d’appréciation différents, et l’implication de cette intégration sur les éléments d’évaluation à considérer et les formats de représentation des résultats à proposer.
[1] ecophytopic.fr/dephy/conception-de-systeme-de-culture/projet-st0p
Remerciements
Nous remercions l’ensemble les partenaires projets, ainsi que tous les participants aux ateliers et Jean-Marc Barbier pour ses conseils et notes, à Jean-Luc Regnard et Antoine Messéan pour leur relecture enrichissante.Les projets ALTO et ST0P sont des projets EXPE DEPHY Ecophyto, action pilotée par le ministère chargé de l'agriculture et le ministère chargé de l’environnement, avec l’appui financier de l’Agence Française pour la Biodiversité, par les crédits issus de la redevance pour pollutions diffuses attribués au financement du plan Ecophyto.
Références bibliographiques
Glossaire
ALTO : Systèmes en ArboricuLture et Transition agrOécologique
ARMEFLHOR : Association Réunionnaise pour la Modernisation de l’Economie Fruitière, Légumière et HORticole
CIRAD : Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement
CTIFL : Centre Technique Interprofessionnel des Fruits et des Légumes
EMC : Evaluation MultiCritère
EPLEFPA : Etablissement Public Local d’Enseignement et de Formations Professionnelles Agricoles
FDGDON : Fédération Départementale des Groupements de Défense contre les Organismes Nuisibles
GRAB : Groupe de Recherche en Agriculture Biologique
INRAE : Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’alimentation et l’Environnement
LPO : Ligue pour la Protection des Oiseaux
ST0P : Systèmes de production 0 Pesticide de synthèse
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Bibliographie
Aubert, M., Enjolras, G., 2023. Pesticide-Free or IPM: Which ways greenhouse tomato growers choose to reduce Pesticide Use? Poster session presented at XVII EAAE Congress, August 29th – September 1st 2023, Rennes, France.
Brevault, T., Clouvel, P., 2019. Pest management: Reconciling farming practices and natural regulations. Crop Protection, 115 : 1-6.
De Bon, H., Huat, J., Parrot, L., Sinzogan, A., Martin, T., Malézieux, E., Vayssières, J.F.,2014. Pesticide risks from fruit and vegetable pest management by small farmers in sub Saharan Africa. A review. Agronomy for Sustainable Developmen,t 34: 723-736.
Deguine, J.P., Aubertot, J.N., Bellon, S., et al., 2023. Agroecological crop protection for sustainable agriculture. Advances in Agriculture.
Graindorge,R., Delaunay, J., Huat, J., Lefèvre, A., Marquier, M., VanhuffelL., 2022. DEPHY EXPE ST0P Project: for the transition of current horticultural systems to agroecological systems without chemical uses in a tropical area.In: Dussi, M.C. (Ed.), Simo,n S. (Ed.), Acta Horticulturae 1355: 91-98.
Guérin-Schneider, L., Tsanga-Tabi, M., Roux, P., Catel, L., Biard, Y. 2018. How to better include environmental assessment in public decision-making: lessons from the use of an LCA-calculator for wastewater systems.Journal of Cleaner Production (187) : 1057-1068.
Havard, M., Alaphilippe, A., Deytieux, V., Estrogues, V., Labeyrie, B., Lafond, D., Meynard, J.M., Petit, M. S., Plénet, D., Picault, S., Tchamitchian, M., Faloya, V., 2017. Guide de l’expérimentateur système: concevoir, conduire et valoriser une expérimentation système pour les cultures assolées et pérennes, GIS PICLeg, GIS Fruits, Réseau ECOVITI, RMT Systèmes de culture innovants, GIS Relance agronomique (Eds.), 17 p.
Huat, J., Aubry, C., Doré, T., 2014. Understanding crop management decisions for sustainable vegetable crop protection: A case study of small tomato growers in Mayotte Island. Agroecology and Sustainable Food Systems, 38 : 764–785.
Karki, L.B., and Bhandari, P., 2023. Preferences of farmers for educational materials to build their capacity for small-scale urban gardening: A case of Maryland. International Journal of Agricultural Extension and Rural Development Studies, 10(2): 13-29.
Lairez, J., Feschet, P., Aubin, J., Bockstaller, C., Bouvarel, I., 2015. Agriculture et développement durable. Guide pour l’évaluation multicritère. Quae et Educagri.
Penvern, S., Chieze, B., Simon, S., 2018. Trade-offs between dreams and reality: Agroecological orchard co-design. Presented at: 13th European IFSA Symposium, Chania, Grèce, Full paper, https://hal.inrae.fr/hal-03521089
Rezaei, R., Safa, L., Damalas, C. A., Ganjkhanloo, M.M., 2019. Drivers of farmers’ intention to use integrated pest management : Integrating theory of planned behavior and norm activation model. Journal of Environmental Management, 236 : 328-339.
Ricard J.M., Lauri P.E., Michaud M., Alaphilippe A., Borne S., Penvern S., Dufils A., Simon S., 2022. Co-design of agroecological temperate fruit tree systems in France: the ALTO project.Acta horticulturae 1355 : 99-108.
Sebillotte, M., 1990. Système de culture, un concept opératoire pour les agronomes. In Combe L. et Picard D. (Eds.), Paris, INRA, 196 : 165-19.
Simon S., Ricard J.M., Lauri P.E., 2019. Temperate fruit-based agroforestry systems: three case studies in Southern France in the framework of the ‘ALTO’ project. Presented at: 4th World Congress on Agroforestry, Montpellier, France (20-22 May 2019), poster, https://hal.inrae.fr/hal-02735786.
Vidogbena, F., Adegbidi, A., Tossou, R., Assogba-Komlan, F., Ngouajio, M., Martin, T., Simon, S., Parrot, L., Zander, K., 2015. Control of vegetable pests in Benin e Farmers' preferences for eco-friendly nets as an alternative to insecticides. Journal of Environmental Management, 147: 95-107.
Les articles sont publiés sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 2.0)
Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue AES et de son URL, la date de publication.