Des indicateurs opérationnels de la biologie des sols
Base d’une prestation de diagnostic-conseil auprès des agriculteurs
Christian Barnéoud*
* agro-pédologue à la Chambre Régionale Bourgogne Franche Comté
Avec la contribution de Xavier Salducci, directeur du laboratoire Celesta-lab
Contact auteur : christian.barneoud@bfc.chambagri.fr
Introduction
Les êtres vivants du sol rendent de nombreux services : nutrition des plantes, recyclage de matière organique, structure du sol, régulation des bioagresseurs … mais ils sont encore peu pris en compte dans les systèmes agricoles même si la notion de fertilitébiologiquedes sols suscite de plus en plus d’intérêt chez les agriculteurs. La prise en compte de la qualité biologique des sols cultivés qui, selon R.Chaussod (1996) « peut apparaître comme la résultante d’un ensemble de facteurs environnementaux (type de sol, climat) et anthropiques (systèmes de culture, pratiques culturales) » est aujourd’hui un enjeu majeur en agroécologie : disposer d’indicateurs pertinents et accessibles, adossés à des référentiels d’interprétations solides constitue un préalable indispensable pour poser un diagnostic à visée opérationnelle pour le monde paysan (Chaussod et Nouaïm,2019) qui se fait de plus en plus « hypnotiser » par une multitude de commerciaux disposant de « solutions » toutes plus miraculeuses les unes que les autres pour optimiser, dynamiser la « vie » de leurs sols.
L’écologie du sol a mis en exergue l’extraordinaire réservoir de biodiversité dans les sols et permis à l’agroécologie d’impulser des programmes très conséquents de recherche-action pour identifier des indicateurs puis bâtir des nouveaux référentiels d’interprétation, tel que le projet Agrinov INRAe (Ranjard, 2018) puis la mise en place du Réseau d’Expérimentation et de Veille à l’innovation Agricole (REVA) sous l’impulsion de l’OFSV (Observatoire Français des Sols Vivants). En parallèle de ces vastes programmes, la Chambre régionale d’agriculture de Bourgogne Franche-Comté a proposé, dès les années 2010 dans des programmes d’accompagnement à destination de ses agents et/ou des agricultrices et agriculteurs, d’utiliser des indicateurs de la fertilité biologique dont les référentiels d’utilisation étaient déjà étoffés, opérationnels, et surtout pécuniairement acceptables. Ces indicateurs analytiques étant à l’époque, proposés par un seul laboratoire français d’analyses de sols (Celesta-lab), objet de l’encadré n°1, c’est tout naturellement qu’une collaboration s’est instaurée pour construire de la pédagogie autour de la fertilité biologique et de ses indicateurs analytiques. La 14ème rencontre du COMIFER-GEMAS a par ailleurs conforté cette ligne de programme d’actions grâce à une communication sur la pertinence des indicateurs analytiques de la fertilité biologique des sols qui stipulait : « en complément du carbone organique et de l’azote total, la biomasse microbienne, le fractionnement granulométrique de la MO et le carbone KMnO4 semblent les indicateurs les plus pertinents sur le jeu de données étudié » (Valé et al, 2019).
Commencer par être en accord sur les piliers de la fertilité des sols agricoles
Aborder les indicateurs analytiques de la fertilité des sols avec un public aussi diversifié que des agricultrices-agriculteurs, agents de chambres d’agriculture, techniciennes-techniciens de coopératives agricoles, enseignantes-enseignants et apprenantes-apprenants de lycées agricoles nécessite au moins de s’accorder sur cette notion très subjective de fertilité d’un sol agricole. Dans des cycles de formation auxquels participent les publics précités, aborder la notion de fertilité globale d’un sol sous un angle très ancien et actuel permet de vérifier la convergence des points de vue.
La notion de fertilité d’un sol
A travers une version antique de description du sol par un élève d’Hyppocrate (env. 400av. J-C, cité par BOULAINE (1989)), « La terre est l’estomac des plantes, qui en reçoivent la nourriture sous forme prête à la digestion. Elle possède une quantité immense de forces qui nourrissent les plantes. La fertilité, l’infertilité d’un sol, dépendent (,,,) de l’humidité nécessaire aux plantes dans un sol donné. Les caractéristiques du sol varient facilement d’un endroit à l’autre ….», il est intéressant de constater que les concepts de compartiments vivants en capacité de digérer des produits organiques qui assurent peu ou prou le cocktail nutritionnel des plantes apparaissent de manière presque évidente, en tout cas à travers l’écrit.
Le Larousse Agrocile propose une définition de la fertilité d’un sol pour un climat donné « comme l'aptitude [d'un sol] à assurer, de façon régulière et dans des conditions normales de production, de bonnes conditions de croissance des cultures. Elle résulte d'une combinaison de composantes physiques, chimiques et biologiques du sol, qui déterminent l'apport d'éléments nutritifs aux plantes et les conditions de croissance et de fonctionnement des racines ». Et en effet, lorsque la question « finalement, c’est quoi un sol agricole fertile ? » est posée, les réponses généralement exprimées traduisent assez bien ce qui précède : « un sol fertile, c’est un sol qui nous plait, car les rendements attendus sont là, il y a un vrai retour sur investissement et il semble mieux résister que d’autres parcelles à l’aléa climatique ». Effectivement, la fertilité d'un sol agricole se réfère à sa capacité à fournir des conditions optimales pour la croissance et le développement des plantes cultivées qui dépendent de facteurs physiques, chimiques et biologiques, donc organiques, qui interagissent entre eux.
Une schématisation des piliers de la fertilité des sols, à visée pédagogique
Les bases de la fertilité d’un sol agricole étant posé, c’est souvent une visualisation graphique (Figure 1) qui permet de consolider dans les esprits les interactions entre les compartiments. Dans le schéma, placer le compartiment vivant au centre de cet édifice pyramidal est aussi une manière pragmatique de sensibiliser encore un peu plus l’impact qu’il peut subir.
Pour traduire toute la complexité du compartiment physique, le terme porosité apparait comme suffisamment pédagogique dès lors qu’il est rappelé qu’on se réfère bien à cette fonction des sols d’assurer à la fois des transferts +/- rapides des eaux pluviales (au moins dans les premiers décimètres de sol) et à la fois d’en retenir une partie pour la rétrocéder à l’ensemble des organismes vivants du sol : en quelque sorte la défense de l’Agriculture de Préservation de la Porosité des Sols ! Les indicateurs pertinents à mettre alors en jeu pour comprendre ce compartiment sont l’observation du sol (profil-3D, profil-vrai, test bêche) même si des indicateurs analytiques ou des mesures au champ sont toujours possibles.
Le compartiment acido-basique à travers le prisme de la fertilité biologique du sol peut être appréhendé avec simplicité par le pH du sol … en tant que lanceur d’alerte ! : le postulat proposé est que, en cultures de plantes annuelles, disposer d’un pH-eau se situant au moins autour de 6.5 en période d’activités biologiques est le minimum requis à atteindre/entretenir pour offrir au compartiment vivant du sol un environnement favorable à son fonctionnement en particulier vis-à-vis de sa fonction nitrificatrice (Kockmann et al, 1990).
Le compartiment organique évoque évidemment les Matières Organiques du Sol (MOS) en étroite liaison avec le compartiment vivant : pour en comprendre la complexité et surtout les leviers agronomiques à mettre en jeu en cas de « déficit organique », une vision dynamique des MOS permet de comprendre leur rôle fondamental qui va au-delà de « mon sol est pauvre en MO, je fais comment pour augmenter ma teneur ? ».
Expliquer la complexité des MOS en décomposant avec quatre questions.
Ainsi pour tenter de faire comprendre la complexité des MOS sans pour autant entrer dans les détails de cette organisation compliquée et variée, rien de plus simple que de poser 4 questions :
Question-1 : C’est quoi la MO dans un sol ?
Répondre à cette question dans le cadre d’une formation sur le sujet, c’est faire émerger dans un groupe ce qui se cache derrière les mots matières organiques d’un sol agricole et pour faciliter les réponses, il est proposé en préalable, le postulat que les MOS peuvent se scinder en quatre compartiments qu’il conviendra d’identifier. Cette première question permet de passer de la MO en tant que donnée chiffrée (un %) prise dans une analyse de sol à quatre entités, représentées par quatre carrés colorés dans la figure 2 (les compartiments des MOS).
- Carré jaune : le domaine de l’inerte visible à l’œil (voire avec une loupe de botaniste) : racines, résidus de cultures …C’est la MO libre dans la matrice minérale.
- Carré bleu : la MO-vivante (ver de terre, insectes, bactéries champignons, algues, racines…) ; un compartiment nommé aussi « biomasse microbienne »
- Carré rouge : en quelque que sorte l’expression morphologique (agrégats terreux +/- arrondis et foncés) du complexe organo-minéral du sol, correspondant à des macromolécules humiques complexes et généralement présentés par le vocable « humus ».
- Carré vert : les éléments minéraux simples, issus de la transformation ultime (=minéralisation) des MO du sol …. Les éléments minéraux (CHNOPS) assimilables.
Question-2 : la MO du sol, à quoi ça sert ?
Les MOS ayant été schématiquement identifiées, la deuxième question « à quoi ça sert » permet d’aborder les interactions entre les différents compartiments et d’entrevoir les aspects dynamiques de ces MOS :
- A quoi sert le jaune ? : la nourriture donc l’énergie du système sachant que les exsudats racinaires assurent aussi une partie importante de cette énergie, notamment vis-à-vis du compartiment microbien.
- A quoi sert le rouge ? : c’est l’habitat protecteur, qui assure l’air, les transferts d’eau
- A quoi sert le bleu ? : le vivant dans toutes sa diversité, source potentielle de services.
- A quoi sert le vert ? : une partie des services rendus par le vivant avec une action qu’on espère bénéfique pour les plantes cultivées.
En reprenant le carré des compartiments desMOS (Figure 3),il devient plus aisé de faire comprendre que, dans un sol (cultivé), la MO entre par le compartiment jaune (résidus de cultures, racines…) : on apporte de la nourriture/énergie au système sol qui va nourrir le compartiment vivant (bleu). L’élément énergétique étant le carbone, ces MO-libres vont progressivement perdre du carbone (sous l’action des organismes du sol), se modifier, se réorganiser, évoluer en taille et forme biochimique pour intégrer, après un temps long le compartiment rouge. Les micro-organismes du sol, bénéficiant de cet apport énergétique régulier (racines, résidus de cultures …) vont se développer, respirer, se renouveler plus ou moins efficacement selon la qualité énergétique potentielle de ces matières organiques entrantes et les conditions du milieu (air/eau/pH). Si cette efficacité à transformer les MOS est au rendez-vous, le fruit de ces activités complexes des micro-organismes du sol sera la fourniture (= libération) d’éléments minéraux indispensables à la plante (azote, phosphore, soufre..) : le compartiment vertpourra être considéré comme celui des services rendus par les organismes du sol (nourrir son sol permet de nourrir les micro/macro-organismes du sol qui en retour offrent des services : azote, phosphore, mais aussi porosité, agrégations et régulation des maladies/pathogènes). Ainsi, lors d’une formation sur « le sol et ses MO » j’ai été ravi de constater la compréhension des fonctions des compartiments des MOS quand un agriculteur jurassien m’interpelle en disant « finalement, dans la méthanisation, c’est le compartiment jaune qui sert à nourrir le méthaniseur , donc notre sol peut perdre en énergie si on ne fait pas «gaffe » ? ». Pour approfondir ce sujet, se référer à l’article de Sadte-Bourgeteau et al (2020), où les auteurs mentionnent que « Après épandage, le devenir de la matière organique présente dans les digestats est fortement dépendant du contexte pédoclimatique et de la diversité des organismes présents dans le sol. Faute d’études approfondies, l’impact des digestats sur la composante biologique du sol reste toutefois largement méconnu et il n’est pas possible aujourd’hui de statuer sur l’adéquation entre cette pratique de valorisation agroéconomique et le maintien, voire la promotion de la diversité de ces organismes et des fonctions et services associés (...). Les auteurs concluent alors à la nécessité d’impulser des travaux de recherche afin de mieux évaluer l’impact de telles pratiques à l’attention des agriculteurs.
Question-3 : les MO du sol, ça s’analyse ?
La compréhension du volet dynamique des MOS se renforce grâce aux indicateurs analytiques (avec leurs seuils d’interprétations) car sont abordés :
- Les indicateurs quantitatifs et proportions indispensables, basés sur une approche statistique descriptive (Déplanche T. et Salducci X.,2015), pour dimensionner les éventuels besoins en apport organique tout en s’assurant que le sol est suffisamment vivant.
- Le volet qualitatif pour être cohérent face à la demande du sol et à l’efficience des microorganismes du sol pour s’assurer de leur capacité à se renouveler et bien sûr de rendre des services entre autres celui de la fourniture d’azote.
- Un aspect rarement abordé, à savoir les temps moyens de renouvellement de chacun des stocks organiques.
Les MOS prennent une nouvelle dimension dynamique mais cette fois dans le temps long que l’on peut schématiquement illustrer par une frise temporelle qui se place facilement dans le temps de l’exploitation agricole. Les informations sous la frise temporelle ne sont qu’un rappel des analyses réalisées pour chaque compartiment : les fractions granulométriques de la MO et leur C/N respectifs ; en outre l’Indice de Stabilité de la Matière Organique (ISMO) est mesuré. Les acquis récents sur la MO montrent que le temps de résidence d’une MO est plus lié à sa localisation et à son accessibilité qu’à sa nature chimique (Lehman et al, 2015) ; en conséquence le ratio C/N ne semble pas suffisamment fiable pour estimer le temps de résidence des MO dans leurs compartiments.
Question-4 : MO du sol, comment ça se pilote ?
Le volet pragmatique apparait avec cette dernière question sur le pilotage des MOS mais cette fois de manière plus évidente ou plus ciblée puisque l’ensemble des compartiments organiques du sol et leurs fonctions sont désormais mieux connus. Puisque « La terre est l’estomac des plantes, qui en reçoivent la nourriture sous forme prête à la digestion…» et qu’ondispose d’indicateurs considérés actuellement comme très pertinentspour piloter la fertilité biologique des sols agricoles, on peut donc adapter « la ration alimentaire » des sols pour les maintenir vivants et efficaces pour les besoins.
- Le compartiment MO-libre (jaune) est déficitaire, pourquoi et que peut-on proposer ? : la matière végétale carbonée n’est plus fournie au sol depuis un certain temps : je privilégie les apports carbonés, jeunes, énergétiques (paille, fumier pailleux).
- Le compartiment MO-liée (rouge) est déficitaire, pourquoi et que peut-on proposer ? : mon sol est ou a été trop travaillé (labour systématique sur au moins une génération, culture industrielle…), et/ou sol à texture grossière, je choisis des apports de MO stable : compost stable (déchets verts compostés, fumier bovin pailleux composté...)
- Le compartiment vivant (bleu) est trop petit avec une faible capacité à se renouveler, pourquoi et quelle stratégie mettre en place ? Mon sol est insuffisamment nourri, l’état physico-chimique est peu compatible avec la vie du sol : je contrôle les compartiments physiques et chimique (pH), je nourris mon sol (fumier, engrais verts).
- Les services rendus (vert) par le compartiment vivant ne donnent pas satisfaction, pourquoi et quelle stratégie ? Les MOS ne sont pas suffisamment riches en azote, mon sol a été fertilisé trop longtemps avec des produits peu digérables … je privilégie les MO riches en azote (légumineuse, fiente, lisier...).
Le recueil de plusieurs témoignages : vigneron, agriculteur, éleveur, agronome
Guillaume CHEDRU, céréalier à Goderville (76)
“Avec mon père Antoine Chedru, nous sommes agriculteurs en Seine Maritime à Goderville. L’exploitation est en polyculture (Blé, Colza, Féverole, Lin textile, betterave) en agriculture de conservation depuis 30 ans.
Nous avons connu les analyses Celesta’lab suite à une formation avec Xavier Salducci en 2015. La première analyse était prometteuse avec un taux de MO total à 2.27 et une biomasse microbienne à 391 mg/kg. Ce qui dans nos types de sol limoneux battant est très satisfaisant.
Dans ces années nous avions déjà réduit le travail du sol pour limiter la perte par minéralisation, les cultures d’automne étaient en Semis Direct strict et les cultures de printemps avec un travail peu profond, max 5cm. Les couverts étaient déjà riches avec des résultats allant jusqu'à 7 t/ms dont beaucoup de légumineuses. Des compost et fumier revenaient sur les parcelles tous les 6 ans, les pailles broyées et restituées.... Il fallait donc rechercher une nouvelle méthode pour continuer d’équilibrer nos sols.
Suite à une formation avec MSV (maraîchage sur sol vivant) nous avons connu le BRF (bois raméal fragmenté) et commencé la pratique sur l’exploitation. L’objectif était que tous les ans 30ha de la ferme reçoivent 10T de BRF. Aujourd’hui en 2023, toutes les parcelles en ont reçu et on commence le 2ème tour de la rotation.
En 2020 suite à une nouvelle rencontre avec X. Salducci, il nous apprend que le BRF est constitué majoritairement de cellulose et très peu de lignine ce qui permet d’augmenter la MO libre. Nous avons donc réalisé une nouvelle analyse sur la même parcelle que 2015. La MO libre était devenue plus élevée et l’équilibre MO stable/libre à l’optimum. Le taux de MO total a augmenté en 5 ans de 0.3 pour atteindre 2.6.
Sur notre exploitation, on considère le sol comme premier pilier pour réussir notre système de semis direct, réduction d’intrant. Si celui-ci ne fonctionne pas correctement, nos pratiques ne seront pas viables sur le long terme et la sécurité de l’exploitation sera fébrile. Toujours en recherche d'amélioration, nous testons de nombreuses méthodes sur nos sols. Les analyses Celesta-lab sont un moyen scientifique de mesurer l’impact de ces pratiques et de vérifier que nous ne faisons pas d’erreur. Nous utilisons également ces analyses lors de reprise de terre que nous ne connaissons pas pour actionner les bons leviers afin de positionner les sols au maximum de leur fonctionnement biologique.”
Boris CHAMPY, Vigneron, Nantoux, Bourgogne (21)
« Je travaille depuis 2013 avec Christian Barnéoud et le Laboratoire Celesta-lab. L’approche couplée du profil de sol (pour observer le fonctionnement du sol, le développement du système racinaire, le tassement éventuel ou la magnifique structure, la présence de vers de terre…) et de l’analyse physique, chimique et biologique par Celesta-lab permet d’aller vers ce que j’appelle une fertilisation biologique du sol. Les analyses fines de la matière organique donnent des indications précises sur ce qui va être disponible pour la vigne sur le court terme (azote restituée) et aussi de réfléchir sur le plus long terme. Avant, avec seulement le % de MO, il n’était pas possible de comprendre pourquoi avec 2.2% dans certains cas ça allait, et d’autres cas pas du tout.
Ce que j’appelle la fertilisation biologique, c’est de faire fonctionner le sol pour que la culture profite au maximum sans situation de stress ou d’excès (nutrition minérale et hydrique). L’approche fine de Celesta (C/N, MO fine et grossière, Carbone d’origine microbienne…) permet de raisonner des itinéraires adaptés à chaque situation : soit un apport de fumier, soit une restitution des bois de taille, soit un amendement ou engrais organique. Au fil des ans, j’ai pu mettre en place des itinéraires où le sol est de plus en plus vivant, c’est-à-dire qu’il a une « belle » fertilité. Les analyses ont montré que souvent, il faut des engrais verts, que j’ai pu intégrer avant plantation (pendant le « repos » du sol) et aussi progressivement sur vigne en place, technique maintenant bien maitrisée. »
Sébastien et Marc PICAUD, éleveurs filière Comté et céréaliers, St Lothain (39)
« Avec mon frère Marc, nous avons repris la ferme paternelle et fondé le GAEC de Silèze à St Lothain dans le Jura. C'est une exploitation de 250 hectares, dont 90 en prairie naturelle, car nous avons un troupeau de vaches laitières en filière comté. Pour nos animaux, nous avons fait le choix de l’aire paillée intégrale et notre fumier est épandue sur les têtes de rotation, à savoir le tournesol, le maïs grain ou le colza, les autres cultures sont le blé, l’orge d’hiver, de printemps et le soja. Nous faisans des analyses de sol régulièrement avec la coopérative agricole surtout pour le volet chimique, les oligo-éléments et le dosage de la matière organique. Les parcelles ainsi analysées étaient par ailleurs contrôlées régulièrement : la matière organique était plutôt stable, ce qui nous rassurait quant à nos pratiques de fertilisation et de gestion de nos fumiers (entre 15 et 25 tonnes/ha selon les cultures). En 2016, lors d’une formation sur les sols et les indicateurs analytiques de la fertilité des sols, Christian Barnéoud, agro-pédologue à la Chambre d’agriculture, nous a parlé d’indicateurs qui pourraient nous permettre de mieux comprendre le fonctionnement biologique de nos sols … et nous avons testé sur deux parcelles. On a alors compris qu’un taux unique de matière organique n'était pas toujours suffisant, qu'une teneur jugée normale de la matière organique totale n'était pas systématiquement synonyme d'une bonne activité microbienne et qu’il fallait nourrir nos sols avec de la matière énergétique … un peu comme nos vaches ! Ces analyses, que nous faisons maintenant sur d’autres parcelles, nous permettent de mieux comprendre leur fonctionnement et d’adapter les leviers à mettre en œuvre : par exemple, une parcelle est correcte du point de vue des MO mais le pH est trop bas et le sol est jugé peu vivant… on a corrigé le pH et on contrôlera si la vie redémarre. Dans une autre, c’est la fraction libre qui fait vraiment défaut … on sait qu’on doit laisser plus de pailles, apporter un peu plus de fumier. En complément de ces analyses, on contrôle la qualité physique de nos sols en faisant régulièrement les profils de sol au chargeur frontal. Christian nous sollicite depuis 3 ans plus régulièrement pour faire des profils de sol dans des formations qu’il anime chaque année pour des techniciens de chambres d'agriculture. Je dirai pour terminer qu’en 2022 en particulier, la très forte augmentation du prix des engrais que nous avons subi, nous a permis d'envisager sereinement des impasses en fertilisants au regard de la bonne santé de la plupart de nos sols et de leur activité biologique telle que mesurée par le laboratoire d’analyse. »
Matthieu LOOS, TERRES INOVIA, Domaine du Chaumoy, Le Sudray (18)
« Aujourd’hui, la caractérisation de la fertilité biologique des sols devient incontournable si l’on souhaite orienter les agriculteurs vers de nouvelles pratiques permettant de rendre leurs sols plus fonctionnels. Après avoir réalisé en tant qu’ancien conseiller Chambre d’Agriculture des formations sur les MO du sol et sur l’observation des sols, j’ai accompagné un certain nombre de groupes d’agriculteurs dont l’objectif principal était de sécuriser leur transition vers la réduction, voire la suppression du travail du sol. Il m’a paru évident d’utiliser les analyses de fractionnement de MO et de fonctionnement biologique des sols avec les agriculteurs : les indicateurs nous ont permis de faire un état des lieux des compartiments organiques et biologiques des sols afin de pouvoir accompagner les choix d’évolutions de pratiques. Si le fractionnement de la MO et sa qualité restent des indicateurs peu variables sur le court terme, ils permettent d’obtenir une « photographie » du sol pour faire un lien avec les pratiques du passé, et de préparer les pratiques à venir. Le compartiment vivant et plus particulièrement les potentiels de minéralisation sont des indicateurs qui peuvent réagir plus rapidement aux changements de pratiques, et donc mesurables à des pas de temps plus courts et plus fréquents pour juger de l’impact des pratiques sur la fertilité biologique du sol. Bien entendu, tous ces indicateurs prennent encore plus leur sens lorsqu’ils sont couplés à l’observation de la structure du sol, pour ne pas passer à côté de certaines explications du diagnostic biologique. Une bonne structure de sol reste un préalable indispensable à l’amélioration du fonctionnement biologique du sol. L’utilisation de ces indicateurs m’a donc permis de mieux cerner le fonctionnement organique d’un sol : il ne s’agit plus seulement d’avoir un sol avec une bonne teneur en MO, mais de faire en sorte que celle-ci soit la plus fonctionnelle possible, et qu’elle permette de répondre à différents objectifs (amélioration de la structure du sol, minéralisation d’éléments minéraux…). Aujourd’hui aux manettes d’une plateforme système de cultures SYPPRE en partenariat avec Arvalis, le bon fonctionnement organique et biologique des sols argilo-calcaire du Berry passe par la mise en place de pratiques en lien avec la connaissance des indicateurs biologiques. Dans un contexte de changement climatique et de stockage du carbone, la compréhension de ces indicateurs me permet d’avoir un discours plus pragmatique et objectif, lorsque je suis sur le terrain avec des agriculteurs en tant qu’agronome au sein d’un institut technique. Toujours au contact fréquent des agriculteurs notamment sur les questions qui tournent autour de l’implantation et la robustesse des cultures au sein de Terres Inovia, j’ai à cœur de pouvoir continuer à échanger sur les pratiques concrètes permettant à court et moyen terme d’améliorer la résilience du sol face au changement climatique, et maximiser l’atteinte du potentiel des cultures, grâce aux indicateurs agronomiques et biologiques du sol. »
Conclusion
En agronomie, que ce soit en culture annuelle ou pérenne, disposer d’indicateurs normalisés, suffisamment pertinents, accessibles au plus grand nombre et à la fois acceptables financièrement apparait une nécessité pour accompagner les agriculteur.ice.s dans leur gestion du compartiment complexe des matières organiques de leur sol. Certes cela nécessite un minimum d’appropriation de ces concepts, la conscience que les MOS sont bien un des piliers de la fertilité des sols agricoles. C’est à mon sens un des rôles importants pour ne pas dire majeurs de toutes les structures agricoles (chambres d’agricultures, instituts techniques, coopératives agricoles, structures de formation…etc.) qui affichent leur volonté d’accompagner techniquement le monde paysan notamment face au dérèglement climatique. C’est aussi et peut-être même surtout, un des rôles cruciaux des structures d’enseignement agricole : permettre aux jeunes apprenant.es de comprendre les concepts dynamiques des MOS pour en percevoir l’importance majeure et la nécessité de leur gestion au sein de l’exploitation agricole est aussi une manière d’appréhender le dérèglement climatique de manière active. A cet égard, je ne peux que saluer le programme actuel « PromoSolsEduc »piloté par l’Association Française pour l’Etude des Sols qui « vise le recensement et la valorisation de ressources et séquences pédagogiques en lien avec la connaissance et la préservation des sols » en proposant « aux enseignants des approches “problématisantes” de la ressource sol mettant en avant les menaces qui pèsent aujourd’hui sur cette ressource et les solutions qui existent pour atténuer ces menaces ».
Références bibliographiques
Boulaine J.,1989. Histoire des pédologues et de la science des sols. Ed.INRAe ,285 p.
Chaussod, R. et Nouaïm, R.,2019. « Qualité biologique » des sols cultivés : évolution des concepts et des outils de diagnostic. In : 14èmes Rencontres de la Fertilisation Raisonnée et de l’Analyse, Dijon, 20-21/11/2019. https:// gemas.asso.fr
Kockmann, F., Fabre, B., Chaussod, R., (1990). Le chaulage en limons battants. Perspectives Agricoles n°144,12 pages
Lehmann, J., Kleber, M., 2015. The contentious nature of soil organic matter. Nature 528, 60–68. Doi :10.1038/nature16069
Ranjard L. et d’Oiron E. (2018). revue-sesame-inrae.fr/agrinnov-enfin-le-sol-sous-surveillance-1/
Sadet-Bourgeteau S., Maron P-A., et Ranjard L. (2020). Que sait-on de l’impact des digestats de méthanisation sur la qualité biologique des sols agricoles ? AE&S n°10-1Agronomie et méthanisation, pp111-114
Valé Matthieu, Bouthier Alain, Chaussod Rémi, Cusset Elodie, Deschamps Thibaud, Houot Sabine, Laurent Nadia, Le Net Justine, Leclerc Blaise, Perrin Anne-Sophie, Recous Sylvie, Riah-Anglet Wassila, Roussel Pierre-Yves, Trinsoutrot-Gattin Isabelle (2019). Disposer de méthodes abordables, précises et robustes pour les indicateurs de gestion des matièresorganiques dans les sols cultivés. Diaporama présenté lors des 14ième Rencontres Comifer-Gemas, 20-21 novembre 2019-Dijon.
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