Pour un travail vivant : reconstruire des collaborations inter-espèces dans le travail en agriculture
Sébastien Mouret*, Aurélie Javelle**
* sociologue, chargé de recherche INRAE, UMR Innovation (Montpellier), sebastien.mouret@inrae.fr
** ingénieure de recherche en anthropologie de l’environnement, UMR Innovation,
UMR Sens, Univ. Montpellier, CIRAD, INRAE, Institut Agro, Montpellier, aurelie.javelle@supagro.fr
Résumé
Cet article propose une réflexion sur les rapports entre travail et nature en agriculture. L’agroécologie appelle à reconsidérer le statut des espèces non humaines (animaux, plantes, microbes, etc.) dans le travail en agriculture, que l’agronomie et la zootechnie ont longtemps défini comme des moyens/objets de production. Dans un contexte d’injonction à « travailler avec la nature », l’objectif de l’article est de clarifier ce que nous appelons la « part vivante » du travail en agriculture. A savoir les collaborations inter-espèces qui constituent les rationalités relationnelles du travail. Nous caractériserons ces collaborations à partir du travail avec des animaux et des plantes, qui sont au centre de nos travaux de recherche. Nous partirons du concept du travail avec la nature selon trois rationalités (instrumentale ; relationnelle ; identitaire), pour ensuite clarifier comment les animaux sont des partenaires de travail, les plantes des espèces compagnes du travail.
Mots-clefs : travail, animaux, plantes, collaborations inter-espèces, agroécologie
Abstract
This article offers a reflection on the relationship between work and nature in agriculture. Agroecology calls for reconsidering the status of non-human species (animals, plants, microbes, etc.) in agricultural work, which agronomy and zootechnics have long defined as means/objects of production. In a context of the injunction to “work with nature”, the objective of the article is to clarify what we call the living part of work in agriculture. Namely the inter-species collaborations which constitute the relational rationalities of work. We will characterize these collaborations based on work with animals and plants, which are at the center of our research work. We will start from the conception of work with nature according to three rationalities (instrumental; relational; identity), to then clarify how animals are work partners, plants are companion species of work.
Keywords: Work, animals, plants, multispecies collaboration, agroecology
Introduction
La transition agroécologique appelle à une transformation des rapports entre travail et nature liés à la modernité agricole. Il s’agit de « travailler avec la nature » (Larrère, 2021), et non plus de la maîtriser et l’exploiter, à travers la construction de « collaborations » (Couvet & Hubert, 2021) avec des entités non humaines - mais bien vivantes - qui peuplent les écosystèmes des exploitations agricoles : animaux, plantes, microorganismes, sols, prairies, forêts, etc. Ces collaborations passent par le développement de « solutions fondées sur la nature » (ibid.), par contraste avec des « solutions basées sur des technologies » centrées sur la modification et le contrôle du vivant[1], notamment des plantes et des animaux, pour maximiser la productivité du travail agricole. Les collaborations inter-espèces relèvent d’« arts du pilotage » (Larrère, 2021 ; Autard, 2023) des processus biotiques des agroécosystèmes, autrement-dit de manières de composer avec des puissances d’agir non humaines dans la production de biens alimentaires et services environnementaux. Les pratiques agroécologiques ne sont donc pas sans intervention humaine, mais demandent précisément à prendre en compte les besoins, réactions et dynamiques des entités non humaines. Autrement-dit, il s’agit de ré-inscrire le travail en agriculture dans un cadre écologique, et de l’articuler avec son cadre technique et économique[2]. Telle que présentée ainsi, la transition agroécologique participe d’un « tournant probiotique » (Lorimer, 2020) dans les rapports de nos sociétés industrielles à la nature. Ce tournant traduit une nouvelle biopolitique de « gestion du vivant par le vivant » (ibid.) qui modifie l’organisation du travail en agriculture, mais aussi plus largement l’exceptionnalisme humain du travail.
La réflexion que nous proposons ici souhaite approfondir cette nouvelle configuration en explorant ce que signifie collaborer avec des espèces non humaines dans le travail en agriculture. Comment comprendre ces relations au-delà de leurs orientations liées à l’agroécologie ? Comment les différencier selon les espèces considérées ? Plus largement, comment changent-elles notre compréhension des rapports entre travail et nature en agriculture ? L’appel de l’agroécologie à « travailler avec la nature » est pour nous l’occasion d’ouvrir une boîte noire du travail en agriculture et de son histoire, à savoir ses rationalités relationnelles au-delà de l’humain. L’objectif de l’article est de caractériser ce que nous appelons la part vivante du travail en agriculture, que sont les relations de travail inter-espèces qui le constituent. Pour clarifier ces relations, et apporter des éléments de réponse aux questions formulées, nous caractériserons ici ce que veut dire travailler avec la nature dans le cas précis des animaux domestiques et des plantes cultivées.
Dans une première partie, nous présenterons notre approche du travail avec la nature selon plusieurs rationalités (instrumentale, relationnelle, identitaire), en montrant également comment la modernité agricole a instauré un primat de la rationalité instrumentale du travail. Dans une deuxième partie, nous mettrons en évidence les collaborations entre humains et animaux au travail dans le cas des activités d’élevage. Dans une troisième et dernière partie, nous mettrons en regard ces relations de travail inter-espèces avec les collaborations entre humains et plantes au travail en agriculture. Pour ce faire, nous nous appuierons sur nos travaux de recherche qui s’inscrivent dans les études animales et environnementales, deux champs de recherche qui ont engagé une réflexion sur l’exceptionnalisme humain, notamment sur l’un de ses principaux marqueurs : le travail (Besky & Blanchette, 2021 ; Mouret & Lainé, 2023). Ils ouvrent des perspectives de dialogue avec l’agronomie pour repenser les rationalités relationnelles du travail en agriculture.
Les relations de travail inter-espèces : repenser le travail en agriculture
Les rationalités du travail avec la nature en agriculture
Notre approche du travail avec la nature s’appuie sur les apports de la sociologie du travail animal (Porcher, 2014 ; Porcher & Estebanez, 2019 ; Porcher et al., 2024) qui a pour objet l’étude des relations de travail entre humains et animaux, et s’enracine principalement dans la clinique du travail. Forgée dans le cadre de divers programmes de recherche, initialement le programme ANR COW (Porcher, 2015), son approche théorique du travail avec les animaux a été par la suite mobilisée et discutée dans le projet PlantCoopLab (2021-2024), pour étudier les relations de travail aux plantes en agriculture (Pouteau et al., à paraître), notamment dans le cadre de la transition agroécologique. C’est à partir de ces recherches et ces échanges sur les rapports entre travail et nature, dans le cas des animaux et des plantes, que nous avons construit cette approche du travail avec la nature, selon trois rationalités : instrumentale, relationnelle, identitaire.
Travailler en agriculture, ce n’est pas seulement produire. Autrement-dit, transformer des animaux et des plantes en biens et marchandises alimentaires, selon des critères d’efficacités technique et économique. C’est aussi vivre ensemble entre espèces humaines et non humaines. La rationalité du travail en agriculture est ainsi également relationnelle. Elle repose ici sur des collaborations inter-espèces où les animaux et les plantes, par hypothèse d’autres entités non humaines (micro-organismes etc.), ne sont plus considérés comme de simples moyens de production, mais comme des espèces compagnes (Haraway, 2009) du travail. Nous développons avec elles des relations aux caractéristiques spécifiques, notamment du point de vue de l’intentionnalité.Enfin, la rationalité du travail en agriculture est également identitaire. Elle porte ici sur la construction de soi, notamment en termes de plaisir et de souffrance au travail : là encore, elle ne concerne pas uniquement les agriculteurs-éleveurs (Porcher, 2002 ; Mouret, 2012), mais s’étend notamment aux animaux (Porcher, 2002 ; Mouret, 2024).
Ces rationalités relationnelles constituent la dimension vivante du travail en agriculture. Elles impliquent d’envisager la compréhension des pratiques agricoles - et agroécologiques - au-delà de leurs dimensions technique et économique, et d’élargir l’approche des relations entre les vivants, telle que définie par l’écologie. Dans la perspective de l’agroécologie telle que proposée en introduction, le travail avec la nature va donc au-delà des arts du pilotage, de la construction et la mobilisation de savoirs sur les espèces non humaines, issues des sciences de la vie ou d’expériences du travail. Nos travaux nous permettent de constater que considérer les animaux et les plantes comme des compagnons de travail ne peut se restreindre aux dimensions biologiques, écologiques ou encore zootechniques, mais implique de reconnaître leur participation aux processus de production de biens et de services. Cela demande d’interroger le statut accordé aux non-humains, et les formes des relations à entretenir avec eux. Les frontières anthropologiques du travail, autrement-dit, son exceptionnalisme humain – le travail comme propre de l’homme -, deviennent alors poreuses. Qui travaille ? Et qu’est-ce que le travail ? De plus, considérer le travail avec les animaux et le plantes comme des formes de compagnonnage n’est pas sans implication morale. La rationalité relationnelle du travail est morale. Travailler avec la nature, c’est porter attention à la question du bien vivre et du bien mourir pour chaque espèce partenaire, humaine comme non humaine. C’est répondre à la question dans le travail en agriculture : comment être responsable ? Comment considérer animaux et plantes comme des fins et non plus seulement des moyens d’atteindre des objectifs productifs ?
La modernité agricole : un primat de la production
Le vivre ensemble entre humains, animaux et plantes dans le travail en agriculture a été profondément altéré et effacé par la modernité agricole, qui a essentiellement circonscrit le travail à sa dimension instrumentale, réduisant ainsi les animaux et les plantes à des moyens de production. Fondée sur une intégration de l’agriculture à l’économie industrielle, les politiques de modernisation des activités agricoles ont accéléré et renforcé, depuis la seconde guerre mondiale, un rapport d’appropriation capitaliste de la nature. Les productions animales et végétales reposent sur une simplification des relations inter-espèces et une aliénation du travail humain et non humain (Porcher, 2002 ; Tsing, 2017). Dans les élevages et les monocultures industriels, il n’est pas attendu des éleveurs et des agriculteurs qu’ils construisent des relations d’affection, d’attention et de soin envers des animaux d’élevage et des plantes de culture. Au contraire, ces dimensions sensibles et morales du travail sont considérées comme inefficaces et inutiles à la production. Dans ces systèmes agricoles industriels, qui produisent la majeure partie des biens alimentaires dans nos sociétés occidentales, le capitalisme organise la nature non humaine – les animaux, les plantes, etc. - par une appropriation de son « travail énergie » (Moore, 2020), qui est une forme de « travail non rémunéré », pour la rendre « cheap » (ibid.), donc bon marché. Cette appropriation de la nature s’opère par la science et la technologie.
Dans la modernisation de l’agriculture, l’agronomie et la zootechnie ont joué un rôle central dans la transformation des rapports entre travail et nature, donc du travail même des agriculteurs avec la nature. Le vivre ensemble entre humains et animaux est un impensé de la zootechnie (Porcher, 2002), comme le vivre ensemble avec les plantes dans le champ de l’agronomie. Aux risques de raccourcis historiques, l’agronomie s’est d’abord construite comme une « science technologique des productions végétales » (Denis, 2007), visant à « rechercher les moyens d’obtenir les produits des végétaux de la manière la plus parfaite et la plus économique » (ibid.), orientations que lui ont donné ses principes fondateurs. A partir de la seconde moitié du 20ème siècle, l’agronomie a contribué à la construction de modèles scalables (Tsing, 2017) de productions agricoles à hauts rendements, où la productivité du travail a été pensée et organisée par un affranchissement des spécificités écologiques des activités agricoles (Hubert, 2010), en concevant les champs agricoles comme des répliques de laboratoires de l’agronomie (Beau, 2017). Ces modèles ont induit une altération des écosystèmes des activités agropastorales et de polyculture-élevage, très présentes avant la révolution verte et son accélération du productivisme en agriculture, où le travail dépendait et cultivait de relations inter-espèces riches et complexes. Il ne s’agit pas pour nous de « faire le procès » de l’agronomie mais de souligner cet effacement des rationalités relationnelles du travail en agriculture, donc des relations de travail inter-espèces. L’émergence d’une dissidence (Cornu, 2021) dans la communauté des agronomes, via la construction d’une « agronomie système » dans les années 70-80, traduit une préoccupation environnementale liée à la modernité agricole. Elle a reconstruit une épistémologie de la complexité des systèmes agraires qui, dans son attention aux pratiques des agriculteurs, notamment aux sens qu’ils leur confèrent, peut se saisir des relations inter-espèces de travail via des collaborations avec les sciences humaines et sociales, et de leur reconstruction dans la transition agroécologique.
Les animaux domestiques : des partenaires au travail
Comment les animaux sont-ils des partenaires de travail ? La sociologie du travail animal (Porcher & Estébanez, 2019) a développé une large étude des relations de travail entre humains et animaux domestiques, en s’intéressant aux rôles de différentes espèces animales, dont les chiens (Mouret, 2017 ; 2018 ; 2024), chevaux (Deneux-Le Barh, 2023 ; 2024 ; Barreau et al., 2024 ; de Torres 2024 ; Mulier & Porcher, 2022), éléphants (Lainé, 2018), etc. - dans la production de biens et de services – l’alimentation, la santé, la sécurité, l’écologie, le sport, la science.
Le travailler animal
C’est d’abord à partir de l’étude de la collaboration des vaches au travail en production laitière (Porcher & Schmitt, 2012) que la sociologie du travail animal a construit ses fondements théoriques, en mettant en lumière ce que signifie travailler pour un animal, en référence au concept de travailler (Dejours, 2003) construit par la psychodynamique du travail. Travailler implique pour les vaches, comme pour d’autres animaux d’élevage, et plus largement les animaux domestiques (chiens ; chevaux etc.) de mobiliser leur subjectivité – leurs capacités sensibles et cognitives – pour combler l’écart entre le prescrit et le réel. Autrement dit, l’écart entre des règles et les situations de travail. La traite[3] des vaches est, par exemple, un moment de la production laitière pouvant mettre en lumière le travailler des vaches. Cet espace-temps codifié du travail implique de la part des animaux de respecter des règles de circulation et de posture pendant la traite, donc de les mettre en œuvre en s’adaptant aux aléas quotidiens de cette tâche, pour le bon déroulement de l’extraction du lait. Sans la subjectivité, et notamment l’intelligence des animaux, les fermes comme d’autres infrastructures utilisant des animaux (expérimentation animale, etc.) ne pourraient pas fonctionner.
Cette approche du travail animal renverse l’ontologie du travail de la modernité agricole, laquelle repose sur une séparation entre culture et nature : les animaux d’élevage sont des sujets du travail (Porcher, 2014) et non de simples objets pouvant être façonnés par des techniques, des connaissances, pour la production de biens alimentaires. Cette approche fait également sortir les animaux d’élevage de la sphère de la « reproduction », donc de la nature par opposition au travail. Autrement dit, les vaches, les cochons, comme d’autres espèces utilisées en élevage, ne feraient qu’exprimer leurs caractéristiques naturelles[4] (rumination, lactation, etc.), que la modernité agricole aurait spécialisées et optimisées par les sciences et les technologies (sélections génétiques ; tables de nutrition, etc.), afin d’accroître la productivité du travail. Certes, les animaux d’élevage sont des biotechnologies dont les corps, en particulier leur physiologie, leur métabolisme et leur procréation - donc tout ce qui a trait à la « reproduction » -, ont été modelés pour la production de viande ou de lait. Mais ils sont également des travailleurs : ils mobilisent leur subjectivité dans la réalisation de diverses tâches agricoles. Le travailler animal ébranle la distinction travail-nature, laquelle recoupe une distinction production-reproduction. Il soulève la question des conditions de vie au travail des animaux en termes de souffrance et de plaisir, d’exploitation et d’émancipation, qui sont des enjeux fondamentaux du devenir du travail en élevage et en agriculture.
Don et contre-don
A quelles conditions les animaux investissent-ils leur subjectivité dans la réalisation de tâches ? La collaboration des animaux au travail possède également une dimension éthique et sociale. Le travailler animal dépend notamment des liens que les humains leur proposent de tisser, liens qui répondent à une logique d’échange de dons. En élevage, la relation de travail repose sur un don de la vie bonne des humains aux animaux (Porcher, 2002), lequel est à la fois l’expression d’une reconnaissance de leur travail (Mouret, 2023), y compris de la vie qu’ils donnent aux humains par l’alimentation (Mouret, 2012). La vie bonne se donne par un ensemble de gestes dans le quotidien du travail qui vont au-delà de la seule satisfaction des besoins naturels des animaux. L’affectivité et le soin y occupent une place centrale dans le travail avec les animaux d’élevage (Porcher, 2002), comme dans le travail avec d’autres animaux domestiques, tels que les chiens guides d’aveugles (Mouret, 2018) et les chevaux de courses (Barreau et al., 2024). La vie bonne a aussi à voir avec « l’intérêt » (Mouret, 2024) des animaux pour le travail. L’attention à la vie bonne des bêtes construit également le sens de la mort des animaux, notamment de l’abattage des animaux d’élevage. La collaboration entre humains et animaux intègre donc une dimension morale – et politique : le bien vivre et le bien mourir. La part vivante du travail des animaux fait alors référence à la vie bonne que les éleveurs veulent leur accorder, aidés en cela par le soin qu’ils sont soucieux de leur apporter, mais aussi par la reconnaissance de leur capacité à travailler, de leur subjectivité et leur sensibilité, les faisant ainsi des collaborateurs dans un processus productif.
Le travail : un compagnonnage avec les plantes
Comment comprendre la relation de travail aux plantes ? Nous nous appuierons ici sur les résultats (Pouteau et al., 2023, Pouteau et al., 2024 ; Javelle & Pinton, à paraître) d’un des ateliers du projet PlantCoopLab, où cette question fut posée et traitée avec des maraîchers en agriculture biologique et qui revendiquent la défense d’une agriculture paysanne. Cet atelier s’est tenu à la ferme de Ste Marthe à Millançay, engagée dans la construction d’une université paysanne[5], point nodal des trajectoires et réseaux professionnels de la plupart des participants à l’atelier. Nous nous appuierons également sur les résultats (Javelle, 2021, 2023) d’un terrain de recherche ethnologique sur le travail de maraîchers en agriculture biologique dans les Cévennes.
Une attention morale aux plantes
Les professionnels participant à l’atelier de Millançay soulignent les manières d’être particulières des plantes, dues aux spécificités de leurs mouvements, de leur sensibilité, et leur temporalité (Tassin, 2016), ce qui les rend complexes à appréhender dans leur travail en maraîchage. Ils expriment également une ambivalence des plantes qui leur sont à la fois étrangères et familières. Leur étrangeté tient au fait que les agriculteurs les perçoivent comme extrêmement reliées à leur environnement, en « connexion permanente avec les autres végétaux, les minéraux, les animaux, la microfaune ou encore les bactéries ». Un maraîcher-semencier observe qu’il ne peut pas avoir une relation avec la plante s’il n’a pas une relation avec le sol, les microorganismes et les pollinisateurs. Ces interconnexions sont présentes à tel point que cela amène les producteurs à ne plus voir les limites des individualités végétales : alors que « visuellement, ça a un contour, quand on comprend la plante, qu’on la voit se développer, on comprend comment elle est en lien avec son environnement, les contours deviennent très, très diffus. » Face à cette altérité si particulière, le travail avec les plantes demande une attention importante pour découvrir et comprendre leurs spécificités, ce qui implique de consacrer une présence physique auprès d’elles, du temps à les observer et à construire une proximité.
Celle-ci passe par des attachements affectifs et moraux au travail. Les maraîchers soulignent l’importance du « respect », de « l’affection », de « l’amitié », de « l’amour », qui varient selon les espèces. Ils se développent au fil du temps et des interactions avec les plantes. L’existence d’un cadre productif, dans lequel s’inscrit leur travail avec les plantes, donc leurs attachements affectifs et moraux, fait émerger chez les maraîchers des questionnements récurrents autour de la « justesse d’action, à bon escient, d’ajustement, de capacité à juger, de conscience, et finalement d’identité et de liberté de choisir d’avoir un acte productif empreint de respect, ou non. Autrement dit les facultés qui placent l'être humain face à une responsabilité éthique individuelle » (Pouteau et al., 2023).
A l’instar des animaux, cette attention morale aux plantes s’inscrit dans un rapport de don-contre don ». Les maraîchers se sentent redevables de ce que la nature leur donne, et le travail avec les plantes est un moyen de leur rendre par une attention fine, sensible et empathique à ce qu’elles sont, profondément. Ces actes inscrivent dans la matière une réciprocité et traduisent un apprentissage du « vivre ensemble » (Abram, 2013, p. 34). A tel point que le travail se transforme en jeu.
Déléguer et jouer avec les plantes
Collaborer avec les plantes demande d’autres compétences au travail : de « l’écoute » pour accueillir leurs manières particulières de pousser ou de se développer que les maraîchers intègrent, ou pas, dans leurs pratiques agroécologiques. Il s’agit de se saisir des aléas et des imprévus liés aux comportements des plantes, donc de s’emparer de ce qui est inattendu pour ajuster les pratiques et faire évoluer le système maraîcher. La collaboration avec les plantes emprunte ici un autre chemin que ceux de la simplification écologique et de la standardisation des conduites des plantes, qui sont des marqueurs de la modernité agricole. La prise en considération de ces inattendus peut être considérée comme une reconnaissance de leur autonomie, laquelle est rendue possible par une attention à leurs manières d’être. Comme le souligne un maraîcher cévenol, accueillir les propositions des plantes demande une attention à chaque plante, donc une recherche de compréhension de ce qui leur plaît individuellement en fonction de là où elles se trouvent, de leur environnement : « Essayer d’avoir un peu d’empathie avec la plante, et voir ‘comment est-ce que tu veux pousser ?’, et comment ‘je peux t’aider, ou pas ?’, et ‘tu pousses comme ça ?’ et puis ça marche ». Cette attention implique de « mettre en retrait son intentionnalité » (Demeulenaere, 2013) pour laisser de la place à ce que la plante exprime : « J’essaie de guider plutôt que de plier […]. J’ai un programme de planification pour démarrer, mais je m’ajuste en fonction de ce qui va réellement pousser, pas en fonction de mes propres désirs » (maraîcher cévenol).
Envisagé selon ces termes, le travail peut relever du jeu (Javelle, 2023), c’est-à-dire des compositions créatives avec les initiatives végétales. On peut prendre l’exemple du maraîcher qui obtient des résultats créatifs avec une salade : en étant attentif à ses manières de pousser à contre saison, il fait évoluer sa production de salade ; ou encore cet autre maraîcher qui fait évoluer son organisation parcellaire face au développement impromptu de vignes sauvages qu’il orientera pour faire des treilles (ibid.). La collaboration avec les plantes remet alors en question la distinction, très inscrite dans le sens commun du travail dans nos sociétés occidentales, entre le travail et le jeu – travailler, ce n’est pas jouer. Pourtant, nous constatons un amusement chez certains maraîchers face aux activités inopinées apparemment sans but, fantaisistes et hasardeuses des plantes. Ils tirent plaisir de la dynamique et du caractère non répétitif du système qui en résulte, certains maraîchers ayant envie de ne pas être contraints, dans leur travail, par des cadres rigides. En intégrant de manière créative les manières d’être végétales, travailler devient alors jouer. Les négociations permanentes menées avec les plantes permettent de respecter les interactions intimes qu’elles ont avec le milieu où elles évoluent. La dimension ludique amenée par les ouvertures de possibles, les écarts d’avec les sentes préétablies incarnent une « épistémologie des aventures » (Cohen, 2017), des ajustements dynamiques entre respect des potentiels végétaux et pilotage humain (Larrère, 2021).
Le sens que les maraîchers donnent à leurs relations aux plantes met en lumière la part vivante du travail en agriculture. Elle fait référence à l’affectivité, au soin et l’attention qu’ils leur apportent au quotidien, la dimension productive se combinant à ces propriétés qualitatives. La part vivante du travail avec les plantes signifie des actes productifs qui correspondent dans l’expérience de chacun à un « épanouissement des forces naturelles des êtres vivants » et investissent les domaines de « l’affect », de la « sensibilité », de la « communication », comme ils le formulent, qui guident les pratiques et permettent l’élaboration de connaissances construites en situation avec les plantes. Le respect attentif exprimé par les pratiques observées laisse de la place aux imprévus apportés par les plantes, des productions suivant plus volontiers les temporalités et les comportements végétaux, aboutissant à des résultats créatifs. Un travail ultérieur permettrait de comprendre dans quelle mesure ces dimensions relationnelles peuvent apparaître dans des systèmes plus productivistes, si la sensibilité est bâillonnée par les impératifs économiques par exemple, comme se le demande Dusan Kazic (2022).
Conclusion : vers un travail vivant ?
Ce parcours dans le champ du travail avec les animaux et les plantes met en lumière la part vivante du travail en agriculture, à savoir les collaborations inter-espèces qui constituent ses rationalités relationnelles, que la modernité agricole a transformée, pour les réduire, voire les altérer. Travailler avec des animaux et des plantes, ce n’est pas seulement produire. C’est surtout vivre ensemble entre espèces humaines et non humaines. La production doit être repensée dans le cadre du vivre ensemble pour rendre l’agriculture plus écologique, ou plutôt restaurer sa dimension écologique. Autrement-dit construire une agroécologie.
Ces collaborations inter-espèces présentent des similitudes dans le cas des animaux et des plantes. D’abord, une distance avec les contingences productives. Pour exister, la part vivante du travail implique une inflexion, sinon une rupture, avec le productivisme instauré par la modernité agricole. Ensuite, ces collaborations inter-espèces reposent sur des attachements affectifs et moraux. Animaux et plantes ne sont pas de simples moyens de production, mais des fins. L’affectivité, le soin et le don sont constitutifs des collaborations inter-espèces. Mais elles impliquent des inter-subjectivités très différentes. Les agriculteurs – éleveurs et maraîchers – le soulignent : « nous sommes plus proches des animaux que des plantes » tant sur le plan de la physicalité et de l’intériorité. Enfin, ces relations inter-espèces de travail reposent autant sur des manières de cadrer les agentivités animales et végétales, donc de les limiter et les orienter, que d’intégrer des propositions de la part des animaux et des végétaux. Leurs conduites dans le cours du travail ne sont pas seulement des imprévus et aléas qu’il faut régler, mais également des ressources pour la co-construction des pratiques. Le travail va au-delà de l’application d’intentions humaines, il s’opère par un tissage de propositions humaines et non humaines.
Cette dernière similitude nous amène à souligner une différence centrale entre les animaux et les plantes dans les collaborations inter-espèces. Les premiers sont des partenaires de travail, les seconds des espèces compagnes (Haraway, 2008) du travail. L’évolution récente des connaissances sur la sensibilité et l’intelligence des plantes a contribué à l’émergence d’un mouvement épistémologique, éthique et politique : le « plant-turn » (Myers, 2015). À l’instar de la « question animale », il remet en question une conception des plantes comme créatures mécaniques (Gerber & Hiernaux, 2022), pour interroger nos considérations morales à leur égard, y compris en termes de droits. Le plant-turn est également traversé par des réflexions sur le « travail des plantes » (Kazic, 2022 ; Ernwein, Ginn & Palmer, 2021). Cependant, à l’instar des animaux domestiques, peut-on considérer que les plantes travaillent ? Donc qu’il y a un « travailler végétal », comme il y a un travailler animal ? De notre point de vue, non. Malgré toutes les caractéristiques découvertes depuis plusieurs années sur les comportements végétaux, on ne peut, à l’inverse des animaux, leur attribuer une intentionnalité. C’est pour cette raison que nous différencions le « travail avec les animaux » du « travail avec les plantes », à partir du travailler. Les animaux domestiques sont des partenaires de travail dans le sens où nous partageons avec eux des vies intentionnelles. Ce sont des êtres qui ont appris à vivre et travailler avec nous depuis la domestication (Porcher, 2012). Il n’en va pas de mêmes des plantes et autres vivants (microbes, vers de terre, etc.). Mais nous partageons avec eux un monde écologique qu’il faut réparer ensemble via des collaborations inter-espèces dans le travail.
La part vivante du travail, à savoir ses relations inter-espèces où se joue la construction d’un vivre ensemble, amène à repenser la notion de « travail vivant », que Marx (2008) a construit en opposition au « travail mort ».
Le travail mort appliqué aux humains, animaux et plantes, renvoie ici à l’aliénation et l’exploitation. A l’opposé, la notion de vivant désigne ici, selon nous, les relations inter-espèces permettant la réparation et l’épanouissement des vies humaines et non humaines. Le travail en agriculture, y compris en agroécologie, devrait être là pour soutenir ces forces de vie.
[1] Par exemple, les pratiques agroécologiques peuvent reposer sur la régulation de ravageurs et pathogènes des plantes par le développement d’auxiliaires de cultures (insectes, mammifères, oiseaux, micro-organismes, etc.), la mobilisation du biotope des sols (vers de terre, bactéries, etc.) pour la restauration écologique et l’usage agricole de « sols vivants » (production de la matière organique ou biomasse dans le sol), l’utilisation d’herbivores domestiques ou sauvages pour la conservation-restauration de biotopes. A l’inverse, les solutions technologiques reposent, par exemple, sur l’optimisation du métabolisme animal et végétal par la sélection génétique, l’usage d’engrais et de pesticides de synthèse.
[2] En termes d’économie politique, donc de transformation des activités agricoles, l’agroécologie vise à réduire les conséquences délétères du productivisme (réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, etc.) par le développement d’agricultures alternatives (biologiques, paysannes, etc.), ainsi que par des hybridations (Couvet & Hubert, 2021) des formes d’agricultures modernes avec des solutions fondées sur la nature.
[3] Il en va de même d’autres tâches, comme le pâturage ou le quotidien en stabulation.
[4] Le travail des chiens et des chevaux apparaît plus évident que celui des animaux d’élevage, dont celui des vaches qui ne font qu’exprimer des comportements naturels. Telles sont les discussions qui s’engagent au cours de présentations de nos recherches sur le travail des animaux avec des zootechniciens et d’agronomes.
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