Rappels réglementaires sur l'utilisation des engrais et amendements organiques en agriculture biologique
Blaise Leclerc*
*ancien expert fertilisation organique à l’ITAB
Introduction
Le développement de l’agriculture biologique, toujours plus important d’année en année, ne peut pas se faire uniquement par le recyclage des éléments fertilisants produits sur l’exploitation ou par des transferts de ces fertilisants entre fermes certifiées en agriculture biologique (AB). En effet, beaucoup de conversions récentes concernent des exploitations sans élevage, en grandes cultures ou en productions végétales spécialisées (maraîchage, arboriculture, viticulture). Même en mettant en place des rotations permettant de faire entrer sur les fermes de l’azote via la fixation symbiotique, des apports de fertilisants sont nécessaires, notamment pour combler, en plus de l’azote, les exportations de phosphore et de potassium. Le développement de l’AB, en France et plus largement en Europe, est donc sous la dépendance d’apports de matières organiques exogènes, qu’elles proviennent de fermes en agriculture conventionnelle ou de déchets d’origine urbaine. Les lignes qui suivent rappellent les bases de la réglementation européenne concernant les conditions d’acceptabilité de ces matières organiques exogènes en AB.
Le principe du règlement concernant la production biologique
Le principe du règlement (CE) n° 889/2008 concernant la fertilisation repose sur deux articles de base (voir encadré ci-dessous) et d'une liste positive faisant l'objet de l'annexe 1 dudit règlement. Les produits listés dans cette liste sont autorisés, et tous les autres sont par défaut interdits. L'utilisation des produits listés dans cette annexe 1 ne doit cependant pas conduire à négliger l'entretien des principales propriétés du sol liées aux apports réguliers de matières organiques (rétention en eau, en éléments minéraux, stabilité de la structure, etc.).
Article 3 du règlement (CE) n° 889/2008 : Gestion et fertilisation des sols
1. Lorsque les mesures prévues à l’article 12, paragraphe 1, points a), b) et c) du règlement (CE) n° 834/2007 (voir ci-dessous) ne permettent pas de couvrir les besoins nutritionnels des végétaux, seuls les engrais et amendements du sol énumérés à l’annexe 1 du présent règlement peuvent être utilisés dans la production biologique, et uniquement suivant les besoins. Les opérateurs conservent des documents justificatifs attestant la nécessité de recourir à ces produits.
2. La quantité totale d'effluents d'élevage au sens de la directive 91/676/CEE du Conseil concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (1) utilisée sur l'exploitation ne peut dépasser 170 kg d'azote par an/hectare de surface agricole utilisée. Cette limite s'applique uniquement à l'utilisation de fumier, de fumier séché et de fiente de volaille déshydratée, de compost d'excréments d'animaux solides, y compris de fiente de volaille, de fumier composté et d'excréments d'animaux liquides.
3. Les exploitations pratiquant la production biologique ne peuvent établir un accord de coopération écrit en vue de l'épandage d'effluents excédentaires provenant de la production biologique qu'avec d'autres exploitations ou entreprises respectant les règles de la production biologique. La limite maximale visée au paragraphe 2 est calculée sur la base de l'ensemble des unités de production biologiques concernées par cette coopération.
4. Des préparations appropriées de micro-organismes peuvent être utilisées pour améliorer l'état général du sol ou la disponibilité d'éléments nutritifs dans le sol ou les cultures.
5. Des préparations appropriées à base de micro-organismes ou de végétaux peuvent être utilisées pour l'activation du compost.
Article 12, paragraphe 1, points a), b) et c) du règlement (CE) n° 834/2007
a) La production végétale biologique a recours à des pratiques de travail du sol et des pratiques culturales qui préservent ou accroissent la matière organique du sol, améliorent la stabilité du sol et sa biodiversité, et empêchent son tassement et son érosion ;
b) La fertilité et l’activité biologique du sol sont préservées et augmentées par la rotation pluriannuelle des cultures, comprenant les légumineuses et d’autres cultures d’engrais verts et par l’épandage d’effluents d’élevage ou de matières organiques, de préférence compostés, provenant de production biologique ;
c) L’utilisation de préparations biodynamiques est autorisée.
D’autre part l’utilisation des engrais et des amendements organiques en agriculture biologique doit se faire dans le respect des réglementations sur la mise en marché des produits fertilisants existantes au niveau européen et dans chaque état membre. Pour la France, cette réglementation est rappelée dans le paragraphe suivant.
Une réglementation nationale sur la mise en marché des produits fertilisants
Le règlement (CE) n° 889/2008 n'est pas un règlement de mise en marché des produits fertilisants, il doit donc être complété dans chaque Etat Membre par des règles de mise en marché. En France, c'est le code rural et de la pêche maritime qui régit l'utilisation des matières fertilisantes, et notamment son article L255-2. Dans la pratique, c'est essentiellement l'utilisation des normes rendues d'application obligatoire ainsi que le règlement (CE) n° 2003/2003 qui régit en France la mise sur le marché de la majorité des engrais et amendements organiques. Pour les produits utilisables en agriculture biologique (c'est-à-dire cités à l'annexe 1 du règlement (CE) n° 889/2008), les normes concernées sont essentiellement la NF U 44-051 (amendements organiques), la NF U 44-551 (supports de cultures) et la NF U 42-001 (engrais organiques). Ceci ne signifie pas que tous les produits mentionnés dans ces normes sont utilisables en agriculture biologique (par exemple la NF U 42-001 mentionne des engrais organiques utilisables en AB, mais également des engrais minéraux de synthèse non présents dans l'annexe 1 du RCE n° 889/2008). A noter qu'aucun produit commercialisé sous la norme NF U 44-095 ne peut être utilisé en agriculture biologique car cette norme ne concerne que les amendements organiques contenant des MIATE (Matières d'intérêt agronomique issues du traitement des eaux), c'est-à-dire des boues de station d'épuration des eaux, lesquelles ne sont pas citées dans l'annexe 1 du règlement (CE) n° 889/2008.
En agriculture biologique la directive Nitrate s'applique dans toutes les fermes
Le deuxième point du chapitre 1 (Productions végétales) Article 3 (Gestion et fertilisation des sols) mentionne que "2. La quantité totale d'effluents d'élevage au sens de la directive 91/676/CEE du Conseil concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles utilisées sur l'exploitation ne peut dépasser 170 kg d'azote par an/hectare de surface agricole utilisée. Cette limite s'applique uniquement à l'utilisation de fumier, de fumier séché et de fiente de volaille déshydratée, de compost d'excréments d'animaux solides, y compris de fiente de volaille, de fumier composté et d'excréments d'animaux liquides".
L'élevage industriel
Les fumiers ou excréments d'animaux liquides ne peuvent pas être utilisés en agriculture biologique s'ils proviennent d'un élevage "industriel". La définition donnée dans le « guide de lecture du RCE n° 834/2007 et du RCE n° 889/2008 » pour « Provenance d’élevage industriel interdite » est la suivante : « Sont exclus à partir du 1er janvier 2021 d’une utilisation sur des terres biologiques au sens de l’annexe I du règlement (CE) n° 889/2008, les effluents :
- D’élevages en système caillebotis ou grilles intégral et dépassant les seuils définis en annexe I de la directive n°2011/92/UE
- D’élevages en cages et dépassant les seuils définis en annexe I de la directive n°2011/92/UE* ».
(p. 69 du guide de lecture, version juillet 2019 : http://www.itab.asso.fr/downloads/com-agro/2019-07-guide-de-lecture-rce-bio.pdf).
* les seuils sont de 60 000 pondeuses, 3000 porcs (> 30 kg) et 900 emplacements truies. Les volailles de chair ne sont pas concernées car élevées au sol.
Une définition du compostage
Plusieurs produits de l'annexe 1 sont ou doivent être compostés. Il est donc important qu'une définition commune du compostage soit reconnue de tous. Faire son compost ne s'improvise pas et le compostage ne peut en aucun cas être assimilé à un tas de fumier laissé dans un coin sans manipulation. Rappelons ci-dessous (en italique) comment est défini le processus de compostage dans le guide de lecture pour l'application des règlements (CE) n° 834/2007 et n° 889/2008 de la CNAB-INAO (2010) :
Le processus de compostage est une transformation contrôlée en tas, qui consiste en une décomposition aérobie de matières organiques d’origine végétale et/ou animale hors matières relevant des déchets animaux au sens de l’arrêté du 30 décembre 1991 (J.O.R.F. du 12/02/92, modifié par l’arrêté du 12/03/93, J.O.R.F. du 23/03/93, modifié par l’arrêté du 28/06/96, J.O.R.F. du 29/06/96, modifié par l’arrêté du 06/02/98, J.O.R.F. du 10/02/98).
L’opération de compostage vise à améliorer le taux d’humus. Elle est caractérisée à la fois par :
• une élévation de température,
• une réduction de volume,
• une modification de la composition chimique et biochimique,
• un assainissement au niveau des pathogènes, des graines d’adventices et de certains résidus.
Elle doit comporter un ajout de matière carbonée et un ajustement de la teneur en eau, si nécessaire(*).
Ni le dépôt de fumier stocké par simple bennage, ni le compostage dit de surface (épandage de fumier sur le sol plus incorporation superficielle) ne peuvent être assimilés à un compostage.
(*) = L’ajout de matière carbonée doit se faire pour obtenir un bon compostage – Les fientes mises en tas ou le stockage de déjections liquides sans support carboné ne constituent pas une opération de compostage.
Les composts de biodéchets des ménages
Les composts de biodéchets des ménages, appelés "mélange composté ou fermenté de déchets ménagers" dans l'annexe 1 du règlement (CE) n° 889/2008, peuvent être utilisés en agriculture biologique sous certaines conditions. Ils doivent notamment respecter des seuils limites en ETM, en deça de celle de la norme NF U 44-051 permettant la mise sur le marché d'amendements organiques, puisque ces seuils sont en moyenne de 2 à 5 fois plus faibles dans le règlement (CE) n° 889/2008. L’annexe 6 du « guide de lecture du RCE n° 834/2007 et du RCE n° 889/2008 » précise la nature de ces composts de biodéchets des ménages pour leur utilisation en agriculture biologique (voir p. 93-95 du guide de lecture : http://www.itab.asso.fr/downloads/com-agro/2019-07-guide-de-lecture-rce-bio.pdf).
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