Le stock de semences peut-il être utilisé dans les études de terrain sur l’effet des systèmes de culture sur la flore adventice ?
I. MAHE1, D. DERROUCH2, E. VIEREN2, B. CHAUVEL2
1GIS GC HP2E, INRA Transfert, 28 rue du Docteur Finlay, 75015 Paris, France
2Agroécologie, AgroSup Dijon, INRAE, Univ. Bourgogne, Univ. Bourgogne Franche-Comté
21000 Dijon, France
Auteur correspondant : bruno.chauvel@inra.fr
Résumé
Prévoir l’évolution des communautés adventices est une préoccupation majeure lors de la mise en place de nouveaux systèmes de culture. Néanmoins, il se pose la problématique de la méthodologie à utiliser pour étudier de tels systèmes. Le stock de semences du sol des parcelles cultivées représente en théorie la flore potentielle et semble s’imposer comme la façon la plus fiable de caractériser les communautés de mauvaises herbes. Toutefois, cette méthode est lourde à mettre en place. Dans cette étude, la flore adventice d’une centaine de parcelles conduites en semis direct sous couvert a été étudiée au travers de deux méthodes : un relevé de flore réalisé au printemps et un échantillon du stock semencier à partir de carottes de terre prélevées durant l’hiver. Les résultats des deux méthodes ont été comparés et la méthode des relevés de flore est apparue comme étant la plus appropriée pour obtenir une caractérisation suffisante de la flore adventice sur des dispositifs de suivi de courte durée. En fonction des objectifs du dispositif expérimental et des moyens humains disponibles, l’étude du stock de semences devient un indicateur pertinent si l’échantillonnage est suffisant, notamment sur des dispositifs de longue durée sur domaines expérimentaux.
Mots-clés : flore potentielle, flore levée, méthode d’échantillonnage, semis direct sous couvert, mauvaise herbe, adventice
Abstract
Can weed seedbank be used for field studies on cropping systems effects?
Monitoring changes in weed community composition is a major concern when implementing new cropping systems. However, there are questions about the methodology to be used for this type of work. The study of the seedbank, which represents theoretically the potential flora, seems to be the most obvious method to characterize weed communities. However, this method is time-consuming. In this study, two methodologies, one flora survey carried out in spring and one seedbank survey from soil samples collected in winter, were used. Results of both methods were compared and the flora survey appears to be the most appropriate method for a good characterization of the flora for short term experiments. Depending of the objectives of the experimental set-up and the available human resources, the study of seedbank may be more suitable for long term studies carried out in experimental farms, when the sampling effort is high.
Keywords : potential flora, emerged flora, sampling methods, direct seeding under cover, weed species
Introduction
Dans le contexte social actuel très sensibilisé à la protection de l’environnement, les stratégies de gestion des communautés de mauvaises herbes seront amenées à évoluer au cours des prochaines années avec notamment une réduction du rôle des herbicides de synthèse. Ces molécules, utilisées depuis près de 70 ans (Chauvel et al., 2012), ont permis une gestion efficace à la fois préventive et curative des différentes espèces adventices. Toutefois, de nombreux cas de résistance à certains herbicides ont été observés, amenant de ce fait des réflexions sur leur utilisation et plus globalement sur les stratégies de gestion de la flore et le recours à des pratiques alternatives ou complémentaires (Chauvel et al., 2009). Les problèmes de pollution des ressources en eau (Basilico et al., 2013) inquiètent et sont à l’origine du retrait de nombreuses molécules herbicides.
La flore adventice des systèmes cultivés est majoritairement composée d’espèces thérophytes ou géophytes dont le cycle de développement est lié à une période de réserve dans le sol sous forme de semences, de bulbes ou de rhizomes. Ce stock de propagules a été le centre d’intérêt de nombreuses études depuis des dizaines d’années (Brenchley & Warington, 1930 ; Kropac, 1966 ; Barralis, 1973 ; Roberts & Chancellor, 1986). Le nombre d’espèces ainsi que leur abondance varient de façon considérable en fonction des parcelles (Roberts et Chancellor, 1986). L’utilisation intensive des herbicides a entrainé une forte réduction de la quantité des semences dans les sols (Roberts, 1968). Depuis une quinzaine d’années, la tendance globale à la réduction de l’intensivité des pratiques et de l’utilisation des herbicides de synthèse semble se traduire aujourd’hui par une ré-augmentation des stocks semenciers d’adventices dans les sols cultivés (Andreasen et al., 2008).
L’enjeu pour l’agriculture aujourd’hui est donc de produire des ressources alimentaires en quantité suffisante pour une population croissante mais aussi et surtout de manière durable, associé à une fourniture d’un panel de services écosystémiques (Tilman et al., 2002). Différents systèmes agricoles se sont développés pour répondre à ces nouveaux défis, on peut citer notamment les systèmes en semis direct sous couvert (appelé SDSC dans le reste du document) qui regroupent un ensemble de pratiques culturales répondant à trois principes : une réduction quasi-totale du travail du sol, une couverture du sol plus ou moins permanente par des plantes vivantes ou du mulch, et une diversification aussi large que possible de la rotation (FAO, 2018).
D’un point de vue agronomique, mieux connaître et déterminer avec précision les adventices présentes dans une parcelle (densité, diversité spécifique) est un des enjeux importants de la transition agroécologique afin de limiter les effets négatifs des pratiques de gestion et d’augmenter l’efficience des régulations biologiques. D’un point de vue écologique, le stock de semences peut être considéré comme une source importante de diversité avec notamment la potentielle conservation d’espèces rares (Cavers, 1995) et peut donc être utilisé comme un outil de restauration des espèces (Saatkamp et al., 2014). De plus, les semences constituent la base des réseaux trophiques d’une grande diversité d'animaux, des invertébrés aux petits mammifères en passant par les oiseaux granivores (Marshall et al., 2003).
La dynamique de la flore adventice dans les parcelles à très faible intensité de travail du sol est encore mal connue car les semences sont réparties dans les horizons superficiels et non plus dans les horizons de sol travaillés (Swanton et al., 1999 ; Cardina et al., 2002). D’un côté, les semences adventices sont potentiellement plus exposées aux agressions extérieures, prédation et stress abiotiques notamment, ce qui pourrait contribuer à une gestion facilitée de la flore. D’un autre côté, le potentiel de germination-levée est aussi maximisé pour un grand nombre d’espèces, du fait de l’absence d’enfouissement des semences en profondeur. Deux approches peuvent être utilisées afin d’étudier la composition floristique de parcelles : s’intéresser à la flore levée à travers des relevés de flore ou s’intéresser au stock semencier du sol, qui représente en théorie la flore potentielle de la parcelle. Afin de les comparer, la flore adventice de 90 parcelles en semis direct sous couvert a été caractérisée à la fois par des relevés de flore (appelés relevés dans la suite de l’article) et des échantillons de stock semencier (appelé ESS dans la suite de l’article). L’étude des communautés adventices à travers un relevé et un échantillon de stock semencier conduit-elle au même résultat ? Plus généralement, quelle serait l’approche la plus adaptée à l’évaluation de la densité et de la diversité spécifique de la flore adventice sur des réseaux de parcelles en SDSC ?
Matériel et méthodes
La comparaison des deux méthodes de caractérisation de la flore adventice a été réalisée en profitant d’un travail de thèse portant sur l’évolution des communautés adventices dans les systèmes en semis direct sous couvert. Le réseau de 90 parcelles en SDSC s’étend sur l’ensemble de la région Bourgogne Franche-Comté, ainsi que sur la Haute Marne (figure 1). Il a été choisi d’étudier un nombre élevé de parcelles afin de mieux approcher la diversité des systèmes et des stratégies agronomiques mises en place par les agriculteurs. Pour l’année culturale 2017-2018, 68 parcelles étaient semées en blé tendre et 22 en soja.
Sur chaque parcelle, la zone étudiée (2 000 m²) a été localisée par les agriculteurs comme étant la plus représentative de leurs pratiques et de leurs problèmes malherbologiques. La zone se situe au minimum à 20 m des bordures afin de limiter les effets qui y sont liés ainsi que ceux d’éventuelles structures paysagères.
Caractérisation de la flore par des relevés de la flore levée
Le relevé utilisé pour cette comparaison a été effectué en début du cycle de culture, période majoritairement étudiée pour décrire la flore adventice. Les relevés dans les parcelles de blé tendre ont été effectués en mars 2018 et en mai 2018 pour les parcelles de soja. Chaque relevé a été réalisé par deux personnes selon un parcours en ‘ W ’ sur la zone déterminée (durée comprise entre 35 et 40 min/parcelle). Les plantes présentes dans les 2 000 m² (adventices, couverts, repousses) ont été identifiées. L’abondance a été estimée visuellement à l’aide de la méthode Barralis modifiée (Cellier et al., 2017) et une classe de densité a été attribuée à chaque espèce (tableau I). La valeur d’abondance minimale de chaque classe a été retenue pour les analyses.
Caractérisation de la flore par le stock de semences
Dans un objectif de s’affranchir au maximum des effets ‘parcelle’ et ‘agriculteur’ et afin d’avoir des résultats qui soient généralisables, il a été choisi d’étudier un nombre élevé de parcelles. Ceci a conduit à adapter le protocole ‘stock de semences’ (ESS) par rapport aux préconisations habituelles (Dessaint et al., 1996) et, en particulier, à réduire le nombre d’échantillons prélevés par parcelle afin de pouvoir balayer un grand nombre de situations différentes, correspondants à l’ensemble du réseau étudié. L’ESS a été réalisé au mois de décembre 2018 dans la zone de 2000 m² sur chacune des parcelles à partir de 14 prélèvements à la tarière de 3 cm de diamètre sur 10 cm de profondeur. Les 14 carottes ont ensuite été rassemblées et mélangées par parcelle, puis stockées dans une chambre froide pendant un mois avant d’être analysées. La surface inventoriée représente potentiellement 100 cm² mais environ 40% de ce prélèvement a été utilisé pour réaliser des analyses de sol, le reste étant utilisé pour l’étude du stock de semences. Le poids frais des échantillons de terre pour l’étude de stock varie de 400 à 1 500g de terre. La méthode de germination après concentration des échantillons a été choisie pour estimer le stock semencier. Chaque échantillon a été soigneusement homogénéisé et lavé sous jet d’eau à travers différents tamis (mailles de 5 mm et 0,2 mm) pour ne conserver que les éléments susceptibles de contenir des semences adventices. Les résidus situés entre les deux tamis ont ensuite été étalés en couche fine (<0,5 mm) sur un voile tergal placé sur des terrines (40 cm * 50 cm) de sable maintenues humides par une coupelle d’eau.
Les échantillons ont été placés dans une serre en conditions de lumière naturelle avec une alternance de température 20°C/15°C. Les échantillons ont été brumisés une fois par jour pour éviter tout dessèchement et le risque d’induction de dormance secondaire. Les plantules ont été régulièrement identifiées, comptées et retirées. Les plantules qui n’ont pu être déterminées à un stade jeune ont été replantées en pots individuels pour une identification ultérieure. Cette première période de germination a duré 10 semaines (du 15/01/2019 au 27/03/2019), jusqu’à l’arrêt de nouvelles émergences. Les échantillons ont ensuite été soumis à différentes stimulations afin de maximiser les levées. Ils ont tout d’abord été séchés à l’air libre pendant une semaine puis stockés en chambre froide (4°C) pendant trois semaines. Une seconde phase de germination de 11 semaines (du 25/04/2019 au 12/07/2019) a alors suivi en chambre climatique (alternance 18°C/10°C et photopériode 14h/10h). Les échantillons ont été placés dans des boîtes transparentes sur un papier filtre posé sur une couche de billes de verre en présence d’une solution d’acide gibbérellique (GA3) à 500mg/l qui stimule la levée de dormance des semences. Pour la présentation des données, le nombre total de semences (somme de la première et de la seconde phase de germination) a été ramené au poids de terre de 1 kg.
Identification des plantes au champ et des plantules dans les échantillons de terre
L’identification de certaines plantules n’a été réalisée qu’au genre, lorsque les critères observés ne permettaient pas une identification plus précise (Amaranthus sp., Atriplex sp., Bromus sp., Centaurium sp., Cerastium sp., Crepis sp., Epilobium sp., Erigeron sp., Hypericum sp., Matricaria sp., Oxalis sp., Panicum sp., Poa sp., Raphanus sp., Sinapis sp., Torilis sp., Tragopogon sp., Trifolium sp., Triticum sp., Vicia sp.). Pour plus de simplicité dans la suite de l’article, le terme diversité spécifique sera utilisé, même si certains taxons ne sont déterminés qu’au niveau du genre et peuvent recouvrir deux ou trois espèces.
Le terme « adventice » utilisé dans cet article englobe également les espèces provenant des couverts végétaux et des repousses de cultures. Les noms latins des espèces citées suivent les dernières modifications de la classification phylogénétique des Angiospermes (APG IV ; Chase et al., 2016).
Résultats
Richesse spécifique parcellaire
L’étude du stock semencier et de la flore levée ont montré une grande diversité entre les parcelles en termes de richesse spécifique. L’estimation du stock semencier a mis en avant 103 taxons au total, avec une moyenne de 7,9 taxons par parcelle. La méthode du relevé a, quant-à-elle, identifié 142 taxons au total avec une moyenne de 13,5 par parcelle (figure 2). Le relevé a donc permis de mettre en avant un plus grand nombre d’espèces que l’ESS. Ce type de caractérisation de la flore apparaît alors plus approprié qu’un échantillon de sol de cette taille pour détecter un maximum d’espèces dans une parcelle. La figure 3 montre que pour 67% des parcelles, la diversité spécifique estimée par la flore levée est plus importante que celle estimée par l’ESS. De plus, la forte dispersion des données observée pour les relevés indique que pour de nombreuses parcelles, les deux méthodes d’étude de la flore adventice fournissent des résultats très différents. Ainsi en moyenne par parcelle, seulement 13% des espèces sont communes entre les deux échantillonnages, 29% sont spécifiques au stock et 58% spécifiques à la flore.
Abondance des espèces
Le rang attribué à chaque espèce en fonction de son abondance varie avec la méthode utilisée (tableau III). L’espèce observée avec la plus grande densité dans les carottes de sol est Juncus bufonius. Cette espèce ne se place pourtant qu’au 34e rang des espèces les plus abondantes avec le relevé de flore. On peut aussi citer le cas de Lythrum hyssopifolia, la 17eespèce la plus abondante dans les prélèvements de sol, qui est absente des relevés de flore. Inversement, l’espèce majoritaire dans la flore levée au champ, Alopecurus myosuroides, n’est située qu’au 8e rang par les ESS.
Discussion et conclusion
La caractérisation des effets des systèmes de culture sur la composition de la flore adventice fait depuis de nombreuses années l’objet d’articles avec des questionnements très divers concernant l’effet simple ou combiné de pratiques culturales (Riemens et al., 2007) ou de modifications des systèmes de culture (Lopez et al., 1988 ; Swanton et al., 2002). Suivant les auteurs, le stock de semences et/ou des relevés sont effectués pour caractériser la flore adventice (Sosnoskie et al., 2006).
L’objectif de ce travail exploratoire était de comparer l’information obtenue par les deux méthodes sur un réseau d’une centaine de parcelles d’agriculteurs. Du fait du rôle central du stock dans la dynamique de la flore adventice et des particularités du SDSC qui amènent à une concentration des semences dans les horizons de surface, la comparaison des deux méthodes semblait intéressante à réaliser.
Dans les conditions expérimentales décrites, nos résultats montrent que l’étude de la flore adventice via un relevé ou un stock semencier ne conduit pas aux mêmes résultats, à la fois en termes d’espèces détectées et d’abondance de celles-ci. D’une manière générale, dans nos conditions d’étude (à savoir un protocole réduit pour être techniquement réalisable sur les 90 parcelles du réseau), il apparait que ces prélèvements de sol sont moins performants pour détecter un maximum d’espèces et qu’un certain nombre d’espèces pourtant fréquentes et abondantes dans le relevé de flore n’a pas été retrouvé dans les ESS. Mais l’inverse est également vrai, certaines espèces abondantes dans certaines parcelles dans les prélèvements de sol n’ont pas été observées avec le relevé de flore ou en très faible densité. Les deux méthodes semblent donc se compléter en termes de détection des espèces. Sans que ces résultats soient totalement surprenants au regard de la bibliographie (Zanin et al., 1989), les différences observées sont importantes. Plusieurs hypothèses peuvent être posées pour les expliquer :
La première concerne le protocole utilisé pour estimer le stock semencier dans les parcelles. Tout d’abord, le faible nombre de prélèvements réalisés, c’est-à-dire 14 carottes par parcelle, ne représente qu’une très faible surface échantillonnée (moins de 100 cm²), comparée au parcours en W qui est réalisé sur 2 000 m² lors du relevé de flore. D’autant plus que les semences adventices ne sont pas distribuées de manière homogène dans les parcelles cultivées, mais de manière agrégée (Bigwood & Inouye, 1988). La réduction du nombre d’échantillons de sol afin de pouvoir couvrir les 90 parcelles étudiées a trop fortement dégradé le jeu de données obtenu. Ainsi, certaines espèces n’ont donc pas été détectées par l’étude du stock de semences, car non prélevées dans les échantillons de sol. Si certaines espèces peuvent apparaitre sur-représentées, il est possible que le prélèvement ait été réalisé dans une zone où des semences se sont accumulées. Plusieurs auteurs (Goyeau & Fablet, 1982 ; Chauvel et al., 1989) se sont penchés sur cette problématique d’échantillonnage et même s’ils ne s’accordent pas sur un même nombre idéal de carottes par parcelle, celui-ci doit être élevé pour avoir une vision représentative de la flore présente. Dessaint et al. (1996) recommandent un prélèvement de plus de 90 carottes lorsque la densité de semences est inférieure à 500/m².
Dans le cadre du SDSC, on peut s’interroger sur la méthode des carottages par rapport à des prélèvements moins profonds mais sur une plus grande surface. En effet, l’absence de travail du sol conduit à une concentration des semences dans les premiers centimètres de terre. De plus, le sol étant généralement couvert de débris organiques issus des résidus de la culture précédente ou des couverts végétaux qui contiennent potentiellement des semences, un prélèvement par carottage est plus difficile et n’est sans doute pas adapté à l’échantillonnage des semences en surface du sol. Des méthodes d’aspiration des surfaces échantillonnées (Kiehl et al., 2010) pourraient être utilisées pour compléter l’échantillonnage.
Ensuite, la méthode d’estimation du stock semencier via un lavage des échantillons puis une mise en germination sous serre, n’a peut-être pas permis de détecter certaines espèces, ayant des conditions de germination particulières, qui n’étaient pas réunies dans la serre ou dans la chambre climatique, par exemple. Il est peu probable que des semences aient été perdues lors du processus de lavage des échantillons, car des semences de très petite taille comme Juncus bufonius (0,30 - 0,55 mm de long ; Cope & Stace, 1978) ont été retrouvées en grande quantité dans les échantillons de sol.
Une dernière explication est en lien avec les objectifs des deux approches utilisées. La réalisation d’un ESS fournit une information sur les adventices qui sont présentes dans le sol et qui pourront potentiellement émerger dans la parcelle dans les prochaines années. Le relevé de flore permet, quant-à-lui, d’obtenir une image instantanée (donc partielle) de la flore adventice qui a levé. Les relevés de flore ayant été effectués au début des cycles des cultures (mars pour le blé tendre et mai pour le soja), certaines espèces à germination plus tardives (estivales) n’apparaissent pas sur ces relevés de flore. C’est par exemple le cas pour Ambrosia artemisiifolia, Veronica serpyllifolia ou encore Sonchus oleraceus. Dans le cadre de la thèse, deux autres relevés de flore sur les parcelles sont venus compléter le relevé effectué en début de cycle de culture, afin d’obtenir une vision globale de la flore adventice levée. Ces relevés supplémentaires ont permis d’augmenter le nombre d’espèces observées, mais certaines espèces restent néanmoins uniquement repérées avec l’ESS (Lythrum hyssopifolia et Sagina procumbens par exemple). Une autre source de différences peut provenir de la méthode de relevé de flore choisie : le parcours en W. Cette méthode peut parfois sous-estimer certaines plantes de petite taille (Chauvel et al., 2019), ce qui pourrait expliquer les résultats observés avec Juncus bufonius par exemple.
Au vu de ces résultats et de la charge de travail que requiert l’ESS par rapport à un relevé, il apparaît que le stock de semences est moins adapté pour étudier la densité et la diversité de la flore des parcelles cultivées en SDSC pour des suivis à court terme. En particulier, lorsque le nombre de parcelles suivies est élevé, la réduction de l’effort d’échantillonnage qui en découle conduit à une vision trop partielle de la flore adventice présente sous forme de semences dans le sol. Néanmoins, le stock semencier peut s’avérer un indicateur intéressant s’il est réalisé sur plusieurs années dans une parcelle (dispositifs de longue durée des domaines expérimentaux), en maximisant l’effort d’échantillonnage (Dessaint et al., 1996), afin d’avoir une image de l’évolution de la flore adventice sur le long terme. Par ailleurs, il peut être utilisé à d’autres fins que l’étude de la flore adventice et notamment dans le cadre de la mise en évidence des régulations agroécologiques, où le stock semencier peut servir de marqueur de l’activité d’insectes prédateurs de semences (Bohan et al., 2011).
Remerciements
Nous remercions les financeurs du projet : le GIS Grande Culture à Hautes Performances Économiques et Environnementales (GC HP2E), le programme H2020 IWMPRAISE et la région Bourgogne-Franche-Comté pour avoir rendu ce travail possible. Les agriculteurs des réseaux d’agriculteurs APAD Centre-Est, GIEE Du Sol Eau Soleil, GIEE Magellan, GIEE club Agro Ecos, Chambre d'agriculture de Côte-d'Or et de Haute Marne sont également remerciés pour leur accueil et leur participation.
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