Vers une gestion adaptée des prairies multi-espèces et une maximisation du pâturage dans les systèmes herbagers du Sud-Ouest de la France
Xavier Barat*
*Consultant - Ingénieur ENITA Bordeaux (1995) et Agro-économiste (iedes 2005) xbarat@hotmail.fr
Résumé
Innov-eco² propose depuis 2013 des actions de formation-développement visant l’adoption d’innovations agroécologiques destinées aux systèmes d’élevages herbivores du Sud-Ouest de la France. La principale innovation, le pâturage tournant dynamique, optimise la gestion des prairies pâturées par des cheptels bovins, ovins ou caprins. Suite à l’accompagnement réalisé, plus de 400 fermes en polyculture-élevage ont adopté cette innovation et les superficies pâturées selon cette modalité dépassent 5000 ha en 2019 dans le Sud-Ouest.
L’article présente les conditions climatiques de la production herbagère dans les régions Nouvelle Aquitaine et Ouest Occitanie et les principaux systèmes d’élevage de ces deux régions. Il décrit l’innovation pâturage tournant dynamique (PTD) et la méthode retenue pour sa diffusion. Les conditions facilitant ou non la mise en œuvre de cette innovation et les résultats agro-économiques obtenus au niveau des élevages et les impacts environnementaux sont ensuite présentés et discutés.
Au final de cet article, figurent des propositions devant favoriser la diffusion de cette innovation favorable au développement d’élevages herbivores plus durables dans le grand Sud-Ouest. Parmi ces propositions, sont souhaités des partenariats entre agriculteurs-éleveurs, techniciens, chercheurs et écoles d’agronomie pour mieux documenter et valider les innovations proposées.
Abstract
Innov-eco² has been offering training and development actions since 2013 to adopt agroecological innovations for herbivore farming systems in southwestern France. The main innovation, dynamic rotational grazing, optimizes the management of grasslands grazed by cattle, sheep or goats. As a result of the support provided, more than 400 farms in mixed farming have adopted this innovation in South West and the areas grazed according to this modality exceed 5000 ha in 2019.
The article presents the climatic conditions of grassland production in the Nouvelle Aquitaine and Ouest Occitanie and the main farming systems of these two regions. It describes the dynamic rotacional grazing innovation (PTD) and the method chosen for its dissemination. The conditions of the innovation implementation, the agro-economic results observed at farm level and the environmental impacts are then presented and discussed.
At the end of this article, there are proposals to promote the dissemination of this innovation favorable to the development of more sustainable herbivore farms in the greater Southwest. Among these proposals, are desired partnerships between farmers-breeders, technicians, researchers and schools of agronomy to better document and validate the proposed innovations.
Introduction
Créé en septembre 2012, le bureau d’étude INNOV-ECO² Scop Sarl [1] a pour objet de « développer des activités d'assistance technique, de conseil, de formation, de recherche-action et d'ingénierie de projet pour innover avec les agriculteurs et leurs organisations, en adaptant et diffusant des pratiques agricoles qui améliorent la durabilité des exploitations » (https://innov-eco2.fr/index.html).
Depuis décembre 2012, Innov-Eco² construit et consolide un processus de formation-action pour l’adaptation d’innovations agroécologiques, comme le pâturage tournant dynamique, la double culture fourragère et l’agroforesterie en élevages herbivores dans le Sud-Ouest de la France.
Entre décembre 2018 et septembre 2019, une étude de synthèse intitulée « Efficience technique, résilience climatique et impacts agro-environnementaux de systèmes polycultures élevages herbivores innovants en Nouvelle Aquitaine » est finalisée. Elle s’appuie notamment sur une enquête de terrain réalisée par six étudiants de 3° année de Bordeaux Science Agro auprès de quinze éleveurs de Nouvelle Aquitaine.
L’article proposé présente les principaux acquis de sept années d’accompagnement d’éleveurs en Nouvelle Aquitaine et Ouest Occitanie. Il s’appuie également sur deux études réalisées en 2016-2017 et 2018-2019 avec l’école d’agronomie Bordeaux Science Agro : une enquête qualitative réalisée chez 16 éleveurs entre mars et septembre 2016 par Manon Gimbert/étudiante BSA/Innov-Eco² et par une enquête organisée par Innov-Eco²/BSA réalisée par six étudiants auprès de 15 éleveurs entre octobre 2018 et février 2019.
Rappel des conditions climatiques du grand Sud-Ouest et de leurs impacts sur la gestion des herbivores au pâturage
La région Sud-Ouest présente un climat océanique plus ou moins modifié par les reliefs, la proximité de l’océan ou la continentalité. Différentes variables climatiques permettent d’estimer globalement le potentiel de production agricole d’une région : la pluviométrie, les températures et l’évapotranspiration potentielle (ETP) et la fluctuation interannuelle de chacune de ces variables.
La figure 1 présente une carte élaborée par Météo France présente les cumuls de pluies annuels entre 1981 et 2010 en France. En Nouvelle Aquitaine, la pluviométrie moyenne varie entre 700-750 mm (Agenais et Bergeracois) et 1200-1500 mm annuels (Montagnes pyrénéennes et Massif central).
Selon ORACLE Nouvelle Aquitaine, la moyenne des cumuls annuels d’évapotranspiration potentielle départementaux en Nouvelle Aquitaine augmente de 700 à 900 mm entre 1959 et 2017. Actuellement, on compte une ETP annuelle proche de 900 mm en Deux Sèvres et en Charentes et de 850 mm en Pyrénées Atlantiques, Lot et Garonne et Dordogne.
On peut ainsi définir des zones géographiques où l’excédent ou le déficit hydrique moyen correspondent à des « couloirs » globalement défavorables ou favorables à la production herbagère végétative. Les zones favorables (Zone 1) - la pluviométrie se situe entre 900 et 1200 mm et est globalement supérieure à l’ETP moyenne à l’année - se retrouvent sur le Bassin Herbager Pyrénéen et la partie Ouest du Bassin Limousin. Les zones défavorables (Zone 2) - la pluviométrie se situe entre 700 et 850 mm et un déficit global apparait entre Pluviométrie et ETP à l’année - se retrouvent le long de la vallée de la Garonne, entre Toulouse et Bordeaux et au Nord Vienne et Deux Sèvres. Les zones intermédiaires sont souvent tamponnées par l’influence océanique.
A la différence des cultures de printemps, d’été ou d’hiver, une prairie pousse potentiellement tout au long de l’année. Cependant, la vitesse de pousse et la repousse végétative s’expriment de manière différenciée en fonction de la fertilité des sols, des saisons (des cumuls de pluies, d’ETP et de températures), de la précocité des mélanges de prairies implantées ou des prairies naturelles (en zones de montagnes notamment), mais également, comme le démontre l’expérience menée avec les éleveurs entre 2013 et 2018, en fonction d’une gestion optimisée du pâturage et des fauches.
La texture, la teneur en Matière organique et la profondeur des sols (et donc leur réserve utile) et leur position sur la topo-séquence peuvent atténuer l’observation précédente. Ils influencent une plus ou moins bonne résistance des cultures et de l’herbe à des excès ou des déficits hydriques saisonniers. En zone 2, des sols profonds à forte Réserve Utile et texture argilo-limoneuse peuvent limiter les effets des déficits hydriques estivaux sur la pousse des prairies (et des cultures). Et inversement en Zone 1, des sols profonds en bas de relief sont souvent hydromorphes et peuvent limiter la pousse sur de longues périodes entre automne et printemps.
Selon l’état des lieux mené par l’Observatoire Régional sur l’Agriculture et le Changement Climatique - ORACLE (2018, Oracle Nouvelle Aquitaine – Etat des lieux sur le changement climatique et ses incidences agricoles en région Nouvelle Aquitaine – Edition 2018), les changements climatiques entre 1959 et 2017 se traduisent en Nouvelle Aquitaine par les évolutions suivantes :
(i) la date de reprise de végétation des prairies avance d’un jour par décennie ;
(ii) une diminution du nombre de jours de gel sur les mois de mars et avril, assez variable selon les stations d’observation ; les écarts de diminution varient de 0.8 jours par décennie (Mont de Marsan) à cinq jours par décennie (Ussel) pour la période de 1960-2011 ;
(iii) Le nombre de jours estivaux où la maximale journalière est supérieure ou égale à 25 °C [2] augmente de 4 à 6 jours par décennie sur les différents départements ;
(iv) Le déficit hydrique estival (Cumul de (pluies – ETP)) moyen de 220 mm entre le 1er juin et le 31 août, est en augmentation de 6 mm par décennie, soit 23 mm sur la période ; essentiellement liée à celle de l’ETP mais non significative statistiquement en fonction des variations interannuelles.
Ces éléments climatiques présentent un potentiel d’effets contrastés pour la pousse végétative de l’herbe : en positif, un démarrage plus précoce de la pousse de printemps et une augmentation de la pousse sur la fin de l’automne et en hiver ; mais en négatif, des arrêts de pousse plus accentués en été (surtout pour les prairies naturelles fauchées tardivement) et des redémarrages de pousse en automne plus tardifs ou absents suite à des étés secs.
Ces aspects affectent les prairies naturelles comme les prairies temporaires de la région ces dernières années. Les éleveurs adoptent en conséquence des espèces plus adaptées au déficit estival pour les semis de prairies, avec des graminées comme le dactyle et la fétuque, et plus récemment le plantain et la chicorée. Ils diversifient les cultures fourragères d’été avec l’implantation de luzerne, de trèfles d’été en associations avec des plantes en C4 comme le sorgho, les millets…
Présentation des principaux systèmes d’élevages herbivores du grand Sud-Ouest
Les interventions initiales d’Innov-Eco² en Nouvelle Aquitaine et Occitanie concernent quatre zones géographiques différentes au vu 1) de leurs caractéristiques pédo-climatiques générales, 2) des filières d’élevage qui y sont implantées historiquement 3) et des systèmes de productions dominants en élevages herbivores. La figure 2 délimite 4 zones.
Le Bassin d’élevage Pays de la Loire étend son influence sur le Nord-Ouest de la région Nouvelle Aquitaine, dans l’ex-région Poitou Charentes. L’élevage bovin allaitant y est répandu, notamment dans les zones de bocages, avec des races comme la Parthenaise, la Maine Anjou, la Charolaise, la Blonde d’aquitaine ou la Limousine. Les modes de production sont relativement intensifs [3]. L’élevage laitier est également intensif, sous l’influence de modes d’élevage pratiqués dans le Nord-Ouest de la France.
Le Bassin herbager / maïs Pyrénéen s’étend d’ouest en est le long des Pyrénées. L’élevage bovin allaitant est également très présent et assez intensif, essentiellement en race Blonde d’Aquitaine. La race Limousine y progresse actuellement pour sa capacité à valoriser l’herbe, tout en assurant des produits d’élevage valorisés dans les filières en place. Un élevage laitier intensif y est également assez développé sur des structures de taille moyenne, le modèle mais/soja/herbe récoltée y est dominant. A l’ouest, sur les plus petites structures d’exploitation, se développe un élevage ovin laitier herbager à forte valorisation économique et socio-culturelle (fromage fermier de brebis).
Dans ces deux premiers bassins, les chargements des exploitations d’élevage fluctuent entre 1.5 et 2 UGB/ ha, ce qui est relativement élevé. L’alimentation des troupeaux est basée sur : (1) la production de maïs ensilé de plus en plus souvent irrigué, (2) une production d’herbe essentiellement stockée (ensilage, enrubannage et foin) ; (3) la réalisation de cultures annuelles autoconsommées pour rééquilibrer les rations et (4) des achats de concentrés (céréales et protéagineux).
Le Bassin herbager du Limousin est une zone d’élevages allaitants, essentiellement en race bovine limousine, valorisant les surfaces en prairies disponibles, selon des modes plus ou moins intensifs de pâturage et de fauche. Ce bassin étend son influence jusqu’en Sud Charente autour d’Angoulême et dans le centre Dordogne prés de Périgueux.
Les Zones de polyculture-élevage résiduels s’étendent sur les reliefs collinaires proches des vallées de la Garonne (département du Lot et Garonne, Tarn et Garonne), mais aussi en sud Dordogne ou dans des zones de pré-montagnes du contrefort du Massif Centrale (Lot et Tarn). L’élevage allaitant de race Blonde d’aquitaine ou Limousine y est pratiqué traditionnellement, mais l’abandon de cet élevage au profit des cultures d’hiver, de l’arboriculture ou de la viticulture font de ce dernier un élément résiduel dans les paysages. De même, l’élevage laitier se maintient de manière résiduelle autour de pôles de transformation laitière.
Dans ces deux derniers bassins, les chargements se situent entre 0.8 et 1.4 UGB / ha, en fonction de la nature herbagère du territoire et de conditions climatiques estivales souvent séchantes, ce qui limite la productivité des cultures fourragères (on note l’abandon du maïs non irrigué). La libération de zones de prairies (non affecté à un élevage professionnel) rend disponible des productions d’herbe importantes, la pratique de la fauche sur des parcelles hors SAU est répandue chez les éleveurs. Dans la zone d’élevages résiduels, La luzerne et le sorgho fourrager deviennent des cultures fourragères importantes pour l’autonomie alimentaire des exploitations.
Dans les quatre zones, les productions de l’élevage bovin allaitant sont en général des broutards [4], des jeunes bovins [5] et des vaches de réformes [6] vendus dans des filières organisées de longue date. Les veaux sous la mère [7] sont des produits d’élevage essentiels sur le Bassin Pyrénéen, le Bassin Limousin et les zones d’élevages résiduels. Leur production permet normalement une meilleure rémunération des capacités de travail présentes sur l’exploitation et la viabilisation de structures d’exploitation plus limitées en surface. Le lait est le plus souvent valorisé en filière longue autour de pôles régionaux de transformation et valorisation, plus ou moins éloignés des zones de production.
Vu la faible rentabilité économique des élevages dans de nombreuses zones du grand Sud-Ouest, des dynamiques de réorganisation sont observées ces dernières années : (1) multiplication de la vente directe de veaux sous la mère, veaux rosés et de vaches de réforme, parfois en complément à une vente en filières traditionnelles ; (2) réorganisation autour d’un élevage laitier biologique et changement du mode de commercialisation [8] ; (3) réorientation des exploitations vers la transformation à la ferme du lait ; (4) apparition de petites exploitations caprines autour de pôles urbains, comme dans le Lot et Garonne.
Présentation de l’innovation Pâturage Tournant Dynamique (PTD) ayant pour but d’optimiser la production herbagère
La SCOP SARL Innov-Eco² accompagne des éleveurs bovins et ovins/caprins, allaitants ou laitiers, préoccupés par la viabilité économique, l'efficacité énergétique et technique et la durabilité écologique de leurs systèmes d'exploitation. Les entrées techniques principales concernent l’organisation d’un système de pâturage tournant dynamique et la gestion optimisée des prairies multi-espèces et/ou naturelles par le pâturage, selon des modalités adaptées aux pédoclimats locaux (reliefs, sols et microclimats) et aux conditions structurantes des exploitations (produits commercialisés, surface disponible en prairies, éloignement et cohésion des parcellaires et localisation des sources en d’eau, etc.).
Dans le cadre de l’adoption du pâturage tournant dynamique, la stratégie proposée aux éleveurs est de découper leurs parcellaires de prairies pâturables en paddocks [9] de taille équivalente et d’en disposer d’un nombre suffisant pour adapter le pâturage et le rationnement des différentes catégories d’animaux en respectant un temps repos nécessaire au retour des graminées aux stades 3-4 feuilles, considéré comme le stade optimal [10] pour la plante. Le but – à contrario de maximiser la production fauchée - est d’essayer de prolonger les phases successives de pousse végétative des prairies pour en permettre une pâture efficace et durable au cours des saisons.
Les temps de repos - la période s’écoulant entre deux pâtures successives d’un même paddock - à respecter sont adaptés par les éleveurs en fonction des variations saisonnières et des événements climatiques spécifiques à chaque année. De plus, pour respecter un niveau de réserves énergétiques élevé dans les graminées et permettre des redémarrages de pousse plus actifs, le pâturage se fait jusqu’au niveau des gaines de graminées (entre 3/4 et 7/8 cm du sol). Le prélèvement des gaines par la pâture induit un redémarrage moins actif de la prairie et rallonge les temps de repos nécessaires à un retour au stade 3-4 feuilles des graminées. Enfin, pour optimiser le rationnement des animaux et pour respecter la repousse des premières jeunes feuilles [11] sans les prélever, le temps de présence des animaux sur le paddock est limité entre un jour (parfois une demi-journée) et trois jours.
Des pratiques de gestion [12] sont ainsi adoptées par les éleveurs enquêtés pour ajuster le pâturage et respecter la pousse végétative des prairies :
(i) anticipation de la date de déprimage - qui correspond au premier tour de pâturage de l’année - permet de mettre les prairies en pousse active de manière précoce ;
(ii) réalisation d’un étêtage pour contrôler la phase d’épiaison durant la période printanière - l’étêtage par un pâturage ras permet de remettre les prairies en pousse végétative lorsque les graminées ont débuté leur phase de montaison au printemps ;
(iii) accélération ou ralentissement des rotations des animaux en fonction des dynamiques climatiques, limitation du niveau de grattage en fin de printemps afin de préserver les gaines des graminées et mise en défens des prairies en été en limitant l’accès à un seul paddock « sacrifié » ;
(iv) ajustement de la date de reprise automnale du pâturage : En zone 2, il est fréquent que le pâturage estival des prairies s’interrompe entre mi-juillet et mi-septembre, donnant lieu à un affouragement des animaux en bâtiment ou à l’extérieur ; moins fréquente en zone 1, l’interruption estivale de pâturage concerne surtout la fin du mois d’août et début septembre, mais peut être contournée en utilisant des stocks d’herbe sur pied constitué grâce à des prairies fauchées en juin ;
(v) Et ajustement du chargement des paddocks et choix des lots d’animaux à prioriser au pâturage en automne et hiver.
Méthodes de formation-action retenues par Innov-eco² pour diffuser le PTD
La méthode de formation-action développée par Innov-Eco² permet aux agriculteurs-éleveurs d’intégrer progressivement leur projet de PTD au niveau du système [13] d’exploitation et de développer des compétences en gestion adaptative et saisonnière des prairies et des couverts fourragers par et pour le pâturage. Cette méthode comporte :
(i) un transfert initial de connaissances théoriques et pratiques auprès des éleveurs lors de réunions de groupe, en salle et sur le terrain, portant sur les ressources vivantes de la ferme (sol - plante - animal), leur fonctionnement agroécologique et la gestion optimisée de leurs interactions via le pâturage ;
(ii) la planification initiale des systèmes de PTD à mettre en place sur chaque exploitation, suite à un diagnostic partagé entre animateur/éleveur et à l’élaboration d’un dessin-plan parcellaire prévoyant le redécoupage en paddocks, le cheminement et l’abreuvement ;
(iii) lors de « Rallyes herbe » répartis sur les deux premières années, l’organisation d’échanges techniques entre éleveurs pratiquants le PTD et animateur technique et de visites de terrain pour assurer :
a) une meilleure organisation et une replanification des systèmes de PTD ;
b) une révision et l’adaptation des pratiques de gestion des systèmes de PTD par les éleveurs au cours des saisons ;
c) l’évolution et la systématisation des connaissances des animateurs/éleveurs sur les prairies et leur réaction aux événements extérieurs (modes de pâturage, événements climatiques, etc.) dans chaque contexte pédoclimatique.
Les parcours de formations sont financés principalement par des fonds VIVEA - le Fond pour la Formation des entrepreneurs du Vivant. Les groupes d’agriculteurs-éleveurs sont mobilisés via leurs organisations - Associations d’éleveurs du réseau ELVEA, associations et groupements bio, coopératives, chambres d‘agriculture et organismes d’appui et conseil en élevages - ou par des contacts entre pairs, suite à des dépôts de projets de formation par Innov-Eco² au fond VIVEA.
En sept ans, une cinquantaine d’actions ont permis de former 437 éleveur(euse)s [14] à une gestion optimisée des prairies par le PTD et près de 400 fermes de polycultures élevages herbivores ont adopté cette innovation en Nouvelle Aquitaine et Ouest de l’Occitanie. En Automne 2019, les superficies organisées pour optimiser le pâturage des cheptels et gérées les prairies en PTD concernent plus de 5000 hectares [15].
Parmi les éleveurs formés en Nouvelle Aquitaine et Occitanie, une cinquantaine d’élevages bovins allaitants et laitiers pratiquent le PTD depuis 2013 (ou avant pour certains) et l’ont intégré à un niveau système depuis plusieurs années. Ils constituent un groupe de référence intéressant vu l’amplitude de leur système de pâturage optimisé et du recul de 6 à 30 ans permettant d’analyser les effets du système PTD et l’évolution / diversification des pratiques de gestion.
Identification des conditions de mise en place du PTD et pratiques d’adaptation des éleveurs
Suite à un accompagnement régulier des élevages du Sud-Ouest entre 2013 et 2019, plusieurs observations peuvent être généralisées concernant les pratiques de gestion optimisée de l’herbe au pâturage dans la grande région.
La plupart des éleveurs avance leur date de déprimage d’un mois par rapport aux pratiques antérieures. Dès la première année, la réalisation de ce déprimage permet aux éleveurs de gérer avec une certaine souplesse le démarrage de pousse de l’herbe au printemps. Lorsque les éleveurs initient leur gestion en PTD de manière tardive - entre le 10 mars et le 25 mars - l’adaptation pratiquée est un renforcement du lot d’animaux prévu sur le parcellaire afin de mettre en cycle les paddocks sur une durée assez courte (3 semaines) puis, si nécessaire, un retour à un nombre d’animaux plus équilibré entre consommation journalière et pousse journalière. Lorsque le démarrage est précoce (comme en 2019) vers la mi-février, le déprimage peut alors s’étaler sur 35 à 45 jours, les ajustements pour ralentir la rotation concernent alors le temps de pâturage journalier des animaux et leur nombre, des apports de foin en début de cycle et/ou l‘ouverture de parcelles prévues pour la fauche dans le cycle des parcellaires à déprimer [16].
La principale difficulté est la période estivale avec son déficit hydrique chronique empêchant la pousse des prairies. Toujours selon Oracle (2018), les départements des Deux Sèvres et des Charentes (ainsi que la Gironde et le Lot et Garonne) présentent en moyenne deux mois de sécheresse par an, entre juin et août sur la période de 1985-2014. Avec le changement climatique, on peut s’attendre à une plus forte irrégularité des pluies d’été et des épisodes de canicules. Sur les 5 dernières années (2013 à 2018) correspondant à la mise en place des systèmes PTD. Les départements des Charentes ont présenté des déficits hydriques estivaux variant de 160 à 300 mm alors que les Pyrénées atlantiques ont une année d’excédent hydrique relatif (70 mm) pour 4 années de déficits estivaux variant entre moins 70 et 160 mm.
En conséquence, les éleveurs rallongent leur cycle de pâturage à partir de mi-juin, en pratiquant des temps de repos de 35 à 45 jours [17], et jusqu’à 60 jours pour ceux qui ont un parcellaire le permettant. Au cours de cinq dernières années, les éleveurs en zone 2 arrêtent le pâturage entre mi-juillet et mi-août et cela jusqu’à mi-septembre [18], en affourageant les animaux avec du foin en bâtiment ou sur des paddocks sacrifiés ou en pâturant de manière rationnée des couverts estivaux mis en place en avril-mai. Les éleveurs de la zone 1 peuvent réussir leur pâturage estival [19], principalement pour les lots d’animaux prioritaires, et à condition d’avoir rajouté des paddocks ayant repoussés après fauche.
Dans les zones favorables et défavorables, des pratiques d’affouragement complémentaires sont mises en place pour substituer le pâturage sur prairies en été ou permettre d’en rallonger le temps de rotation, comme par exemple : semis de trèfles à la volée dans les céréales à paille, implantation de couverts fourragers pâturables ou récoltés en vert (sorgho et trèfles estivaux, moha, millets). Des essais de semis direct de couverts multi-espèces consommables en septembre sont également tentés, avec des résultats contrastés. Chez certains, un pâturage contrôlé se substitue à la récolte de la troisième coupe de luzerne.
Concernant le pâturage automnal, celui-ci est limité dans la zone 2 à trente jours une année sur les cinq dernières, le mois de novembre devenant un mois favorable au pâturage. Les quatre autres années, comme en zone favorable, la possibilité de pâturer existe de mi-septembre à décembre.
Malgré des étés parfois peu favorables, la plupart des prairies gérées en PTD présente une amélioration d’implantation année après année. Aucune perte de prairies n’est observée. Certains éleveurs pratiquent cependant des sur semis pour « recharger les prairies » - les effets observés sont variables. Les questions de périodes de sur semis et des espèces possibles (compétition sur l’eau et les éléments minéraux) sont encore à approfondir pour pérenniser des prairies productives et de qualité.
Enfin, les systèmes présentant des découpages plus rigoureux (taille limitée et chargement élevé) et un temps de présence par paddock plus limité (un jour maximal par paddock) semblent assurer au cours des ans des avantages par rapport à des modes de gestion moins stricts : augmentation des durées de pâturage, meilleure capacité de gestion des événements climatiques et régularité du prélèvement des animaux. En absence de test de comparaison sur un même parcellaire, l’augmentation de l’offre ne peut être démontrée mais semble dans la logique des observations précédentes.
Evaluation des impacts productifs des prairies gérées en PTD dans le Sud-Ouest
Les éleveurs enquêtés répertorient chaque année les entrées et sorties d’animaux sur le parcellaire en PTD et donc la présence des animaux au cours de l’année sur un même système de paddock grâce à un calendrier de pâturage. Les échanges de terrain entre éleveur et Innov-Eco² permettent d’élaborer conjointement des adaptations au cours de saisons pour mieux gérer les pousses d’herbe. En fin d’année, est réalisée une synthèse des chargements instantanés et moyens observés sur les prairies en pâturage par saison et du nombre de jours de pâturage. Les mesures inscrites au calendrier de pâturage permettent de voir l’effet des adaptations proposées sur la continuité et la temporalité du pâturage, la pluviométrie restant le facteur limitant principal de la pousse herbagère.
En estimant la consommation journalière de chaque catégorie d’animaux sur chaque saison et leur temps de présence sur les parcellaires en PTD, il est possible d’estimer les rendements fourragers de prairies gérées en PTD pour chaque système de paddocks. Les rendements d’herbe pâturé ou pâturé/fauché sur les prairies varient au cours des années 2013 à 2018 entre 4 et 12 T de MS/ha. Les variations de rendements sont fonctions de la zone où se trouve l’exploitation, de la pluviométrie de l’année climatique, mais aussi du type de prairies (naturelles ou temporaires) implantées, de l’année d’introduction du parcellaire en gestion PTD (avec arrêt du surpâturage chronique et des phases de repos trop limitées) et – semble-t-il - du nombre de paddocks réalisés sur chaque système.
Plusieurs années d’observations et de synthèses permettent de valider les références suivantes concernant les rendements potentiels (moyenne et amplitudes de variation) des prairies menées en PTD et les durées de pâturage observées sur les exploitations innovantes en Nouvelle Aquitaine.
Vu les aléas climatiques, on observe une forte variabilité des performances de production d’herbe (entre 20 et 35 %) tant en nombre de tours de pâturage annuels [20] qu’en rendements annuels estimés (NB : Une période longue de pâturage se traduit par l’arrêt ou la réduction de distribution de concentrés, d’où une source notable d’économies pour la ferme).
En première approche, les rendements estimés ne paraissent pas différents de ceux observés sur les prairies de fauches des mêmes élevages ou des élevages voisins. La principale différence est l’obtention de rendements équivalents sans utilisation d’engrais azotés minéraux, fertilisation auparavant pratiquée par les éleveurs [21]. En gestion optimisée des prairies au pâturage et, en cas d’une présence jour/nuit des animaux sur les prairies, les exportations d’éléments minéraux N, P et K liées au prélèvement de la biomasse fourragère par les animaux sont en grande partie compensées par les retours de minéraux sur les parcelles via les déjections animales (pissats et bouses) et, indirectement, par le renforcement des populations de trèfles blancs [22] dans les prairies.
La combinaison de deux facteurs explique le renforcement des trèfles sur les prairies pâturés : (1) Suite au déprimage en début de printemps, l’accès à la lumière des trèfles leur permet de mieux s’installer et cela malgré des températures au sol encore limitées et à priori défavorables aux légumineuses ; (2) les retours successifs de la hauteur des prairies à quelques centimètres au-dessus du sol permettent aussi aux populations de trèfles blancs de se développer et de mieux capter l’azote atmosphérique via les rhizobia.
En plus de l’amélioration de la qualité alimentaire des prairies par le retour de trèfles, le déprimage précoce et la succession des tours de pâturages ont un deuxième effet positif observable sur les prairies : le tallage plus régulier des graminées [23] et l’épaississement latéral des pieds d’herbe, principalement au printemps et en automne. Cela se traduit dès les premières années de PTD par une densification des couverts de graminées et une augmentation de l’offre herbagère à chaque tour de pâturage - cependant atténuée en été par le ralentissement de la végétation, les arrêts de pousse et le dessèchement des prairies liés aux déficits hydriques.
Selon le système de qualification des valeurs alimentaires des fourrages verts ou conservés pour les ruminants de l’INRA (système révisé en 2018), un kilogramme de Matière Sèche d’une herbe pâturée au bon stade considéré ici comme étant le stade 3 à 4 feuilles des graminées présente une valeur alimentaire équilibrée pour le bétail : entre 0,90 et 1 Unité Fourragère [24], 110 à 120 grammes de Protéines Digestibles Intestinales [25] et 200 à 210 grammes de Cellulose Brute [26] par kg de MS.
Le PTD bien géré permet de maintenir l’herbe à un stade optimal pour la prairie mais aussi une bonne appétence et valorisation alimentaire pour le bétail. Le PTD représente un mode peu onéreux [27] de production et de consommation de fourrage vert de qualité. Par contre, les principales dépenses induites par le PTD sont l’installation de plus nombreuses clôtures, le réseau de cheminement du bétail et d’abreuvement en limite de paddock puis le temps consacré à la gestion du pâturage des différents lots d’animaux.
Une fois les notions de respects des réserves et des temps de repos nécessaires à la repousse acquises par les éleveurs gestionnaires, le PTD permet un prélèvement d’herbe étalé dans le temps. Il s’avère très favorable à la production animale sur les périodes printanière et automnale. Selon les résultats des suivis de terrain et de deux enquêtes qualitatives réalisées chez 16 éleveurs en 2016 puis 15 éleveurs en 2018 dans le cadre d’une coopération Innov-Eco²/BSA, il serait également favorable au maintien de l’état des troupeaux le long de l’année.
Impacts technico-économiques et agro-environnementaux du PTD dans les exploitations travaillant avec Innov-eco²
Les dépenses principales observées sur les exploitations en PTD correspondent à la mise en place des clôtures, d’un système d’abreuvement et du cheminement à structurer. Ses dépenses varient en fonction du matériel utilisé, du degré de division parcellaire réalisé et de l’organisation de l’abreuvement. Elles varient entre 70 et 150 euros par hectare en élevage bovin.
Par la suite, dans ces exploitations, la fertilisation des cultures de grains ou fourragères et des prairies fauchées, leur récolte et le stockage des fourrages et des cultures constituent les principales dépenses des exploitations. Ces dépenses diminuent avec l’optimisation de la gestion du système de pâturage et l’allongement des périodes de pâture. On constate également une limitation des dépenses affectées aux récoltes fourragères mécanisées.
Une autonomie alimentaire améliorée et des économies grâce au PTD
La biomasse pâturée en vert sur des prairies ou dans des couverts fourragers présente un encombrement plus limité qu’un fourrage conservé ainsi qu’une digestibilité plus élevée ; de plus, le pâturage permet d’optimiser l’ingestion alimentaire des herbivores. L’ingestion serait alors supérieure de 10 à 20 % à celle d’une même superficie récoltée en foin ou ensilage.
Les formes de stockage de fourrages s’avèrent moins efficientes mais également plus énergivores et onéreuses qu’une récolte directe par les animaux au pâturage. Ainsi, les coûts de production de foin, enrubannage ou ensilage d’herbe varie entre 200 et 450 euros par hectare dans le grand Sud-Ouest (hors rationnement), alors qu’un hectare de prairies hors fauche aura un coût annuel estimé en 50 et 70 euros entre semis de prairies, équipement et entretien de clôtures et abreuvement.
Lorsqu’elle est prélevée et ingérée au stade optimal (rapport Unité Fourragère / Protéines Digestibles Intestinales / Cellulose brute), la biomasse fourragère permet de répondre aux besoins alimentaires, énergétiques et protéiques des cheptels herbivores. Cela réduit ou élimine les dépenses en concentrés - la ration d’herbe pâturé peut être jusqu’à 15 fois moins chère à produire que les rations de même équilibre alimentaire issues de fourrages récoltés [28] - en particulier lors des périodes propices à la pousse végétative de l’herbe et/ou des couverts.
En conditions non optimales (moindre pousse herbagère en fonction de déficits hydriques plus fréquents ou accessibilité limitée des prairies au cheptel de la ferme), la PTD des prairies accessibles peut être combinée avec la pratique de pâturage rationnée [29] de cultures fourragères dérobées [30]. Pour pâturer en été et début d’automne, périodes de moindre pousse herbagère, il est alors possible d’utiliser des plantes fourragères en C3 (comme l’avoine, le triticale, le seigle associé à des légumineuses hivernales comme le trèfle incarnat, le pois et la vesce) pour pâturer en sortie d’hiver et des plantes en C4 (comme le sorgho et le millet) associées à des trèfles (trèfles incarnat en hiver et trèfle de perse, d’Alexandrie ou squarozum en été).
Des systèmes herbivores herbagers peuvent donc se développer en Nouvelle Aquitaine et Ouest Occitanie en maximisant le pâturage à l’année, voire devenir autonomes à l’herbe du point de vue alimentaire [31], sous condition cependant : 1) d’une disponibilité suffisante en surfaces pâturables (variable selon les zones et conditions pédoclimatiques) ; 2) d’une accessibilité des parcelles pour les troupeaux ; 3) ainsi qu’une accessibilité à des sources d’abreuvement.
L’auto fertilisation des prairies multi-espèces et des dérobées gérées avec le PTD
Les systèmes d’élevage herbivore enquêtés exportent relativement peu d’éléments minéraux. Sur la base des données communément admises pour la composition de produits d’élevage, 1 tonne de viande sur pied (à 30 % de MS et entre 17 et 23 % de protéines) contient l’équivalent de 38 unités d’azote et 4 unités de phosphore ; 5000 litres de lait (à 13 % de MS et 3.3 à 3.5 % de protéines) contiennent en équivalent matière seulement 28 unités d’azote et 5 unités de calcium. En fonction des niveaux de production observés sur les élevages étudiés [32], on peut estimer que le maximum d’éléments minéraux exportés par hectare par les systèmes bovin viande ou lait enquêtés sont d’environ 15 à 20 unités d’Azote et au maximum 2 unités de Phosphore ou 3 unités de Calcium.
En considérant les apports indirects d’azote par les légumineuses présentes dans les prairies et les rotations, la gestion optimisée des déjections rend possible une autonomie complète de la fertilisation des prairies et des cultures en systèmes polycultures élevages herbivores. Une fertilisation organique optimisée des sols et une présence accrue de légumineuses dans les prairies ou dans les rotations suffisent à compenser les exportations des produits animaux. Et cela, principalement si l’on respecte un niveau de chargement acceptable, en rapport avec la production de biomasse potentielle de la zone pédoclimatique [33].
Les prairies temporaires gérées avec une alternance PTD et fauche avec restitution des exports peuvent se pérenniser, améliorer leur productivité et souvent maintenir leur niveau de production au cours du temps, sans qu’elles n’aient à être re-semés après quelques années d’utilisation. De même, les systèmes de double culture sans labour constituent des pistes d’évolution agronomique favorables au maintien et à l’amélioration de la fertilité des sols et à la maximisation de la photosynthèse captatrice de C02.
Incidence favorable du PTD sur la captation du carbone
Dans le Calculateur CAP2ER de l’Institut de l’élevage, les niveaux moyens de stockage retenus pour les prairies temporaires et permanentes est de 570 kg de C / ha / an (Dolle & Al. 2013). Ainsi, sans retournement et au vu de leur niveau de productivité, les prairies temporaires « naturalisées » par le PTD dans le Sud-Ouest captent entre 0.5 et 0.8 Tonne de carbone par hectare, au moins à l’équivalence des prairies naturelles du même terroir.
De plus, des prairies permanentes auparavant récoltées en foin, sans ou sous faible restitution organo-minérale, peuvent être intensifiées par un PTD, augmentant ainsi leur niveau de production et également leur captation de carbone. Dans ce cas, on passerait alors de prairies dégradées ne stockant pas de carbone à une prairie stockant au moins 0.5 Tonne de carbone par hectare proche de la référence CAP2ER.
Des systèmes d’élevage herbivore basés sur le pâturage optimisé des prairies, le pâturage rationné de fourrages dérobés et la récolte de grains [34] avec remise des pailles aux sols (via le fumier ou dès la récolte) permettent de développer des pratiques de production autonome et captatrices de carbone. Couplés à une structuration favorable de l’environnement immédiat de l’élevage par un maillage de haies et de parcelles d’agroforesterie sur prairies/cultures, ces systèmes et pratiques peuvent selon les études précitées stocker du carbone malgré une base productive de ruminants émettrice de GES - et ainsi présenter des bilans GES neutres ou même négatifs [35] (ce qui signifie une captation de carbone).
Propositions devant favoriser les adaptations agroécologiques des élevages herbivores du grand Sud-Ouest
Un accompagnement public et privé est nécessaire pour le maintien des élevages herbivores du Sud-Ouest, tout comme pour leur transition agroécologique et l’amélioration de leur résilience dans un contexte de réchauffement climatique.
En Nouvelle Aquitaine et Occitanie, des politiques publiques (via des MAEC notamment) valorisent les formes d’élevages herbivores les plus écologiquement vertueux. Cependant, il serait nécessaire de discuter les schémas d’installation des jeunes agriculteurs avec les filières ainsi que les blocages technico-économiques qui limitent l’avènement de formes plus autonomes et économes d‘élevages des herbivores. Ces blocages sont souvent liés à la taille des exploitations d’élevages à reprendre (associés aux modes de production hérités) et aux contrats proposés par les agro-industriels de l’aval, souvent en inadéquation avec la motivation technique et les capacités de financement des jeunes porteurs de projet [36].
Dans ces deux régions, l’élevage à l’herbe est souvent un parent pauvre de la recherche agronomique alors qu’il faudrait développer des recherches appliquées et participatives en polyculture élevage d’herbivores.
Des programmes de recherche appliquée permettraient d’identifier des innovations agroécologiques adaptées à la diversité des territoires. Des échanges entre chercheurs et paysans définiraient les méthodes utilisables pour tester et valider ces innovations. Dans ce cadre, des partenariats entre agriculteurs-éleveurs, chercheurs, techniciens, écoles d’agronomie et filières sont souhaités pour construire et tester des innovations agroécologiques de rupture et non pas seulement observer et cataloguer les innovations déjà pratiquées [37].
Un développement des connaissances et des expérimentations techniques ayant trait à la maximisation du pâturage et à l’optimisation de la gestion des prairies multi-espèces en élevage herbivore pourrait renforcer la durabilité et la résilience des élevages herbivores dans le Sud-Ouest. Ce travail concernerait en priorité :
(i) L’adaptation des prairies multi-espèces et des associations de couvert d’été et d’hiver aux différents contextes pédologiques et au changement climatique ainsi que l’étude de leurs potentialités et de leurs limites dans les territoires du grand Sud-Ouest.
(ii) La gestion des sur-semis et de la fertilisation autonome sur prairies, la pratique de cultures sur prairies (cas des méteils par exemple) ainsi que l’étude de leurs potentialités et de leurs limites.
(iii) L’expérimentation de schémas d’agroforesteries durables (adaptation des espèces et méthodes d’implantation et/ou de régénération assistée) réalisables et viables en zones d’élevage.
Concernant plus spécifiquement la filière bovine allaitante dont les races limousines et blondes d’aquitaine constituent des étendards pour l’agriculture et l’élevage régionaux et pour assurer une meilleure valorisation de l’herbe dans chacune de ces races, la promotion de systèmes d’élevages plus autonomes passe par un questionnement voire une remise en cause des schémas de sélection raciale. Un processus de recherche appliquée pourrait étudier la faisabilité d’une finition à l’herbe des bovins, en proposant notamment :
(i) Un inventaire des potentialités et des limites des schémas de sélection actuels dans une perspective d’engraissement à l’herbe.
(ii) L’introduction de critères d’amélioration des races basés sur la valorisation de l’herbe et la récupération de familles présentant une génétique fortement herbagère[38].
(iii) L’expérimentation de croisements de races permettant de produire des animaux capables de mieux valoriser le potentiel herbager de la région et de mieux résister au changement climatique (croisement avec des races rustiques).
En conclusion, le défi actuel concernant l’innovation PTD est de passer d’une dynamique de formation-action concernant 3 à 5 % d’agriculteurs-éleveurs volontaires sur chaque territoire à 15-30 % d’agriculteurs, seuil permettant une imitation auto-entretenue des modes de production innovants.
Pour faciliter l’atteinte de cet objectif, sont nécessaires de nouveaux schémas de développement promouvant une agroécologie véritablement adaptée aux territoires :
(i) Au niveau de la recherche, les partenariats chercheurs/agriculteurs devraient évoluer de l’observation ou du simple transfert de connaissances vers des recherches appliquées plus participatives.
(ii) Au niveau du développement, les méthodes de travail des organisations agricoles (filières, associations d’agriculteurs, Chambres d’Agriculture) devraient également évoluer : il s’agirait de passer d’une stratégie de contrôle et de coordination centralisée des dynamiques locales à un processus de partage d’informations, de complémentarités entre acteurs de terrain et de construction collective de groupes d’innovation et développement aux niveaux locaux et régionaux.
Notes
[1] Entre septembre 2012 et janvier 2016, Xavier Barat Ingénieur ENITA de Bordeaux et Mathieu Bessière Ingénieur ESA Purpan sont co-gérants et ingénieurs conseil en agriculture durable au sein de la SCOP SARL Innov-eco².
[2] Qui correspond également à un risque d’échaudage pour de nombreuses céréales à paille (seuil variable cependant en fonction des espèces et variétés).
[3] La notion d’intensité de l’élevage herbivore se réfère au niveau de chargement des exploitations d’élevage exprimé en Unité Gros Bovin par ha ; il en résulte un niveau de production par hectare de surfaces affectées à l’élevage ; cependant, un élevage peut être intensif en optimisant ces ressources propres ou en achetant à l’extérieur une partie des ressources alimentaires nécessaires au troupeau.
[4] Les veaux et velles sont élevés avec leurs mères, avec ou sans complémentation, pendant 4 à 6 mois et vendus en vif - pour être exportés (Italie, Espagne, Grèce, etc.) ou engraissés dans des filières intégrées en France.
[5] Ces jeunes bovins sont engraissés et abattus à l’âge de de 12 à 18 mois selon les races.
[6] Les réformes allaitantes sont engraissées entre quatre et huit mois en fonction des races avant leur abattage.
[7] Ces jeunes bovins sont élevés au lait de vache et aux concentrés puis abattus entre 5 et 8 mois (selon les labels régionaux) pour le marché français.
[8] Dynamiques des lignes de collecte de BIOLAIT ou réorganisation des filières lait des acteurs traditionnels.
[9] Un paddock est l’unité de superficie de base d’un parcellaire découpé pour être géré en PTD.
[10] Il correspond à un stade végétatif où le niveau de réserves glucidiques de la graminée - réserves localisées dans la gaine et les racines - est considéré élevé et où les racines ont été renouvelées (au moins en partie).
[11] La vitesse de repousse initiale dépend des réserves existantes dans les gaines et les racines des graminées.
[12] voir https://Innov-Eco².fr/formations.html - Manuel de pâturage tournant dynamique édité en 2014 par Innov-Eco²/ELVEA 47 avec l’appui financier du Conseil Général du Lot et Garonne
[13] Ainsi, après deux ou trois ans d’implantation du système PTD, l’ensemble du cheptel de l’exploitation est alimenté de manière principale via un pâturage adapté à la pousse de l’herbe et/ou des couverts fourragers d’été ou d’hiver.
[14] Dont 80 éleveurs localisés principalement en Deux Sèvres dans le cadre du projet Life + « Pâturage tournant dynamique en Gâtine » mené par la CAVEB et ses partenaires ; Innov-Eco² y appuie la mise en place d’un réseau de 80 fermes et la formation d’une dizaine de techniciens locaux à l’approche PTD entre 2014 et 2017.
[15] Hors le réseau d’aujourd’hui 120 fermes sont accompagnées par le projet Life + « Pâturage tournant dynamique en Gâtine ».
[16] Avec un effet intéressant sur le retour des trèfles ou sur la qualité de l’offre fourragère lors de la fauche, même si celle-ci peut s’avérer plus tardive (entre 10 et 15 jours).
[17] En diminuant le chargement des cheptels pâturant sur prairies d’un tiers par exemple ou en affectant des parcelles fauchées et ayant suffisamment repoussées.
[18] En 2018, le retour des pluies en Deux Sèvres n’ayant lieu qu’en novembre, certains éleveurs ont dû constituer des stocks par achat.
[19] En réalisant des fauches plus ou moins précoces (mi-mai à mi-juin), il est possible d’établir et de maintenir un couvert estival qui est disponible à la pâture en milieu ou en fin d’été.
[20] Qui influencent directement le nombre de jours pâturés à l’année.
[21] Des apports de 30 à 60 unités d’azote étaient initialement pratiqués en début de printemps.
[22] Dont la consommation par les animaux renforce le niveau d’azote d’origine foliaire consommé puis (ré)excrété.
[23] L’émission des bourgeons de nouvelles talles par le méristème des graminées est régulière à chaque tour de pâturage – sous condition de luminosité et semble-t-il de (dés)induction hormonale lorsque les talles-maîtres n’entrent pas en phase de montaison.
[24] Les Unités Fourragères (UF) sont utilisées pour estimer la valeur énergétique.
[25] Les Protéines Digestibles Intestinales (PDI) permettent de raisonner l'alimentation protéique des ruminants.
[26] La cellulose brute (CB) est favorable à la production d’acides gras volatiles de type acide acétique.
[27] Les éleveurs estiment leu coût de production de 200 et 350 euros par ha pour 4 à 6 Tonnes d’herbe récoltées et stockées sous forme d’ensilage, d’enrubannage ou de foin.
[28] Selon les suivis en élevages réalisés par Innov-Eco², une ration d'herbe journalière de 15 kg de MS représente entre 0.15 et 0.25 euros ; une ration équilibrée à base de foin varie entre 0.9 et 1.2 euros et une ration à base de maïs ensilée entre 1.8 et 2.5 euros.
[29] Ou de distribution en vert lorsque le pâturage est impossible.
[30] Introduites en semis direct après céréales/légumineuses d’hiver pour l’été ou l’hiver.
[31] L’étude réalisée démontre une diminution de moitié de la consommation de concentrés (orge, blé, maïs grain, concentrés azotés) par kg de viande produite suite à la mise en place du PTD.
[32] Entre 150 et 350 kg de viande vive par hectare affecté à l’élevage en systèmes bovins allaitants (11) et entre 1500 et 3000 litres de lait et de 100 à 150 kg de viande vive dans les systèmes laitiers (4). Source ?
[33] Elle-même améliorable par des pratiques d’agriculture ou de pâturage plus ou moins régénératives.
[34] Pour une complémentation des animaux en énergie/protéines lors des phases de finition mais aussi pour aider à pâturer des stocks sur pied ayant perdu en valeur alimentaire.
[35] Voir les éléments de l’étude complète sur le site d’Innov-Eco².
[36] Ainsi des contrats de production pour des élevages de 200 chèvres laitières hors sol sont-ils proposés par les filières d’aval en Pyrénées Atlantiques ; ou encore des élevages de 80-90 vaches allaitantes avec un seul actif (et une aide familiale conséquente mais non rémunérée) sont courants mais difficilement transmis en fonction du capital immobilisé à reprendre et du taux de rentabilité limité
[37] Une démarche de ce type est en cours depuis quelques années dans le cadre du Programme Agr’Eau financé par l’Agence de l’eau Adour Garonne et exécuté par l’AFAF. Elle concerne le non labour, les couvertures végétales et l’agroforesterie.
[38] Telles qu’il en existe sur les parties montagneuses des contreforts pyrénéens pour la Blonde d’Aquitaine.
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