Des méthodes bêches dérivées de la méthode du profil cultural
Joséphine Peigné1, Stéphane Cadoux2, Pascale Métais3 et Jean-François Vian1
1ISARA Lyon, 23 rue Jean Baldassini 69364 Lyon cedex 7 jpeigne@isara.fr
2 Terres Inovia, Avenue Lucien Brétignières, 78850 Thiverval-Grignon s.cadoux@terresinovia.fr
3 ARVALIS Institut du végétal, 2 Rue Henri Mondor, Biopôle Clermont Limagne, 63360 Saint Beauzire P.METAIS@arvalisinstitutduvegetal.fr
Contexte
La méthode proposée adaptée du profil cultural consiste en l’observation de l’état structural sur un bloc de sol prélevé avec une bêche. Elle a été développée en France dans un premier temps pour l’enseignement agricole. En effet, il est apparu que les élèves ingénieurs souhaitaient disposer d’une méthode d’observation des sols à mettre en œuvre dans les exploitations agricoles où ils réalisaient leur stage. Le profil cultural posant souci en raison des conditions de sa réalisation (fosse large et profonde), les enseignants de l’ISARA (Yvan Gautronneau, Joséphine Peigné et Jean-François Vian) ont développé une méthode simplifiée du profil cultural sous la forme d’une méthode bêche.
L’ambition est de proposer un outil de suivi simplifié de la structure du sol pouvant être appliqué tout au long du cycle cultural, qui permet de juger de l'effet de la structure du sol sur les performances d’une culture. Le cahier des charges de cette méthode comprend : une validation scientifique, une réalisation rapide, une accessibilité à tous avec une possibilité de répétition afin d’apprécier la variabilité au sein d’une parcelle et d’une année sur l’autre. Un diagnostic rapide est ainsi établi afin de juger de la nécessité d’observations ou analyses plus approfondies (ex. réalisation d’un profil cultural). Étant spécialistes de la méthode du profil cultural, nous avons décidé de garder certains critères d’observation de cette méthode : mode d’assemblage et porosité structurale des mottes – (Cf article de Boizard et al. dans ce numéro). Ces derniers sont, d’une part, validés scientifiquement et d’autre part sont associés à des modes de fonctionnement du sol parlant pour les agriculteurs (pénétration des racines, stockage et circulation de l’eau dans le sol).
Suite à cette première ébauche de méthode, nous avons poursuivi nos travaux pour la développer et la valider au cours de deux projets CASDAR. Elle a été déployée dans des stations expérimentales en Agriculture Biologique (AB) en grande culture, maraîchage, viticulture et arboriculture (projet SOLAB). L’objectif était d’une part de comparer les résultats obtenus avec des mesures quantitatives (masse volumique, résistance à la pénétration) et qualitatives (profil cultural) ; et d’autre part de valider les conditions d’utilisation de cette méthode dans différents systèmes de production, régions pédoclimatiques et avec de nombreux observateurs (conseillers AB). Nous l’avons ensuite déployé avec Jean-François Vian auprès de 250 agriculteurs en France lors du projet AGRINNOV en grandes cultures et viticulture. Ceci nous a permis de progresser dans la conception de cette méthode et de valider son utilité auprès des professionnels. La méthode bêche est maintenant répandue et utilisée en France, nous en avons publié un guide (Peigné et al., 2016).
La méthode bêche ISARA
Descriptif de la méthode
La méthode de prélèvement est celle d’un méthode bêche classique (cf. Figure 1) : extraction d’un bloc de sol, observation des horizons puis de l’état structural (Ball et al., 2007).
Sa principale particularité est d’évaluer l’état structural avec des critères issus du profil cultural. En effet, le profil cultural propose des critères à deux niveaux d’observation : l’organisation de la phase solide du sol (critère mode d’assemblage) et ensuite la description de l’espace poral (critère porosité structurale ou visible à l’œil). Le mode d’assemblage est rarement décrit dans les méthodes bêches existantes, or sa description renseigne sur l’infiltration de l’eau ou la pénétration racinaire en profondeur. Pour cela, un système ‘expert’ a été mis en place (cf. figure 2). Il guide pas-à-pas l’utilisateur pour définir le mode d’assemblage des mottes et la porosité structurale dominante dans chaque horizon du bloc.
La figure 2 illustre la démarche mise en place, basée sur un système expert. Dans un premier temps, nous suivons un arbre de décision (cf. partie gauche de la figure 2, en ligne) pour déterminer le mode d’assemblage de la bêchée. Pour ce faire, nous observons la tenue du bloc de sol extrait, et s’il se tient, l’apparition de fissures, puis quand on le pose sur la bâche, l’apparition de sous-blocs. Cela nous permet de distinguer deux modes d’assemblage, soit l’état continu C plus ou moins fissuré (CR – 1 fissure ou sous bloc et C2R- plusieurs fissures et sous blocs) et l’état ouvert O. L’état C correspond à des éléments (mottes, agrégats) soudés entre eux, peu discernables, donc un certain tassement du sol. Toutefois, des fissures peuvent apparaitre dans cet état. Elles sont observées sur la bêchée lors de son extraction, puis sur la bâche sous forme de sous blocs. Elles proviennent le plus souvent d’action du climat et de travaux du sol. L’état O caractérise, quant à lui, un sol où les éléments sont facilement discernables les uns des autres, et donc ne tiennent pas sur la bêche lors de l’extraction. Pour simplifier l’interprétation avec le système expert, le mode d’assemblage bloc (B), utilisé dans le profil cultural pour décrire une bande de labour peu émiettée, n’est pas utilisé. L’état B correspond à un ensemble de sous-blocs (grosses mottes > 10 cm) résultant de la fragmentation d'un bloc delta et qui se transforme en sous-blocs avec vides et éventuellement terre fine. Nous ne l’avons pas distingué de l’état O dans la mesure où les éléments sont discernables.
Une fois caractérisé le mode d’assemblage, nous déterminons la dominance en % de terre fine et des différents états internes de mottes (cf. partie droite de la figure 2, en colonne). Pour les mottes, nous distinguons trois types d’état interne de la de porosité structurale : (1) les mottes d’état interne G, soit des mottes avec beaucoup de porosité visible à l’œil, (2) des mottes d’état interne D, soit des mottes lisses sans porosité visible à l’œil, et (3) des mottes d’état interne delta b, qui regroupe les mottes d’état interne phi (fissuration due à l’action du climat), et les états b1 (présence de galeries de vers de terre) et b2 (présence de bioturbation) telles que décrites dans le profil cultural (Boizard et al., 2017). Nous avons fait le choix de les regrouper pour simplifier la description, tout en gardant un état interne intermédiaire entre les mottes G et D. Ainsi l’état delta b correspond à une motte présentant une surface lisse et aplanie, caractéristique d’un tassement, mais avec des macroporosités, signe d’une possible régénération de la porosité du sol par l’action soit du climat, soit des agents biologiques.
Ensuite, nous croisons les résultats des modes d’assemblage et la dominance d’états internes des mottes, pour déterminer un degré de tassement. Ainsi, pour aider l’utilisateur dans sa prise de décision, le diagnostic final est une classe de tassement : de 1 (aucun tassement) à 5 (tassement sévère) (cf. Figure 2). A partir de 3, il est conseillé de réaliser un profil cultural afin d’affiner le diagnostic et de décider s’il faut ou non entreprendre des actions de restauration de la structure du sol.
Validité de la méthode bêche
Validité scientifique
Comme évoqué en introduction, nous avons comparé la méthode bêche ISARA avec le profil cultural, la méthode bêche VESS (Ball et al., 2007) et un paramètre physique, la résistance du sol à la pénétration. Le tableau 1 montre les scores obtenus avec les méthodes bêche ISARA et VESS pour quatre itinéraires de travail du sol mis en œuvre dans un essai de longue durée en France (Peigné et al., 2018). Globalement, la méthode bêche ISARA montre que le sol est plus tassé en travail sans labour (travail superficiel et très superficiel) comparé aux sols avec labour, et cela est dû principalement à des tassements sous l’horizon issu des travaux superficiels, soit de 7 à 30 cm. On peut l’observer sur la figure 3 qui illustre les blocs de sol prélevés pour les quatre techniques de travail du sol.
Tableau 1 : Scores (de 1 pas tassé à 5 tassement sévère) obtenus avec la méthode bêche ISARA et la méthode VESS dans des parcelles d’essais comparant 4 techniques de travail du sol (mai 2015 sous blé, site de Thil).
Horizons 1, 2 et 3 correspondent aux couches de sol différenciées par les outils de travail du sol).
Des lettres différentes (a,b) signifient une différence significative (p.value< 0.05).
Les résultats obtenus avec la méthode bêche ISARA ont été comparés à ceux obtenus avec des profils culturaux (réalisés le même jour). Globalement, les deux techniques sans labour présentent bien plus de mottes sévèrement tassées (D), que les deux techniques avec labours (cf. Figure 4). La comparaison avec le test VESS montre que les ordres de grandeur de tassement sont proches, toutefois la méthode VESS est plus sévère que la méthode ISARA. Une explication vient de la prise en compte de fissuration dans le mode d’assemblage C avec la méthode bêche ISARA. Cela a tendance à diminuer le ‘score’ de tassement, considérant que le sol est continu mais la fissuration laisse pénétrer des racines ou de l’eau. Enfin, les mesures de résistance à la pénétration dans le sol (cf. Figure 5), montrent plus de résistance en sol non labouré (et plus particulièrement quand le sol n’est pas travaillé) qu’en labour. Cela va dans le sens d’un tassement dans les horizons non travaillés en non labour, comme diagnostiqué avec le test bêche ISARA dans les horizons 2 ou 3 (cf. tableau 1).
Figure 4 : % de mottes gamma, delta b (incluant les états b1/ b2) et delta observés dans les profils culturaux réalisés dans des parcelles d’essais comparant 4 techniques de travail du sol (mai 2015 sous blé, site de Thil) (D’après Peigné et al., 2018).
labour traditionnel (30 cm, charrue), labour réduit (18-20 cm, charrue varie-large hors raie), travail superficiel (15 cm chisel), et travail très superficiel (5-7 cm, chisel).
Les ‘scores’ obtenus avec la méthode bêche ISARA sont en accord (même diagnostic de tassement) avec les résultats issus d’autres méthodes ou mesure physique. La seule réserve est liée à la profondeur de prélèvement des bêches. En effet, il est difficile de descendre très profond avec la méthode bêche, qui plus est quand le sol est tassé, on s’arrête souvent autour de 20-25 cm de profondeur. Ainsi la proportion de sol tassé en profondeur n’est pas prise en compte, ce qui tend à rendre les méthodes bêches moins ‘sévères’ que l’observation du profil cultural ou l’utilisation d’une mesure physique. Il est ainsi recommandé de faire ces mesures complémentaires si on observe le début d’un tassement sévère en profondeur avec la méthode bêche.
Figure 5 : Résistance du sol à la pénétration d’une tige dans des parcelles d’essais comparant 4 techniques de travail du sol (mai 2015 sous blé, site de Thil) (D’après Peigné et al., 2018).
LT : labour traditionnel (30 cm, charrue), LA : labour réduit (18-20 cm, charrue varie-large hors raie), TS : travail superficiel (15 cm chisel), et TTS : travail très superficiel (5-7 cm, chisel).
Des lettres différentes (a,b,c) signifient une différence significative (p.value< 0.05).
Validité d’usage
Dans le projet Agrinnov, nous avons déployé la méthode bêche ISARA auprès de 100 céréaliers et autant de viticulteurs dans toute la France. Cela nous a permis d’une part de reprendre la méthode pour la rendre plus facile d’utilisation, mais aussi de valider qu’elle peut être utilisée dans une large gamme de systèmes, sols et climats en France. Il ressort qu’elle est appréciée, surtout des céréaliers, les viticulteurs la trouvent intéressante pour évaluer l’état structural sous couvert dans l’inter-rang. L’évaluation par scoring (obtention d’une note de 1 à 5, avec 1 aucun tassement) est aussi appréciée. Toutefois beaucoup d’agriculteurs se font déjà une idée du tassement de leur sol avec la description en mode d’assemblage et proportion d’état interne des mottes.
Les limites à son utilisation sont : les sols trop caillouteux (plus de 50 %), les sols très secs et les sols très argileux en conditions humides. Dans ces conditions, le prélèvement et la description de la structure du sol sont pratiquement impossibles à réaliser : l’extraction du bloc ne peut se faire qu’en appliquant beaucoup de forces et en conséquence en modifiant le structure in situ. Une autre limite est le fait que la méthode est plutôt réservée à des praticiens, car elle demande une certaine expertise. Toutefois les agriculteurs ne le voient pas comme un défaut car ils trouvent intéressant de réaliser la méthode bêche à plusieurs pour discuter leurs observations. En pratique une formation de 1 à 2 heures sur le terrain avec un groupe d’agriculteurs permet de les familiariser à la méthode et associé avec le guide du test bêche le taux de retour et la qualité des observations réalisées par les agriculteurs est satisfaisante.
Suite à ces travaux, nous avons diffusé la méthode bêche ISARA auprès de collègues chercheurs, ingénieurs dans des instituts techniques ainsi qu’auprès de conseillers agricoles de terrain. Un guide a été réalisé en 2016 avec l’aide d’étudiants de l’ISARA (Peigné et al., 2016). Les collègues se sont emparés de la méthode, l’ont parfois modifiée pour l’adapter à leur problématique de travail. Dans la suite de cet encart, des collègues d’instituts techniques témoignent de leurs travaux autour de la méthode bêche adaptée du profil cultural.
La méthode bêche Terres Inovia. Adaptation de la méthode ISARA pour un usage spécifique : la prise de décision sur le travail du sol préalable à l'implantation d'un colza
Objectifs
L’implantation est une étape-clé de la réussite du colza. Or on se trouve dans un contexte de pression de plus en plus forte des ravageurs d’automne notamment et de l’apparition de résistances à la principale famille insecticide utilisée, les pyréthrinoïdes. La levée précoce et la croissance dynamique et continue du colza à l’automne sont devenues alors indispensables pour obtenir un colza robuste à même de supporter les dégâts. Le travail du sol joue un rôle essentiel pour la réussite de l’implantation mais ses effets sont antagonistes. D’un côté il permet de fragmenter le sol et ainsi de sécuriser l’enracinement du pivot, condition essentielle à une croissance continue à l’automne (voir exemple photo 1). Il permet également le contrôle des ravageurs du sol comme les limaces ou les rongeurs. Mais d’un autre côté, chaque opération de travail du sol contribue à assécher le sol et à stimuler la germination d’adventices et notamment de géraniums. Il y a donc intérêt à limiter le nombre et la profondeur des passages de travail du sol au strict nécessaire pour gérer (i) la structure du sol et (ii) les ravageurs du sol. Le diagnostic de la structure est alors une étape importante pour cette prise de décision.
Photo 1 : parcelle de colza hétérogène en début de floraison : les plantes avec pivot bien développés (ex. à gauche) sont saines et débutent leur floraison. Celles avec un pivot coudé (ex. à droite) sont touchées par des dégâts de larves d’insectes (plantes buissonnantes, nanifiées) et n’entrent pas en floraison.
Le diagnostic de la structure du sol doit idéalement être fait dans chaque parcelle qui va recevoir du colza et avant la récolte du précédent. Et pour qu’il soit mis en œuvre largement, par les agriculteurs notamment, la méthode doit être simple et rapide. Après avoir fait l’inventaire des méthodes existantes, nous avons décidé d’adapter la méthode bêche ISARA (Peigné et al., 2016). Nous avons en effet privilégié une méthode basée sur le mode de description de la structure du sol du profil cultural car nous sommes parfois amenés à utiliser, avec les mêmes agriculteurs, le profil cultural ou le mini profil 3D (voir exemple photo 2). Nous avons donc fait le choix de la cohérence de description.
Photo 2 : Diagnostic de la structure du sol dans des parcelles qui vont recevoir du colza avec les agriculteurs du réseau Berry. A gauche : le diagnostic est fait avec la méthode du mini profil 3D chez un agriculteur équipé d’un chargeur télescopique. A droite : comme le plus souvent, le diagnostic est fait sur la base d’une méthode bêche.
Adaptation de la méthode bêche ISARA
Nous avons ensuite adapté la méthode bêche ISARA (i) pour intégrer les dernières avancées sur le développement de la méthode du profil cultural (Boizard et al., 2017) et (ii) pour la simplifier. En effet, l’arbre de décision de la méthode bêche ISARA conduit à se positionner sur sept modes d’assemblages et cinq ‘dominances’ de types de motte (cf. figure 2). Par expertise nous avons estimé que ce niveau de précision n’était pas nécessaire pour juger de l’impact sur l’enracinement du colza et par expérience qu’il fallait rendre la méthode plus simple d’apprentissage et plus rapide de mise en œuvre. Nous avons ainsi choisi de distinguer les trois principaux modes d’assemblage et les trois principaux états internes des mottes du profil cultural, à croiser pour obtenir un conseil de travail du sol adapté (tableau 2). La démarche a ensuite été complétée pour intégrer les autres critères à considérer pour choisir le mode et l’outil de travail du sol adapté à chaque situation et aboutir à un arbre de décision (Sauzet et Cadoux, 2019).
Cette démarche a été testée et mise au point pendant quatre ans avec les agriculteurs du réseau Berry (Cadoux et al., 2019). Elle est désormais utilisée chaque année dans ce réseau car jugée utile et adaptée par les agriculteurs. Elle a été formalisée dans un « point technique » sur l’implantation du colza (Sauzet et Cadoux, 2019), afin de pouvoir être utilisée à grande échelle, pour contribuer à sécuriser les implantations et la réussite de la culture du colza.
Appropriation de la méthode bêche ISARA par Arvalis Institut du Végétal : des usages variés
Utilisation dans des projets de recherche et développement : exemple de Microbioterre
L’objectif du projet Microbioterre est de référencer les indicateurs de microbiologie des sols liés aux fonctions de stockage de carbone et recyclage de l’azote, puis d’intégrer ces indicateurs dans l’analyse de terre de routine. Ceci doit permettre d’améliorer la gestion des restitutions organiques dans les systèmes de grandes culture et polyculture élevage. Les partenaires du projet (Arvalis, Terres-Inovia, ITAB, INRA, UniLaSalle, Auréa Agroscience et la Chambre d’Agriculture de Bretagne) s’appuient sur des essais au champ de moyenne et longue durée pour identifier les relations entre les bio-indicateurs et les fonctions visées et, évaluer la sensibilité de ces bio-indicateurs aux pratiques agricoles. Pour évaluer les conditions de vie des microorganismes, il est nécessaire de disposer d’une évaluation de la structure du sol pour interpréter les résultats des analyses biologiques. La méthode bêche ISARA a été utilisée, car elle répond aux deux principaux critères fixés dans le projet :
1- La nature des informations obtenues : il fallait une méthode qui puisse bien rendre compte de la qualité de la structure, et permette de disposer d’un maximum d’information susceptible d’aider ensuite à comprendre les résultats des tests biologiques. En ce sens, le profil cultural ou la méthode bêche ISARA adaptée du profil sont intéressants car ils permettent de distinguer des critères liés à l’assemblage des mottes et les types de porosité structurale des mottes, tout en considérant l’effet de l’activité biologique sur la régénération de la structure.
2- L’accessibilité et la facilité de mise en œuvre : le diagnostic Microbioterre ayant vocation à être ensuite généralisé dans les exploitations agricoles, il est important de choisir des méthodes et des indicateurs qui puissent être accessibles aux techniciens et agriculteurs, c’est-à-dire qui ne demande pas d’expertise spécifique, ni de matériel coûteux, et ne soit pas chronophage. De ce point de vue, les méthodes bêches sont les plus adaptées.
Toutefois, la feuille de notation de la méthode bêche ISARA a été adaptée pour y ajouter quelques informations supplémentaires jugées nécessaires au vu de l’objectif du projet. En particulier, des précisions sont demandées concernant le sol pour d’une part pouvoir le rattacher à un sol type de notre base de données et d’autre part disposer d’éléments de topographie et de circulation de l’eau. Certains critères de la fiche de notation ont été précisés, et des critères supplémentaires ont été ajoutés dans la description du bloc sur la bâche pour noter si des ruptures de perméabilité entre horizons se distinguent (rupture franche avec changement de porosité et/ou racines coudées). La campagne d’acquisition de données a eu lieu au printemps 2018. Au total, ce sont 186 tests bêche qui ont été réalisés, répartis sur 17 essais de moyenne et longue durée qui visent à étudier des systèmes de culture, des modalités de travail du sol, des CIPAN et/ou des amendements et fertilisants organiques. Les résultats sont actuellement en cours de traitement et seront publiés prochainement.
Utilisation dans l’expérimentation
En plus de l’utilisation dans des projets de grande envergure, le test bêche est aussi mobilisé par Arvalis pour des usages expérimentaux plus classiques. Par exemple, cette méthode a été utilisée pour évaluer les conséquences sur la structure du sol des passages répétés lors de l’implantation du maïs semence, pour caractériser les différences de structure selon la nature du travail du sol dans l’essai de longue durée de Boigneville, ou pour évaluer plusieurs stratégies de régénération de la structure après tassement. Enfin, il permet également de vérifier l’état structural d’une parcelle avant l’implantation d’un essai.
Transfert auprès des agriculteurs
Enfin, Arvalis cherche à inciter les agriculteurs et les conseillers agricoles à observer l’état structural de leurs sols. La méthode bêche ISARA est une méthode simple à prendre en main pour guider les acteurs de terrain dans cette observation du sol. Elle présente l’avantage de faire appels à des critères (issus du profil cultural) qui peuvent être reliés à des conséquences pratiques pour l’agriculteur. Par exemple, des références existent pour faire le lien entre état structuraux (O, B, C) et la vitesse et profondeur d’enracinement (essais ITCF non publiés, Tardieu et Manichon, 1987) ou entre la porosité visible à l’oeil des mottes et la capacité de rétention en eau (Baize, 2000). Différentes actions sont mises en œuvre pour faciliter le transfert de cette méthode : réalisation d’une vidéo de présentation présentée lors des Culturales, articles dans la presse technique (Métais et Peigné, 2017), utilisation dans les formations au diagnostic des problèmes d’implantation et d’enracinement, etc.
Conclusion
Le principal intérêt de la méthode bêche est sa simplicité d’utilisation au champ ainsi que sa rapidité, qualité commune à la plupart des méthodes bêches existantes. L’originalité de celle développée par l’ISARA repose sur l’utilisation de critères d’observation développés et validés dans la méthode du profil cultural. Ces critères, assez répandus dans le monde agricole, permettent de lier les effets des pratiques et des passages d’engins agricoles avec des fonctions du sol, comme la circulation et le stockage de l’eau. Le diagnostic réalisé avec la méthode bêche ISARA permet, soit de rapidement porter un jugement sur le niveau de tassement du sol grâce à la note obtenue, soit d’évaluer des % d’états structuraux caractéristiques comme les % de mottes d’état interne delta. Ces indicateurs permettent d’adapter l’utilisation de la méthode bêche aux besoins des utilisateurs. Ainsi la méthode bêche ISARA a été adaptée et utilisée pour des besoins spécifiques, comme le montre les travaux entrepris par Terres Inovia pour le colza et ceux d’Arvalis sur les liens entre l’activité microbiologique et la structure du sol. La méthode bêche ISARA est utilisée en recherche-expérimentation en complément de mesures physiques, par des conseillers du développement agricole et par des agriculteurs eux-mêmes afin de suivre l’effet de leurs pratiques sur la structure du sol ou dans une perspective d’action : intervention mécanique nécessaire ou non avant l’implantation d’une culture.
Références
Baize, D., 2000. Guide des analyses en pédologie. Ed Quae, 326p.
Ball, B. C., Batey, T., Munkholm, L. J. 2007. Field assessment of soil structural quality - a development of the Peerlkamp test. Soil Use and Management. 23(4) : 329–337.
Boizard H., Peigné J., Sasal M.C., de Fátima Guimarães M., Piron D., Tomis V., Vian J.-F., Cadoux S., Ralisch R., Tavares Filho J., Heddadj D., De Battista J., Duparque A., Franchini J.C., Roger-Estrade J. 2017. Developments in the “profil cultural” method for an improved assessment of soil structure under no-till. Soil and Tillage Research. 173: 92-103.
Cadoux S., Perrin A.S., Sauzet G., 2019. Tillage strategies to optimize rapeseed establishment: a method to support decision making. 15th International Rapeseed Congress, Berlin, Germany.
Métais, P. et Peigné, J., 2017. Observation de la structure du sol : Tous à vos bêches ! Perspectives Agricoles, 449, 20-22.
Peigné, J., Gautronneau, Y., Vian, J. F., Achard, P., Chignier-Riboulon, M., Ruffe, L., Vaskou, C. 2016. Test Bêche. Guide d'utilisation. 17 p
Peigné J., Vian J.-F., Payet V., Saby N.P.A. 2018. Soil fertility after 10 years of conservation tillage in organic farming. Soil Tillage & Research. 175 : 194–204.
Sauzet G. et Cadoux S. Réussir son implantation pour obtenir un colza robuste. Editions Terres Inovia, 2019. 37p.
Tardieu, F. et Manichon, H., 1987. Etat structural, enracinement et alimentation hydrique du maïs. II. – Croissance et disposition spatiale du système racinaire. Agronomie, EDP Sciences, 7 (3), 201-211
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