Agroécologie et agronomie
Problématique générale
Le conseil d'administration de l'Afa a souhaité que le thème de l'AG de 2012 porte sur " l'agroécologie et l'agronomie " avec comme idée d'éclairer les contenus de ces deux termes et de voir quels apports il était possible de tirer de l'agroécologie et de l'agronomie pour répondre aux questions relatives aux fonctions des agricultures dans les sociétés d'aujourd'hui. Le cas échéant, après validation par les adhérents, le thème pourrait faire l'objet d'un approfondissement lors d'Entretiens du Pradel en 2013. Un groupe de travail a été constitué pour préparer cette AG[1].
À travers les diverses acceptions de l'agroécologie, il est effectivement possible de tirer des idées qui permettent un enrichissement du cœur de la discipline agronomique et un élargissement des collaborations entre les agronomes et d'autres, partenaires scientifiques et praticiens, pour aborder les questions vives de productions (alimentaire et non alimentaires) et la préservation, voire de renforcement, des services écosystémiques de régulation[2].
L'agroécologie (la genèse des acceptions multiples d'un projet agricole)
Le terme apparaît tout d'abord dans le monde scientifique au début du XXe siècle. Il est utilisé pour parler d'application de l'écologie à l'agriculture par des agronomes, botanistes, zoologistes ou physiologiste des végétaux ; paradoxalement, pas par des écologues qui, à l'époque, n'étudient pas la nature anthropisée. Certains comme le zoologiste Tischler, en 1950, donnent de l'importance à la lutte biologique contre les prédateurs des espèces cultivées et à la préservation des habitats des auxiliaires. D'autres, comme Azzi, définissent l'écologie agricole comme l'étude des caractéristiques physiques de l'environnement (climat et sol) en relation avec le développement des plantes cultivées ou, comme Hénin, l'agronomie comme une écologie appliquée à la production des peuplements des plantes cultivées et à l'aménagement des terrains agricoles. Mais c'est à partir des années 1980, qu'aux États-Unis, l'agroécologie scientifique prend de l'essor avec des auteurs comme Altieri et Gliessman, que nous prenons, pour l'instant, comme points de repère. Elle se fonde sur une analyse critique de la révolution verte non seulement à cause de ses effets environnementaux, mais aussi comme ayant aggravé les inégalités entre agriculteurs. Altieri, en particulier, étudie les possibilités de développer les agricultures des paysans pauvres du Tiers monde en valorisant au mieux les ressources naturelles locales et en reconnaissant la pertinence des savoirs locaux dans la gestion de la biodiversité[3]des espaces cultivés, trop souvent " boîte noire " pour les scientifiques. Préoccupés par les questions alimentaires à l'échelle mondiale des auteurs, comme Francis et Gliessman, élargissent leurs champs d'investigation et vont jusqu'à définir l'agroécologie comme l'écologie des systèmes alimentaires.
Dans d'autres pays, en Amérique latine tout particulièrement, l'usage du terme agroécologie est d'abord utilisé par des mouvements qui s'opposent à la modernisation de l'agriculture par l'emploi intensif d'intrants externes et d'énergie fossile. Cette opposition porte à la fois sur le système technique, particulièrement sur la prolifération des pesticides, et sur le système social qui détruit la petite agriculture familiale. Porteur d'une vision de l'organisation de la société le mouvement agroécologique prend alors un aspect politique. Au sein du mouvement des oppositions se manifestent entre ceux qui, voulant se défendre dans une économie de marché, cherchent une reconnaissance institutionnelle par la labellisation des modes de production et ceux qui recherchent une autonomie locale au sein de réseaux en partenariat avec des consommateurs et mettent au point des systèmes de garantie participative.
La France est également étrangère au fondement scientifique de l'agroécologie ; le terme est, pour l'instant, relativement peu utilisé dans le monde académique jusqu'à une époque récente[4]. Il l'est, par contre, dès la fin des années 1970 par Pierre Rabhi qui, après avoir mis lui-même en œuvre, dans son exploitation des Cévennes, des principes d'agroécologie, développe des actions de formation en métropole, en Afrique du Nord et sub-saharienne au sein d'un mouvement auquel il donne une dimension éthique[5]. Le mouvement agroécologique se développe progressivement au point que la France peut accueillir en novembre 2008, à Albi, le colloque international d'agroécologie. Grâce à la présence de nombreuses personnalités internationales cette manifestation donne de l'élan au mouvement. Peu après, dans plusieurs écoles agronomiques[6], sont créés les premiers masters dédiés à l'agroécologie[7].
Ainsi, dans chaque pays, selon l'histoire scientifique et sociale, la gamme des acceptions données au terme d'agroécologie n'est pas la même : science, pratiques et mouvement social selon les cas, mais qui coexistent parfois. Les tenants des deux seconds recherchent de plus en plus une légitimation scientifique. Ainsi, les disciplines scientifiques impliquées dans l'agroécologie se trouvent-elles de plus en plus interpellées par les questions sociales que sous-tendent toutes les acceptions du terme.
L'agronomie(continuité et changement dans une discipline scientifique de l'action)
Définie comme indiquée plus haut par Hénin en 1967, très orientée vers l'action par Sebillotte, ouverte à l'espace agricole par Deffontaines, avec les concepts centraux de systèmes de culture (rotation des cultures et itinéraires techniques) et d'aménagements des terrains (taille et forme des parcelles, bordures des champs, haies, fossés, système de drainage, d'irrigation...), qui se combinent dans le paysage, l'agronomie, telle qu'elle est pratiquée en France, étudie la gestion des agroécosystèmes à différentes échelles d'organisation. Elle est conceptuellement assez proche de ce que nous avons dit de l'agroécologie scientifique. Il faut cependant reconnaître une forte carence dans l'appréhension de la diversité des différentes communautés vivantes et de leurs interactions dans le fonctionnement des agroécosystèmes. Voilà l'apport essentiel de l'agroécologie à l'agronomie qui en est longtemps resté à une vision simplifiée qu'avait Azzi (et sans doute aussi Hénin) de l'application de l'écologie à l'agriculture : l'analyse de l'interaction entre les caractéristiques physico-chimiques du milieu et la croissance/développement de la plante cultivée. Sans doute la biologie des bio-agresseurs de cette dernière était-elle étudiée mais uniquement pour en réduire les méfaits.
Cependant, allant au-delà de la simple application de l'écologie à l'agriculture, l'agronomie, tout au moins en France, transgressant la frontière entre sciences sociales et sciences du vivant, s'est constituée en une science de la technique comme objet scientifique en incorporant des concepts et outils des premières comme des secondes[8]. Théorie des pratiques, l'agronomie produit ainsi non seulement des diagnostics sur les fonctionnements des agroécosystèmes mais aussi des outils pour les aménager et les piloter, en fonction des objectifs poursuivis par les acteurs.
Combiner agroécologie et agronomie ?
Pourquoi alors ne pas combiner les points forts des deux disciplines. N'est-ce pas d'ailleurs ce qui est en cours dans les institutions de recherche ? En introduisant la biodiversité au cœur de la discipline agronomique, il devient possible de concevoir des systèmes de culture économes et autonomes, limitant au mieux l'usage d'intrants extérieurs non renouvelables et/ou portant atteinte aux ressources, par la valorisation des fonctionnalités propres aux agroécosystèmes en diversifiant les espèces cultivées, entretenant une biodiversité d'auxiliaires indigènes, utilisant le plus possible la photosynthèse, réintégrant au sol une part importante de la biomasse produite etc..., bref en utilisant intensivement certains processus écologiques[9]. Il devient ainsi possible de combiner, ce qui apparaît maintenant comme une demande sociale : des objectifs de production (en quantité et qualité) et de préservation (voire de renforcement) des services écosystémiques de régulation : épuration de l'eau, contrôle des ravageurs, pollinisation, régulation des échanges gazeux avec l'atmosphère par la fixation photosynthétique du CO2 de l'air, etc.., et même, dans certains cas, de reconstitution des sols.
Les outils de gestion des agroécosystèmes, déjà disponibles, permettent de concevoir des aménagements faisant plus de place aux habitats et des outils de pilotage plus de place aux aléas des processus biologiques. Parce qu'on recherche des objectifs multiples (de production et de service) les agronomes doivent s'adapter aux spécificités des lieux : bien sûr valoriser les aptitudes productives des milieux mais aussi, ici, favoriser l'infiltration de l'eau, là , protéger les versants de l'érosion, ailleurs, préserver une biodiversité fragile, ailleurs encore, réduire les risques d'incendie,... Pour ce faire, utiliser les expériences et savoir-faire locaux apparaît utile pour appliquer localement des principes scientifiques d'action généraux, mais aussi pour enrichir ces derniers.
Ainsi, s'il apparaît donc utile de mieux prendre en compte la biodiversité dans la conception d'agrosystèmes et en sélection des plantes, il importe de conserver ce qui fait la spécificité de l'agronomie : la théorie de la mise en œuvre, de la gestion des processus, aux différentes échelles spatiales et aux différents pas de temps. Des questions théoriques nouvelles devront être abordées dès lors que l'on demande à l'activité agricole de remplir de multiples fonctions de production et de service. La mise au point d'indicateurs des services écosystémiques de régulation pour définir des politiques de préservation de ces services s'avère nécessaire. Mais c'est à travers une théorie des actions mettant en œuvre ces fonctions de production et de service qu'on peut évaluer dans quelle mesure elles sont liées entre elles et liées aux lieux, et donc délocalisables ou pas ; analyse bien nécessaire pour concevoir des politiques qui les concilient à travers des modes écologiques de production[10].
Élargissant notre champ d'investigation à l'ensemble des systèmes agro-alimentaires, comme nous y pousse un certain courant de l'agroécologie, nous allons être conduits à réaliser les bilans écologiques des différentes chaînes alimentaires, avec les diverses modalités de consommation de produits carnés intermédiaires et le recyclage des matières au sein des circuits production/consommation. Anticipant sur l'incontournable augmentation des prix du pétrole et des transports, les agronomes seront amenés à réfléchir à l'usage direct et indirect des énergies fossiles, à la relocalisation des productions et à la réorganisation des filières et des territoires pour accompagner la transition écologique des activités agricoles.
Séquence 1 - Gestion durable des sols
Au-delà de la protection des sols agricoles contre l'artificialisation, liée à l'urbanisation et aux transports, le maintien ou l'amélioration de leur contribution à un potentiel intrinsèque de production dans le temps constitue un enjeu majeur pour l'avenir de l'agriculture. Ce potentiel recoupe des notions telles que la richesse en éléments minéraux et les capacités de stockage de ceux-ci face aux risques de lessivage ou d'érosion, la réserve hydrique, les capacités de recyclage de la matière organique ; mais elle concerne aussi le potentiel qu'offre l'ensemble des micro-organismes du sol tant dans le domaine de la fixation symbiotique de l'azote que dans celui des facilités d'absorption des minéraux grâce aux mycorhizes ou encore dans le domaine de la protection des plantes. Mais depuis peu sont apparus essentiels les rôles du sol comme filtre dans le cycle de l'eau et comme puits de carbone dans les échanges gazeux avec l'atmosphère qui régulent l'évolution du climat. Aussi une gestion durable des sols doit-elle combiner la préservation de leurs aptitudes productives et la régulation des services écologiques qu'ils rendent. Face aux pratiques agricoles mises en oeuvre, la gestion durable des sols nous conduit à nous interroger sur les points suivants :
- l'intérêt des techniques culturales simplifiées et en particulier du non-labour notamment au travers d'un enrichissement du sol en matière organique et d'une plus grande activité biologique
- l'intérêt des cultures intermédiaires dans la protection contre l'érosion, le piégeage des éléments minéraux, la préservation de l'infiltration...
- l'impact des pesticides sur la microfaune et flore du sol, et les rôles joués par les mycorhizes
- la maîtrise du cycle biogéochimique de l'azote et du phosphore
- le rôle joué par les arbres dans le recyclage vertical des éléments minéraux
- la réduction de la pollution par les métaux lourds notamment en viticulture (cuivre)
La gestion durable des sols s'inscrit aujourd'hui dans un objectif de développement de systèmes de culture et d'itinéraires techniques à forte efficience d'utilisation des intrants, valorisant davantage les régulations biologiques, et améliorant les services écosystémiques rendus par les sols " trois caractéristiques mises en avant par l'agroécologie.
Intervenants
Philippe Lemanceau est actuellement directeur de recherche au sein du département "santé des plantes et Environnement" de l'Inra. Il est le directeur de l'UMR 1347 Agroecologie Inra-Université de Bourgogne-AgroSup Dijon. Son domaine de compétence englobe l'écologie microbienne des relations plantes-microorganismes au niveau de la rhizosphère et en termes de biologie des communautés.
Agnès Carlier, agricultrice dans les Yvelines, fait du maraichage en agriculture biologique avec son conjoint sur une ferme de 4 hectares, depuis 2005. Elle est en lien direct avec les consommateurs via une AMAP. Elle travaille sans labour depuis le début et intègre progressivement depuis deux ans l'utilisation de la traction animale pour ses travaux de désherbage répétitifs.
Séquence 2 - Régulation écologique des bioagresseurs
Un des enjeux fort d'évolution de l'agriculture, particulièrement en France, consiste en une diminution drastique de l'impact des pesticides, car ils portent atteinte notamment à la santé des humains (en particulier les agriculteurs eux-mêmes) et perturbent la biodiversité (détruisant des populations favorables aux espèces cultivées, pollinisateurs, auxiliaires, micro-organismes du sol, et favorisant l'apparition de gênes de résistanceà leur action). A l'heure actuelle, cette baisse de l'impact passe par une baisse de leur usage, associée à des pratiques de sélection des plantes et de système de culture qui renforcent leur résistance aux bioagresseurs. Aussi est-il nécessaire de prospecter des stratégies phytosanitaires explorant les processus de régulation écologique des bioagresseurs, et de les incorporer à ce qu'on appelle une protection intégrée des cultures, qui n'utilise les pesticides qu'en dernier recours, voire n'en utilise pas du tout comme l'agriculture biologique. Ces processus de régulation écologique peuvent être utilisés en agissant à la fois sur les systèmes de culture et sur les aménagements du territoire agricole : (i) en modifiant une technique culturale (par exemple la date de semis, le choix de l'espèce cultivée) pour éviter la synchronisation spatio-temporelle de la culture et des bioagresseurs ; (ii) en choisissant des ensembles de techniques permettant le développement d'auxiliaires en favorisant leur habitat et augmentant leurs ressources alimentaires ; (iii) en modifiant l'environnement local ou régional des parcelles cultivées (de la gestion des haies à l'organisation spatiale des cultures et des zones non-cultivées) permettant des évolutions favorables des communautés cultures x bioagresseurs x auxiliaires. Ces actions concrètes demandent d'associer à l'approfondissement des connaissances scientifiques sur l'écologie des communautés les observations fines de praticiens, ce qui doit permettre d'accélérer le passage à la pratique en identifiant par exemple les synergies ou les antagonismes entre actions techniques, les inconvénients liés à certaines modifications de pratiques, et les domaines de validité des techniques de régulation biologique. Elles demandent aussi de passer d'actions individuelles à l'échelle de la parcelle à des actions, qui doivent parfois être collectives, à l'échelle du paysage.
Sans doute est-ce en arboriculture fruitière que ces principes sont les mieux développés à l'heure actuelle ; aussi est-ce pour cela que nous avons fait appel pour illustrer ce thème à Françoise Lescourret et à Olivier Dutertre.
Intervenants
Françoise Lescourret, directrice de recherches à l'Inra, est responsable de l'unité de recherche Plantes et Systèmes de culture Horticoles d'Avignon. Elle est une spécialiste de la modélisation des interactions entre la plante et ses bio-agresseurs telles qu'elles peuvent être modifiées par les pratiques culturales. Elle est coordinatrice scientifique d'un projet européen qui vise à la réduction de l'usage des pesticides par l'application de principes de lutte intégrée.
Olivier Dutertre, arboriculteur dans le Tarn-et-Garonne, diversifie dans son verger de pommiers les solutions pour éviter le recours aux pesticides par l'aménagement de haies pour héberger des auxiliaires du verger, des pratiques arrêtant la propagation des champignons parasites et une surveillance soutenue du développement des bio-agresseurs.
Séquence 3 - Agro-écologie et Politiques publiques
Depuis l'après-guerre, l'agriculture française et européenne a vécu des décennies de modernisation fortement suscitée et accompagnée par les pouvoirs publics. Cela s'est traduit par la spécialisation des systèmes de production et l'accroissement de la taille moyenne des exploitations, un remembrement massif accompagné de la suppression des haies dans beaucoup de régions, la mécanisation, un changement des modes de sélection végétale et animale, notamment guidé par des objectif de rendement, une incitation à l'agrandissement, un recours croissant aux intrants de synthèse, etc. Cet ensemble a permis d'atteindre puis de dépasser les objectifs d'augmentation de la production permettant une certaine autosuffisance alimentaire, tout en engendrant les conséquences environnementales et sociales contrastées que l'on connait.
L'ensemble des politiques publiques qui accompagnent l'agriculture a contribué à ces évolutions, à diverses échelles : la PAC au niveau européen, la manière dont elle est déclinée au niveau français, la recherche agronomique aux niveaux européen et français, l'enseignement agricole et agronomique, le développement agricole, l'évolution des coopératives, les subventions à l'investissement (stockage d'eau et irrigation par exemple), la gestion du foncier (via les SAFER, les CDOA, les critères d'attribution des aides à l'installation).
Cette évolution a conduit à simplifier les pratiques et dans une certaine mesure à se passer d'agronomie dans les choix de pratiques agricoles (notamment en favorisant des rotations courtes, en accélérant la rupture du lien agronomique entre cultures et élevage, et en engendrant une simplification du raisonnement liée à l'artificialisation du milieu, elle-même permise par l'utilisation importante d'intrants de synthèse). Plusieurs agriculteurs en témoignent dans le très beau film "le temps des grâces" de Dominique Marchais. Le maître mot est souvent devenu le rendement, au-delà même de la notion de résultat économique.
En réaction, depuis quelques années, l'agroécologie, auparavant confinée en France à des niches de penseurs et de praticiens s'en réclamant, devient un projet saisi par des groupes de la société civile qui y voient une alternative respectueuse des hommes et de l'environnement par rapport au modèle agricole actuel, considéré comme non soutenable par ces groupes. Dans une certaine mesure cette idée/ce projet commence à être porté par des scientifiques et atteint certaines sphères politiques comme on l'a vu avec le rapport d'Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'alimentation, ou avec les conclusions de l'IAASTD (International Assessment of Agricultultural Knowledge, Science and Technology for Development[11]).
Mais qu'entend-on par " Agroécologie " dans les sphères politiques ? S'agit-il simplement d'un autre nom des politiques agri-environnementales ? S'agit-il de promouvoir une agriculture sous contrainte environnementale ou plutôt une agriculture qui s'inscrit dans les processus naturels et les valorise ? Peut-on dire que les politiques publiques actuelles en Europe, en France et plus localement (objectifs affichés par la PAC, critères de distribution des aides à l'agriculture, Loi de Modernisation Agricole, politique de recherche agronomique, d'enseignement agricole et agronomique, décrets divers sur les semences et sur l'épandage d'azote, mais aussi Grenelle de l'Environnement) font une place à l'agroécologie ? Si oui, dans quelle mesure une telle évolution, si elle a lieu, fait-elle une place (ou fait-elle au contraire de l'ombre ?) à l'agronomie dans les politiques publiques ? Quels semblent être les principaux freins socio-politiques à un véritable retour de l'agronomie dans les pratiques agricoles ?
En d'autres termes, en quoi les politiques actuelles freinent-elles ou encouragent-elles le développement de l'agroécologie et la mobilisation de l'agronomie ? Si tel n'est pas le cas le devraient-elles ? Et comment ?
Les questions posées aux intervenants à la table-ronde
Anny Poursinoff (députée et élue au conseil régional d'Ile de France) : d'après votre expérience d'élue régionale au CR d'Ile de France ayant travaillé sur la bio et de députée investie sur les questions agricoles, les politiques publiques actuelles, en France, favorisent-elles l'agroécologie et/ou l'agronomie ?
Pierre Dupraz (directeur de recherche en économie à l'Inra de Rennes) : Les aides agricoles, sur le plan économique, incitent "elles d'après vous à l'agronomie et/ou à l'agroécologie ?
Yves François (agriculteur élu à la chambre d'agriculture d'Isère) : en tant qu'agriculteur, quel est votre sentiment ? Diriez-vous qu'il y a une incitation à la mise en pratique de l'agronomie ou le contraire ? Et dans quelle mesure l'agroécologie est-elle favorisée actuellement par le système dans lequel vous évoluez ?
Jean Boiffin (directeur de recherche en agronomie à l'Inra d'Angers, président du comité d'experts du plan Ecophyto 2018) : en tant que chercheur agronome à l'INRA, dans quelle mesure les grands choix d'orientation de l'INRA ont pu favoriser ou défavoriser l'agronomie en tant que pratique ? Qu'en est-il aujourd'hui ?
Stéphane Bellon (ingénieur de recherche à l'Inra d'Avignon) : en tant que chercheur agronome à l'Inra travaillant spécifiquement sur l'agroécologie, dans quelle mesure les grands choix d'orientation de l'Inra ont pu favoriser ou défavoriser l'agronomie en tant que pratique ? Qu'en est-il aujourd'hui ?
Claude Compagnonne (maître de conférences à AgroSup Dijon, sociologue) : le portage politique est-il suffisant pour inciter à un retour de l'agronomie et à un développement de l'agroécologie ? La " politique des petits pas " peut-elle permettre de concilier agriculture et écologie ? Quels freins sociaux ? Cela implique-t-il un changement de paradigme ?
Notes
[1] Il est constitué de Jacques Caneill, Sarah Feuillette, François Kockmann, Nelly Le Corre-Gabens, François Papy et Philippe Pointereau.
[2] Le terme de services écosystémiques a été popularisé par le Millennium ecosystem assessment, parmi lesquels on distingue les services de régulation qui comprennent l'épuration de l'eau, la conservation des sols, la régulation des échanges gazeux avec l'atmosphère, le contrôle des ravageurs, la pollinisation....
[3] Entendons par biodiversité la diversité du vivant, comprenant la diversité génétique, des espèces et des écosystèmes.
[4] Depuis peu, en effet, au Cirad comme à l'Inra, les principes de l'agroécologie orientent des recherches.
[5] Il écrit " l'agroécologie est pour nous bien plus qu'une simple alternative agronomique. Elle est liée à une dimension profonde du respect de la vie et replace l'être humain dans sa responsabilité à l'égard du Vivant ".
[6] Notamment à Paris, Toulouse, Lyon et Montpellier.
[7] Comme l'introduction de l'agroécologie dans l'enseignement est récent, il serait intéressant de savoir ce qu'il en est dans le secondaire.
[8] Cette jonction de l'agronomie avec les sciences de la gestion et des sciences cognitives s'est particulièrement développée au sein du département " Systèmes agraires - Développement ", actuellement " Sciences de l'action et du développement " de l'Inra.
[9] d'où l'expression agriculture écologiquement intensive utilisée, notamment par Michel Griffon.
[10] Par des analyses de gestion technique, les agronomes peuvent ainsi apporter de l'eau au moulin des économistes qui développent les théories de jointure entre biens et services, s'opposant à ceux qui, par facilité, les découplent pour les mettre en marché.