L'agroécologie (la genèse des acceptions multiples d'un projet agricole)

Le terme apparaît tout d'abord dans le monde scientifique au début du XXe siècle. Il est utilisé pour parler d'application de l'écologie à l'agriculture par des agronomes, botanistes, zoologistes ou physiologiste des végétaux ; paradoxalement, pas par des écologues qui, à l'époque, n'étudient pas la nature anthropisée. Certains comme le zoologiste Tischler, en 1950, donnent de l'importance à la lutte biologique contre les prédateurs des espèces cultivées et à la préservation des habitats des auxiliaires. D'autres, comme Azzi, définissent l'écologie agricole comme l'étude des caractéristiques physiques de l'environnement (climat et sol) en relation avec le développement des plantes cultivées ou, comme Hénin, l'agronomie comme une écologie appliquée à la production des peuplements des plantes cultivées et à l'aménagement des terrains agricoles. Mais c'est à partir des années 1980, qu'aux États-Unis, l'agroécologie scientifique prend de l'essor avec des auteurs comme Altieri et Gliessman, que nous prenons, pour l'instant, comme points de repère. Elle se fonde sur une analyse critique de la révolution verte non seulement à cause de ses effets environnementaux, mais aussi comme ayant aggravé les inégalités entre agriculteurs. Altieri, en particulier, étudie les possibilités de développer les agricultures des paysans pauvres du Tiers monde en valorisant au mieux les ressources naturelles locales et en reconnaissant la pertinence des savoirs locaux dans la gestion de la biodiversité[3]des espaces cultivés, trop souvent " boîte noire " pour les scientifiques. Préoccupés par les questions alimentaires à l'échelle mondiale des auteurs, comme Francis et Gliessman, élargissent leurs champs d'investigation et vont jusqu'à définir l'agroécologie comme l'écologie des systèmes alimentaires.

Dans d'autres pays, en Amérique latine tout particulièrement, l'usage du terme agroécologie est d'abord utilisé par des mouvements qui s'opposent à la modernisation de l'agriculture par l'emploi intensif d'intrants externes et d'énergie fossile. Cette opposition porte à la fois sur le système technique, particulièrement sur la prolifération des pesticides, et sur le système social qui détruit la petite agriculture familiale. Porteur d'une vision de l'organisation de la société le mouvement agroécologique prend alors un aspect politique. Au sein du mouvement des oppositions se manifestent entre ceux qui, voulant se défendre dans une économie de marché, cherchent une reconnaissance institutionnelle par la labellisation des modes de production et ceux qui recherchent une autonomie locale au sein de réseaux en partenariat avec des consommateurs et mettent au point des systèmes de garantie participative.

La France est également étrangère au fondement scientifique de l'agroécologie ; le terme est, pour l'instant, relativement peu utilisé dans le monde académique jusqu'à une époque récente[4]. Il l'est, par contre, dès la fin des années 1970 par Pierre Rabhi qui, après avoir mis lui-même en œuvre, dans son exploitation des Cévennes, des principes d'agroécologie, développe des actions de formation en métropole, en Afrique du Nord et sub-saharienne au sein d'un mouvement auquel il donne une dimension éthique[5]. Le mouvement agroécologique se développe progressivement au point que la France peut accueillir en novembre 2008, à Albi, le colloque international d'agroécologie. Grâce à la présence de nombreuses personnalités internationales cette manifestation donne de l'élan au mouvement. Peu après, dans plusieurs écoles agronomiques[6], sont créés les premiers masters dédiés à l'agroécologie[7].

Ainsi, dans chaque pays, selon l'histoire scientifique et sociale, la gamme des acceptions données au terme d'agroécologie n'est pas la même : science, pratiques et mouvement social selon les cas, mais qui coexistent parfois. Les tenants des deux seconds recherchent de plus en plus une légitimation scientifique. Ainsi, les disciplines scientifiques impliquées dans l'agroécologie se trouvent-elles de plus en plus interpellées par les questions sociales que sous-tendent toutes les acceptions du terme.