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Position publique adoptée par l'assemblée générale de l'Association française d'agronomie lors de sa séance du 22 mars 2013 et transmise à Monsieur le Ministre en charge de l'agriculture

La loi d'avenir agricole promise par le gouvernement sera débattue avant la fin de l'année au Parlement. Elle a vocation à fixer un nouveau cadre pour l'agriculture française pour les 10-15 ans à venir. Elle doit se nourrir, sans s'y réduire, d'un "projet agro-écologique" pour la France, ayant vocation à fédérer les énergies pour atteindre une double performance économique et écologique, assurant les bases d'une agriculture contribuant au développement durable, en accord avec les objectifs de la société. Certains des leviers et instruments de cette loi permettant de changer l'agriculture française ont été annoncés (mise en place de Groupements d'intérêt écologique et économique, modification de la fiscalité, modernisation des programmes de formation, mise en exergue de nouvelles priorités de recherche, confirmation de plans existants et mise en place de nouveaux plans dédiés à des problématiques précises...). Mais au-delà de la double ambition évoquée, le visage concret que prendra ce nouveau cadre reste assez indéterminé.

 

Les agronomes de tous métiers réunis au sein de l'Association française d'agronomie (Afa) sont depuis longtemps sensibilisés aux enjeux écologiques, économiques et sociaux (notamment en termes d’emploi) de l'agriculture, et se réjouissent de l'ambition affichée. Au moment où le Ministère en charge de l'agriculture et les différents groupes de travail associés élaborent ce cadre politique et d’action futur, les agronomes de l'Afa souhaitent apporter leur contribution à la réflexion et à la décision au moyen des faits et arguments suivants, pouvant être mobilisés pour la construction de politiques cohérentes, tenant compte des enjeux en amont comme en aval de la production (partage des marges au sein des filières, réduction des gaspillages, etc.).

 

1. Le capital de connaissances agronomiques actuelles est tel qu'il permet d'identifier des orientations dans les manières de produire qui sont autant de voies pour permettre d'atteindre des objectifs économiques et écologiques ambitieux. En particulier trois éléments devraient structurer de manière profonde le choix des modes de production et le raisonnement des systèmes de culture : (i) la prise en compte des interactions entre les composantes biologiques, physiques et chimiques du sol ; (ii) la valorisation, le maintien et là où c’est possible l’accroissement de la diversité spécifique et variétale, dans l’espace (assolements) et dans le temps (successions de cultures) avec une attention particulière sur la place que peuvent prendre les Légumineuses ; (iii) l'introduction d'un raisonnement spatialisé intégrant des composantes non cultivées du paysage, et impliquant la coordination des actions avec les parties prenantes de la sphère non agricole.

 

2. Au fur et à mesure que progressent les connaissances sur d'une part le fonctionnement écologique des agroécosystèmes, et d'autre part le fonctionnement des sociétés qui les gèrent, de nouveaux leviers apparaissent pour atteindre des ambitions écologiques et économiques élevées. La mobilisation de ces connaissances n'a cependant rien d'immédiat, de "naturel" ni de trivial, d’autant que le système actuel n’est pas indemne de verrouillages. Elle nécessite un effort sans précédent d’établissement de nouvelles références, d'apprentissages, de mises à l'épreuve, qui requerra de nouveaux modes d'organisation de la capitalisation, transmission et diffusion des savoirs agronomiques.

 

3. Le fonctionnement des agroécosystèmes est tel qu'une même finalité peut, doit être atteinte par des voies différentes selon les conditions géographiques (contraintes et potentialités locales), et les conditions sociales et économiques de l'exploitation agricole. Cela a pour conséquence qu'il ne peut exister de modèles techniques standardisés diffusables avec succès à grande échelle. La réflexion agronomique et la gestion adaptative (l’agriculteur la pratiquant souvent au quotidien) s'appuyant sur les connaissances (locales et génériques) disponibles doivent demeurer à la base des décisions individuelles et collectives. Ceci est compatible avec l'intérêt du métier d'agriculteur, et contribue à en renforcer l’attractivité.

 

4. Les échelles et les territoires auxquels les enjeux écologiques sont définis, ainsi que les objectifs qui en découlent, doivent être clairement indiqués à tous les acteurs. En effet, si certains enjeux sont bien d'ordre national ne serait-ce que parce qu'ils sont traduits dans un droit national ou supranational à respecter, la variété des situations géographiques françaises engendre une hiérarchie très variable des enjeux selon les territoires. Par ailleurs une activité agricole donnée (par exemple une réintroduction d'élevage de ruminants sur prairies) peut, selon l'échelle des impacts considérés, engendrer des conséquences jugées positivement (augmentation des restitutions organiques, puits de carbone, non pollution des ressources en eau par les produits phytosanitaires et leurs métabolites et préservation de la biodiversité locale par exemple) ou négativement (augmentation des émissions de gaz à effet de serre sensible à l'échelle planétaire par exemple).

 

5. Les connaissances disponibles sur la gestion des agroécosystèmes montrent qu'actuellement il n'existe pas de mode de production qui allie des performances écologiques, économiques et sociales élevées dans tous les registres. Il apparaît également que la recherche de hauts volumes de production agricole par hectare et travailleur peut être antagonique avec des niveaux élevés de certaines performances sociales et environnementales, elles-mêmes pas toujours spontanément convergentes. Dès lors, une politique agricole doit établir de manière quantifiée quel est l'ensemble des niveaux de performances qu'elle vise à atteindre.