Résumé

Depuis les textes agronomiques arabes et le Théâtre d’agriculture d’Olivier de Serres jusqu’aux analyses les plus récentes sur les irrigations, la question de l’optimisation des usages agricoles de l’eau se heurte à des enjeux de plus en plus complexes. L’article s’attache à comprendre la manière dont l’irrigation a été progressivement modernisée en centrant le regard sur la France méridionale et le Maghreb, tout en étudiant les problèmes techniques, juridiques et sociaux induits par ces transformations. Si des équipements sont créés dès la période médiévale puis aux XVIe et XVIIe siècles, c’est à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle qu’ingénieurs et agronomes développent un discours cherchant à rationaliser les usages de la ressource en eau pour accroître la productivité agricole. L’impulsion politique se développe ensuite dans différents cadres par une clarification des règles juridiques, une réflexion pluridisciplinaire et l’appui à la création de grands équipements, en métropole et en contexte colonial. Ces évolutions se heurtent à des modes d’organisation traditionnel, augmentant les phénomènes de concurrences non plus seulement entre usages mais entre types d’irrigation. Le principe d’une meilleure efficacité assurée par une grande hydraulique encadrée par des structures centralisées, tel qu’il est théorisé par Wittfogel en 1957, a été remis en cause aussi bien dans un cadre néolibéral reprenant l’idée de la « tragédie des communs » que dans une approche inverse attentive aux bienfaits de la gestion locale de l’eau, théorisée par Elinor Ostrom et « l’école des commons ». L’héritage des équipements, des pratiques et des organisations est donc multiple et justifierait une formation d’ « hydronomes » combinant les sciences agronomiques, les sciences de l’eau et les sciences humaines  dans un cadre marqué par de nouveaux défis environnementaux et sociaux.

Mots clés :irrigations, canaux, hydrocratie, ingénieurs, agronomie