Des fermes et des paysans
Deux études de cas (XVIIIe-XIXe siècles) pour en comprendre toute la diversité
Fabien KNITTEL*
*Université de Bourgogne-Franche-Comté (UFC), Centre Lucien Febvre et Archives Henri Poincaré (UMR 7117), fabien.knittel@univ-fcomte.fr
Résumé
Les mots utilisés pour désigner l’unité de production agricole sont importants pour comprendre la manière dont les êtres humains se sont appropriés cet « objet ». Toutefois, ces mots sont extrêmement variés et changeants avec le temps, et dans l’espace.
Les types d’exploitations agricoles et les manières de les désigner sont multiples et leurs évolutions, depuis le Moyen Age, d’une rare complexité. Il existe une multiplicité de cas particuliers de paysanneries. Ce serait une gageure que d’aborder cette question de manière globale.
Nous proposons une réflexion circonscrite dans le temps et l’espace, à partir de deux cas particuliers : Le cas des bordagers de l’Ouest au XVIIIe siècle d’une part, et celui du développement de la pluriactivité rurale dans le contexte de l’industrialisation au XIXe siècle, d’autre part.
Mots-clés : histoire ; mondes ruraux ; paysans / paysannes ; bordagers ; pluriactivité ; XVIIIe-XIXe siècles
Introduction
Les mots utilisés pour désigner l’unité de production agricole sont importants pour comprendre la manière dont les êtres humains se sont appropriés cet « objet » et l’ont utilisé à un moment donné de l’histoire. Toutefois, ces mots sont extrêmement variés et changeants avec le temps, et dans l’espace. C’est ce qui est derrière les mots qui nous intéresse avant tout : c’est-à-dire ce que font les acteurs/agents à un moment donné et pourquoi ils/elles le font (Lahire, 2012). En l’occurrence ce sont les pratiques quotidiennes de ceux que l’on a longtemps qualifié de manière indifférenciée et essentialiste (Barral, 1966 ; Jessenne, 2006), de « paysans » et/ou « paysannes » qui doivent retenir l’attention au-delà de la dénomination même de la terre/parcelle qu’ils/elles travaillent. Nous utilisons ici la définition du terme agriculture proposée par Charles Parain : « l’agriculture est l’art de tirer de l’exploitation active du sol des productions végétales et, par transformation d’une partie de celle-ci, des productions animales, en vue de fournir aux Hommes des aliments et des matières premières… » (Parain, 1979, p. 207). Dans les Mots du passé, Marcel Lachiver (2006, p. 574) caractérise l’exploitation agricole comme un « (…) ensemble de terres cultivées par une seule personne, une famille ou une collectivité, pour la production d’animaux ou de végétaux ». L’organisation sociale, juridique et foncière ainsi que le fonctionnement concret, quotidien des lieux de production agricole, – du manse médiéval à la ferme ou à l’exploitation agricole productiviste des XIXe et XXe siècles – sont structurés et organisés en fonction, prioritairement, des pratiques. Le manse est un terme féodal qui caractérise l’unité de production agricole au Moyen Age (Lachiver, 2006, p. 837). Ce mot médiéval a donné le meix bourguignon (Bloch, 1999, p. 194) et lorrain, le mas provençal ou encore la masure de la région parisienne (Lachiver, 2006, p. 837). Or si le manse correspond à l’origine à l’étendue de terres nécessaire à la survie de la cellule familiale (Duby, 1977), il n’est pas univoque. Le manse servile est tenu par un serf, tandis que le manse ingénuile l’est par un paysan libre. Ces paysans libres exploitent des censives dont ils ne possèdent que la propriété utile et pour lesquelles ils versent au seigneur un cens recognitif de propriété. Le manse lidile correspond à une situation intermédiaire entre servile et ingénuile. Le manse domanial se situe sur la réserve seigneuriale où de nombreux paysans (libres ou non) viennent travailler, notamment lors des corvées. Ce bref exemple illustre l’extrême variété des situations à un moment donné et dans un lieu donné, d’où une grande difficulté pour les historiens et historiennes à catégoriser de manière stricte des situations socio-techniques mouvantes (Akrich, 1989 ; Béaur, 1999 ; Moriceau, 2002). L’unité de production agricole ne peut jamais être pensée isolément (Brunel, Moriceau, 1994). L'existence de journaliers, tenanciers d'une micro-exploitation et travaillant sur les unités de production plus grandes qui l'entourent, en est une illustration. L’existence de paysans sans terre amène aussi à se poser la question des rapports de domination qui se cachent derrière les mots qui caractérisent les exploitations agricoles.
Il faut, enfin, rappeler que les espaces ruraux ne sont pas isolés. Les liens avec les villes, notamment les petites et moyennes (Marache, 2016), sont importants, parfois intenses et multiformes, notamment lors des foires et marchés (Margairaz, 1988). Urbain et rural se ré-agencent mutuellement en permanence et « les gens vont et viennent d’un espace à l’autre » (Béaur, 1999, p. 162). De même, il n’existe pas, ou alors très rarement, de coupure nette dans le paysage. La diversité des cas de figure est telle que seule une approche micro-historique à l’échelle régionale, voire locale, peut rendre compte des nuances entre les différents types de système d’exploitation, donc des réalités quotidiennes vécues tant par les puissants, gros fermiers et propriétaires, que par les petites gens de la terre (Moriceau, Madeline, 2017). Il s’agit donc d’aller au-delà des catégories globales pour rechercher la réalité de la vie quotidienne dans les milieux ruraux et aborder la composition complexe des mondes ruraux caractérisés aux XVIIIe et XIXe siècles, si l’on suit Jean-Pierre Jessenne (2006, p. 65-70), par une extrême diversité sociale, y compris à l’échelle locale.
Ajoutons aussi que les noms des exploitations agricoles sont issus de sources diverses et ce en différents lieux et en différentes périodes. Cela peut être leur mode de faire-valoir, les modes de locations, leur taille ou la spécialisation de la production. Par exemple, la métairie peut être une grande exploitation gérée par un paysan aisé mais peut être aussi une exploitation archaïque avec un métayer dominé par un propriétaire qui ne lui laisse aucune initiative (Antoine, 1994).
Les types d’exploitations agricoles et les manières de les désigner sont donc multiples et leurs évolutions, depuis le Moyen Age, d’une rare complexité. Il existe une multiplicité de cas particuliers de paysanneries, étalées sur l’ensemble du spectre allant de l’aisance à l’extrême pauvreté. Ce serait une gageure ici que d’aborder cette question de manière globale. Au contraire, nous proposons une réflexion plus circonscrite dans le temps et l’espace, en étudiant deux cas particuliers de manière à aborder des situations variées, des paysans aisés et d’autre en difficultés économiques, des petits propriétaires modestes et des fermiers aisés (aisance et difficultés se retrouvant dans les deux types de cas étudiés). Ces deux études de cas sont consacrées aux bordagers de l’Ouest au XVIIIe siècle d’une part, et au développement de la pluriactivité rurale dans le contexte de l’industrialisation au XIXe siècle, d’autre part.
Les bordagers au XVIIIe siècle
Prenons l’exemple des bordagers au XVIIIe siècle, étudiés au début des années 1990 dans le Bas-Maine par Annie Antoine (1994) et, autour d’Alençon, plus récemment par Julien Lemonier (2018). Dans ces deux espaces proches, Bas-Maine et alençonnais, le terme bordager désigne deux situations socio-techniques très différentes. Dans le Bas-Maine, les bordagers sont des petits paysans, dominés par des métayers à la tête de plus grandes exploitations (Antoine, 1994). Autour d’Alençon, à la même époque, il s’agit plutôt de paysans aisés auxquels la réussite économique assure une forme de réussite sociale à l’échelle de leur village (Lemonier, 2018).
À partir des rôles de taille, registres fiscaux concernant l’impôt personnel qu’est la taille – documents précieux pour le Nord de la France déjà utilisés par Pierre Goubert pour étudier le Beauvaisis (1960) –, et des archives notariales, Julien Lemonier (2018, p. 38-39 et 51-52) montre que la situation des bordagers, définis le plus souvent comme des petits exploitants mettant en valeur entre 5 et 10 hectares, appelé bordage, soit comme propriétaires, soit comme locataires, est bien plus variée. L’auteur (Lemonier, 2018, p. 101-102) s’est aperçu que le seuil d’indépendance économique n’est pas corrélé à la propriété de la terre. Les bordagers les plus aisés de l’Alençonnais sont des locataires. La propriété de la terre n’est pas toujours synonyme de richesse et de puissance dans l’Ouest (Antoine, 1999, p. 120). Propriétaires ou fermiers, les bordagers cultivent des terres dont les parcelles sont souvent proches voire, parfois, regroupées en une exploitation d’un seul tenant, ce qui est très rare en France à cette époque.
Des nuances importantes existent au sein même de la « catégorie » des bordagers. Une partie d’entre eux semble des plus prospères tandis qu’une autre partie connait une existence difficile. Pour Lemonier (2018, p. 104-105), ces deux groupes, aisés et précaires, se répartissent grossièrement de manière égale pour moitié. Dans les archives notariales, un couple du village de Saint-Pierre-des-Nids, possède des biens meubles d’une valeur de 1300 livres environ. D’après Jean-Pierre Jessenne (2006, p. 67), le seuil d’indépendance se situe, selon les régions, entre 5 et 20 livres d’imposition. C’est dire si ces 1300 livres sont une preuve de grande richesse. Dans un autre inventaire après décès, il est noté qu’un bordager employait une domestique (Lemonier, 2018, p. 105). Certains bordagers appartiennent donc aux couches relativement aisées de la paysannerie de l’Ouest et, pour certains, représentant de la petite propriété paysanne au même titre que certains métayers et closiers (Antoine, 1999, p. 112-113). Or ce sont là des cas particuliers de richesses qui ne rendent pas compte de la situation de la plupart des autres bordagers, beaucoup plus modestes, à la limite de la pauvreté (Antoine, 1994 ; Lemonier, 2018, p. 106-107).
Dans le canton de la Suze-sur-Sarthe, Charles Cosnilleau, bordager à Voivres, est un exemple de cas beaucoup plus modeste. Son inventaire après décès établi en 1766 indique, par exemple, « un mauvais bois de lit de chêne », puis, plus loin, « six mauvaises chemises de toile commune » (archives départementales de la Sarthe). Comparés aux laboureurs d’autres régions, les bordagers apparaissent comme une catégorie plus modeste, intermédiaire (Hérault, 2016, p. 10-11). Plus aisés que les journaliers, jouissant de leur indépendance avec leur bordage de 5 à 10 hectares, les bordagers ne sont néanmoins pas toujours à l’abri des aléas de la conjoncture économique et les crises frumentaires peuvent facilement entrainer leur appauvrissement rapide et mettre en péril la survie de la cellule familiale. Pour Annie Antoine (1999, p. 120), les bordagers, comme les closiers, sont une catégorie intermédiaire entre les métayers aisés de l’Ouest et les journaliers, micro-propriétaires souvent mais proches de la pauvreté. Une « classe moyenne » de la paysannerie de l’Ouest au XVIIIe siècle (Antoine, 1999, p. 117-119 ; Hérault, 2016, p. 11).
Les bordagers correspondent donc à un « groupe-charnière », expression de Jean Jacquart (cité par Lemonnier, 2018, p. 106), équivalent pour la société alençonnaise des laboureurs moyens du Hurepoix. Or cette indépendance et, parfois, relative aisance, est une situation moins répandue que celle de paysans dominés à la limite de la survie économique et qui n’ont d’autre choix que d’exercer une autre activité en complément de leur travail agricole. Cette situation de pluriactivité se retrouve fréquemment dans les mondes ruraux français au XIXe siècle dans le contexte d’une industrialisation rapide.
Quelques exemples de pluriactivité rurale au XIXe siècle
Le terme propriétaire ou propriétaire-cultivateur, est extrêmement flou et masque une variété très grande de situations que les enquêtes et statistiques agricoles du XIXe siècle peinent à identifier (Vivier, 2014). Or Jean-Luc Mayaud (1999 a) a relevé, en France, une croissance du nombre des propriétaires entre 1862 et 1892. Il semble que ce phénomène ressortît d’une accession à la propriété de salariées et/ou de journaliers. Les statuts, donc les catégories, changent avec le temps ; changements que l’on observe à des échelles variées, au cours des années mais aussi au cours des siècles ou, plus resserré dans le temps, au cours d’un cycle de vie. Le statut de domestique ou de journalier est souvent transitoire (Béaur, 1999, p. 164-165 ; Hubscher, Farcy, 1996). Certaines petites gens de la terre arrivent, au cours de leur existence, à devenir propriétaires de tout ou partie de leur outil de travail et accèdent à une forme d’indépendance en même temps qu’à une reconnaissance sociale. La frontière est donc mince entre ces différents groupes : ouvriers, ouvrières, paysans, paysannes, artisans aux confins des mondes ruraux et urbains. Jean-Luc Mayaud (1999 b) montre aussi que cette accession à la propriété foncière agricole correspond le plus souvent à des micro-exploitations et des petites propriétés s’étendant souvent sur moins de 5 hectares. D’ailleurs 85% des exploitations s’étendent sur moins de 10 hectares en 1882 (Mayaud, 1999 a, p. 231). D’où le recours à la pluriactivité, longtemps ignorée par l’historiographie mais de plus en plus étudiée depuis une vingtaine d’années, qui permet la survie économique de la cellule familiale agricole et rurale grâce à un complément de revenu non agricole (Mayaud, 1999 a, p. 235). Le processus d’industrialisation au XIXe siècle engendre des transformations socio-techniques d’envergure qui induisent des évolutions dans les manières de faire et les pratiques quotidiennes autant dans le travail des « petites gens de la terre ».
Au-delà de l’image d’épinal des maçons limousins émigrés à Paris, les migrations temporaires de travail jouent un rôle clé dans le développement d’une pluriactivité qui permet le maintien de l’activité agricole et l’exercice d’une activité salariée, le plus fréquemment artisanale, parfois dans des villes plus ou moins proches. Le cas des ouvriers-paysans du Limousin au XIXe siècle, étudié par Alain Corbin (1998, p. 309-314), en est l’un des exemples les mieux connus avec, par exemple, ces bûcherons de la vallée de la Vienne qui travaillent dans l’industrie porcelainière. Ils assurent les charrois de kaolin (une des matières premières de la porcelaine) mais aussi, pour l’industrie métallurgique, le transport du charbon de bois ou de castine (carbonate de chaux).
Les migrations saisonnières de travailleurs, paysans et ouvriers, à l’échelle régionale voire intercontinentale, dès la seconde moitié du XIXe siècle, sont fréquentes. Et comme souvent, ce travail pluriactif est marqué par la forte saisonnalité des tâches. D’ailleurs Jean-Luc Mayaud (1999 a, p. 236) note, à juste titre, que « la pluriactivité trouve sa place aussi bien durant les temps morts du travail agricole qu’à la faveur d’un partage familial des tâches, partage fixe ou variable, temporaire ou permanent ». Durant la seconde moitié du XIXe siècle, des journaliers italiens choisissent de partir en Argentine pendant l’hiver et durant une année entière. Cela leur permet d’avoir du travail sans discontinuité puisqu’ils ne rentrent en Italie que l’été suivant (Landsteiner, Langthaler, 2010). Les migrations saisonnières de travail et la pluriactivité sont des exemples des relations complexes et multiformes entre les systèmes agraires et les organisations du travail dans les sociétés rurales européennes. Par exemple, en Alsace, dans la vallée de la Thur, les patrons de l’industrie textile de la ville de Wesserling continuent, durant les années 1830-1840, à faire travailler plus d’un millier de métiers à bras à la campagne. La soierie lyonnaise connait, durant les années 1830 à 1850, une « proto-industrialisation décalée » (Cayez, 1981, p. 98), c’est-à-dire une ruralisation de ses activités qui concerne des zones de plus en plus éloignées de la ville de Lyon, jusqu’en Savoie à l’Est et les Cévennes au Sud.
La taillanderie de Nans-sous-Sainte-Anne, dans le département du Doubs, est l’une des expériences les plus évocatrices de la pluriactivité rurale au XIXe siècle. Le travail du taillandier consiste à fabriquer des outils en fer tranchants utilisés ensuite par les paysans ou les artisans comme les tonneliers, les charpentiers ou les terrassiers par exemple. Claude-Isabelle Brelot et Jean-Luc Mayaud (1982) ont analysé les enjeux du fonctionnement d’une ferme-atelier comtoise où l’on observe une pluriactivité exercée tant à l’échelle individuelle qu’à celle de la famille. Dans l’Arc jurassien, artisanat et agriculture se complètent parfaitement. Les paysans moréziens (Sud du massif du Jura), étudiés par Jean-Marc Olivier (2004), conjuguent leurs travaux agricoles avec la fabrication de clous, puis de lunettes ou de pièces d’horlogerie. C’est un processus d’« industrialisation douce », soit une industrialisation sans heurt avec l’environnement rural dans lequel elle s’est développée. D’autres paysans jurassiens exercent le métier de bûcheron ou encore de débardeur, tâches permettant d’approvisionner en bois les salines du Doubs ou les houillères de Ronchamp en Haute-Saône (Mayaud, 1999 a, p. 238-239).
L’approche de la pluriactivité en milieu rural permet aussi d’identifier bien davantage qu’auparavant le travail féminin, trop souvent « invisibilisé » ; paysannes maintenues traditionnellement dans leur rôle d’auxiliaire de leur mari, chef d’exploitation. La mise en lumière de ce travail féminin dans l’ombre d’un mari, reconnu comme un métier très tardivement au XXe siècle (El Amrani-Boisseau, 2007), permet de montrer que l’« ordre patriarcal » est omniprésent dans le quotidien des campagnes (Lagrave, 1987, p. 12 et p. 18).
Conclusion
Ces quelques réflexions mènent rapidement à la difficile question épistémologique de la catégorisation en histoire (et plus largement en sciences humaines et sociales), et à la pertinence de toute catégorisation (ou mise en catégorie) des sociétés rurales ou, plus spécifiquement, de certains acteurs des mondes ruraux, comme, par exemple, les différents travailleurs directs de la terre, mais aussi les agronomes ou les vétérinaires. Cela rejoint les préoccupations de Gérard Béaur (1999) qui a développé un argumentaire serré et convaincant dans un bel article consacré à « repenser (…) Les catégories sociales à la campagne ». Il prévient qu’il faut « garder en permanence à l’esprit le caractère construit, donc en partie arbitraire, des groupes ainsi formés par les historiens » (Béaur, 1999, p. 159). Donner du sens aux catégorisations construites par les historiens et historiennes permet d’interroger les modalités mêmes de cette construction, permettant in fine une analyse pertinente des réalités socio-techniques (Akrich, 1989).
Autre point méthodologique important : l’évolution diachronique dans le cadre des cycles de vie. On l’a vu plus haut, le statut de domestique ou de journalier est parfois transitoire. On relève aussi des évolutions à l’échelle du siècle, voire plus : « le laboureur de 1600 n’est pas forcément le laboureur de 1750 » (Béaur, 1999, p. 165). Les mots et les choses, pour paraphraser le titre du célèbre ouvrage de Michel Foucault, sont donc en réagencement complexe permanent comme le montre les situations de pluriactivité paysanne au XIXe siècle jusqu’à l’évolution récente vers la « firme » agricole (Purseigle et al., 2019).
L’extrême variabilité des termes impose de privilégier une approche croisée des échelles d’analyse des réalités rurales ; étude à la fois localisée, dans une approche de type micro-historique, et à la fois globale ou connectée permettant d’appréhender, grâce aux variations des échelles d’analyse (Werner, Zimmermann, 2003), la réalité du quotidien des paysans, paysannes, exploitants, exploitantes agricoles. Cette manière de faire pose la question centrale, au cœur de l’approche micro-historique comme de celle de l’étude (ou pensée) par cas (Passeron, Revel, 2005), de la généralisation et du passage du particulier au général (Lepetit, 1996).
Finalement, la question du choix des mots pour désigner les exploitants et exploitantes agricoles depuis le Moyen Age est avant tout un débat et une réflexion d’ordre épistémologique pour les historiens et historiennes. à l’issue de cette courte analyse la notion de systèmes agraires, telle que définie par Jean-Pierre Poussou (1999), c’est-à-dire des « types d'aménagements spatiaux et temporels, dans leurs rapports avec des techniques et avec des liens sociaux », nous semble être le cadre conceptuel le plus opératoire pour l’étude des mondes ruraux en ce qu’il permet d’éviter des catégorisations trop rigides et facilite une étude toute en nuances des campagnes anciennes.
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