Fragmentation du modèle de l’exploitation familiale et nouvelles structurations des relations capital-travail-foncier en agriculture
Fragmentation of the family farm model and new structuring of capital-labour-land relations in agriculture
Philippe Jeanneaux1*, François Purseigle2, Luc Bodiguel3, Bertrand Hervieu4
1Université Clermont Auvergne, AgroParisTech, INRAE, VetAgro Sup, UMR Territoires, 89, avenue de l’Europe, 63370 Lempdes, philippe.jeanneaux@vetagro-sup.fr (*Auteur en charge de la correspondance)
2 INRAE, Toulouse INP-ENSAT, UMR AGIR, avenue de l’Agrobiopole - Auzeville-Tolosane, 31326 Castanet-Tolosan, purseigle@ensat.fr
3CNRS, UMR 6297 Droit et Changement Social (DCS), chemin de la Censive du Tertre, 44313 Nantes, luc.bodiguel@univ-nantes.fr
4Académie d’Agriculture de France, 18 Rue de Bellechasse, 75007 Paris, bertrand.hervieu@laposte.net
Résumé
L’article revient sur les fondements et les trajectoires d’évolution des structures de production agricole pour mettre en évidence les enjeux qui traversent le concept d’exploitation agricole familiale à partir de trois entrées disciplinaires : économie, sociologie et droit. Ainsi, l’exploitation familiale, si elle reste dominante, n’est plus la matrice juridique, économique et culturelle d’un modèle partagé. Le patrimoine accumulé au cours d’une carrière rend sa transmission difficile et parfois impossible, d’où des démantèlements ou des montages juridiques permettant, soit de sauvegarder l’apparence d’une exploitation familiale, soit à l’inverse de la dissoudre dans un ensemble plus vaste et complexe, rendant cette réalité insaisissable. On voit là que les injonctions réitérées au fil des décennies à garder des exploitations nombreuses partout à « taille humaine » et « à responsabilité personnelle » n’ont pas résisté aux logiques économiques d’agrandissement rendues possibles grâce à une imagination juridique collective féconde.
Mots-clés : droit, économie, sociologie, dynamique structurelle, restructuration
Les articles sont publiés sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 2.0)
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Abstract
Our objective is to go back over the foundations of farm organisations and their development paths in order to highlight issues involved in the concept of family farm. This is done from three focuses of disciplinary analysis: economics, sociology and law. We show that the family farm, although it remains dominant, is no longer the legal, economic and cultural matrix of a shared model. Its economic weight amassed over the career path makes family farm difficult to pass it on. It is even impossible in some cases. Thus, the dismantling or legal arrangements either preserve the appearance of a family farm or, on the contrary, dissolve it into a larger and more complex whole, making this reality elusive. These observations show that despite repeated injunctions over the decades to perpetuate many farmers everywhere at the head of "human scale" and "personal responsibility" farms, they have not withstood the economic process of expansion made possible by a fruitful collective legal creativity.
Keywords: Law, economics, sociology, structural dynamics, restructuring
Introduction
La crise agricole fait la Une ! Suicide, endettement, revenu en berne, non renouvellement des générations, pollution, maltraitance animale, agribashing, sont les quelques mots-clés que les médias ou la production cinématographique [1] relayent pour signaler le malaise agricole contemporain. Si ce malaise n’est pas nouveau, ses racines actuelles sont profondes et multifactorielles. Le malaise n’est pas qu’économique, il est également social. La place occupée par les agriculteurs dans la société ne va plus de soi et nul doute qu’il y a de l’incompréhension souvent mal vécue par certains agriculteurs. Toutefois, il y a plus de questions autour de l’activité agricole qu’une remise en cause de l’agriculteur comme individu.
Cette situation illustre l’entrée définitive des mondes agricoles dans la modernité. Ils ne sont plus à côté de la société mais ils en font pleinement partie. La diversité de la société et de ses débats s’est invitée au sein des familles agricoles avec des enfants qui ne travaillent pas toujours dans l’exploitation, ou des conjoints exerçant une autre profession. L’exploitation agricole n’est plus forcément une structure de production fondée sur la maitrise complète des moyens de production par la famille.
Force est de constater que l’agriculture ne fait plus le rural, ne fait plus l’emploi, ne fait plus la richesse, ne fait plus les valeurs de la société française. En revanche, elle reste un secteur stratégique pour ses missions de sécurité et de souveraineté alimentaire, et d’occupation de l’espace (Lacombe, 2014).
Ainsi, les agriculteurs apparaissent touchés par des controverses propres aux sociétés contemporaines, qui caractérisent l’ensemble des catégories socio-professionnelles. Toutefois, plus que tout autre secteur d’activité, l’agriculture concentre des questions auxquelles les Français sont particulièrement attachés, au moment même où ils ont besoin de réassurance en raison des crises qu’ils traversent.
Notre objectif ici est de revenir sur les fondements de l’unité de production agricole et les trajectoires d’évolution de l’organisation de l’activité agricole en vue de mettre en évidence les enjeux qui traversent le concept d’exploitation agricole familiale, en particulier sa transmission, à partir de trois angles d’analyse disciplinaire : l’économie, la sociologie et le droit.
Cette approche pluridisciplinaire pour traiter les trajectoires et les formes organisationnelles permet de révéler la crise des institutions en agriculture. Il nous semble que les institutions, vue comme les règles du jeu de l’économie, sont le concept opérationnel pour apporter quelques éclairages sur les facteurs explicatifs du malaise agricole. Ces institutions interrogent les économistes, comme les juristes (institutions formelles : loi, règlements, contrats…) et les sociologues (institutions informelles : capital social : cohésion, confiance des liens faibles avec l’extérieur). Elles prennent différentes formes : la famille, la coopérative agricole, l’organisation de producteurs et le contrat avec la laiterie, le cercle d’entraide, le groupe syndical ou encore le cahier des charges de l’AOP… L’exposé pose en filigrane le rôle de l’Etat comme institution « suprême » qui, par ses politiques, a tenté d’accompagner la transition d’une société agraire fermée vers un secteur agroindustriel ouvert sur l’économie mondialisée.
Tout au long de l’exposé qui va suivre, nous allons croiser les regards de l’économiste, du sociologue et du juriste pour donner un éclairage sur les trajectoires et les formes organisationnelles de la production agricole, puis, sur les perspectives et les enjeux.
Points de vue sur les trajectoires et les formes organisationnelles
Une première série d’éclairages pluridisciplinaires est proposée pour constater la complexité, la diversité et la richesse des trajectoires et des formes organisationnelles de la production agricole.
Le point de vue de l’économiste : à la recherche effrénée des gains de productivité du travail
Le développement de l’agriculture en France depuis 60 ans s’est appuyé sur l’exploitation dite à 2 UTH (unité de travailleur humain). Elle a été pensée comme la forme moderne d’un petit capitalisme d’entreprise dont le capital et le travail sont familiaux. Les institutions politiques et juridiques ainsi que les règles fiscales ont été conçues pour accompagner son développement. Mais dans une économie mondialisée, libéralisée et de plus en plus concurrentielle, l’exploitation familiale peine à maintenir sa compétitivité alors même que les gains de productivité du travail ont été très importants.
En 60 ans, les agriculteurs ont doublé le volume de production agricole avec six fois moins d’actifs, quand dans le même temps la valeur de la production agricole au prix réel (corrigé de l’inflation) a baissé de près de 20% (Agreste, 2014). Ces gains de productivité ont été atteints grâce aux progrès technologiques sans précédent réalisés en agriculture. De manière générale, devant la baisse tendancielle des prix des biens agricoles, les agriculteurs ont été incités à développer une stratégie de compétitivité-coût qui a consisté à baisser les coûts de production moyens en produisant plus pour améliorer leurs revenus. Pratiquement, ils ont activé principalement trois leviers : (i) la spécialisation productive à l’échelle de l’exploitation couplée à la division technique et sociale des tâches au sein des filières agroindustrielles et le recours massif aux intrants, (ii) l’agrandissement, (iii) et la modernisation des structures de production. On dénombrait en 1955, en France métropolitaine, 2,3 millions d’exploitations et 6,2 millions d’actifs, soit 31% des actifs totaux. La dernière enquête structure datant de 2016 a comptabilisé 440 000 exploitations agricoles, soit cinq fois moins que 60 ans plus tôt (Agreste, 2018). On dénombrait en 2016, 824 000 actifs permanents (599 000 équivalent temps plein ETP) auxquels il faut ajouter 113 000 ETP occasionnels ou externes (7 000 de plus qu’en 2010). Six agriculteurs sur dix sont à temps complet. Le fait socio-économique marquant est que l’exploitation agricole conserve une petite cellule de travail qui reste familiale : 1,6 UTH/EA en moyenne dont 1,1 familiale et 0,5 salariée pour exploiter 63 ha (86 ha pour les grandes et moyennes dont la production brute standard [2] (PBS) est supérieure à 25 000 €). Depuis 1979, la production en volume a certes ralenti et particulièrement dans la décennie 2000 sous l’effet de la baisse des produits animaux, mais elle a tout de même crû de plus de 25 % entre 1979 et 2014 avec 2,8 millions d’ha de surface agricole utilisée en moins et 3 fois moins de travailleurs ! La production de 2018, hors subventions distribuées par la Politique agricole commune (PAC), s’est élevée à 76 Milliards € (46 Milliards € pour les productions végétales et 26 Milliards € pour les productions animales), production à laquelle s’ajoutent un peu plus de 8 Milliards € d’aides PAC. En analysant le revenu agricole net global en termes réels de la branche agricole, ce revenu de la ferme France est passé de l’indice 100 en 1980 à l’indice 75 en 2018, mais ce revenu, rapporté à l’actif agricole non salarié, le chef d’exploitation, s’est accru passant de l’indice 100 en 1980 à l’indice 220 en 2019. Les gains de productivité ont été énormes et ont entrainé une concentration des revenus, du foncier, et de l’appareil de production entre beaucoup moins de travailleurs. Ils ont également eu pour conséquence de modifier les formes organisationnelles et juridiques des exploitations comme nous le verrons plus loin. Les gains de productivité s'inscrivent dans la mise en œuvre de ce que Brynsjolfson et Mac Afee (2014) nomment le « 1° âge de la machine », l’âge où les machines ont permis à l'homme de décupler sa force physique. Désormais, nous sommes entrés dans le deuxième âge de la machine, l’âge du numérique, des machines qui décuplent la force intellectuelle de l’homme. La robotique, les drones, les capteurs et l’intelligence artificielle deviennent les nouveaux facteurs de production de l’agriculture, sources de nouveaux gains de productivité (Jeanneaux, 2018).
Le point de vue du sociologue : l’émiettement de l’unicité de l’exploitation familiale et l’émergence de l’agriculture de firme
La place occupée par les agriculteurs dans la société française est singulière à plus d’un titre. En effet, ils sont le seul groupe professionnel à être passé, en un siècle, de la situation de majorité absolue au sein de la population française au statut de simple minorité parmi d’autres.
Minoritaires et segmentés, localisés et mondialisés, exerçant le plus souvent leurs activités dans un cadre familial, dispersés dans l’échelle des revenus, les salariés et producteurs agricoles recomposent une place teintée d’identité entrepreneuriale. La relation à la terre, tour à tour patrimoine familial et outil de travail reste une composante essentielle de l’exercice de ce métier, mais cette caractéristique n’échappe pas aux transformations des économies contemporaines comme nous l’avons vu précédemment.
Nul doute que nous continuons à connaître des formes familiales en France et plus largement en Europe (Hervieu et Purseigle, 2013). Premièrement, une agriculture familiale « paysanne » avec pour seul horizon un territoire local assurant l’ensemble des échanges marchands. Ce qui motive cette agriculture, c’est avant tout la sauvegarde et la reproduction d’un patrimoine familial, entretenu par des stratégies patrimoniales ou matrimoniales inscrites au sein même des collectivités. Dominant dans la France de la Troisième République, ce modèle s’est également déployé en Italie, en Bavière, aux Pays-Bas et se rencontre aujourd’hui de façon résiduelle dans le Sud de la Pologne ou encore en Roumanie.
L’agriculture familiale « pluriactive et territoriale » est la deuxième figure, elle a été au cœur de la construction du modèle agricole européen. Se maintient en effet aujourd’hui une agriculture familiale au sein de laquelle l’activité agricole n’est que l’une des composantes d’un revenu diversifié. La structure de base repose sur un couple ou une famille qui pratique la pluriactivité. Cette seconde variante d’agriculture familiale se caractérise à la fois par l’appartenance à un milieu, par le choix d’un métier et par un rapport à l’économie et aux territoires (Purseigle et al., 2014).
En troisième lieu, se développe une agriculture familiale « spécialisée », segmentée et très professionnelle issue de la polyculture-élevage des années soixante. Cette agriculture a souvent connu des formes d’intégrations verticales, en production hors-sol notamment, au sein de grands bassins de production : bassins laitiers, bassins allaitants, bassins céréaliers, bassins porcins…
En quatrième lieu, émerge une agriculture certes familiale, en raison de la constitution de son capital et de la mobilisation de la force de travail, mais devenue sociétaire. Apparue aux Etats-Unis et en Europe, notamment en France, cette agriculture familiale « sociétaire » aux contours plus abstraits dissocie le travail agricole et le capital d’exploitation, de la gestion patrimoniale et foncière. L’approche juridique donnera un aperçu des formes et autres montages juridiques complexes que l’on rencontre désormais. Ces sociétés sont « familiales » en raison du caractère familial de la propriété foncière permettant d’assurer une rente à l’ensemble des associés. Ainsi, les générations ayant quitté la vie active agricole peuvent percevoir des loyers ou des fermages. La propriété foncière est répartie non seulement sur un cadastre et des lopins nominatifs, mais aussi en parts qui s’échangent ou se vendent verticalement entre les membres de la famille. Dans de nombreux cas, le capital ainsi constitué de génération en génération est suffisamment conséquent pour permettre à ces sociétés d’intégrer toutes les fonctions de la filière, de s’émanciper de toutes les formes d’organisation collective de production et de commercialisation, et de devenir des acteurs majeurs sur les marchés nationaux et internationaux. Ces formes verticales sociétaires, au sein desquelles on peut voir émarger trois générations au même capital, se développent dans de nombreuses régions d’Europe. En France (en Hautes-Landes, en Camargue, dans le Bassin parisien, en Champagne crayeuse), en Italie (dans la Plaine du Pô), en Allemagne (dans les nouveaux Länders), des holdings mono-familiales disposant de sociétés anonymes de matériel agricole construisent des assolements sur plusieurs milliers d’hectares et participent à la construction de nouveaux marchés tournés vers l’exportation (Purseigle, 2012 ; Purseigle et al., 2017). Cette quatrième figure oscille entre la tentation d’une approche strictement financière et une conservation de son architecture familiale et patrimoniale. On observe donc dans les campagnes françaises le développement de nouvelles organisations productives agricoles dont les caractéristiques s’éloignent fortement de celles des exploitations agricoles familiales traditionnelles : multiplicité de centres de décision et une gouvernance de type entrepreneurial (corporat); assemblages juridiques de type société de portefeuilles, regroupant plusieurs sociétés agricoles elles-mêmes adossées à des groupements fonciers agricoles ou des groupements d’employeurs ; agencements inédits des relations de travail et de financement reposant pour les premières sur des formes nouvelles de sous-traitance et les deuxièmes sur l’arrivée de nouveaux investisseurs dans le milieu agricole. Ces grandes entreprises aux allures de firme pourraient représenter 10% du total des exploitations professionnelles et pèsent 30% du produit brut standard agricole total (Olivier-Salvagnac et Legagneux, 2012). Bien que très diversifiées, ces formes nouvelles présentent toutes une caractéristique commune, celle de la dissociation des trois facteurs de production que sont le foncier, le capital d’exploitation et la main-d’œuvre, dont la superposition au sein de l’entité famille caractérise les exploitations agricoles dites familiales (Cochet, 2018). Ceux qui travaillent la terre ne sont plus nécessairement détenteurs ni du foncier, ni du capital d’exploitation. Elles ont été qualifiées par Séronie et Boullet (2007) d’exploitations agricoles flexibles qui gèrent trois projets : entrepreneurial, patrimonial et technique.
Par ailleurs, les calculs réalisés à partir des données des deux derniers recensements agricoles et de l’enquête structure de 2016 (Agreste, 2018) montrent que, depuis 2000, un autre phénomène prend de l’ampleur : celui de la sous-traitance et de la délégation d’activités de production agricole (Nguyen et al., 2020). Entre 2000 et 2016, le nombre d’exploitations en grandes cultures en délégation intégrale a progressé de 2,7 % par an, pour atteindre en 2016, 25 542 exploitations, soit 6,6 % de l’ensemble des exploitations françaises et 5,5 % de la PBS de la ferme française. Cette hausse est le fait principalement des moyennes et grandes exploitations [3] qui représentent les deux tiers des exploitants ayant recours à la sous-traitance. Toujours, entre 2000 et 2016, leur nombre a bondi de 103 % alors que celui des petites exploitations a connu un léger fléchissement de -3 %, selon les calculs de l’équipe Agrifirme [4]. Ce ne sont pas moins de 5 462 exploitations en grandes cultures de tailles moyenne et grande et 3 524 petites exploitations qui sont concernées, en 2016, par la délégation intégrale « par abandon ». Les premières sont majoritairement des exploitations individuelles (47,9 %) mais également sous statut de société civile (27,1 %), et avec des chefs d’exploitation déclarant travailler moins d’un quart temps sur l’exploitation (52,8 %). Les petites exploitations concernées sont quasi-exclusivement des exploitations individuelles (91,9 %) avec, là encore, un exploitant travaillant moins d’un quart temps (74,2 %). Notons également l’augmentation de 5 points du nombre d’exploitations moyennes et grandes sous statut de société civile entre 2010 et 2016. Les processus de délégation observés récemment au sein des moyennes et grandes exploitations s’expliquent notamment par les difficultés de transmission et de reprise de structures toujours plus grandes et plus capitalisées. Nous avons pu constater que ces difficultés se ressentent notamment dans les structures ayant un statut juridique de type société civile, où l’absence d’entente entre associés ne permet pas la gérance par un membre de la famille et conduit souvent à déléguer la gestion de l’exploitation à autrui.
Il convient donc de tracer les contours de formes innovantes d’organisation de la sous-traitance, et comprendre leur genèse tout en développant l’idée que les dispositifs nouveaux de sous-traitance ne supplantent pas les anciens mais s’appuient très souvent sur ces derniers pour répondre à des demandes nouvelles émanant d’entreprises agricoles situées à la frange du modèle familial. Nous distinguons notamment deux grandes trajectoires d’évolution de l’organisation de la sous-traitance, l’une partant de relations traditionnelles relevant notamment du recours à des CUMA et greffant à ces dernières des modalités nouvelles, l’autre plus innovante fondée sur la construction d’une nouvelle catégorie sociale, celle de « land manager », gestionnaire de patrimoines agricoles et chef d’orchestre dans l’organisation de la sous-traitance à l’échelle d’un territoire. Sans doute faut-il se tourner vers le juriste pour trouver les arguments qui permettent d’expliquer les choix de la structure la plus adaptée au modèle économique choisi…
Le point de vue du juriste : ancrage des formes sociétaires et émergence de montages juridiques complexes
Issu du débat social et politique où s’affrontent les différentes parties prenantes de l’agriculture et de son environnement, le droit de l’exploitation agricole est le résultat successif et évolutif de représentations et de projections sur le fait agricole (Lorvellec, 2002). Il s’apparente à une succession d’images, pas toujours superposables et parfois fortement contrastées, d’un monde où les valeurs du travail personnel et de la famille restent des piliers fondateurs, mais où les valeurs de l’entrepreneuriat et de la compétition se sont ancrées (Bodiguel, 2008). Une loi d’orientation suit l’autre, justifiée parfois par les considérations traditionnelles du travail et de la famille, se revendiquant d’autres fois de la modernité que représenterait le monde des affaires (les lois dites « de modernisation » notamment).
L’organisation juridique de l’entreprise n’a pas échappé à ce « tiraillement », à cette « mise en tension ». L’idée d’organiser l’exploitation agricole sous forme sociétaire, de lui accorder un régime spécial hors du droit commun des sociétés civiles (code rural versus code civil), pour lui donner une forme qui dépasse la personne de l’exploitant, celui qui « travaille la terre », ne s’est imposée que fort timidement et progressivement. Timide est en effet le groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), première forme spécifique d’organisation de l’entreprise de production agricole (loi 62-933 du 8 aout 1962 complémentaire à la loi d’orientation agricole 60-808 du 5 août 1960). S’il apparait comme une réponse à l’exigence de modernisation des exploitations agricoles portée par les politiques agricoles françaises (1960) et européenne (1957) et par l’imitation du modèle américain au sortir de la seconde guerre mondiale, le GAEC ne s’inscrit pas originellement dans une perspective entrepreneuriale capitaliste. Au contraire, comme les coopératives, il est le fruit de discussions sur une possible troisième voie économique. En droit, cette idée s’est traduite par une construction sociétaire originale où sont privilégiées les relations humaines, fondées sur l’égalité et la non concurrence entre « travailleurs/associés », et le fait de travailler en commun (art. L323-7 c. rur.). Ce dernier critère reste aujourd’hui encore une condition de validité du GAEC. Cette perspective était innovante à l’époque. En pratique cependant, les GAEC ont surtout permis de structurer des collaborations familiales, phénomène renforcé depuis que les conjoints sont autorisés à les constituer seuls (Loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture), et seule une minorité a été constituée entre tiers. Sur le plan juridique, on peut donc dire qu’avec le GAEC, la recherche de capitalisation financière est directement liée au travail en commun et personnel des associés qui ne peuvent être que des travailleurs indépendants exerçant une activité agricole au sens de la loi (art. L311-1 c. rur.). L’idée même d’investissement extérieur – à moins de considérer les aides comme un investissement indirect public (transparence des GAEC) - est étrangère au GAEC.
Malgré son originalité, le GAEC a fait entrer l’agriculture dans l’ère des sociétés agricoles. Alors qu’en 2008, on dénombrait 65 500 sociétés (de toute forme) sur 1 016 800 d’exploitations agricoles, en 2016, il y en avait 156 600 sur 437 400 (soit de moins de 7 % à plus de 35%) et le phénomène s’accroit ces dernières années (Agreste, 2018).
C’est cependant une nouvelle forme de société, née en 1985, qui va faciliter le recours sociétaire en agriculture : l’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL). Depuis la fin des années 1990, elle représente la majorité des sociétés d’exploitation agricole (de 1 600 en 1988 à 79 300 en 2018 alors que le GAEC est passé de 37 700 à 43 000 – Agreste, 2018).
L’EARL est plus spécifiquement conçue pour la production agricole proposant un modèle plus capitalistique. Elle autorise en effet l’entrée en société de non exploitants, donc d’éventuels investisseurs, dès lors que les associés exploitants agricoles participant effectivement aux travaux de l’exploitation sont majoritaires (plus de 50% des parts) et détiennent la gérance (art. L324-8 c. rur.). Toutefois, en pratique, les EARL sont le plus souvent créées sous forme unipersonnelle, phénomène découlant de la préférence accordée par le milieu agricole à l’exploitation individuelle. Soulignons que la forme unipersonnelle peut cacher des montages plus subtils constitutifs d’une intégration tant juridique qu’économique, même entre agriculteurs (Danet, 2001), comme évoqué précédemment à propos de l’agriculture familiale « sociétaire ». De même, malgré l’obligation de participation effective aux travaux d’exploitation, nombre d’EARL ont recours à des entreprises de travaux agricoles.
Malgré l’évolution proposée par le régime juridique de l’EARL, c’est en fait dans le droit commun des sociétés qu’il faut aller piocher la structure de production sociétaire la plus adaptée à l’entrée d’investisseurs extérieurs : la société civile (art. 1832 c. civ. et s). Il suffit de lui donner un objet agricole pour en faire une société civile d’exploitation agricole (SCEA). Son capital est ouvert aux non exploitants sans limite ni seuil de détention de capital et son organisation est très libre, ce qui explique qu’elle est particulièrement utilisée par le secteur coopératif ou privé, pour organiser des montages sociétaires et éventuellement faire entrer des capitaux extérieurs en agriculture. A ce jour, les sociétés civiles (à majorité des SCEA) représentent environ 17% des sociétés en agriculture (Agreste, 2018 ; chiffre relativement stable par rapport à 2008).
Par conséquent, en droit, la relation entre capital et travail ou entre investissement et travail peut varier selon les sociétés. Pour produire, il s’agira de choisir la structure la plus adaptée au modèle économique choisi (GAEC, EARL, SCEA). En outre, si le projet est plus complexe, plusieurs montages sont envisageables, en fonction des objectifs poursuivis, par exemple en articulant une ou plusieurs sociétés d’exploitation agricole, une ou plusieurs sociétés commerciales, chapeautée par une société holding de type SA (art. L225-1 c. com.) ou SAS (art. L227-1 c. com.). Ces montages juridiques, inspirés directement du droit des affaires, révèlent parfois des logiques de firme, comme cela a été montré précédemment, mais peuvent aussi être justifiés uniquement par des intérêts fiscaux, sociaux ou patrimoniaux (dans ce cas, recours fréquents aux groupements fonciers agricoles et aux sociétés civiles immobilières), à une volonté d’organiser la direction, et/ou à développer un projet de commercialisation des produits. Il faut donc faire attention à ne pas conclure à l’existence d’une firme du seul fait d’un montage juridique complexe.
Perspectives et enjeux
A la suite de cette première série d’éclairage sur les trajectoires et les formes organisationnelles de la production agricole, il nous semble essentiel de proposer une réflexion sur les perspectives et les enjeux des relations capital-foncier-travail-famille en agriculture.
Le point de vue de l’économiste : capitalisation accrue et problème de transmission
Nous avons dit que pour produire plus en volume avec moins de travailleurs, les agriculteurs se sont dotés de moyens de production (matériels, bâtiments, cheptel) plus importants par unité de travail. Au niveau de la branche agricole, la valeur des investissements mesurée par la formation brute du capital fixe (FBCF) est restée en termes réels quasiment stable en 40 ans (Indice 100 en 1980 et 110 en 2018). Chaque année, 10 à 13 Milliards€ sont ainsi investis par les agriculteurs (hors foncier) dont 65% concernent le matériel agricole, 20% les bâtiments et moins de 10% pour les biens agricoles (bétail et cultures pérennes). C’est bien évidemment cette forte modernisation, moteur de la substitution du capital au travail qui a permis l’augmentation de la productivité apparente du travail (passage de l’indice 30 en 1980 à 110 en 2010) (Blonde et al., 2014 ; Guihard et Lesdos, 2007). En contrepartie les exploitations agricoles sont plus endettées, plus capitalistiques et de plus en plus sous forme sociétaire comme nous l’avons présenté plus haut. Elles sont également saturées de travail et toutes les réserves de main d’œuvre ont été épuisées (parents retraités) ou ont même disparu : le conjoint devenu salarié, les enfants devenus étudiants, ou encore les journaliers et autres bergers qui ne sont plus des pièces discrètes mais maitresses de cette nouvelle économie agricole. La recherche de compétitivité n’aurait-elle pas conduit l’exploitation familiale dans une impasse sociale et économique ? La très forte capitalisation à l’œuvre rend les exploitations agricoles familiales plus difficilement transmissibles, ce qui constitue un échec dans un monde agricole historiquement sensible à la transmission du patrimoine entre générations afin de perpétuer la famille (Jeanneaux, 2016). Examinons quelques données factuelles (Cazenave-Lacrouts et al., 2018) : Les agriculteurs en fin de carrière possédaient en 2010 les plus gros patrimoines parmi les indépendants (850 000 € brut et 750 000 € net en moyenne). Le patrimoine net [5] médian était de 113 900 € (et 158 000 € en brut) pour l’ensemble de l’échantillon en 2015 alors qu’il était de 293 700€ net chez les indépendants et parmi ces derniers, les agriculteurs avaient le patrimoine médian net le plus élevé (510 500 €) et cela pour un patrimoine médian brut de 599 900€. Le patrimoine médian net des ménages agricoles était constitué en grande partie de patrimoine professionnel (263 100 €), d’un patrimoine immobilier médian de 187 300 € et de 44 000 € de patrimoine financier auxquels il faut ajouter le patrimoine mobilier (voiture, équipement ménagers…) pour environ 16 000 €. Le décile le moins « fortuné » détenait 125 700 € net contre 1 292 000 € pour le décile le plus fortuné. Les patrimoines sont inégaux ! Par ailleurs, le patrimoine moyen des agriculteurs est en croissance continue. En moyenne, entre 2004 et 2015, le patrimoine brut des ménages d’agriculteurs a plus que doublé, passant de 489 724 € à 1 040 000 € en valeur moyenne toujours selon Cazenave-Lacrouts et al. (2018). L’augmentation est principalement due à l’accroissement des biens professionnels (+142 %) qui sont passés entre 2004 et 2015 de 274 500 € à 664 100 € en valeur moyenne brute. Dans ce contexte de capitalisation accrue, la politique de renouvellement des exploitants ne semble pas en mesure d’inverser la réduction du nombre de chefs d’exploitation. Au sein de la famille, l’existence d’un patrimoine important, dont le rendement même s’il n’est pas très élevé (Jeanneaux, 2019) peut être une source de revenu régulier pour les descendants qui le feraient exploiter en délégation. Ce patrimoine constitue également une réserve monétaire qui permet de financer des besoins divers immédiats pour, par exemple, autofinancer l’achat d’un bien immobilier par un enfant, ou des besoins futurs comme l’hébergement des parents en maison de retraite. Besoins qui peuvent s’avérer contradictoires et sources de tension au sein de la famille. Surtout, l’accès au capital et au foncier est un enjeu fort car il constitue, pour les jeunes agriculteurs et en particulier pour ceux non issus d’une famille agricole (environ 1/3 des installations aidées), une barrière à l’entrée au métier d’agriculteur. Nos travaux en cours [6] font ressortir que le montant investi par un agriculteur bénéficiant des aides à l’installation (25 000 € de DJA) dans le Puy-de-Dôme s’élevait à 333 000 €, dont 109 00 € de coût de reprise et 224 000 € d’investissement au cours des quatre premières années d’activité. Selon les données de l’Observatoire du développement rural et de la Mutualité sociale agricole, au cours de la période 2007-2014, 164 000 agriculteurs (cotisants AMEXA non-salariés, hors cotisants solidaires) sont sortis du secteur agricole pour 115 000 entrants (Cabinet Epices, 2017). Sur cette période de 8 ans, la ferme France aura donc perdu près de 50 000 exploitants agricoles. Non seulement le renouvellement des générations n’est pas assuré mais le déclin est continu avec des agriculteurs dont l’âge moyen ne cesse d’augmenter (47 ans en 2000, 52 ans en 2016) (Agreste, 2018). La politique d’aide à l’installation ne semble pas en mesure d’enrayer le phénomène (Jeanneaux et al., 2018).
Mais n’y-a-t ’il pas là aussi derrière cette vision peu réjouissante de la dynamique des structures et des actifs des signaux faibles qui laissent à penser que les agriculteurs changent et que leur métier se transforme ? Le regard du sociologue nous semble utile pour éclairer l’analyse.
Point de vue du sociologue : l’institution familiale en évolution complexifie le devenir de l’exploitation
Notons que le métier d’agriculteur se caractérise aujourd’hui par une plus grande mobilité dans les trajectoires professionnelles. L’image d’un métier stable, unifié et pour la vie, et que le fils reprend à la suite du père s’applique de moins en moins dans le monde agricole comme ailleurs. La question du sexe, de l’âge ou de la filiation ne définit plus uniquement celle de l’insertion dans les métiers de l’agriculture. L’identification au groupe des agriculteurs passe et passera de moins en moins par la naissance ou l’héritage familial. Cette rupture tient également à la recherche, pour certains, d’une identification à la figure du chef de grandes entreprises industrielles qui s’abstrait des logiques familiales.
Cette nouvelle réalité sociale nous invite à considérer les métiers de l’agriculture comme des métiers sujets à la requalification professionnelle. Comme dans d’autres secteurs d’activité, l’entrée dans la vie active agricole peut ne correspondre qu’à une étape dans une trajectoire professionnelle.
L’ensemble des catégories définissant le métier d’agriculteur peut faire l’objet de combinatoires résolument modernes : par exemple, le chef d’exploitation peut revêtir le statut de salarié de la société civile qu’il dirige, diversifier ses sources de revenus ou proposer des prestations de services. Peut-être, plus que toute autre activité, l’agriculture permet un emboîtement des catégories professionnelles et une pluri appartenance choisie au sein de l’entreprise et du territoire. Nous voyons émerger de nouvelles formes de mobilités sociales et professionnelles, relevant plus de l’initiative que de la contrainte. Celles-ci sont notamment liées à l'arrivée de personnes ayant déjà exercé une activité non agricole, au développement de la pluriactivité et au nombre croissant de départs précoces.
Parmi les piliers de l’entreprise agricole de demain, de nouveaux venus qualifiés encore de « hors-cadres » représentent un nombre toujours plus important « d’installations ». Parallèlement, alors que le schéma de la spécialisation des exploitations souvent rigide et la logique d’accroissement capitalistique ne permettent pas toujours d’intégrer des personnes sans capital. La diversification par l’accueil de nouveaux actifs permet de repenser le schéma de la reprise/transmission du capital productif, voire de pérenniser des systèmes de production, en privilégiant l’atout de la complémentarité entre productions.
En agriculture, la transmission n’est pas que patrimoniale. La transmission du métier, des savoirs passe tout autant par les pairs que par le père.
De nouveaux collectifs constituent le cadre de l’entrée dans le métier. Ils permettent le maintien de ce qui reste de familial dans ces exploitations, y compris dans l’hétérogénéité des formes familiales et de leur rapport à l’activité agricole.
Cette réalité témoigne que les agriculteurs s’affranchissent de plus en plus de la famille dans les processus de transmission et l’acquisition des savoirs. Le niveau de formation des chefs d’exploitation et des co-exploitants est, en France, en progression continue. 17% des chefs d’exploitation ou co-exploitants ont un diplôme d’études supérieures. L’élévation constatée du niveau de formation des jeunes embrassant le métier d’agriculteur ou d’agricultrice est largement due à l’existence d’un système de formation spécifiquement et anciennement dédié en France aux métiers de l’agriculture et placé sous la tutelle du ministère de l’Agriculture. Les trajectoires pré-installatoires sont plus sinueuses, beaucoup de repreneurs ont une expérience de salarié. Plus que le chiffre des hors-cadres, nous retiendrons celui du nombre des pluriactifs. Certes ce phénomène est peut-être moins développé dans certains élevages mais on constate aujourd’hui que près du 1/3 des exploitants qui s’installent conservent une activité en parallèle de leur exploitation. D’aucuns pourront y voir un témoignage de la résilience de certaines exploitations mais ce chiffre témoigne avant tout des incertitudes qui planent autour des reprises d’exploitation. Il est également à noter les stratégies de recentrage sur certains ateliers et des processus de délégation d’activités à des tiers.
L’installation ou la création d’activité agricole devient de plus en plus une étape, un moment dans une carrière professionnelle voire dans un projet de vie. L’installation est le fruit d’un va et vient. Ceci pose la question de l’usage de l’expression « d’installation » et bouscule le statut de l’actif agricole auquel les organisations syndicales de tous bords demeurent attachées.
Pour les enfants qui décident de reprendre une exploitation familiale, nombreux sont ceux qui doivent faire face à des situations de plus en plus complexes. La plupart des frères et des sœurs veulent leur part du patrimoine. La ferme est avant tout vue comme une source potentielle de rente à partager. Au moment de la transmission, la répartition de la valeur entre les différentes parties et entités juridiques joue souvent au détriment du projet porté par celui qui reste ou celui qui veut reprendre comme nous le verrons plus loin. Certes les familles agricoles ont encore souvent une ambition patrimoniale mais celle-ci est rarement adossée à un projet économique susceptible de la porter. Ainsi la famille apparaît parfois comme le premier adversaire de la reprise familiale.
Parallèlement, le développement de la sous-traitance et de la délégation d’activités relève avant tout d’un mouvement de fond, qui témoigne d’un effacement de l’exercice familial du travail, mais aussi de nouvelles formes d’arbitrage entre projet patrimonial et projet économique au sein des familles agricoles.
La décision de déléguer la gestion de l’exploitation, plutôt que de donner en fermage, témoigne de la distinction toujours plus grande entre capital productif et patrimoine familial. Le statut du fermage est de plus en plus jugé contraignant par les propriétaires qui redoutent de perdre la maîtrise de leur foncier (Melot, 2011 ; 2014). Le choix de conserver le statut d’exploitant, tout en en délégant la gestion de la structure, montre que dans certains cas le projet patrimonial l’emporte sur la construction d’un projet économique. Comme l’avaient souligné Nguyen et al. (2020), ce n’est alors plus la famille qui est mobilisée au service de l’exploitation, mais l’exploitation qui est mobilisée au service de la famille.
Ajoutons la nécessité constante pour les repreneurs de prouver la légitimité de leur projet tant devant leur conjoint et leurs fratries. Comme l’a montré Dominique Jacques-Jouvenot (1997), la désignation d’un successeur ne suffit pas. Les repreneurs sont toujours les héritiers d’une dette symbolique lourde à assumer. Les repreneurs sont souvent pris en tenaille entre le regard d’un père ou d’une mère qui n’a pas envie de voir changer le système d’exploitation et un(e) conjoint(e) qui apporte l’essentiel du revenu. La résilience du modèle familial souvent théorisée voire glorifiée tant par les marxistes que les libéraux reposaient sur des bricolages économiques (non prélèvement, injections de liquidités par des collatéraux…) ou organisationnelles (travaux des parents retraités, entraides) qui ne vont plus de soi aujourd’hui. Cela conduit à des situations inédites jusqu’alors dans le monde agricole où l’on voit apparaître des situations de fortes tensions, de divorces… Pensée à son origine pour accompagner au mieux les familles agricoles dans leur projet et ce notamment en zone d’élevage nous voyons aujourd’hui que les GAEC sont parfois le théâtre de conflits d’une rare violence débouchant sur leur dissolution.
Ajoutons également que la question de renouvellement des générations en agriculture n’est pas seulement une question de renouvellement du nombre de chef d’exploitation. Le renouvellement des générations en agriculture passera de plus en plus par le recrutement de salariés agricoles dans les exploitations agricoles. Alors, qu’entre 2000 et 2016, le nombre des exploitations familiales gérées par des chefs d’exploitants seuls ou des collatéraux a chuté de 37%, au même moment celui des exploitations familiales ayant recours à des salariés de manière prépondérante a augmenté de 23% (Bignebat et al., 2019).
Le métier est en pleine transformation. La définition du « métier » d’agriculteur condense un nœud complexe d’enjeux politiques, économiques, sociaux et culturels. L’enchevêtrement des statuts professionnels et des pratiques témoigne d’un « métier » d’une grande modernité. Ainsi, le travail temporaire, le travail à temps partiel, le travail salarié qui, dans le passé, concernaient exclusivement des travaux et des travailleurs peu qualifiés concernent aujourd’hui des tâches de haute technicité et de haute responsabilité. De ce point de vue, le secteur agricole se présente comme un véritable laboratoire non seulement du point de vue de l’émergence des formes nouvelles de travail, mais également du point de vue du salariat.
Ces constats ne signifient pas la disparition des agricultures familiales mais leur recomposition en profondeur et leur coexistence avec d’autres formes d’agriculture. Ils témoignent une fois encore que l’agriculture familiale et le maintien des agriculteurs sur les territoires n’ont jamais été́ acquis. La diversité́ des agricultures n’est pas une construction ex-nihilo. Les agricultures qui font la richesse des territoires ont été́ pensées, voulues et portées professionnellement par toute une génération. Ainsi, les réalités agricoles d’aujourd’hui sont avant tout des constructions et le fruit des combats politiques d’hier. C’est parce qu’elle est actuellement confrontée à de nouvelles tensions liées au partage des bénéfices entre générations et à une nouvelle étape de transmission qu’il apparait nécessaire de rappeler que l’agriculture en famille ne va pas de soi et que si nous voulons la préserver, il convient, en premier lieu, de se doter des outils pour la comprendre.
Si le développement de nouvelles formes d’agriculture recompose le paysage socio-économique agricole, il ne bouleverse pas fortement l’ordre juridique.
Point de vue du juriste : une recomposition socio-économique sans révolution juridique en matière d’organisation de l’entreprise
Vu les changements socio-économiques à peine énoncés, on aurait pu penser à une intervention profonde du législateur dans le domaine sociétaire et plus généralement dans celui de l’organisation de l’entreprise. Or, elle n’a pas eu lieu. Certes, il y a eu des réformes, mais fondamentalement, le droit de l’exploitation agricole a peu été affecté. A l’analyse, c’est avant tout la pratique du droit qui se transforme, notamment au regard des éventuels montages sociétaires susmentionnés mêlant sociétés agricoles et sociétés commerciales nécessaires pour organiser les nouvelles formes d’exploitation agricole. Ces sociétés peuvent être liées par des prises de participations croisées et/ou par la participation d’une société mère (holding) dans les sociétés principales (production, transformation, distribution), et par des contrats organisant des exclusivités entre partenaires (fourniture de produits et services, type contrats d’intégration).
Toutefois, un certain nombre d’évolutions visant à maintenir l’unité de l’exploitation et/ou à tenir compte du développement croissant des sociétés en agriculture, peuvent être soulignés. Ils ont tous un effet direct ou indirect sur la transmission des exploitations agricoles.
Pour répondre au premier objectif, ont été institués le fonds agricole et bail cessible (Loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole), sur le modèle du droit commercial. Le premier permet de créer une unité patrimoniale qui peut être transmise globalement, mais qui a le défaut de ne pas comprendre les immeubles (terre et bâtiments) (art. L311-3 c. rur.). Le second admet la cession hors cadre familial sous réserve de modalités restrictives (arts. L418-1 et suivants c. rur.) : le fermier peut sortir du bail et faire entrer un nouveau preneur moyennant finance (pas-de-porte licites) ; en contrepartie, le bailleur pourra plus facilement évincer le locataire en place. Le bail rural, qui concerne plus des 2/3 des terres agricoles (Agreste, 2018), devient ainsi potentiellement un instrument de transmission même entre tiers alors que seule la « cession » de bail dans le cadre familial était envisageable auparavant (art. L411-35 c. rur., conjoint, descendants majeurs ou émancipés). En pratique cependant, ces deux instruments d’essence plus entrepreneuriale sont encore peu utilisés [7].
Le maintien de l’unité de l’exploitation peut aussi passer par la création de groupements fonciers agricoles ou de groupements fonciers ruraux (GFA) (arts. L322-1 et suivants c. rur.). Dans le cadre d’une succession, ils constituent d’excellents outils permettant d’éviter le morcellement des exploitations, en transformant l’indivision successorale, rigide par nature, en contrat de société ; ce qui autorisera la cession progressive des parts si certains associés veulent se retirer tout en bénéficiant d’avantages fiscaux. D’autres part, alors que les GFA sont normalement formés entre personnes physiques, certains investisseurs peuvent prendre part au capital sous certaines conditions et pour une durée limitée mais conséquente : les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), les sociétés civiles autorisées à procéder à une offre au public de titres financiers, les entreprises d'assurances et de capitalisation, les coopératives agricoles et les sociétés d'intérêt collectif agricole (art. L322-2 et 3 c. rur.). Toutefois, le GFA doit essentiellement être composé de personnes physiques, qui conservent des droits de préférence pour l’acquisition de parts sociales (art. L322-1, 4 et 5 c. rur.) et les personnes morales ne peuvent y exercer aucune fonction de gestion, d'administration ou de direction (art. L322-3 c. rur.). La nature et la fonction des investisseurs dans les GFA sont donc limitées.
Si l’augmentation du phénomène sociétaire n’a pas donné lieu à une réforme du droit des sociétés agricoles, elle a conduit le législateur français à vouloir le contrôler, notamment en raison de la croissance d’investissements étrangers en agriculture (14,4 % du montant des acquisitions observées entre 2016 et 2018 selon Rép. min. n° 25028 : JOAN 28 janv. 2020). A cette fin, il a autorisé les SAFER à intervenir en cas de cession de la totalité des parts sociales de sociétés (art. L143-1 c. rur. depuis la loi n° 2017-348 du 20 mars 2017 sur la lutte contre l’accaparement des terres) et à acquérir des actions ou parts de sociétés agricoles, par exemple la totalité ou une partie des parts de GFA (art. L143-3 c. rur.). La SAFER est ainsi devenu un opérateur quasi systématique en cas de transmission à titre onéreux de sociétés ayant pour objet principal l'exploitation ou la propriété agricole (Besson et al., 2017) et il ne peut plus être question de transmission agricole sans les évoquer. Toutefois, les cessions partielles de parts échappent encore au droit de préemption (Conseil constitutionnel, 16 mars 2017), ce qui laisse une marge d’action pour des investisseurs privés qui veulent rester discrets ; mais cela pourrait ne pas durer.
Conclusion
Ces regards croisés portés sur l’évolution de l’exploitation familiale en France conduisent à mettre en évidence une situation paradoxale en apparence, à savoir que plus le nombre des exploitations diminue plus ces mêmes exploitations sont diverses dans leurs tailles, leurs contours, leurs spécialisations, leurs revenus et leurs intérêts.
Les lois de modernisation de 1960-1962 et la première politique agricole commune ont permis, en moins de deux décennies, le passage des fermes familiales, aux allures patriarcales, centrées en premier lieu sur la subsistance du groupe domestique et la consolidation patrimoniale, aux exploitations spécialisées à deux UTH - en l’espèce le couple -, ouverte vers l’approvisionnement de l’industrie agro-alimentaire et les marchés.
Ce passage, réussi si l’on prend en considération les objectifs qui avaient été fixés, a donc inéluctablement construit un nouveau paysage agricole au sein duquel sont posées en des termes neufs les questions formulées par le législateur au début de la Cinquième République : quelles missions et quels objectifs fixer à ce secteur économique ? quels modèles de production adopter ? comment assurer la pérennité de ce groupe professionnel et la transmission de l’outil de travail ?
S’agissant des missions imparties à l’agriculture, le traumatisme vécu autour des grandes crises sanitaires et environnementales de la dernière décennie du vingtième siècle et le constat partagé des crises d’origine climatique, d’une part, comme la demande avérée des grands marchés des commodités, d’autre part, permettent de construire une orientation « marchande et ménagère » pour le secteur (Pisani et al., 1994 ; Groupe de Bruges, 1996). La mise en œuvre de ce choix présente, certes, des difficultés mais on peut admettre que son bien-fondé s’est imposé.
En revanche s’agissant du modèle d’exploitation et de la transmission de celles-ci le législateur se trouve en face d’une situation radicalement autre. En effet l’exploitation familiale reste dominante, cela a été ici réaffirmé, mais elle n’est plus la matrice juridique, économique et culturelle d’un modèle partagé. Son poids économique et financier accumulé au cours d’une carrière professionnelle rend sa transmission difficile et même impossible dans certains cas, d’où des démantèlements ou des montages juridiques permettant soit de sauvegarder l’apparence d’une exploitation familiale, soit à l’inverse de la dissoudre dans un ensemble plus vaste et complexe, rendant cette réalité insaisissable. On voit là que les injonctions réitérées au fil des décennies à garder des agriculteurs nombreux sur l’ensemble du territoire à la tête d’exploitations à « taille humaine » et « à responsabilité personnelle » n’ont pas résisté aux logiques économiques d’agrandissement rendues possibles, malgré de nombreux garde-fous, grâce à une imagination juridique collective féconde.
Ainsi apparaît-il que si le législateur est parvenu à formuler, au regard des nouvelles attentes exprimées dans le corps social, un projet pour l’agriculture, qualifié de projet agro-écologique dans « la Loi d’Avenir » de 2014 [8], le même législateur reste démuni pour construire aujourd’hui une politique dite des structures, pour reprendre les termes des années soixante (Hervieu et Purseigle, 2020). Nous sommes bien en face de la désarticulation d’un modèle sinon unique au moins dominant obligeant à considérer que, désormais, les modèles agricoles étant pluriels, les modalités d’intervention de la puissance publique ne pourront plus être uniformes.
Notes
[1] Par exemple : Petit Paysan (Hubert Charuel, 2017) ; Sans adieu (Christophe Agou, 2017) ; Au nom de la terre (Édouard Bergeon, 2019) ; Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes (Rodolphe Marconi, 2020)
[2] La PBS est un indicateur en euros de la dimension économique d’une exploitation. Elle représente la valeur des productions végétales et animales potentielles de l’exploitation hors aides. Les petites exploitations sont définies comme celles ayant une PBS supérieure ou égale 5 000 et strictement inférieure à 25 000 € par an, et moyennes et grandes exploitations comme celles dont la PBS est supérieure ou égale à 25 000 € par an.
[3] Les très petites exploitations avec une PBS strictement inférieure à 5000 € ne sont pas prises en compte dans cette étude.
[4] Le projet « AGRIFIRME » est un projet de recherche coordonné par François Purseigle. Le projet a débuté en janvier 2010 et a duré 36 mois. Il portait sur le repérage et la caractérisation des contours de nouvelles formes d’entreprises agricoles, et plus précisément les grandes entreprises agricoles.
[5] Ce patrimoine global brut comprend les biens privés (habitation, placements financiers, etc.) et professionnels (foncier, matériel, bâtiments, cheptel, stocks, etc.), avant déduction des emprunts en cours.
[6] Travaux réalisés dans le cadre du projet ANR Farm_Value. Valeurs calculées pour la période 2015 à 2017 sur un échantillon de 236 individus.
[7] Ce régime fait actuellement l’objet de discussions : Rapport d’information sur le régime juridique des baux ruraux, Terlier J. et Savignat A., 22 juillet 2020.
[8] Loin° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt
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Résumé
Comptant aujourd’hui plus de 700 unités de méthanisation (UM), la filière de la méthanisation se structure en France depuis une dizaine d’années à la faveur du soutien des politiques publiques, en s’appuyant sur une diversité grandissante des modèles économiques de méthanisation. L’article propose une revue de littérature des classifications existantes d’UM en montrant qu’elles s’appuient principalement sur des critères techniques et juridiques. Pour aller au-delà, l’article s’appuie sur 53 entretiens semi-directifs menés auprès d’agriculteurs du Grand-Est, de l’Ile-de-France et de la Nouvelle Aquitaine et 40 entretiens conduits auprès d’acteurs institutionnels. Il présente de nouvelles classifications basées sur les stratégies et les motivations des acteurs, des connaissances plus subjectives et qualitatives, permettant de mieux appréhender l’évolution de la filière. L’article se termine alors sur une discussion sur le devenir des différents modèles d’UM dans le contexte de reconfiguration en cours de la filière.
Mots-clés : Méthanisation agricole, transitions énergétiques, économie, France métropolitaine, modèles d’unité de méthanisation, stratégies d’agriculteurs
Abstract
The multiple forms of biogas production units in France: typologies and future scenarios
With more than 700 biogas production units (BU), the biogas production sector has been structuring in France for the past ten years or so, thanks to the support of public policies, relying on a growing diversity of biogas production models. The article provides a literature review of existing BU classifications, showing that it is mainly based on technical and legal criteria. To go further, the article is based on 53 semi-directive interviews conducted with farmers in the Grand-Est, Ile-de-France and New Aquitaine regions and 40 interviews conducted with institutional stakeholders. It presents new classifications based on the strategies and motivations of the actors, more qualitative and subjective knowledge, allowing a better understanding of the evolution of the sector. The article then ends with a discussion on the future of the various BU models in the context of the current reconfiguration of the sector.