Orienter la prochaine PAC pour engager une réelle transition agroécologique
Extraits d’une contribution des réseaux CIVAM, CUMA et TRAME
Entretien de Christophe PERRAUD*, par François KOCKMANN**
* Agriculteur, à Saint Hilaire de Clisson en Loire-Atlantique, Secrétaire général de la FNCUMA
** Ex-Chambre d’agriculture de Saône et Loire. 284 route du stade 01600 –Reyrieux France. francois.kockmann@wanadoo.fr
Les réseaux CIVAM, CUMA et TRAME, qui structurent en France l’agriculture de groupe, interpellent l’Etat et les Régions pour que la prochaine PAC puisse pleinement prendre en compte les dynamiques collectives, dans ses orientations, sa construction et son cadre de mesures, afin d’engager une réelle transition agroécologique : une contribution particulièrement intéressante pour l’agronomie. Le présent article insère certaines des propositions, objets de plusieurs encadrés et recueille le témoignage de Christophe Perraud, agriculteur, secrétaire général de la FNCUMA, particulièrement impliqué dans la réflexion collective, animée notamment par Pierre-François Vaquié, délégué général de la structure.
Au préalable, quelques points de repère sur la PAC
Dans son architecture actuelle, elle comprend deux piliers. Le premier attribue des aides directes versées aux agriculteurs sous réserve du respect des exigences de la conditionnalité relatives à l’environnement et à la santé ; les aides se déclinent en cinq types : (i) le droit au paiement de base attribué à l’ hectare , (ii) le paiement vert lié à la diversité des assolements, au maintien des prairies permanentes et aux surfaces d’intérêt écologique, (iii) le paiement redistributif pour les 52 premiers hectares, (iv) les aides spécifiques aux jeunes agriculteurs, (v) les aides à certaines productions végétales et animales. Le poids relatif de chacune de ces aides est en 2019 respectivement de 44 %, 30%, 10%, 1% et 13% par rapport au total, soit 7,4 milliards en France (Chambres d’agricultures des Pays de Loire, 2018). Le second pilier est confié aux régions qui bâtissent chacune leur Plan de Développement Rural Régional (PDRR) en précisant les mesures, les bénéficiaires, les conditions et les moyens. Les mesures se classent en quatre catégories : (i) communes, encadrées par le national : Indemnité Compensatoire de Handicap Naturel en zones défavorisées ainsi que gestion des risques ; (ii) obligatoirement retenues mais ajustées régionalement : Aides aux Jeunes Agriculteurs, Mesures Agro Environnementales Climatiques , aides à l’Agriculture Biologique ; (iii) mises en place par les Régions avec différents co-financements (Etat, Agences de l’Eau , autres) : Plan de Compétitivité et d’Adaptation des Exploitations agricoles ; (iv) mesures régionales spécifiques. Le montant global assigné au second pilier est estimé à 15,5 milliards pour la période 2014-2020 (Chambres d’Agricultures,2014).
Une évaluation qualitative globale de la PAC en longue durée conduit à réviser les objectifs.
FK : La contribution CIVAM-CUMA-TRAME identifie les enjeux multiples de l’agriculture et pose la nécessité de fixer de nouveaux objectifs à la PAC. Vous avez en premier lieu, au sein de votre collectif, procédé à une évaluation qualitative de la PAC en longue durée. Quels en sont les grands traits ?
C. Perraud : Une inertie à répondre aux évolutions des besoins : si la PAC a relevé avec efficacité le défi initial de l’autonomie alimentaire, elle a réagi trop tardivement pour maîtriser les productions et intégrer les règles du commerce international, deux enjeux des années 90 ; depuis, l’élargissement à un nombre de pays nouveaux aggrave l’inertie face aux évolutions ! Reconnaissons aussi que la profession agricole se caractérise par un certain conservatisme, un trait culturel lié à mon sens, entre autres au rapport à la nature dans l’exercice du métier d’agriculteur : le monde du vivant évolue lentement.
Les orientations de la PAC sont fondées sur la macro-économie, à l’image du découplage des aides dans les années 90 alors que l’agriculture est liée au vivant : la simplification des systèmes, faisant un usage important des phytosanitaires, a contribué à la régression de la biodiversité. Aujourd’hui, les aides à l’hectare, encore partiellement basées sur l’historique des aides perçues, génère des inégalités, avec création de rentes de situation. Certaines mesures ont incité à une gestion « patrimoniale » de l’agriculture, impactante sur le foncier et peu favorable à l’évolution des exigences techniques ; ainsi, à titre d’exemple, en élevage allaitant dans le Massif Central, qui nécessite au demeurant d’être soutenu, l’attribution des primes à la vache, en amont des résultats, a contribué à l’agrandissement inconsidéré des exploitations et à figer les modes de production au lieu de les repenser en recherchant notamment la valorisation du système herbager, la réduction des coûts (concentrés, équipements, bâtiments) et une meilleure autonomie en paille et céréales. Les aides ont en définitive conforté le modèle de la vente en broutards, souvent exportés, laissant ainsi partir une partie de la valeur ajoutée au lieu de soutenir l’engraissement des animaux.
La PAC a été très efficace pour accroître la taille des exploitations et créer des filières performantes, à l’image de la filière du lait : le coût du ramassage actuel avec quelques grandes exploitations est extrêmement réduit par rapport au coût de la collecte d’autrefois auprès d’un réseau de petites fermes ; la gouvernance a gagné en réactivité et la filière en capacités d’adaptation à tout changement de contexte. Toutefois, nous touchons à un autre effet pervers de la PAC : la géographie des productions agricoles très concentrées, une évolution lourde de conséquences en agronomie, avec en particulier une disparition de l’élevage dans certaines régions, évolution qui complique la réduction des intrants et à l’inverse, dans les régions d’élevage, une concentration des effluents.
La PAC récente a suscité puis conforté la réévaluation des aides jusqu’aux 52 premiers hectares : c’est une bonne intention mais il aurait fallu aller plus loin, sujet certes difficile à arbitrer. Toutefois l’exclusion des exploitations de petite taille, sur des cultures spécialisées et/ou sur des systèmes innovants, certes parfois plus risqués mais intéressants au regard des enjeux actuels, est très regrettable. Toutes ces exploitations en dehors des standards (maraîchage, arboriculture, viticulture, petits élevages) méritent un accompagnement, surtout que le nombre d’agriculteurs baisse et que la relève n’est pas assurée ! Ces différents constats invitent à raisonner les aides à l’Actif , en prenant en compte les exploitants ainsi que les salariés (en limitant à un salarié par structure pour favoriser l‘installation plutôt que l’agrandissement des exploitations) ; la structure des aides du premier pilier mérite d’être questionnée : leur plafonnement, leurs modalités d’attribution ; ces sujets, évoqués, balayés d’un revers de main par certaines instances, restent à notre sens, comme pour les Jeunes Agriculteurs, indispensables à aborder lors de la prochaine programmation à défaut de celle à venir. Toujours est-il que la gravité des enjeux et l’urgence à leur donner une réponse pertinente nous a conduit à redéfinir des objectifs prioritaires, explicités dans l’Encadré n°1.
Encadré 1 : De nouveaux objectifs prioritaires
Le monde agricole et rural aujourd’hui et dans les années à venir est face à plusieurs enjeux : dérèglement climatique ; pollution des sols, de l’eau et de l’air ; érosion de la biodiversité ; perte de qualité des productions alimentaires ; inégalités d’accès à l’alimentation ; désertification du monde rural ; concentration des exploitations agricoles au détriment de l’emploi ; inégale répartition de la valeur dans les filières. Dans ce contexte, il s’agit donc, pour le monde agricole et pour les politiques publiques qui le soutiennent, de se fixer de nouveaux objectifs prioritaires :
- contribuer à la souveraineté alimentaire en s’assurant de l’accès à l’alimentation pour tous, en veillant à une meilleure répartition de la valeur dans les filières et ce grâce au développement des filières territoriales ;
- renouveler les modes de production afin de préserver les grands équilibres écologiques en développant une agriculture dont les mécanismes reposent sur le fonctionnement des agroécosystèmes. Ces modes de productions devront en particulier s’adapter au changement climatique, tout en freinant son dérèglement ;
- être partie intégrante du système de santé publique en produisant une alimentation saine et de qualité
Afin d’atteindre les objectifs, les réseaux CIVAM, TRAME et CUMA finalisent leurs propositions sur la valorisation de la biodiversité, moteur de la transition agroécologique, avec un double ancrage : l’échelon du territoire et la force du collectif
FK : Pouvez-vous préciser votre conception du “territoire”, notion qui recouvre une forte variabilité ?
C. Perraud : Nous retenons une délimitation du territoire comme un espace à taille humaine permettant l’échange et la coopération entre agriculteurs et autres acteurs. L’expérience de l’accompagnement collectif et de l’agriculture de groupe le place à une échelle infra-départementale, de l’ordre du « pays » au sens de la Loi Voynet, qui en délimite 368 (Association Nationale des Pôles d’équilibre territoriaux et ruraux et des Pays) ; c’est à cette échelle relativement homogène par rapport aux conditions pédoclimatiques ainsi qu’ à l’environnement social que nous sommes en capacités de prendre en considération les atouts et les contraintes locales pour agir ; c’est déterminant pour développer l’agroécologie , qui vise précisément à mieux tirer profit des atouts de base d’un bon fonctionnement de l’agrosystème, en associant les différents acteurs du territoire. Au demeurant, j’ai constaté avec satisfaction que des organisations environnementales partageaient notre analyse.
FK : La vulgarisation puis le développement agricole ont reposé sur un maillage territorial très dense de différents groupes , vecteurs très importants dans la dynamique de découverte et de partage des connaissances (Evrard et Vedel, 2003) ; les connaissances scientifiques et techniques font l’objet d’un processus d’appropriation dans les réseaux locaux : compréhension, réinterprétation, mise à l’épreuve, ajustements (Darré,1986) ; les réseaux de dialogue entre pairs sont déterminants dans les changements de pratiques en agriculture, indispensables au regard des enjeux environnementaux (Compagnone, 2019). A l’heure de la transition agroécologique (Compagnone et al., 2018), vous mettez en avant la force du collectif pour relever les défis posés ; pouvez-vous argumenter ?
C. Perraud : C’est un fait d’expérience, le groupe a fait ses preuves en agriculture ; les groupes ont été déterminants dans les réussites passées ; un groupe qui a l’habitude de coopérer et de réfléchir ensemble génère de la confiance pour faciliter ensuite la prise de décision individuelle ; c’est un « sacré plus » que de pouvoir ainsi confronter les points de vue, les enrichir puis être capable, chacun, de prendre des décisions sur des bases solides. Je ne comprends pas pourquoi cette dimension n’est pas davantage mise en avant dans les propositions des réseaux de conseil comme l’APCA !
FK : Au sujet de la création d’un éco-régime éco-schème destiné à valoriser les pratiques environnementales mises en œuvre dans les exploitations, dans le premier pilier, vous suggérez une bonification pour les adhérents de groupe ?
C. Perraud : La liste de pratiques potentielles est large, bon nombre concerne l’agronomie telles que l’agriculture biologique, la gestion des pesticides, l’agroécologie, l’agroforesterie, l’agriculture carbonée, les ressources en eau et autres. Chaque Etat Membre précisera les modalités de mise en œuvre : or, un collectif d’agriculteurs déjà constitué et engagé dans la transition écologique tel que dans certains GIEE devrait être soutenu. Un tel groupe offre en effet des garanties par son potentiel d’innovations et d’expérimentations puis de démultiplication pour faire évoluer les pratiques vertueuses par rapport à l’environnement sur un territoire. Par ailleurs il est important d’envoyer des signaux tangibles pour encourager la démarche GIEE. Elle a certes démarré lentement mais a connu un bon développement en 2020 ; ce serait reconnaître aussi le rôle des agriculteurs pionniers et leur prise de risques pour explorer de nouvelles voies. A l’opposé en banalisant des pratiques éligibles dans l’éco-schème, des systèmes très simplifiés tels que Colza-Blé-Orge seront confortés sans avoir rien changé sur le fond ! L’enjeu est bien d’inciter les agriculteurs à changer progressivement leurs pratiques dans le sillage des pionniers, en rejoignant les dynamiques locales pour rendre les changements plus aisés.
La contribution préconise de renforcer le second pilier en agissant sur trois leviers finalisés sur la transition agroécologique
FK : Vous retenez comme premier levier d’action les Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (MAEC) Systèmes, qui ont été intégrées dans une analyse globale publiée par France Stratégie (Document de travail n° 2020-13). Vous avez aussi réalisé en amont un bilan dans la mise à l’épreuve de ces mesures entre 2015 et 2020. Pouvez-vous retracer ce bilan ?
C. Perraud : En négatif, (i) une gestion très administrative au fil de la construction, pour arriver à environ 10 000 mesures, certaines peu utilisées voire jamais ! Donc improductif et insupportable ; (ii) un dispositif parfois réservé à certaines zones (notamment secteurs naturels défavorisés et/ou à forts enjeux environnementaux) et soutenu avec de grands écarts de priorisation entre les Régions, donc créateur de distorsions. Or, l’accompagnement de la transition agroécologique doit être ouvert à tous les territoires. En positif, (i) alors que les MAEC unitaires correspondent à des engagements ciblés et limités, l’intérêt des MAEC Systèmes est justement la prise en considération de l’exploitation dans sa globalité ; (ii) le réseau CIVAM (Observatoire des systèmes herbagers) a montré que l’efficacité économique des MAEC Systèmes est au rendez -vous ; (iii) là où le dispositif a été mobilisé, il a été impactant ; en Bretagne, en synergie avec le Conseil Régional, la MAEC Système Polyculture Elevage a été soutenue sur tout le territoire, la contractualisation a été conséquente, 167000 ha soit 10% de la SAU bretonne (DRAF-Conseil Régional,2015).
C’est ce bilan qui nous a conduit à formaliser un cadrage national, objet de l’encadré n°2, visant à rendre les MAEC Système accessibles à tous les territoires pour toutes les exploitations qui s’engagent sur la voie de la transition agroécologique, avec de profonds changements de pratiques, en confortant le second pilier. Nous avons conscience de l’impérieuse nécessité de simplifier le dispositif, en particulier les modalités d’accès aux mesures ; c’est une préoccupation partagée par l’APCA qui propose des aides forfaitaires ; il est clair qu’il ne faut pas reproduire cette mécanique administrative et réglementaire infernale ! Toutefois nous estimons qu’il est primordial d’orienter les MAEC pour soutenir l’évolution globale des systèmes d’exploitation et donc accompagner les engagements dans la durée, 5 à 7 ans ; par analogie à la conversion en Agriculture Biologique, ce pas de temps est nécessaire pour réussir une transition.
Encadré 2 : Des Mesures Agro Environnementales et Climatiques s’appliquant à l’ensemble du système de production, objet d’un cadrage national en quatre points
a. Une architecture de cahiers des charges autour de principes d’actions structurants pour accompagner la transition agroécologique qui mixe objectifs de résultats et repères pour y parvenir autour de grands enjeux agroécologiques (santé publique, qualité de l’air, climat, biodiversité cultivée, …), comme par exemple : réduction de l’usage des pesticides ; augmentation de la diversité cultivée, allongement des rotations ; pas d’utilisation de substances actives préoccupantes ; culture de légumineuses, y compris en mélange ; alimentation des ruminants à base de prairies ; socle minimum d’infrastructures agroécologiques ; couplage cultures / élevages et lien au sol … Ces enjeux étant globaux, ils ne justifient pas de ciblage territorial
b. Une définition de ces principes d’actions pour une application dans le cadre d’un projet global d’exploitation (100 % de la SAU, 100 % des ateliers ...).
c. des mesures contractualisées avec les agriculteurs sur plusieurs années (5 à 7 ans), avec une progressivité des exigences pour faciliter les transitions. Il s’agit d’avoir des critères d’entrée suffisamment ouverts pour permettre au plus grand nombre de s’engager mais de proposer ensuite des niveaux de progression des cahiers des charges ambitieux tout au long de la contractualisation pour permettre une réelle transformation des systèmes et éviter les retours en arrière.
d. Une boite à outil de cahiers des charges suffisamment grande pour : (i) répondre à l’intégralité des situations (élevage, céréales, viticulture, arboriculture, maraîchage, systèmes mixtes …) ; (ii) proposer une progressivité cohérente entre l’ambition agroécologique et la rémunération du contrat (plus le nombre d’espèces cultivées est important, plus la rémunération est grande ; plus la réduction des pesticides est importante, plus la rémunération est grande, etc.).
FK : Un second levier concerne des aides à l’investissement pour des outils de production mieux adaptés à l’agroécologie. Nous pouvons imaginer que lesdites propositions résultent d’une analyse critique des soutiens accordés par le Plan pour la Compétitivité et l’Adaptation des Exploitations Agricoles (PCAE) au cours de la période 2014-2020 ?
C. Perraud : En préalable, nous estimons que l’investissement collectif réduit non seulement les charges mais facilite aussi l’organisation du travail et crée les conditions de partage sur les systèmes, pour avancer ensemble, être dans le développement de fait.
Le PCAE a soutenu de multiples investissements sans privilégier le collectif ; sachant que je mets de côté la question des bâtiments, objets d’investissement nécessairement individuels tout comme certains équipements tels que pour le stockage et la transformation des céréales afin d’accroître l’autonomie alimentaire, ce fût le cas lors de notre conversion en AB. Il reste que pour les matériels, le fait de soutenir indifféremment les achats en individuel comme en collectif fait que les ressources publiques, conséquentes, sont mal valorisées. En plus, une Politique Publique peut ainsi contribuer à inciter à des investissements déraisonnés dans les exploitations qui peuvent se retrouver en difficultés, comme c’est le cas pour des investissements parfois démesurés en bâtiments au motif de rechercher à optimiser les aides alors qu’il faut encourager vers l’évolution de systèmes plus économes.
C’est pourquoi nous avons identifié les types d’investissement indispensables pour entreprendre avec succès la transition agroécologique, recensés dans l’encadré n°3. Sans l’acquisition de ces matériels innovants, tels que les semoirs multi-espèces par exemple, impossible de changer les pratiques sur les cultures : c’est vraiment déterminant. Et au regard de l’évolution effarante du coût des matériels, de l’ordre de 5 à 6 % par an au cours des dix dernières années, il est impératif de réaliser ces investissements en collectif !
Encadré 3 : Des aides à l’investissement réservées aux collectifs d’agriculteurs
Ces aides sont fléchées exclusivement vers du matériel remplissant les critères suivants :
- Des outils qui permettent de développer des pratiques relevant de l’agroécologie, qui facilitent la transition et qui ont un impact faible sur le climat ;
- Des outils qui réduisent la pénibilité et facilitent le travail des agriculteurs sans mettre à mal leur autonomie vis-à-vis de leur outil de production.
- Des outils qui permettent des collaborations à l’échelle du territoire dans un esprit de sobriété (avec du matériel au dimensionnement proportionné aux usages agro écologiques et avec la possibilité d’y inclure le matériel d’occasion ou auto construit) ;
- Des outils non seulement ciblés sur le fonctionnement des systèmes de production mais qui soient aussi au service du système alimentaire du territoire (outils de transformation, de commercialisation, de distribution…).
FK : Le troisième levier retenu concerne la prise en compte du financement de l’animation des collectifs sur les territoires mais aussi la reconnaissance du droit et du temps passé à l’expérimentation par les agriculteurs. Pouvez-vous argumenter cette requête au regard de votre expérience ?
C. Perraud : Nous estimons qu’un agriculteur, dès lors qu’il est engagé dans une dynamique de changements, doit être à l’abri des possibles échecs survenant une année donnée et être exonéré des sanctions pour non-respect des règles ! Sinon comment tester, s’impliquer, concevoir des solutions adaptées au contexte local, partager son expérience et ses résultats ?! Au-delà de la reconnaissance de la nécessaire prise de risque, c’est aussi la prise en considération du temps passé qui est primordiale, car pour changer des pratiques voire un système, il faut accepter de prendre le temps de réfléchir aux alternatives, en envisageant de consacrer parfois plus de temps à observer les cultures, à mesurer des indicateurs. Ignorer cette exigence relative au temps, c’est démotivant.
Et pour la transition agroécologique, la recherche de solutions aux enjeux du territoire, c’est bien au niveau local que cela se joue ! C’est important de bénéficier du regard plus global du conseiller mais indispensable aussi de tester localement. Au demeurant j’observe une évolution dans l’attitude des conseillers, aujourd’hui plus attentifs à la diversité des contextes locaux et à la prise en compte des savoir-faire des praticiens que nous sommes, nous, agriculteurs.
Une agrégation des trois leviers dans un Contrat d’Engagement collectif vers l’agroécologie
FK : Pouvez-vous expliciter cette proposition phare ?
C. Perraud : L’idée du Contrat d’Engagement collectif vers l’agroécologie est d’agréger en recherchant une vision globale et cohérente, les dispositions et mesures pour réussir la transition agroécologique, grâce au groupe, avec du contenu dans les changements (pratiques et systèmes) et des moyens d’accompagnement en agroéquipements et en animation-expérimentation-conseils.
La notion centrale de contrat renvoie au territoire, caractérisé par ses enjeux et notamment la préservation des « biens publics » ; le territoire doit faire l’objet d’un engagement commun entre tous les acteurs, que ce soient les communes, les entreprises et les citoyens. La création de filières locales, les systèmes alimentaires sont du ressort de la responsabilité collective et non des seuls agriculteurs ; le contrat est riche de sens, en décloisonnant de façon explicite l’agriculture. Toutefois nous sommes conscients que la démarche ne peut mobiliser tous les agriculteurs mais l’idée est de créer des conditions pour un soutien à la fraction d’agriculteurs déjà engagés ou prêts à s’engager pour susciter une dynamique vers la transition agroécologique. Dans notre stratégie, nous misons aussi sur le soutien des Conseils Régionaux : les projets de territoire sont au cœur de leurs missions ; ils nous réservent une bonne écoute mais la complexité de la mise en œuvre ainsi que le rapprochement à des expériences antérieures aux résultats mitigés tels que les Contrats Territoriaux d’Exploitation peuvent freiner leur soutien : à voir donc…
FK : M. DURU (INRAe) invite à changer de paradigme pour relever les défis à venir, en introduisant le concept de « Santé globale ». Quelle est votre analyse ?
C. Perraud : L’énoncé initial du Contrat comprenait explicitement le mot « alimentaire » ; pour une question de lisibilité, nous avons simplifié le sigle dans notre version remise le 9/02/2021, objet du résumé figurant dans l’encadré n°4. Toutefois sur le fond dans notre réflexion collective, nous avons pris acte des travaux de prospective « Afterres 2050 » conduits par SOLAGRO, invitant à réduire la consommation en viande ; même si c’est difficile et perturbant pour les éleveurs concernés, l’alimentation est une question de plus en plus abordée et partagée. Nous avons conscience que la transition ne peut faire l’économie d’une évolution de nos systèmes alimentaires, avec la limitation des gaspillages d’aliments déjà, la relocalisation de filières territorialisées mais aussi l’accessibilité d’une alimentation de qualité à tous les publics, en particulier les citoyens les plus en difficultés, ce dernier point conditionnant la santé.
Encadré 4 : Contrats d’Engagement collectif vers l’agroécologie
Les réseaux TRAME, Cuma et CIVAM proposent de mobiliser plusieurs mesures du deuxième pilier pour soutenir la transition agricole et alimentaire au sein de Contrats d’Engagement collectif vers l’agroécologie. Ces Contrats reposent sur quatre principes :
- Les agriculteurs d’un même territoire peuvent s’engager collectivement pour faire évoluer leurs systèmes vers l’agroécologie ;
- Cet engagement permet au collectif d’agriculteurs de bénéficier d’aides à l’investissement bonifiées, et /ou d’un crédit « Accompagnement du projet collectif » revalorisé ;
- Ces deux mesures peuvent être activées simultanément ou séparément ;
- L’engagement collectif se formalise par la signature d’un contrat entre l'agriculteur adhérent du collectif, le collectif en question, la ou les structures qui porte l’investissement ou accompagne le collectif dans sa transition, et les pouvoirs publics.
En perspective, une orientation de la PAC vers l’évaluation des résultats.
FK : Dans les négociations en cours sur la nouvelle PAC, un enjeu majeur consiste à favoriser l’adoption de pratiques agronomiques adaptées au contexte local et pilotées par leurs impacts réels (« résultats ») et non uniquement par leur nature (« moyens »). Quelle est votre position sur une telle évolution ?
Ch. Perraud : Sur le fond, cela semble logique de prendre en considération les résultats ; toute la difficulté, c’est comment on les mesure ? Au Ministère, lors de la présentation initiale, la visée était clairement de simplifier avec des contrôles par satellites, mais non sans difficultés. Un risque dans cette démarche est de simplifier en limitant le nombre de pratiques éligibles alors qu’avec l’agroécologie nous recherchons à valoriser la diversité, ce serait un contre-sens ! Il est probable qu’à l’avenir, les systèmes automatisés feront partie intégrante des modalités de contrôle ; d’ici là, sûrement une évaluation mixte entre « moyens et résultats » car la complexité de l’évaluation des pratiques par leurs impacts fait qu’il est exclu de juger de façon binaire !
Une autre voie me paraît très intéressante, déjà mise à l’épreuve aux Pays Bas : ce sont des « Coopératives de Territoire » qui intègrent les agriculteurs mais aussi les autres acteurs ainsi que les citoyens présents sur le territoire ; bénéficiant d’une délégation de gestion des aides de la PAC, la Coopérative de Territoire évalue les pratiques pour l’attribution des aides. L’Allemagne qui présidait récemment en a fait acter le principe à la discrétion de chaque Etat pour sa mise en œuvre ; certains députés s’étaient en effet rendus sur le terrain pour découvrir avec satisfaction cette innovation sociétale. Certes en France, le fruit n’est pas mûr lorsqu’on constate les conflits entre Etat et Régions pour la gestion de la PAC !
FK : Un critère de résultat pourrait être l’autonomie protéique en exploitation laitière. Qu’en est-il au niveau de votre GAEC ? Quelles pratiques agronomiques à partager en guise de conclusion ?
C. Perraud : Sur notre exploitation de 180 ha, en GAEC à 4 associés, nous sommes en Agriculture Biologique, conversion achevée voilà deux ans, en élevage laitier : une trajectoire suivie par un quart des exploitations en Loire-Atlantique ! Nous avons à ce jour un troupeau de 90 vaches pour un contrat de 750 000 litres de lait avec « Bio-lait ».
Par rapport à l’autonomie protéique, sujet important en agroécologie, les vaches produisent 8000 litres en moyenne sans aucun achat de protéines à l’extérieur. C’est le résultat d’une dynamique d’innovations prudente mais continue. Ainsi avons-nous introduit modérément au départ, sur 20ha aujourd’hui, la luzerne alors que les terrains ne convenaient pas a priori. Les autres sources de protéines proviennent de prairies temporaires à base de mélanges comprenant une forte proportion de légumineuses (luzerne, trèfle) ; de dérobées à partir de trèfle incarnat. Le PCAE nous a permis de nous équiper en enrubannage en Cuma, pratique qui offre une grande souplesse à la récolte comme à l’utilisation.
Le trèfle incarnat, qui participe à l’autonomie azotée de la rotation, constitue un précédent cultural idéal, au niveau de la structure du sol, que nous avons observée par profils culturaux réalisés au chargeur télescopique, avec un enracinement jusqu’à 70cm après 6 mois d’implantation ! De ce fait, à notre propre surprise, nous ne labourons plus depuis 20 ans ! Alors qu’en schéma traditionnel, le retournement de prairies avec labour pose toujours le problème de sa reprise puis de la création d’un lit de semence satisfaisant. Les semis de prairies se font sous couvert de mélanges céréales et protéagineux, avec l’assurance d’une implantation réussie.
Aujourd’hui, nous avons, autour de l’exploitation, une sole irrigable avec Prairies Temporaires de 3 à 4 ans (mais leur bon état nous conduit à les garder plus longtemps), puis maïs, mélange de céréales et protéagineux ; la luzerne est localisée à la périphérie, l’irrigation est réservée au maïs. Une seconde sole, plus éloignée, avec Prairies Temporaires de longue durée riche en fétuque, puis maïs - mélange céréalier ou directement après la prairie, mélange céréalier durant une ou deux années.
Figure 3 : Observation de profils culturaux en utilisant un chargeur télescopique, lors d'une formation Agronomie à la Cuma Espérance à Saint Hilaire de Clisson
Sources des encadrés
- Note CUMA-CIVAM-TRAME : PAC post 2020, faire le pari de l’agriculture de groupe pour répondre aux enjeux de l’agriculture et des territoires ruraux de demain – 16/12/2020-
- Réseau CIVAM Structure nationale des Centres d’initiatives pour la valorisation de l’agriculture et du milieu rural qui accompagne 140 collectifs, 13 000 paysans et acteurs du monde rural engagés dans la transition des modes de production agricole et alimentaire et dans la promotion des dynamiques territoriales. www.civam.org
- FNCUMA. Réseau fédératif des CUMA de France (Coopératives d'Utilisation de Matériel Agricole) au service de l’agriculteur et de son autonomie, qui développent au-delà de la mécanisation, des projets territoriaux. Plus de 10 000 coopératives de proximité, plus d’1 agriculteur sur 3, et un réseau de 75 fédérations dédiées à l’accompagnement des groupes. www.cuma.fr
- TRAME Tête de Réseaux qui accompagne des collectifs d’agriculteurs et de salariés agricoles vers la triple performance, explore de nouvelles activités et favorise l’échange et informe. 6 Réseaux adhérents et 35 000 personnes www.webtrame.net
Références bibliographiques
Chambres d’agriculture, 2014 – La PAC : tout savoir sur les aides ; volume 2 : les aides du second pilier. N°1037-novembre 2014, 30 pages.
Chambres d’agricultures des Pays de Loire, 2018. Les aides directes de la PAC- Economie et Prospective Note N° 2018-1
CIVAM : Observatoire des systèmes herbagers www.civam.org/agriculture-durable/evaluer-la-durabilite/observatoire-des-systemes-herbagers-dans-le-grand-ouest/
Compagnone, C., Lamine, C., Dupré, L., 2018. La production et la circulation des connaissances en agriculture interrogées par l’agro-écologie. De l’ancien et du nouveau. Revue d’anthropologie des connaissances, Vol.1, N°2, p. 111-138
Compagnone, C., 2019. Sociologie des changements de pratiques en agriculture. L’apport de l’étude des réseaux de dialogues entre pairs. Editions Quae
Couturier, C., Charru, M.,Doublet, S., Pointereau, P., Afterres 2050, scénario 2016. Association Solagro, 93 p., https://afterres2050.solagro.org/a-propos/le-projet-afterres-2050/
Darré, J.P., 1986. Dialogues entre les agriculteurs - Etude comparative dans deux villages français (Bretagne et Lauragais). Cahiers du GERDAL, n°08, pp 4-25.
DRAAF - Conseil Régional de Bretagne, 2015. Les MAEC en Bretagne. Diaporama_paec_cle8d56a2.pdf
Duru, M., Therond, O., 2019. Santé unique, un concept, des principes (2) in Revue Sesame INRA.
Evrard, P., Vedel, G., 2003. Développement agricole : réinventer le modèle à la française, Club Demeter, cahier n°11, 69 pages.
France Stratégie, 2020 : « Améliorer les performances économiques et environnementales de l’agriculture : les coûts et bénéfices de l’agroécologie » par Alice Crémillet et Julien Fosse, document de travail n°2020-13, pp24-29. www.stratégie.gouv.fr
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