Déclinaison régionale du Projet Agro-Ecologique pour la France (PAEF)
(rapport CGAAER n°19077 - octobre 2020)
De Philippe Allimant, Geneviève Jourdier et José Ruiz
Note de lecture de François Kockmann*
*Ex-directeur de la chambre d’agriculture de Saône et Loire, françois.kockmann@wanadoo.fr
La loi NOTRe de 2015 (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) a confié de nouvelles compétences aux régions, en confortant notamment leur rôle dans l’aménagement durable des territoires. Le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a en conséquence sollicité en 2019 le CGAAER pour évaluer la déclinaison régionale du Projet Agroécologique pour la France (PAEF), initié en 2012. Les ingénieurs mandatés pour cette mission, circonscrite à la métropole, ont procédé à des interviews qualitatives des acteurs concernés, envoyé aux DRAAF un questionnaire, valorisé les sources documentaires disponibles et réalisé trois déplacements en Pays de Loire, Bretagne et Centre-Val de Loire, mais annulé, en lien avec les contraintes singulières (grèves, crise sanitaire) les rencontres prévues en Occitanie, Nouvelle-Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes. Outre le contexte et les objectifs ainsi brièvement résumés, le rapport d’expertise comprend trois autres parties, identifiées ci-après en reprenant partiellement le résumé rédigé par les auteurs ; nous insérons un renvoi aux recommandations (R1 à R7) jalonnant leur analyse, retranscrites in extenso et mises en discussion de notre point de vue d’agronome.
Le projet agroécologique pour la France : une ambition transverse, une organisation complexe
En 2012, la France a lancé le PAEF, qui a pour objet de réorienter l’agriculture vers de nouveaux systèmes de production combinant à la fois performances économiques, environnementales et sociales. Le PAEF est un projet ambitieux qui repose sur une définition de l’agroécologie très vaste (cf encadré) mais par là même, très floue. Or, ce flou ne permet pas de savoir facilement ce qui relève ou non de l’agroécologie, ce qui s’avère préjudiciable à son développement (Cf R1).
Le PAEF a donné lieu en 2014 à un plan d’action qui comprend 10 axes, 17 chantiers et près de 80 actions. Ce plan d’action s’appuie également sur 10 plans spécifiques qui ont chacun leur logique et leur existence propres : plans Eco-antibio, Agroforesterie, Ecophyto, Bien-être animal, Semences et plants pour une agriculture durable, Enseigner à produire autrement, Energie méthanisation autonomie azote (EMAA), Ambition bio, Protéines végétales, Apiculture. De ce fait, le PAEF est donc un projet à l’organisation complexe, source de confusion auprès d’un certain nombre d’acteurs, qui en arrivent à ignorer le plan d’action et à confondre le projet agroécologique avec les dix plans nationaux thématiques.
Une déclinaison du projet très variable selon les régions
Le PAEF prévoit explicitement, via le plan d’action, son déploiement régional. Or, il n’y a pas de projet agroécologique en région (PAER) formellement défini dans quelque région que ce soit. Pour autant, même s’ils ont été plus ou moins approfondis selon les régions, de nombreux travaux ont été menés dans les régions en vue d’une transition de l’agriculture vers l’agroécologie.
Encadré relatif à la définition de l’agroécologie retenue dans la loi d’Avenir n°2014-1170
« Les politiques publiques visent à promouvoir et à pérenniser les systèmes de production agroécologique, dont le mode de production biologique, qui combinent performance économique, sociale, notamment à travers un haut niveau de protection sociale, environnementale et sanitaire. Ces systèmes privilégient l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité, en maintenant ou en augmentant la rentabilité économique, en améliorant la valeur ajoutée des productions et en réduisant la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires, en particulier les antibiotiques. Ils sont fondés sur les interactions biologiques et l’utilisation des services écosystémiques et des potentiels offerts par les ressources naturelles, en particulier les ressources en eau, la biodiversité, la photosynthèse, les sols et l’air, en maintenant leur capacité de renouvellement du point de vue qualitatif et quantitatif. Ils contribuent à l’atténuation et à l’adaptation aux effets du changement climatique. L’Etat encourage le recours par les agriculteurs à des pratiques et à des systèmes de cultures innovants dans une démarche agroécologique. A ce titre, il soutient les acteurs professionnels dans le développement des solutions de biocontrôle et veille à ce que les processus d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché de ces produits soient accélérés. L’Etat facilite les interactions entre sciences sociales et sciences agronomiques pour faciliter la production, le transfert et la mutualisation de connaissances, y compris sur les matériels agricoles, nécessaires à la transition vers des modèles agroécologiques, en s’appuyant notamment sur les réseaux associatifs ou coopératifs ».
Une gouvernance régionale limitée et peu coordonnée
Les commissions agroécologie (CAE), telles que mises en place dans une majorité de régions, ont un rôle considérablement réduit par rapport à l’instruction du 16 juin 2016 qui les a créées en étant principalement orientées sur le plan Ecophyto et les groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE) alors qu’elles devaient assurer la gouvernance régionale du projet agroécologique et des dix plans thématiques associés. Elles sont, en outre, peu coordonnées aux multiples commissions existantes, l’ensemble formant une comitologie complexe et peu lisible (Cf R2). La massification des différentes formes de regroupements ou collectifs agroécologiques au plan régional ou local (notamment fermes DEPHY, groupes Ecophyto 30 000, GIEE) reste loin d’être en vue.
Une territorialisation à encourager
Par ailleurs, les conseils régionaux ont des degrés d’implication et d’intervention très variables dans ces démarches collectives d’agriculteurs. Pour favoriser le développement de ces regroupements, la mission propose de prioriser l’accompagnement et le financement des démarches collectives agroécologiques d’agriculteurs (Cf R3). L’agroécologie n’est pas affichée dans les PRDAR comme un enjeu stratégique justifiant une approche systémique et un portage transversal. En outre, le réseau actuel du conseil agricole n’intègre pas assez cette approche (Cf R4).
Une forte hétérogénéité entre régions
Les mesures classiques des programmes de développement rural régionaux (PDRR) s’avèrent encore trop souvent très spécifiques et cloisonnées et ont eu une portée limitée en matière d’agroécologie, hors agriculture biologique (AB). Quant aux feuilles de route régionales Innovation-Recherche-Développement (IRD), leurs formalisations, coopération, réalisations quand elles existent, sont encore récentes et leur impact n’est pas décelable. Enfin, les dix plans qui participent au PAEF sont connus des services régionaux de manière très inégale selon le plan concerné. Certains sont des plans majeurs en région et ont été effectivement déclinés dans toutes les régions. Il s’agit des plans Ecophyto, Enseigner à produire autrement, Ambition bio et Eco-antibio. Les autres ont fait l’objet d’une déclinaison disparate selon les régions.
Pour une accélération de la transition agroécologique dans les territoires
Les services interrogés ont fait part à la mission de leurs points de vue sur la situation de l’agroécologie dans leur territoire et de leurs attentes pour consolider voire relancer cette démarche. De manière générale, les services sont très impliqués dans cette politique qui a pu dans certaines régions faire l'objet de feuilles de routes interservices, à défaut d’une déclinaison du PAEF en région sous forme d’un PAER. Ils constatent une évolution progressive de la profession agricole en faveur de l’agroécologie. Il ressort que la valorisation des produits issus de l’agroécologie par les filières est encore insuffisante, les produits n’étant pas suffisamment identifiés comme issus d’une production agroécologique (Cf R5). En outre, il serait nécessaire de favoriser la valorisation des produits agroécologiques en soutenant la certification environnementale (Cf R6). Par ailleurs, une incitation de fond serait à créer pour donner un réel élan à la diffusion de pratiques plus durables en réorientant les aides et les dispositifs de la PAC vers l’agroécologie (Cf R7). Enfin, les leviers transverses que sont le conseil agricole, les références techniques et résultats économiques, la formation… jouent un rôle primordial.
Discussion et propositions d’un agronome au sujet des sept recommandations
R1.Se doter d’une approche opérationnelle, notamment agronomique, du concept d’agroécologie, permettant facilement de savoir si une pratique agricole au niveau d’un territoire ou d’une filière peut effectivement être qualifiée d’agroécologique.
Le choix retenu en 2014, en donnant une définition très vaste de l’agroécologie se comprend dans la perspective d’impulser et d’accompagner un véritable changement de paradigme en agriculture, toutes productions confondues, pour que les exploitations agricoles orientent leurs pratiques vers l’agroécologie en limitant le recours aux intrants externes. En donnant des points de repères généraux, ce large cadrage visait à susciter l’adhésion des acteurs du développement agricole et à encourager avec pragmatisme une dynamique de projets et d’actions orientés vers l’agroécologie. Plusieurs définitions ont cependant été proposées par des agronomes, qui permettent de faire la distinction entre l’agroécologie comme science, l’agroécologie comme pratique, ou l’agroécologie comme mouvement social[1]. Et lors de son Assemblée générale en 2012, l’Association française d’agronomie (Afa) a débattu sur la thématique « Agroécologie et agronomie », en focalisant sur deux sujets : la gestion durable des sols, en particulier les recherches en microbiologie des sols et la régulation écologique des bioagresseurs ; cette initiative a conduit à poser des jalons pour identifier des axes de coopération et préciser le positionnement de l’agronomie par rapport à l’agroécologie[2]. Au cours des dernières années, de nombreux articles scientifiques et techniques ainsi que des témoignages relatent des travaux et expériences orientés sur la dynamique entre écologie et agronomie et contribuent à répondre à la recommandation d’une approche opérationnelle. Et le réseau des fermes DEPHY est aujourd’hui un très bon exemple, démonstrateur d’une approche agroécologique concrète.
R2. Simplifier la comitologie des différents dispositifs régionaux contribuant au développement agricole et à la mise en œuvre de la transition agroécologique (PRDAR, GIEE, plans dont Ecophyto…), en renforçant la commission agroécologie et en s’appuyant davantage sur la coordination opérationnelle.
La complexification et l’intrication des dispositifs régionaux ainsi décrites dans l’expertise sont au-delà de l’acceptable et du gérable pour les binômes « responsables professionnels et agronomes » des chambres consulaires, concernés au premier chef, sachant que, pour porter une opinion pertinente au niveau régional, la consultation en amont au niveau départemental, voire local, est indispensable. Par ailleurs, la régression numérique des agriculteurs pose avec encore plus d’acuité la question de leur disponibilité pour être partie prenante dans les différentes et multiples structures de pilotage. En conséquence, nous ne pouvons que souscrire à cette recommandation.
R3. Prioriser l'accompagnement et le financement des démarches collectives agroécologiques d'agriculteurs participant à des contrats territoriaux, en particulier à des Projets Alimentaires Territoriaux (PAT).
Dans la perspective de décliner concrètement l’orientation en agroécologie, un outil a été mis en place, le Groupement d’Intérêt Economique et Ecologique, (GIEE), structure souple, bénéficiant d’un accompagnement spécifique (animation, financement). L’idée est de favoriser les changements de pratiques au sens large en misant sur les capacités d’innovation des agriculteurs, réunis collectivement autour de projets qui font sens, localement, projets inscrits dans une dynamique de développement durable. En agronomie, optimiser les processus naturels dans la conduite du « champ cultivé » telle que la régulation écologique des bioagresseurs implique de prendre en considération le paysage environnant et donc des coordinations entre agriculteurs pour raisonner les systèmes de culture et leur distribution spatiale, en intégrant les infrastructures agroécologiques.
Les enjeux liés à la préservation des « biens publics » (ressources en eau, biodiversité) et à l’atténuation du réchauffement climatique s’inscrivent localement dans les territoires ; il en est de même de la contribution de l’agriculture à l’alimentation, objet des PAT. Or, en agronomie, pour répondre à ces différents défis, les réseaux de dialogues professionnels, aux multiples configurations, sont indispensables et pertinents pour hybrider les savoirs technico-scientifiques et les savoirs pratiques ; qui plus est, en régime d’incertitude, les échanges entre pairs rassurent sur les choix à opérer. Le développement agricole devient indissociable du développement territorial : il convient donc de soutenir les démarches collectives d’agriculteurs. Quant au concept de « contrat territorial », riche de sens au niveau social, il était déjà à l’origine des Contrats Territoriaux d’Exploitation initiés en 1999 mais trop rapidement stoppés. Or, pour que des choix stratégiques tels que GIEE ou contrats territoriaux portent leurs fruits, il faut intégrer le sens du temps long et donc garantir une continuité dans leur accompagnement.
R4. Afficher dans le prochain PNDAR un prérequis d'actions transverses et un socle budgétaire minimum ciblés sur la transition agroécologique.
Le PNDAR constituant un temps fort périodique de réflexions pour le développement agricole et rural, la recommandation donnerait assurément cohérence et continuité, confortant ainsi la transition agroécologique. Il apparaît notamment intéressant de soutenir le financement de l’animation et de l’ingénierie relatifs à l’accompagnement des projets, dans la durée. De même conforter les initiatives visant à la formation des conseillers, confrontés à l’accompagnement d’un profond changement de paradigme, en facilitant leurs partages d’expériences au niveau régional est sûrement un investissement pertinent.
R5. Accompagner les filières dans leurs démarches d’adaptation à la transition agroécologique par une réorientation des aides les concernant.
Diversifier les cultures, c’est participer à la transition agroécologique. Un enjeu majeur en grandes cultures pour réduire les intrants est d’introduire des légumineuses et des protéagineux pour enrichir les rotations et diversifier les assolements, sans oublier la gestion des inter-cultures. En système herbager, l’autonomie protéique constitue également un enjeu important. Les pouvoirs publics doivent en conséquence accompagner la création de filières de niche et d’outils de transformation dans les différentes régions ; le plan protéines notamment apparaît déterminant. Rappelons ici l’étude très éclairante relative aux freins et leviers à la diversification des cultures *
* J.M. Meynard, A. Messéan, A. Charlier, F. Charrier, M. Farès, M. Le Bail, M.B. Magrini, 2013. Rapport d'étude, INRA, 226 p. Document disponible sur le site : www.inra.fr.
R6. Favoriser la valorisation des produits agroécologiques en s’assurant que les critères de certification de la HVE sont bien adaptés aux objectifs de l’agroécologie.
De nombreux agriculteurs sont engagés dans des démarches visant à diminuer l’impact de leurs activités sur l’environnement ; il en est ainsi avec la certification Haute Valeur Environnementale, comprenant trois niveaux d’exigences relatifs à quatre thèmes : biodiversité, stratégies phytosanitaires, gestion des engrais, ressources en eau. Le niveau HVE 3, qui vise en particulier une réduction drastique des produits phytosanitaires, implique une rupture avec les systèmes conventionnels. Ce n’est envisageable que si l’agriculteur valorise économiquement les exigences induites par des produits reconnus agroécologiques. La certification HVE 3 pourrait à l’avenir être une voie retenue par une fraction significative d’exploitations, une autre voie restant l’agriculture biologique. Par ailleurs, pour HVE2, il est possible de rechercher une certification de filière, là-aussi intéressante pour la dynamique de l’agroécologie.
R7. Réorienter les aides et les dispositifs de la PAC en faveur de l’agroécologie. Notamment, une bonne articulation entre les éco-schèmes, qui devraient être fondés sur des PSE (paiements pour services environnementaux) et intégrés dans le 1er pilier, et les outils des prochains PDRR (2nd pilier) est à rechercher pour un effet levier.
L’Afa a consacré le dernier numéro AE&S à la thématique « Agronomie et PAC », confirmant ainsi que les agronomes ont conscience qu’on ne peut promouvoir des agroécosystèmes performants, respectueux des enjeux environnementaux sans intégrer la dimension économique : les agriculteurs doivent vivre de leur métier ! Outre la place centrale accordée à la biodiversité, la récente négociation de la PAC a initié une réorientation en évoluant d’une logique d’obligation de moyens pour aller vers une obligation de résultats et d’impacts sur toutes les dimensions de la durabilité. C’est là une orientation qui offre la perspective de mieux valoriser les savoirs expérientiels et les capacités d’adaptation des agriculteurs, au demeurant indispensables pour décliner une agriculture en faveur de l’agroécologie ; ce serait ainsi sortir du processus d’hyperréglementation, réelle impasse, vécu de surcroît dans un climat anxiogène.
Toutefois une telle réorientation de la PAC exige notamment d’impulser de nouveaux travaux de recherche reliant « écologie-agronomie-économie ». Dans l’immédiat, c’est avec beaucoup de pragmatisme qu’il faut intégrer cette dernière recommandation : on en mesurera sa concrétisation par l’analyse du Plan Stratégique National, validé en 2022.
En conclusion, si la synthèse des observations et les recommandations des auteurs de ce rapport montrent toute la difficulté de la déclinaison régionale pour la mise en œuvre d’une transition agroécologique par les agriculteurs, les auteurs soulignent que « l’agroécologie est soutenue par des élus et, récemment de plus en plus par la profession agricole mais que les services régionaux sont en attente d’une impulsion de relance par un portage politique réaffirmé et une synergie renforcée entre les acteurs ». La volonté politique des acteurs à toutes les échelles est essentielle. Au demeurant, le rapport mentionne que, dès 2015, un comité de suivi et d’évaluation du PAEF a été mis en place, sous la présidence de B. Chevassus-au-Louis : le comité a construit un dispositif très structuré d’indicateurs mais « a cessé ses travaux en l’absence de réponse du Cabinet à sa note d’avril 2018 de proposition de recommandations de politiques publiques pour favoriser la transition écologique de l’agriculture française. Le manque de portage politique n’a ainsi pas permis la poursuite de l’impulsion initiale ».
Notes
[1] Cf définition de l’agroécologie dans Le dictionnaire « Les mots de l’agronomie » (https://mots-agronomie.inra.fr/index.php/Agro%C3%A9cologie ) ou celle du Dico Agroécologie (https://dicoagroecologie.fr/encyclopedie/agroecologie/).
Les articles sont publiés sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 2.0)
Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue AES et de son URL, la date de publication.