Les sols, sujet majeur dans l’accompagnement des agriculteurs, dans la transition agroécologique, face au changement climatique
Témoignage des chambres d’agriculture
Cédric BERGER, Xavier GIRARD, Pascal GUILBAULT, Benoît LOUCHARD, Océane RICAU, Virginie RIOU, Joëlle SAUTER
* Auteur correspondant : cedric.berger@loiret.chambagri.fr
Résumé
La gestion des sols est devenue un enjeu majeur dans l’accompagnement des agriculteurs par les Chambres d’agriculture pour favoriser la résilience des systèmes agricoles face aux aléas climatiques. Cela passe d’abord par une meilleure connaissance des sols, et particulièrement le fonctionnement et le rôle du compartiment biologique. Différents exemples de travaux de groupes d’agriculteurs animés par des conseillers de chambres d’agriculture visant la préservation de la biodiversité ou une meilleure gestion de l’eau montrent l’engagement de la profession agricole dans la transition agroécologique.
Introduction
Le réseau des Chambres d'agriculture, acteur majeur du développement agricole, accompagne et conseille les agriculteurs dans leur transition agroécologique. Très concrètement, diverses actions sont mises en œuvre sur le terrain par les agronomes et les pédologues du réseau pour améliorer la connaissance et la prise en considération des sols, déterminants majeurs de la résilience des systèmes de culture et des exploitations agricoles face au changement climatique, mais aussi face à d’autres évènements : l’augmentation du coût des intrants et de l’énergie, le besoin de diversification des cultures (besoins protéiques) et autres exigences environnementales et sociétales. Nous focalisons notre témoignage sur les actions relatives à la gestion des sols, qui contribuent à faire évoluer les pratiques des agriculteurs, en opérant un rappel des différentes sources de connaissances pédologiques des sols, avant de décliner plusieurs projets agronomiques de pleine actualité. L’évolution de la prise en considération des sols au fil du temps en viticulture fait l’objet d’un encadré spécifique, illustrant les incidences du changement climatique.
Connaître et faire connaître les sols, préalable indispensable pour mieux les conserver et les gérer
Joëlle SAUTER, Responsable équipe 'sols et fertilité', Service Multi-performance et Transitions Agricoles, Chambre d’agriculture Grand Est
En partenariat avec INRAE d’Orléans, les pédologues des Chambres d’agriculture sont impliqués dans plusieurs programmes de connaissance des sols (Inventaire, Gestion et Conservation des Sols) et de surveillance à long terme de leur qualité (Réseau de Mesures de la Qualité des Sols). Ces travaux sont indispensables pour assoir la connaissance des sols dans les territoires et pour surveiller l’évolution de leur qualité. Les informations (cartes et données) qui en résultent sont utiles pour orienter les choix des décideurs et des agriculteurs, avec l’éclairage des conseillers.
Le Groupement d’Intérêt Scientifique Sol (GIS Sol)a été créé en 2001 pour constituer et gérer un système d'information sur les sols de France et répondre aux demandes des pouvoirs publics et de la société au niveau local et national (https://www.gissol.fr/). Il pilote avec l’appui de l’unité Info&Sols plusieurs programmes qui permettent d’avoir une bonne connaissance des sols en France :
1 - Le programme Inventaire Gestion et Conservation des Sols (IGCS) est un programme d’inventaire multi-échelle comprenant 3 niveaux :
• Les Référentiels Régionaux Pédologiques (RRP) (Laroche et al., 2014). Les RRP sont des bases de données géographiques régionales. Leur structure permet de manipuler aisément les informations sur les sols avec des logiciels d'analyses cartographiques (SIG) et de les intégrer dans des domaines d’application variés. Leur précision correspond au minimum à celle d’une représentation cartographique à 1/250 000. 96 % du territoire métropolitain est aujourd'hui couvert. Ces données sont aujourd'hui consultables sur le Géoportail sous la forme de la carte des sols dominants.
• Les Connaissances Pédologiques de France (Richer de Forges et al., 2014). Leur objectif est d'établir les lois de répartition des sols sur la base de leurs facteurs de formation : le matériau géologique, la géomorphologie, le climat, la végétation et les actions anthropiques. Le choix des zones d'étude est réalisé en fonction des problématiques scientifiques rencontrées dans les domaines agricoles et environnementaux. La précision des représentations cartographiques va du 1/50 000 au 1/100 000. Environ 20 % du territoire est cartographié à ces échelles.
• Les secteurs de référence (Favrot, 1989) fournissent des références locales. Ces études pédologiques plus détaillées permettent de traiter des questions agricoles ou environnementales avec une meilleure précision à l'échelle locale : irrigation, drainage, aptitudes à l'épandage, adaptation des cépages aux terroirs... L’acquisition de références techniques sur les types de sols représentatifs d’une petite région naturelle permet de formuler des recommandations adaptées. La précision cartographique des secteurs de référence est inférieure au 1/50 000.
L’outil Refersols permet d’identifier les secteurs disposant d’une connaissance sur les sols. https://webapps.gissol.fr/georefersols/
2 - le Réseau de Mesures de la Qualité des Sols (RMQS) (Jolivet, 2006)est unprogramme de surveillance constitué dans un cadre national pour l’observation de l’évolution de la qualité des sols. Le réseau RMQS repose sur le suivi de 2 200 sites répartis uniformément sur le territoire français, selon une maille carrée de 16 km de côté. Des prélèvements d’échantillons de sols, des mesures et des observations sont effectués à périodicité régulière (environ 15 ans) au centre de chaque maille (Jolivet et al., 2018).
3 - Le programme Base de Données des Analyses de Terre (BDAT) regroupe depuis vingt ans les résultats d’analyses d’horizons de surface de sols cultivés, effectuées sur l’ensemble du territoire national, à la demande d’agriculteurs, par des laboratoires agréés par le Ministère en charge de l’agriculture (Saby et al., 2014). A ce jour, la BDAT consigne plus de 23 millions de résultats analytiques provenant de 2 millions d’échantillons récoltés sur la période 1990-2010. Les résultats analytiques sont regroupés par canton d’origine de l’échantillon et des statistiques sont calculées (moyenne, écart-type, médiane, quartiles, déciles…) pour chaque canton et chaque paramètre pédologique. La BDAT constitue une source d’informations importante sur la variabilité des propriétés des horizons de surface des sols cultivés.
4- La Base de Données Eléments Traces Métalliquesest issue de la collecte des analyses faites sur des échantillons de sols prélevés en surface des terrains agricoles devant recevoir des épandages de boues d’épuration. Cette disposition se fait conformément aux prescriptions de la norme AFNOR NF U 44.041, les teneurs en huit éléments traces sont ainsi déterminées (Cd, Cr, Cu, Hg, Ni, Pb, Se, Zn).
5 - Des travaux sont en cours dans le cadre du projet GlobalSoilMap. Celui-ci vise à produire à terme une base de données numérisée harmonisée et mondiale de quelques propriétés des sols. La prédiction de ces propriétés est faite à des profondeurs standard. La représentation se fait sous la forme d’une carte au format Raster, avec pour chaque pixel (90 m) une information sur un paramètre pédologique associée à une incertitude d'estimation de ce même paramètre (Hempel et al., 2013 ; Lagacherie et al., 2006 et 2013).
6 -Typterres : l’ensemble de ces données décrivant les sols de façon très complète reste d’un usage parfois complexe. Il a été depuis les années 2010 complété par des travaux initiés par le RMT Sols et Territoires (https://sols-et-territoires.org/) pour produire à partir des Référentiels Régionaux Pédologiques des typologies de sols à vocation agronomique (Typterres N° AE&S 9-2, p195 Sauter et al., Laroche et al., 2020) et plus récemment avec le projet CasDar RT IDTypterres pour améliorer l’intégration des données sols dans le conseil en agronomie (ferti N), en favorisant l’accès à des données sol adaptées et harmonisées pour répondre aux besoins des OAD et de leurs utilisateurs. A ce jour, les typologies Typterres disponibles ou en cours d’achèvement couvrent un peu moins de la moitié du territoire métropolitain et pour l’essentiel dans sa moitié nord.
Pour l’agriculteur, il est nécessaire de bien connaître les sols de son exploitation et leurs qualités car c’est son premier outil de travail. En effet, selon leur origine pédologique, les sols d’une même exploitation vont présenter différentes caractéristiques, propriétés, potentialités agronomiques intrinsèques, aptitudes et contraintes, ou encore sensibilités aux risques environnementaux qui vont orienter ses choix et avoir des conséquences importantes en termes de gestion. Il est donc déterminant pour les agriculteurs, en tant qu’experts de leurs pratiques, de s’approprier les outils d’observation de leurs sols pour optimiser à court terme leur fertilité et assurer ainsi le chiffre d’affaires de leur exploitation. Par ailleurs, dans un contexte de changement climatique, il est également important pour eux de prendre du recul et de réfléchir individuellement et/ou collectivement en profondeur sur leurs pratiques.
Rechercher des systèmes de culture plus résilients en confortant la biodiversité
Virginie RIOU, Responsable du pôle Sol, Service Agronomie, Chambre d’agriculture des Pays de la Loire
Dans le contexte de changement climatique, l’augmentation des entrées de carbone dans les sols constitue un levier important d’atténuation. Or, une telle évolution est convergente avec l’intérêt suscité par la valorisation de la biodiversité des sols, objet de multiples initiatives qu’accompagnent les Chambres d’agriculture : la fertilité biologique des sols constitue en effet une composante à explorer, comparativement aux composantes chimique et physique mieux cernées, sachant que la prise en compte de leurs interactions est primordiale.
Une autre dynamique qui vise aussi des systèmes plus résilients concerne l’Agriculture de Conservation des Sols, qui repose sur les trois piliers que sont le non-travail du sol, une rotation diversifiée et une couverture maximale. Toutefois, leur mise en œuvre concomitante n’est pas encore monnaie courante car nécessite parfois des modifications importantes du système en place et une réflexion globale complexe. (Dans la mesure où un article relatif au fonctionnement hydrique des sols en agriculture de conservation est intégré dans le présent numéro, nous ne développons pas davantage (lien d'accès).
Au-delà de l’ACS, la valorisation, le maintien et, là où c’est possible, l’accroissement de la diversité spécifique et variétale, dans l’espace (assolements) et dans le temps (successions de cultures), avec une attention particulière sur la place que peuvent prendre les Légumineuses, constitue une orientation à privilégier. Dans la perspective d'impliquer la recherche et les agriculteurs pour co-construire des systèmes innovants et acquérir de nouvelles connaissances, citons le projet CLIMATVEG, projet de recherche appliquée financé par les Régions Pays de la Loire et Bretagne. Piloté par Vegepolys Valley, le projet, initié en février 2021 pour une durée de 4 ans, a pour ambition de comprendre et agir en fonction du changement climatique pour favoriser la résilience, la multi-performance et la durabilité des filières végétales de l'Ouest. Plus précisément, les questions de recherches et d'expérimentations traitées concernent :les climats futurs et la résilience des exploitations ; le choix du matériel végétal ; la couverture du sol comme levier d'adaptation ; l'utilisation de la ressource en eau à l'échelle parcellaire, de l'exploitation et du territoire.
L’une des actions de ce projet vise à mieux référencer les pratiques permettant de maintenir une couverture continue du sol, connue pour avoir un effet positif sur son fonctionnement hydrique. Pour cela, plusieurs dispositifs ont été mis en place : enquête et suivi agronomiques pluriannuels sur un réseau de 200 parcelles localisées chez des agriculteurs, essais et atelier de co-conception d’un système de culture en fermes expérimentales.
Evolutions, notamment de la prise en compte des sols, dans l’accompagnement des viticulteurs Girondins par la Chambre d’agriculture
Pascal GUILBAULT, Coordonnateur Innovation Recherche et Développement, Chambre d’agriculture Nouvelle-Aquitaine
Océane RICAU, Equipe Gestion Durable des Sol Viticoles, Chambre d’Agriculture de la Gironde
Depuis sa création en 1924, la Chambre d’agriculture de la Gironde accompagne les agriculteurs dans la gestion de leurs sols ; la Gironde est un département essentiellement viticole avec plus de 100 000 ha de surface en vigne.
Une attention de longue date aux sols et ses interactions sur les porte-greffes et les adventices
Pour accompagner les viticulteurs, la Chambre de la Gironde a développé des compétences qui ont évolué au cours du temps. L’appui aux viticulteurs était initialement essentiellement tourné vers la protection phytosanitaire. Sur la gestion du sol, la demande des viticulteurs était, dans le même ordre d’idée, axée sur le désherbage chimique, la lutte nématicide par utilisation de fumigants avant replantation, ainsi que la fertilisation minérale. La chambre d’agriculture a cependant toujours préconisé des apports de matières organiques pour « nourrir le sol » avant de chercher à nourrir la vigne. Un appui important concernait également l’aide au choix des porte-greffes, mais en privilégiant un matériel végétal peu vigoureux pour limiter le potentiel de vigueur engendré par le sol, limiter les rendements, faciliter les arrêts de croissance en période estivale et favoriser le métabolisme secondaire pour un chargement en sucre des grappes et assurer une qualité des vins.
Aujourd’hui, en raison de l’évolution de la viticulture sous l’influence de la pression médiatique et du changement climatique, la demande d’accompagnement des viticulteurs a sensiblement évolué. Heureusement, la Chambre d’agriculture a su anticiper cette évolution en orientant ses moyens de recherche, d’expérimentation et de conseil. Malgré le peu d’intérêt des viticulteurs pour la vie du sol, la Chambre de la Gironde a par exemple développé, dès la fin des années 1990, des expérimentations permettant de percevoir l’impact des itinéraires techniques sur la biomasse microbienne et lombricienne. Avant même une formalisation de demandes par les viticulteurs de solutions alternatives aux herbicides, les techniciens ont entamé des expérimentations sur le sujet. La montée du « bio » a également renforcé ce développement. En effet, la principale difficulté pour les viticulteurs souhaitant se convertir en bio n’est pas le changement de mode de protection du vignoble en abandonnant le recours à des pesticides de synthèse, mais l’arrêt des herbicides. Les conseillers viticoles ont donc été de plus en plus sollicités pour accompagner les viticulteurs dans leur démarche d’évolution d’entretien du sol. La couverture du sol a fortement changé en seulement quelques années.
L’enherbement, de sa généralisation à son questionnement sur sa concurrence hydrique
De 1970 à 2000, le désherbage total a été amplement déployé laissant ensuite place à de plus en plus d’enherbement. Aujourd’hui, l’enherbement est largement dominant. Si ce mode d’entretien du sol est incontestablement vertueux d’un point de vue environnemental en augmentant la résistance du sol au tassement, en favorisant le stockage du carbone et en développant la vie du sol, il peut entrer en revanche en concurrence avec la vigne pour l’eau et surtout pour les éléments minéraux, avec en premier lieu l’azote, puisque la minéralisation se déroule sur les premiers centimètres de sol, dans les horizons organiques fortement colonisés par les racines du couvert végétal. Cette concurrence hydrique et minérale est de plus renforcée depuis quelques années par les modifications climatiques diminuant la pluviométrie durant le cycle végétatif de la vigne et augmentant les températures. Cependant, paradoxalement, la concurrence hydrique peut être plus importante en condition humide par développement de l’enherbement qu’en condition très sèche si cela entraine la mortalité de l’herbe. Mais, dans tous les cas, les effets du changement climatique constatés par les viticulteurs ont tendance à être exacerbés par un enherbement concurrentiel : diminution des rendements, vendanges plus précoces (environ 2 semaines plus précoce que les périodes classiques de récolte observées avant 1980), modification des caractéristiques du vin devenant plus alcoolisé, moins acide…
Le sol, objet central dans les pratiques d’adaptation au changement climatique
Un soin particulier est aujourd’hui proposé lors de la plantation pour augmenter la profondeur d’enracinement afin d’accroître le volume explorable par les racines pour accéder à l’eau. Cette augmentation peut être obtenue en veillant à une bonne préparation du sol avant plantation tel que le passage de rippers sur des sols peu profonds ou l’utilisation de porte-greffes plus vigoureux. Le conseil a aussi évolué vers la préconisation de cépages moins précoces. L’importance d’un bon état organique du sol notamment dans un contexte de changement climatique est toujours rappelée. En effet, au-delà de son rôle direct sur la rétention d’eau, la matière organique joue un rôle structurant, permet le développement de la vie du sol et pilote la fertilité notamment azotée limitant la concurrence du couvert végétal. Face aux aléas climatiques devenant de plus en plus problématiques tels que le gel printanier au débourrement, des méthodologies de lutte passive, telle que le décalage de la taille, ou active, telle que l’emploi de tour antigel sont également mises en place. La modification des zones de plantations pourrait aussi être un levier, mais à l’échelle de l’exploitation, en zone AOC, la marge de manœuvre est extrêmement limitée.
Promouvoir une viticulture de conservation des sols pour atténuer le changement climatique
Parallèlement aux pratiques d’adaptation, la prise en compte d’itinéraires contribuant à l’atténuation du changement climatique se développe : réduction des fertilisations minérales au profit des matières organiques, implantation de couverts végétaux, intérêt pour l’agroforesterie viticole, évolution de l’agro-équipement pour limiter les consommations en fuel… Dans la mise en place des expérimentations, les agronomes de la chambre d’agriculture de la gironde ont sensiblement évolué en conduisant moins d’essais analytiques internes au profit d’essais de plus en plus systémiques et multipartenaires pour chercher des solutions à des problématiques de plus en plus complexes.
C’est ainsi que le projet VERTIGO, financé par le CIVB, a démarré en 2017 et se poursuit encore aujourd’hui. Ce projet vise à promouvoir une viticulture de conservation des sols dans le vignoble bordelais. En s’appuyant sur un réseau de viticulteurs historiques, il contribue à une démarche d’observatoire afin d’évaluer l’impact des pratiques mises en place sur le long terme. Si aujourd’hui ce projet a permis de valider l’intérêt technique des couverts végétaux, les réflexions se poursuivent pour optimiser cette pratique en lien avec la réduction des intrants et le maintien de la productivité viticole. Les parcelles suivies et le dispositif sont le support de nombreux autres projets conduits avec différents partenaires techniques, scientifiques (INRAE, VITINNOV, IFV, FDC…), financiers (PNDV, VITIREV, Région NA…) ce qui contribue activement à une approche participative permettant d’approfondir les essais et démultiplier les connaissances et outils produits via VERTIGO.
Les sols dans les démarches profondément renouvelées d’accompagnement des viticulteurs
Dans une démarche de partage et pour répondre aux nouvelles interrogations des viticulteurs partenaires, un groupe GIEE “Les Enherbeurs” a été constitué en 2022 pour travailler sur la gestion durable des sols viticoles. En effet, au-delà de l’accompagnement purement technique, certains conseillers se sont spécialisés dans l’animation de groupe. Ce mode d’accompagnement semblant mieux répondre à certaines demandes de viticulteurs qui ont désormais la possibilité de trouver une grande richesse d’informations sur internet et les réseaux sociaux. De nombreux viticulteurs souhaitent échanger et co-construire la recherche de solutions pratiques au sein d’un groupe de pairs. On peut noter que si dans la majeure partie des groupes mis en place dans des cadres comme les fermes dephy, les fermes 30 000 ou les GIEE, la principale problématique était de réussir à réduire l’utilisation des produits phytosanitaires, nous avons pu constater de façon très nette une demande sur le sol, ce quasi inconnu sur lequel repose de nouvelles attentes. Le sol est finalement perçu comme un levier potentiel de solutions à de nombreuses problématiques agronomiques actuelles.
Le rôle du conseiller a donc évolué sur une courte période avec une position moins descendante, une approche plus systémique, une meilleure prise en compte du sol et en donnant plus de place à l’animation de groupe. Des Outils d’Aide à la Décision éprouvés sont également conçus et déployés pour développer l’autonomie des viticulteurs. C’est notamment le cas de la gamme d’outils DECISOL, regroupant des outils de diagnostic sur la flore, les sols et les itinéraires techniques disponibles gratuitement. Les diagnostics sont simples à réaliser, rapides et à moindre coût. Ils permettent aux viticulteurs de mieux connaitre leurs sols pour mieux les gérer et adapter leurs choix de pratiques culturales.
Deux initiatives pour accompagner les agriculteurs dans la gestion quantitative de l’eau
Le projet REFLEX CARG’eau, à visée stratégique au niveau de l’exploitation
Benoît LOUCHARD, Responsable de l’équipe eau-environnement, chargé de la mission nationale irrigation, Chambre d’agriculture du Loiret
Le projet REFLEX CARG’eau vise à accompagner le plus grand nombre d’agriculteurs (irrigants et non irrigants) à la transition vers des systèmes économes en eau dans un contexte de changementclimatique. Il est axé sur la valorisation et l’appropriation par les agriculteurs et les conseillers des références/données existantes sur l’optimisation de la gestion quantitative de l’eau, à travers 3 objectifs opérationnels :
- Donner aux agriculteurs les moyens d’amorcer le changementsur leur exploitation,sur la base de projections climatiques et d’un diagnostic centré sur la gestion de l’eau à l’échelle de l’exploitation ;
- Capitaliser les références disponibles pour disposer d’un panel de solutions en réponse aux besoins d’accompagnement ;
- Proposer des outils simples et accessibles pour transférer ces références aux agriculteurs : formation, conseil, animation territoriale.
Le projet CARG’eau est en élaboration depuis 2022 et les livrables sont attendus pour la fin de l’année 2023. Parmi les thématiques abordées dans le diagnostic, l’enjeu des sols sera un axe d’étude prépondérant : évaluation de la connaissance des composantes fondamentales par les agriculteurs (horizons en présence, caractéristiques physiques et structurelles), et identification des leviers possibles (amélioration des capacités de rétention de l’eau, fertilité biologique des sols, stockage du carbone).
Concrètement pour les agriculteurs, la mise en œuvre du projet CARG’eau répondra à un besoin de maîtrise technique et d’aide à la décision stratégique. Il s’agit de répondre à la question : quels leviers activer pour améliorer la résilience de mon exploitation vis-à-vis de la ressource en eau dans un contexte de changement climatique ?
Pour les conseillers, le projet CARG’eau permettra de capitaliser les connaissances pour améliorer l’offre de services et les compétences du réseau des chambres d’agriculture. Des travaux ont déjà été amorcés au niveau national (remontée des besoins et offres de conseil en cours, une offre de formation adaptée, premiers webinaires techniques…) dans le cadre d’une mission nationale irrigation déployée par CDA France. Ils ont constitué la base de réflexion du projet CARG’eau.
La collaboration entre des régions françaises aux climats différents et représentant cinq bassins hydrographiques sera riche d’enseignements. Elle permettra à des territoires de bénéficier de stratégies d’adaptation déjà mises en œuvre par d’autres, et de valoriser les spécificités des différentes régions en termes d’expertise. La « mission d’appui transfert au réseau » identifiée dans le cadre du projet permettra de faire le lien avec les régions non-partenaires de CARG’eau mais directement intéressées par les outils de transfert qui seront développés.
Net’Irrig by Seabex pour le pilotage tactique de l’irrigation au plus près
Xavier GIRARD, Sous-directeur, Chef du service Agronomie-Environnement, Chambre d’agriculture du Loiret
Net’Irrig by Seabex est un outil d'aide à la décision en irrigation, sans capteurs, qui permet aux agriculteurs, grâce à un pilotage fin de l’irrigation, de faire des économies d'eau et/ou d’atteindre le rendement prévu. Cet outil, conçu en partenariat avec la Chambre d'Agriculture du Loiret et Seabex, une jeune Start Up, est destiné à aider les agriculteurs à optimiser l'irrigation de leurs cultures en apportant le juste nécessaire en eau, au bon moment.
Il repose sur un calcul de bilan hydrique qui calcule à la parcelle l’écart entre les besoins en eau des cultures et les fournitures du sol. Ce système est capable d'intégrer une multitude de sources de données, y compris la base de données des cultures, qui contient des informations sur plus de 35 espèces. Grâce à cette approche, les agriculteurs peuvent obtenir des informations précises sur les besoins en eau de leurs cultures, ce qui contribue à améliorer la qualité et le rendement de leurs récoltes et une meilleure gestion des ressources en eau.
Net’irrig by Seabex est un outil Web, donc accessible à tout moment. Les agriculteurs renseignent les données de leurs parcelles via une interface graphique, les caractéristiques du sol qui permettent de calculer la réserve utile sur la profondeur du sol. Les différents types de sols du département sont pré-identifiés de façon à faciliter le choix de l’agriculteur. Une information sur le taux de cailloux est également renseignée ainsi que sur l’état structural de l’année en cours. Un grand choix de cultures est également possible : céréales, légumes, semences, protéagineux, betteraves… ce qui intègre le développement de la culture en fonction de la date de semis et la profondeur d’enracinement. Les données météo sont collectées automatiquement : soit par des stations virtuelles (mesures interpolées permettant d’avoir des données météo à une maille de 1 km2) dont Chambre d’agriculture France fait l’acquisition pour tout le réseau, soit via les stations physiques détenues par les agriculteurs.
La quantité d’eau disponible pour la culture est ainsi mise à jour quotidiennement par un calcul de bilan hydrique, ce qui permet à l’agriculteur de visualiser sur un graphe le moment où la culture risque d’être en état de stress hydrique et de prévoir ainsi le déclenchement de l’irrigation.
L’évolution de cet outil se fait grâce au suivi et aux expérimentations réalisées par les conseillers des chambres d’agriculture utilisatrices. Cet outil est utilisé à ce jour dans une douzaine de départements et nul doute qu’au vu du contexte climatique actuel, son utilisation va se développer.
En conclusion
Dans leur rôle d’accompagnement des agriculteurs, les chambres d’agriculture, que ce soit à l’échelon départemental, régional ou national, conduisent de nombreuses actions utilisant le sol comme levier de solutions pour favoriser la transition agroécologique dans un cadre de changement climatique. Le réseau est ainsi impliqué dans plusieurs programmes de cartographie et de connaissance des sols. Il participe également à plusieurs projets visant à acquérir de nouvelles connaissances, valoriser des réseaux d’essais, co-construire de nouveaux itinéraires techniques innovants et promouvoir leurs transferts. Les actions d’accompagnement des agriculteurs pour les aider à s’approprier les nouvelles connaissances et innovations sont sans aucun doute les plus difficiles dans la chaîne de la transition agroécologique. Car, si le sol peut certainement être une source de solutions face aux nouveaux enjeux de l’agriculture, ces solutions sont généralement complexes, que ce soit pour la maîtrise des adventices, la gestion de l’eau ou l’optimisation des rendements.
Remerciements
Les auteurs remercient B. Laroche (INFO SOLS Orléans) pour sa relecture du présent témoignage.
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