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Avant-propos

Philippe Prévost*, Antoine Messéan**et Adeline Michel***

* Alliance Agreenium, rédacteur en chef

** Inrae, vice-président de l’Afa

***CerFrance Normandie Maine, présidente de l’Afa

Lors de la 10ème édition des Entretiens agronomiques Olivier de Serres[1], en 2019, intitulé « Quel théâtre d’agriculture et mesnage des champs aujourd’hui ? »[2], nous avions conclu le numéro de notre revue dédié aux travaux de cette édition par un texte de synthèse portant le titre « Vers une agronomie des transitions[3][4] ». Car les différentes thématiques traitées dans ces Entretiens (« Agricultures et agriculteurs : quelle conception de la ferme pour demain ? » ; « L’innovation en agronomie : perspectives historiques et horizons d’avenir » ; « Ressources naturelles et agriculture : comment évoluent leurs relations ? » ; « La diversité de l’activité agricole dans l’espace : qu’en font les agronomes ? ») amenaient toutes au même constat : « l’agriculture se retrouve au cœur de tous les enjeux du 21ème siècle ». Depuis lors, la pandémie planétaire a mis en évidence la fragilisation extrême de nos écosystèmes et de nos sociétés et les conséquences du changement climatique sont désormais perceptibles sur tous les continents. Comme il n’y a pas de planète de substitution, il est maintenant admis que seules des transitions rapides dans nos façons d’agir pourront réduire les risques pour la vie humaine.

L’agriculture, par son rôle de préservation de ressources naturelles (sols, air, eau, biodiversité,…), de pilotage de systèmes vivants (cultures, élevages, paysages), de production de biens et services répondant à de nombreux besoins humains, dont certains primaires (alimentation, énergie,…), est en effet concernée par les différents défis à relever : atténuation et adaptation face aux changements globaux, résilience des écosystèmes et des sociétés face aux risques (sanitaires, alimentaires, technologiques, …), couverture des besoins d’une démographie mondiale en forte hausse,… Ainsi, de l’organisation des systèmes productifs à la destination des produits agricoles, l’ensemble des systèmes agroalimentaires est concerné par ces défis et ce, à toutes les échelles. A l’échelle mondiale, les 17 objectifs du développement durable des Nations Unies (ODD[5]) concernent de près ou de loin l’activité agricole. Et à l’échelle locale, nous ne pouvons que constater les changements en cours, liés à l’évolution des demandes sociétales : écologisation des pratiques agricoles, consentement d’achat d’une nourriture de qualité (ie santé, sécurité, à impact réduit pour l’environnement) et de proximité, réduction de l’empreinte carbone, utilisation raisonnée des technologies émergentes… Le contexte sociétal est donc propice aux changements, et pas seulement en agriculture. A titre d’exemple, l’Agence française de développement (AFD) a construit récemment sa stratégie pour couvrir six transitions[6] : (i) énergétique, (ii) numérique et technologique, (iii) économique et financière, (iv) politique et citoyenne, (v) démographique et sociale, (vi) territoriale et écologique.

Cette question des transitions à opérer dans l’activité humaine représente donc aujourd’hui une priorité pour l’agriculture. Et l’agronomie, à la fois science d’interface entre sciences de la nature et sciences humaines, et ingénierie technique reliant les savoirs et la pratique agricole, est ainsi fortement questionnée par les multiples transitions qui concernent l’activité agricole.

Nous avons ainsi choisi d’organiser la 11ème édition des Entretiens Olivier de Serres sur la thématique « Etre agronome en contexte de transitions », avec l’objectif d’appréhender de manière systémique les impacts des transitions sur les métiers, les activités et les compétences des agronomes.

Les travaux de ces Entretiens se sont déroulés en trois étapes :

  • Une série de cinq webinaires[7] a permis de poser les enjeux et les impacts de différents types de transitions socio-techniques pour l’activité agricole et les conséquences pour les agronomes. Quatre types de transition ont été analysés : la transition agroécologique pour assurer la préservation des ressources naturelles, favoriser la résilience des agroécosystèmes, et contribuer à la santé globale ; la transition énergétique, pour réduire l’empreinte carbone et contribuer au mix énergétique à base d’énergies renouvelables ; la transition alimentaire, pour diversifier les systèmes de production agricole favorables à une plus grande végétalisation de l’alimentation et rapprocher la production de la consommation alimentaire ; la transition numérique, devant être mieux appréhendée quant à ses impacts et raisonnée dans ses usages.
  • Une série d’ateliers d’une journée dans différentes régions a permis ensuite d’analyser, à partir d’une situation agricole emblématique d’un type de transition socio-technique (écologique, numérique, énergétique, ou alimentaire), les changements dans les activités et les compétences des agronomes.
  • Et enfin, lors d’un séminaire de synthèse, le questionnement et l’analyse se sont prolongés sur la transformation des fonctions des agronomes pour répondre aux besoins de diversification des modèles de production et d’entreprises agricoles, et sur les besoins en formation pour anticiper les transitions socio-techniques.

Car, même si, du fait de l’histoire de l’agronomie en France, les agronomes peuvent revendiquer une palette de compétences qui leur permet de s’adapter aux évolutions en cours[8], il apparaît aujourd’hui indispensable de s’interroger sur le futur des métiers d’agronomes dans la société, l’évolution de leurs fonctions, et donc par conséquent les besoins de compétences à maîtriser pour une action future efficace.

Ce numéro rend ainsi compte de tout le travail réalisé lors des différentes étapes de ces Entretiens. La richesse et la diversité des situations d’agriculteurs ou d’agronomes qui ont servi d’exemples aux analyses, mais également la diversité des participants lors des différentes étapes (plus de 300 personnes ont contribué aux échanges et aux débats) et leur engagement dans les productions écrites nous permettent de proposer aujourd’hui un panorama de ce que devront être les agronomes en contexte de transitions.

Nous vous souhaitons une bonne lecture !

Philippe Prévost, Antoine Messéan et Adeline Michel


[1] Lors de la 10ème édition des Entretiens du Pradel, l’Afa a convenu de nommer désormais cet évènement les Entretiens agronomiques Olivier de Serres.

[2] Le thème de cette édition s’inscrivait dans l’année de commémoration de la mort d’Olivier de Serres (1539-1619) et les travaux ont été valorisés dans le volume 10 numéro 2 de notre revue (https://agronomie.asso.fr/aes-10-2).

[3] Messéan et al., 2020. https://agronomie.asso.fr/aes-10-2-22

[4] La transition est à la fois un processus et un produit. Dans la théorie des systèmes, la transition est le processus de transformation au cours duquel un système passe d’un régime d’équilibre dynamique à un autre. Dans le contexte écologique et social, la transition est aussi le produit d’une trajectoire passant d’une situation insoutenable des sociétés à une situation de sociétés caractérisées par la soutenabilité et l’équité (d’après Renouard et al., 2020, Le manuel de la grande transition, LLL, p.22).

[5]https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/

[6]https://www.afd.fr/sites/afd/files/2018-09-04-32-32/strategie-afd-2018-2022-synthese.pdf

[7] Accessibles en replay vidéo via le lien https://agronomie.asso.fr/entretiens2021-2022

[8] Les 8 compétences identifiées par l’UNESCO pour atteindre les ODD sont : l’analyse systémique, la réflexion critique, la résolution intégrée de problèmes, la construction de normes, l’anticipation, la collaboration, la stratégie, la connaissance de soi. La formation agronomique actuelle, en particulier des ingénieurs, répond à ces objectifs d’apprentissage.

Remerciements

Aux membres du comité de numéro :

Mathieu Capitaine, Marianne Le Bail, Antoine Messéan, Bertrand Omon, Thierry Papillon, Philippe Prévost, Jean-Marie Seronie.

Aux relecteurs et relectrices :

Jean Boiffin, Laurence Guichard, François Kockmann, Marianne Le Bail, Antoine Messéan, Adeline Michel, Christophe Naudin, Bertrand Omon, Thierry Papillon, Philippe Pointereau, Philippe Prévost, Olivier Réchauchère, Jean-Marie Seronie, Jérôme Steffe, Guy Trébuil, Jacques Wery

A l’équipe de suivi et réalisation de la chaîne éditoriale :

Philippe Prévost et Jérôme Busnel

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